Caractériser et Comprendre le Processus de Changement d’une Psychothérapie Complexe *

Modélisation des processus, mécanismes et conditions des changements associés à la psychothérapie de 66 enfants et adolescents présentant des troubles du spectre autistique

Jean-Michel Thurin ©

Chapitre 3 : Application méthodologique

3.4. Analyse des données

3.4.1. Analyse du changement individuel au cours d’une année de psychothérapie (1ère partie)

L'analyse du changement individuel au cours d’une année de psychothérapie, telle que présentée dans cette thèse soutenue en 2017, a tiré profit de la revue de littérature centrée sur l’introduction de la méthodologie processus-résultats et le développement de méthodes statistiques associées à l’introduction de la complexité dans la recherche en psychothérapie. Sur ces bases, les cas sont présentés dans un format qui leur donne un potentiel de légitimité et de réflexion à partir de différentes méthodologies dont la convergence fournit une alternative aux ECRs. Ces méthodologies permettent d’aborder des aspects concernant les processus de changement et leurs mécanismes qui n'étaient pas accessibles auparavant. Elles permettent à l'évaluation du processus de changement en psychothérapie de devenir pour le clinicien un outil courant dans sa pratique et son élaboration théorique.

En pratique, chaque cas fait l’objet d’une analyse individuelle dont la perspective générale et les outils on été présentés plus haut et dans les numéros 55 et 57 (pour le pôle autisme) de Pour la recherche.

La revue de la littérature sur les processus de changement présentée dans les chapitres 1 et 4 de la thèse, a conduit à apporter deux compléments au plan initial appliqué dans le réseau de recherches fondées sur les pratiques psychothérapiques :

La conception de l’action thérapeutique s’est précisée dans le sens d’une importance de plus en plus grande donnée à la méthode « facteurs de risques / facteurs d'évolution favorable ». Les facteurs de risque sont initialement appréhendés à partir des données de la formulation de cas initiale. Les facteurs d'évolution favorable sont appréhendés comme des hypothèses, à partir des configurations d'items du CPQ qui caractérisent la psychothérapie aux différents temps d'évaluation. À ces données s'ajoutent les informations issues de la formulation de cas à 1 an. L'explication des changements doit s'exprimer dans la cohérence du rapport entre les facteurs de risque identifiés et les médiateurs impliqués dans l'action thérapeutique réalisée (section 3.4.2). La recherche sur les mécanismes de changement est un point complémentaire.

L'action thérapeutique peut-être appréhendée de différentes façons à partir des notes extensives rédigées par chaque thérapeute au cours de ou juste après les séances. D'abord, chaque psychothérapie peut être caractérisée par les items du CPQ qui restent permanents au cours de l'année (fond de la thérapie) et par ceux qui sont les plus caractéristiques à chaque évaluation (éléments saillants). C'est un premier niveau d'observation qui permet déjà d'établir un profil du cas et d'examiner sa relation au changement (section 3.4.4. a).

Il est possible de préciser cette approche et d'aller plus loin par différentes méthodes, notamment en définissant les différents axes qui structurent l'action thérapeutique (niveau 2)
(section 3.4.4. b) et les médiateurs qui interviennent dans cette action (niveau 3).

La dynamique du changement peut être appréhendée à parti de l'enchainement des transactions (niveau 4) qui caractérisent les relations entre le patient et le thérapeute et leur effet (section 3.4.5).

Ces méthodologies ont pu être développées pour une part importante grâce à la structuration conceptuelle des variables et facteurs qui interviennent dans le processus thérapeutique (médiateurs et modérateurs). Cette structuration est appréciable dès l'étude de cas individuel. Elle constitue un prélude aux méthodes statistiques de modélisation par analyse factorielle et équations structurelles du processus de changement utilisables avec le regroupement des cas individuels. C'est aussi un vocabulaire partagé par la sociologie et la biologie.

Cette analyse, synthétisée dans un fichier réalisé avec avec R , est organisée à partir du plan suivant :

1. Vignette clinique

En quelques lignes, elle présente l'enfant de telle façon que le lecteur puisse se le représenter dans se principaux traits et comprenne dans quelles conditions il est entré dans le système de soin. Les éléments clniques marquants sont décrits, incluant les problèmes actuels auxquels la famille et l'institution soignante sont confrontés.

2. Formulation de cas initiale

Les premières consultations constituent un temps essentiel de la psychothérapie. Le consultant expose ses problèmes et ce qui l'a conduit à consulter. Le praticien cherche à définir leurs causes et leur origine, tout en commençant à concevoir la façon dont il va les aborder avec le patient particulier qui le consulte. La formulation de cas est un résumé et une organisation de l’évaluation clinique, au cours des premières séances, à la fin du traitement ou de l’étude, et chaque fois qu’une évaluation de la situation clinique apparaît nécessaire. Elle inclut la recherche de modérateurs susceptibles d’intervenir sur le processus et les résultats.

La formulation de cas initiale en cinq dimensions ((symptômes et problèmes, facteurs déclenchant et de vulnérabilité ; facteurs non dynamiques ; organisation fonctionnelle et psychopathologie ; objectifs projetés et stratégie intiale pour les atteindre) peut être complétée par une analyse fonctionnelle ciblée sur la mise en relation de la causalité psychopathologique et de la causalité thérapeutique.
Elle décrit les relations entre les traits cliniques et les variables associées à l’extérieur et à l’intérieur de la psychothérapie. En particulier, elle permet de préciser à la fois les tenants et les aboutissants de la psychopathologie, mais aussi de concevoir les attitudes et actions thérapeutiques les plus pertinentes pour faire évoluer la situation clinique vers moins de troubles et plus de développement et de santé .
Cette méthode est présentée dans la section 3.4.2

3. Déroulement longitudinal des scores des indicateurs manifestes.

Ces indicateurs concernent les comportements autistiques (global, déficience relationnelle, modulation émotionnelle), le déroulement du développement (dans 8 dimensions et 14 gains d’aptitudes attenant), trois indicateurs du fonctionnement intrapsychique (insight, mécanismes de défense, relation au monde).

4. Formulation de cas à 1 an

Elle reprend les objectifs initiaux, décrit la démarche suivie et l'évolution des problèmes initiaux : regard, langage, expression des émotions, autonomie. À cela s'ajoutent les traits de santé qui se sont affirmées (relation, humour, miroir, ...) . Les principales interventions du thérapeute sont présentées (interprétations, dessin, verbalisation, jeu, théatralisation), ainsi que les alliances qui se sont constituées (famille, autres intervenants, école, ...). Plus précisément, les changements et le moment où il sont apparus sont décrits, ainsi que les nouvelles aptitudes qui ont été acquises.

5. Médiateurs et Causes de changement

Alors que les études expérimentales de groupe classiques ("essais cliniques") testent l’implication d’un médiateur défini dans les effets d’une technique psychothérapique, les études observationnelles s’intéressent à l’action potentielle de plusieurs médiateurs. Ces médiateurs peuvent intervenir isolément ou de façon conjuguée. Depuis la création du réseau, la définition de ces médiateurs a évolué en relation à une évolution du paradigme de l’action thérapeutique. Initialement influencée par le modèle médical classique (le thérapeute applique une intervention psychologique efficace), elle a été amenée à donner une importance croissante à la participation de l’enfant et aux interactions qui s’engagent de façon ajustée et dialogique avec le thérapeute (le traitement psychothérapique est le produit d'une interaction dynamique entre le patient et ses difficultés et la compétence du thérapeute à répondre habilement à ce qui en est la cause). Elle a ainsi suivi deux approches : celle des médiateurs préconstruits à partir de bases théoriques et celle des médiateurs émergents qui se révèlent à partir de la pratique. Cette évolution s’est faite par étapes à partir à la fois des constatations pratiques et de l’évolution des connaissances relayées par la littérature. Les deux approches sont souvent complémentaires.

- Une première étape d’analyse a été réalisée à partir de médiateurs préconstruits. Sous cette désignation, sont rangés les composants dont l’effet sur les résultats de la psychothérapie a été démontré de façon générale (« les acteurs et leur participation, leur interaction et l’alliance thérapeutique qui en résulte ») et ceux qui sont susceptibles d’être spécifiquement actifs dans le domaine de l’autisme. Dans la recherche que nous présentons ici, cette mosaïque de médiateurs est réalisée à partir de regroupements définis d’items du CPQ. Les différents médiateurs sont abordés de façon indépendante. L'alliance thérapeutique représente la somme de l’engagement du patient, sa participation à la thérapie, son transfert avec le thérapeute, l’engagement du thérapeute, son ajustement et l’interaction patient-thérapeute. Les facteurs spécifiques concernent l’expression et la modulation des affects ; la communication, la verbalisation et la symbolisation ; les interventions relatives au sens des expériences vécues et des comportements ; les conseils et interventions relatives aux comportements.

À ces médiateurs préconstruits, sont associés deux "médiateurs prototypes" qui caractérisent et distinguent les approches psychodynamique et cognitivo-comportementale dans la pratique. Ils ont été réalisés par les concepteurs du CPQ en réunissant des experts de chacune des approches pour classer les items d’une séance type qui en seraient les plus caractéristiques. Cette distinction en « prototypes » permet situer les thérapies réalisées en relation avec chacune des deux approches.

Les différents médiateurs pré construits et leur composition sont présentés en annexe. Il en est de même pour les énoncés qui caractérisent les approches psychodynamique et cognitivo-comportementale.

- Une seconde étape d'analyse a été réalisée à partir de médiateurs émergents. Ces médiateurs sont issus d'un classement à double niveau des variables actives au moment de chaque évaluation durant l’année. Cette opération est réalisée à partir des items du CPQ qui caractérisent le plus les psychothérapies menées (que les résultats soient favorables ou peu favorables). Les mesures de ces items/variables suivent une distribution normale de -4 à +4. Les variables qui sont très caractéristiques tout au long de l’année et celles qui sont les plus caractéristiques à chaque temps d’évaluation de la thérapie (c-a-d., à 2 mois, 6 mois et à 12 mois ) donnent un aperçu déjà précis de la psychothérapie. Regroupées par thèmes (2ème niveau de classement), elles se déclinent en médiateurs émergents qui donnent un instantané du processus interactif entre l’enfant et le thérapeute. Cette méthode est présentée dans la section 3.4.4.

- Une troisième étape d'analyse a été celle de l’analyse séquentielle des transactions qui caractérisent la relation entre le patient et le thérapeute au cours des différentes évaluations. La description de ces transactions a été réalisée à partir des items caractéristiques du CPQ. Les indicateurs manifestes de comportement, développement et de fonctionnement intrapsychique ont été associés à chacune des séquences de façon à ce que leur évolution puisse être suivie concurremment. Cette méthode est présentée dans la section 3.4.5.

- Une quatrième étape a été celle de l'approfondissement de l'analyse séquentielle précédente à partir des notes extensives prises par la thérapeute au cours et immédiatement après les séances. L'analyse atteint un niveau de finesse extrêmement précis. Il permet, par exemple, d'objectiver les effets démultipliés que peut produire une suspension même brève de l'attention de la thérapeute et, à l'inverse, comment l'accordage, la sécurité et le transfert qu'elle soutient pemettent à l'enfant de s'engager dans un nouveau type de relation et d'exploration de l'espace et de lui même (section 3.4.6, à venir).

5. Apport complémentaire issu du regroupement des cas individuels

Les étapes précédentes peuvent être complétées par :

6. Élimination ou prise en compte de facteurs explicatifs autres que la psychothérapie

La validité interne se réfère à la mesure suivant laquelle la méthodologie de l'étude élimine les explications alternatives des résultats. Nous sommes ici dans le cadre d'études observationnelles quasi-expérimentales. On peut d'abord rappeler que la sélection des cas se fait suivant le hasard du moment où un nouveau patient avec TED se présente dans un établissement membre du réseau où il peut être pris en charge. Il se produit donc spontanément une attribution aléatoire sans perspective comparative. Les principales menaces sont ici l'histoire (évenements extérieurs) et la maturation développementale. Le relevé des événements extérieurs survenus durant l'année fait partie de la méthodologie ; l'implication du développement naturel se trouve recherchée par l'appariement avec des cas similaires, notamment du même âge, qui ont une évolution semblable ou différente. La maturation n'est donc pas le seul facteur explicatif du changement. L'explication de la différence est recherchée. Parmi les autres menaces, il y a l'usage des instruments. Il fait l'objet d'une double attention, au cours des formations et à partir suivi direct par un chercheur de la validité générale des cotations réalisées en groupe de pairs. La possibilité d'une régression à la moyenne à la suite d'une cotation extrême est modérée par le nombre des cotations et la recherche d'une explication. Les biais de sélection sont éléminés par les différentes évaluations diagnostiques qui précèdent l'étude. Restent les traitements et activités associées. Ce facteur peut être pis en compte comme modérateur dans la mesure où les séances centrées sur une fonction spécifique sont temporaires et surtout par le suivi séquentiel de l'évolution qui apporte un déroulement explicatif direct de la façon dont se déroule l'évolution de l'enfant.

Les forces et les limites de l’étude sont présentées, les questions restantes soulignées.

En complément

- Plusieurs études de cas réalisées suivant le plan initial ont été publiées dans le bulletin Pour la recherche (Thurin JM., Thurin M. & Guibert M. Le cas de Anna 2013, Thurin M. &Thurin JM. Le cas de Dario 2012, Thurin M. &Thurin JM. Le cas de Piero 2011, ainsi que dans le Point d’étape à 4 ans du RRFPP (Thurin JM, Falissard B, Thurin M 2013). Chaque cas a également fait l’objet d’un rapport réalisé avec Markdown à partir des données compilées dans R et, quand c’est nécessaire, d’une présentation synthétique en 1 page.

- Depuis 2015, un Webséminaire mensuel est consacré à la présentation de l’analyse modélisée d’un cas et à sa discussion avec les cliniciens. Chaque séminaire a été enregistré et est accessible en ligne pour les chercheurs et cliniciens impliqués.

En résumé, cette thèse donne une portée supplémentaire à l’analyse de cas individuel à partir de : 1) l’adjonction d’une analyse fonctionnelle à la formulation de cas ; 2) l’analyse longitudinale des changements manifestes et leur mise en relation avec l'action thérapeutique décrite par le CPQ, qui résulte du travail psychothérapique mené par le thérapeute avec l'enfant au cours de l'année d'étude de la psychothérapie ; 3) l’analyse transactionnelle du processus d’évolution à partir du CPQ et des notes extensives relatant pas-à-pas le détail les séances ; 4) la mise en relation de chaque cas, avec un ou plusieurs cas présentant une ou plusieurs variables communes et avec l’ensemble des cas ; 5) la factorisation du processus, et 6) la modélisation PLS-SEM du processus de changement.


Dernière mise à jour : 13 septembre 2018


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