Caractériser et Comprendre le Processus de Changement d’une Psychothérapie Complexe *

Modélisation des processus, mécanismes et conditions des changements associés à la psychothérapie de 66 enfants et adolescents présentant des troubles du spectre autistique

Jean-Michel Thurin ©

Chapitre 3 : Application méthodologique

3.4. Analyse du changement individuel

3.4.5. Analyse Séquentielle du processus de changement sur l’année

Nous avons fait référence, dans la section concernant la mise en relation du processus et du résultats, comment une séquence de déplacement d'une description du processus à une autre peut se combiner en une explication (Kazdin 2009). Les travaux de Patterson, par exemple, (1982, 1992, 2002) ont montré comment une séquence d'escalade de la violence peut se constituer dans une famille (le comportement de l’enfant produit une réaction familiale inappropriée qui, elle même, renforce le comportement pathologique de l’enfant, et ainsi de suite ...) et comment cette séquence peut se modifier avec une intervention familiale appropriée, dans ce cas la guidance familiale. Ce suivi se situe comme une analyse séquentielle du processus.

En suivant cette méthode à partir des éléments qui précipitent le déclenchement d’un comportement émotionnel affectif pathologique chez l’enfant autiste et favorisent son maintien (facteurs de vulnérabilité devenu quasi structurels), la description des attitudes et des interactions dans la psychothérapie devrait pouvoir décrire la désescalade et la contenance de l'affect (ou au contraire les éléments qui réinitialisent le cycle). Il peut y avoir des mécanismes biologiques intermédiaires, mais cela ne se substitue pas à la description des interactions et des mécanismes psychologiques individuels qui les accompagnent.

Nous présentons cette méthode avec le cas de Y078, en associant à ses caractéristiques aux 4 temps d’évaluation l’approche de la thérapeute.

Son approche est-elle ajustée au problème de l’enfant et comment ?

Trois items du CPQ (≥ 3) caractérisent l'approche de la thérapeute l'année entière : elle est sensible aux sentiments de l'enfant, elle adopte avec lui un comportement de protection, ses conflits émotionnels n'interfèrent pas dans la relation thérapeutique.

Un quatrième item concerne l'enfant : il recherche la proximité de l'autre.

Figure 06. Graphique de la relation entre troubles émotionnels de Y078 et structure relationnelle de base entre Y078 et sa thérapeute sur l’année

Figure06

Commentaire de la figure. Chez l’enfant Y078, les peurs de l'extérieur, de l'autre et de la séparation génèrent une anxiété permanente et une émotionnalité non modulée. Elles s'expriment sur un mode positif dans les items (en rouge) portant sur l'intolérance au changement et à la frustration (CHA, item 11), l’humeur et les émotions (HUM, item 18), l’agitation turbulence (AGI, item 13) et l'hétéro-agressivité (HGR, item 16). Elles s'expriment également sur un mode négatif (en bleu clair) dans l'expression orale stéréotypée (ECH), la relation aux objets (OBJ et RIT), le manque d'initiative et d'activité (ACT) et les conduites alimentaires (ALI). Dans le cadre bleu clair, on trouve ce qui est constant dans le processus de la cure durant l'année, avec les quatre éléments toujours très caractéristiques.

À T2, deux autres items de l'ECA-r rejoignent l'intolérance aux changements dans la dimension émotionnelle : Agitation, Turbulence (AGI) et Hétéro-agressivité (HGR). Ces comportements apparaissent comme le double niveau d’une réaction qui traduit l'incapacité de faire face à une tension émotionnelle. À noter, que les troubles des conduites alimentaires ont disparu. Ils sont remplacés par « Variabilité ». Cet item désigne à la fois des variations importantes des possibilités et des troubles de l’enfant et/ou une alternance de son comportement avec autrui se traduisant par « l’alternance de rejet agressif et d’attachement captatif ». L'expression de cette dualité dans la relation à l'autre est importante à souligner.

Plusieurs items du CPQ, qui décrivent l'interaction entre l'enfant et sa thérapeute en séance, confirment ceux de l'ECA-r : la communication de Y078 est très affectivée, il exprime des sentiments ambivalents ou conflictuels, des colères ou des sentiments agressifs. Ces éléments sont réunis dans la figure 07.

Les interventions de la psychothérapeute à T2 entrent en correspondance avec cette évolution émotionnelle : elle pose des limites, offre de l'aide ou des conseils, mime les émotions implicites ou non élaborées ; elle lie les sentiments ou les perceptions de l'enfant au passé, introduit les parents comme sujet de discussion. Ces interventions se présentent comme un test des possibilités qui sont à la disposition de la thérapeute pour faire face au débordement émotionnel de Y078.

Figure 07. Interactions Enfant-thérapeute à T2

Figure07

À T6, l’angoisse de l’enfant, les émissions vocales stéréotypées et l’écholalie, ainsi que la variabilité persistent. Les troubles de la conduite vis-à-vis des objets et le déficit d’activité se réduisent. L’intolérance au changement et l’hétéro-agressivité se sont beaucoup réduites.

Au CPQ, l’enfant est provocateur, teste les limites de la relation thérapeutique. Mais il se sent compris par la thérapeute et comprend ses commentaires.

La thérapeute perçoit précisément le processus thérapeutique (*changement de signe), elle informe l’enfant des conséquences que son comportement peut avoir sur les autres. Elle clarifie, redit ou reformule ce qu’il dit. La thérapeute fait directement intervenir le langage dans la relation de compréhension qu'elle établit avec ce que l'enfant manifeste.

Figure 08. Interactions Enfant-Thérapeute à T6

Figure08

L’EPCA précise qu'au niveau du langage verbal, il y a persistance du langage gestuel socialisé. Sur toute la période, le regard n’apparaît pas dans les comportements pathologiques. Y078 recherche le regard de sa thérapeute pour l’attention conjointe et pointage protodéclaratif. Ce niveau de communication est donc solidement enclenché. La propreté est installée.

À T12, la relation au monde et aux autres de Y078 s’est nettement améliorée ainsi que sa confiance et son humeur. Au CPQ, Y078 se sent compris par la psychothérapeute, exprime des approbations, prend en compte ses commentaires, est confiant et en sécurité, sans gène et assuré, actif, joyeux et gai, il inclut la thérapeute dans son jeu.

Celle-ci lui laisse l’initiative, est directement rassurante, ne porte pas de jugement, s’ajuste à l’enfant, clarifie, répète, reformule ce qu’il dit, souligne ses sentiments, etablit des liens entre ses sentiments et ce qu’il vit.

À noter que l'évaluation de l'EPCA à 12 mois révèle que Y078 commence à utiliser le langage parlé, son regard est pétillant, le graphisme se développe, l’intérêt pour les jeux de cache-cache s’exprime. À l'ECA-r. Un élément ne s’est pas amélioré, c’est l'émission de vocalisations stéréotypées et d’écholalie.

Figure 09. Interactions Enfant-Thérapeute à T12

Figure09

La mise en relation des indicateurs de changement manifeste avec le processus interne de la psychothérapie de Y078 a permis d'introduire la qualité de l'ajustement de la thérapeute aux problèmes de l'enfant et la réponse favorable de l'enfant qui en est issue comme une hypothèse plausible de l'évolution constatée.

La mise en relation des items les plus caractéristiques de l’enfant et de sa thérapeute fait clairement apparaître comment le thérapeute ajuste son approche à l’état et au fonctionnement de l’enfant et comment son positionnement ouvre un nouvel espace d’expression à l’enfant qui va pouvoir être utilisé en retour par la thérapeute pour introduire des interventions plus spécifiques.

Une constatation analogue se retrouve-t-elle avec les psychothérapies d'autres enfants présentant également un déficit de modulation des émotions ? Cette question a été posée à partir des 41 enfants dont les résultats ont été les premiers disponibles (Poster Thurin et al. 2012).

Il apparaît dans ce poster que la psychothérapie du sous-groupe des 9 enfants qui présentent une Insuffisance de modulation des émotions se différencie de celle des 32 autres par les très forts scores de 4 items du CPQ : le thérapeute évite tout jugement négatif direct ou subtil envers l'enfant (2,56 (max = 3)) ; le thérapeute tolère les fortes expressions affectives et pulsionnelles de l'enfant (2,56) ; le jeu de l'enfant est imaginatif, vivant (2,56) ; l'enfant est actif (2,33). Par ailleurs, 2 enfants n'avaient pas d'évolution significative de l'IM, pour des raisons qui apparaissent clairement : le premier était en pleine activité et relation favorable avec son thérapeute, caractéristique qui se retrouvait dans sa courbe d'évolution ; le second était au contraire en situation d'extériorité, de provocation et de refus vis-à-vis de lui, avec une communication chargée d'affect, et une courbe d'évolution défavorable. Le premier était également plus jeune que le second (5 vs 11 ans. Les approches des 2 thérapeutes rejoignent celles des autres, avec une orientation psychodynamique marquée de la première, mais qui peut correspondre aux possibilités qui lui sont offertes par l’enfant. Le profil de Y078 et de sa relation avec sa thérapeute ne semble entrer ni dans l’un, ni dans l’autre, de ces profils.

Un travail est en cours à partir de l’intolérance au changement et à la frustration dans un groupe de 25 enfants dont les thérapeutes ont situé la résolution de cette caractéristique dans les objectifs des formulations de cas qui les concernent. C’est un bon exemple de la complexité qui s’exprime, même quand le point de départ est un comportement précis, relié à un début d’identification causale.


Dernière mise à jour : 29 juillet 2018


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