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Sortie du confinement, De l’importance des liens maintenus…
jeudi 3 septembre 2020, par
De l’importance des liens maintenus…
Nombre d’intervenants et structures accueillant des patients en exil ont témoigné largement de leurs graves difficultés durant le confinement..
Par exemple, le Centre Primo Lévi dans une lettre hebdomadaire a décrit ces suivis à « distance », quand les systèmes de communication et l’intimité pour un échange thérapeutique manquent aux patients, où la priorité était de trouver et fournir hébergement et nourriture. Version en période d’urgence sanitaire d’une « clinique institutionnelle » traitée dans le dernier numéro de la revue « Mémoire » [1]. De son côté, le COMEDE témoigne du travail ininterrompu de ses équipes de la région Parisienne, de la Loire, ou en PACA dans sa revue « Maux d’Exil » dont l’éditorial annonce : « Retour à l’anormal » [2].
Ces écrits parmi d’autres dénoncent les effets violents de ces inégalités de vie évoquées précédemment avec la fermeture ou « l’évanouissement » de tant de structures du soin ou d’aide sociale [3]. Ils disent également l’importance et l’espoir portés par le maintien de ces liens à des personnes, soignants ou non, qui sont irremplaçables au-delà de leurs fonctions [4].
Plus que jamais, situation psychique et aspects socio-économiques et juridiques sont apparus liés et justifiant une égale considération. Tandis que gloire est rendue aux travailleurs garantissant les besoins vitaux (alimentation, soin, infrastructures vitales), l’évidence d’une prise en compte de la « totalité » des situations rencontrées s’impose ici, contre ces fameuses et récurrentes distinctions entre situations « sociales » et « psychiatriques » qui produisent exclusion ou discrimination [5].
Cette intrication profonde socio-économique et psychique apparaît à première vue un problème pour qui veut soutenir dans sa relation thérapeutique la singularité clinique. Force est de constater en effet que ce traitement sociojuridique des exilés en France soumet ces patients à un écrasement identitaire, qui les définit comme « migrants précaires », catégorisation hélas opérante. [6]
Ce problème est dépassé sur le terrain quand les liens sont établis, comme dans l’exemple du Centre Primo Lévi. Son socle de références psychanalytiques soutient une approche des personnes exilées victimes de torture et persécutions en donnant place au sujet au-delà de la condition de victime, ce qui n’a pas empêché aux intervenants d’agir très concrètement afin de satisfaire des besoins… vitaux. Action inscrite dans et par ces liens, maintenus vaille que vaille à « distance », évitant les ruptures.
Des effets des liens fragilisés…
A l’inverse, on découvre avec le déconfinement d’autres patients qui furent isolés. Pour ne pas dire abandonnés. Certains semblent avoir intégré (ou incorporé) la menace virale, perçue considérable, au scénario désespérant de leur histoire. La pandémie, mal mystérieux planétaire surpassant la puissance médicale occidentale, trouvait sa place dans la suite implacable des malheurs cumulés. Le sens qui lui était donné, tenait d’un rapport d’emprise par une puissance mauvaise contaminant la personne. Une source supplémentaire de cette dépersonnalisation, de ce doute identitaire déjà produits par les persécutions, désaffiliations, deuils vécus sans partage ni rituels, juqu’à l’assignation à la figure imposée du demandeur d’asile.
Des patients se sont tus, murés et seuls, face à l’événement sanitaire, qui a repoussé les échéances attendues, espérées et craintes, telles qu’auditions ou rendez-vous en préfecture. Ces personnes font aujourd’hui face au retour des persécuteurs la nuit, entre cauchemars et hallucinations, après avoir vécu cet éloignement de leurs interlocuteurs, entre CMP « fermé au public », médecins supposés ne prendre en compte que le virus, déplacements incertains pour consulter puisque payer sa place dans le bus n’était plus possible ou qu’on ne disposait pas du masque obligatoire.
Le déconfinement est rude
La reprise est pourtant là : les réponses aux auditions passées pleuvent.
Un jeune patient afghan reçoit un refus d’asile de l’OFPRA (première instance de la procédure d’asile) : rhétorique classique qui énumère pour argumentation la liste habituelle des qualifications négatives « peu détaillé », « discours convenu », « peu convaincant », « peu crédible »… Le jeune homme décrit l’hostilité de l’interprète pendant l’audition. Ce dernier se permettait de manger durant l’entretien et avait moqué l’accent du patient : accent indiquant son origine et dévalorisée par le groupe d’appartenance de l’interprète. Après avoir lu l’avis de refus, il a fui dans sa chambre et absorbé tous ses médicaments. L’assistante sociale s’inquiétant, l’a trouvé. De retour de l’hôpital, il déroule dans sa tête sans cesse la journée où sa mère fut tuée dans un attentat à Kaboul.
Une patiente reçoit un refus d’OFPRA pour un réexamen de demande d’asile. Une telle démarche de deuxième demande d’asile est souvent déconsidérée, considérée comme dilatoire. Elle a fourni un document original attestant du risque de persécution par la police de son pays, point qui avait été contesté à sa première demande, faute de preuve. Le nouveau refus prétexte que le document présenté ne serait qu’une copie. Mais ce même avis liste quelques lignes plus loin les documents qu’elle a présentés et note que le document en question est bien… un original ! La patiente, qui vit un état de stress majeur, reste combative : il faut trouver un avocat en une petite semaine avant l’échéance du recours, quand les avocats engagés sont peu nombreux, saturés et… en déconfinement.
Un homme de 25 ans arrivé au CADA durant le confinement. Il paraît détaché, coupé du passé atroce qu’il expose sans éviter. Ce qu’il a fait, ce qu’il a vécu. Puis, il est pris d’un malaise physique impressionnant : « je suis sur un élévateur ! » dit-il. Ce qu’il transmet dans notre échange (sentiments, ambiance ressentie) hurle en silence ce réel du traumatisme, hyper-réalité échappant toujours à une mise en récit, à un partage, où toute représentation semble trahir ce qui a été vécu. Il s’automutile la semaine suivante. Plus tard, il demande s’il retrouvera un jour vie humaine. Aujourd’hui, il tient sur le fil de ce lien qu’on veut, qu’on tente d’établir, un lien soutenu par les visites d’une infirmière, la présence de l’intervenante sociale.
Conclusion provisoire
« Vous les blancs, vous avez peur de la mort ! » dit cet homme revenu du pays des morts. Contrairement à d’autres, il dit ne pas craindre la pandémie, lui que la Mort côtoie depuis le pays, puis en franchissant la frontière Maroc-Algérie, enfin en Méditerranée où il vit des parents accrochés à ce qui restait du bateau lâcher leurs enfants avant de partir eux-aussi.
La plupart de ces exilés consultant en psychiatrie ont franchi de nombreux obstacles qui ont laissé leurs marques. Ils sont souvent des « survivants ». Leurs parcours attestent de capacités personnelles indéniables, et/ou de soutiens qu’ils ont pu ou su avoir, mais les épreuves vécues en France, différentes, ne leur sont pas pour autant faciles.
Le confinement a frappé tout le monde, mais avec des modalités différentes, selon l’âge, l’état de santé, le degré de précarité sociale et psychique. Des souffrances ont été vécues en silence, et ce silence se fait entendre aujourd’hui comme ce « cri » dont parle Marie-Caroline Saglio Yatzimirsky. [[« La voix de ceux qui crient » de Marie-Caroline Saglio Yatzimirsky (Albin Michel, 2018. Voir également l’interview de l’auteur à propos du confinement dans le journal « Le Monde » : https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/04/27/pour-les-exiles-le-confinement-peut-reveiller-des-images-traumatiques_6037902_3224.html
[1] Numéro de mai 2020 téléchargeable gratuitement ou achat de la revue papier en ligne : http://boutique-primolevi.org/revue-memoires-papier/72-la-clinique-institutionnelle-du-singulier-au-pluriel.
[2] Numéro de mai 2020 téléchargeable sur https://www.comede.org/maux-dexil/
[4] Je reprends le titre du livre de Cynthia Fleury, « Les irremplaçables » (Gallimard, collection Blanche, 2015). Ecouter sur France-culture : https://www.franceculture.fr/oeuvre-les-irremplacables-de-cynthia-fleury
[5] Discrimination manifeste quand une directrice d’hôpital psychiatrique écrit pour refuser un financement d’interprètes que les patients demandeurs d’asile « ne relèvent pas de la psychiatrie ». On peut recommander à ce propos le petit guide pour lutter contre les discriminations en santé en contactant Santé-Migrants-Alsace : ouvrage gratuit à commander sur : https://www.migrationssante.org/axes-dintervention/discriminations-et-sante/guide/
[6] Ce « Traitement » sociojuridique des exilés apparaît ambivalent. Il sépare les destinées selon un schéma peu prévisible, il comporte des droits salutaires (éducation), des droits réels mais malmenés (accès à la santé avec les complications récentes sur la CSS et l’AME) mais aussi ce Mur du droit au travail, qui détermine l’autonomie, la dignité, la liberté