Caractériser et Comprendre le Processus de Changement d’une Psychothérapie Complexe *

Modélisation des processus, mécanismes et conditions des changements associés à la psychothérapie de 66 enfants et adolescents présentant des troubles du spectre autistique

Jean-Michel Thurin ©

Chapitre 3 : Application méthodologique

3.4. Analyse des données

3.4.2. Analyse du changement individuel au cours d’une année de psychothérapie (suite)

Les trois premières étapes présentées dans la section précédente ont été la formulation de cas unitiale, l'évaluation longitudinale des indicateurs externes de changement et l'Identification des médiateurs de changement. Nous en avons distingué 2 formes de conception : préalablement construits sur la base des connaissances déjà constituées ou inférées, et émergents sur la base des données du processus observées.

Introduction de la modélisation des facteurs de risque et de changement favorable

La formulation de cas (FC) est en soi une mine d’informations concernant le fonctionnement de l’enfant dans son contexte actuel, mais elle recherche également les facteurs non dynamiques qui ont pu intervenir dans son évolution. Elle introduit une dimension chronologique des observations fournies. Des chaines causales commencent à se constituer.

Avec des études de cas répliquées, comme dans cette recherche, il est possible d’examiner si certains facteurs qui sont intervenus dans la formulation initiale et/ou les résultats d’un cas se retrouvent dans d’autres cas, sur un mode favorable ou défavorable. Si c’est ce qui est observé, existe-t-il d’autres conditions associées à cette observation ?

Par exemple, et cela devrait pouvoir se retrouver dans l’autisme, Kazdin et al. (1997, p 388) prennent l’exemple des complications prénatales et périnatales qui augmentent le risque de psychopathologie ultérieure (comportement perturbateur ou troubles d'extériorisation) chez les enfants (Rutter & Giller, 1983). La cause primaire ne peut pas être modifiée a priori. Mais ils ajoutent que ces complications pré et périnatales peuvent également refléter ou accroître la vulnérabilité à d'autres influences (par exemple, la séparation du parent) qui peuvent jouer un rôle causal. Or ce rôle causal peut lui-même se modifier. Les marqueurs qui peuvent être modifiés sont alors appelés “ variables marqueurs “. Si un changement dans le facteur conduit à un changement dans le résultat, alors un rôle causal peut être déduit dont l’explication est à examiner. Les données dont nous disposons permettent de porter une attention particulière à cette méthode.

Dans le premier axe, symptômes et problèmes actuels, certains éléments se retrouvent dans plusieurs cas, comme l’influence qu’ont les changements, les discontinuités, les séparations, les déménagements, les situations familiales perturbées, la fragilité des parents. À chaque fois, se pose la question de l’influence particulière de cette variable (« variable marqueur » ?) sur le fonctionnement général et le développement de l’enfant et la façon dont elle peut être abordée. En effet, des réponses établies de façon durable (angoisse, comportements répétés) peuvent s’amender, ce qui plaide pour la reprise d’un processus de développement favorable lorsque certaines variables actives se désactivent ou qu’elles sont neutralisées par des variables contextuelles favorables.

Concrètement,
Comment ces observations individuelles peuvent-elles acquérir une portée partagée dans la pratique ?

Dans leur article de 1997, déjà cité, Kazdin, Kraemer et al. présentent comment la recherche « facteur de risque » peut apporter une contribution importante à la psychopathologie du développement en termes de prévention, mais aussi d’action thérapeutique, quand une cause est établie.

Le facteur de risque est défini comme "une caractéristique, une expérience, ou un événement qui, s'il est présent, est associé à une augmentation de la probabilité (du risque) d'un résultat particulier par rapport au taux du résultat de base dans la population générale (non exposée)". La manifestation d’un comportement pathologique devient ainsi potentiellement soumise à l’intervention d’un facteur de risque qui, s’il est identifié, peut être modifié de telle façon que ce comportement se réduise. Dans les systèmes complexes, comme celui de la psychopathologie du développement, il est rare qu’un facteur unique soit à l’origine d’une adaptation pathologique. On est en présence d’une multi factorialité qu’il s’agit d’essayer de cerner.

Plus précisément,
« Les influences et les résultats varient au cours du développement, ils se rapportent les uns aux autres de façon dynamique et réciproque, et sont soumis à de nombreux facteurs qui peuvent modifier leur trajectoire. Les défis consistent à conceptualiser, mesurer et cartographier les processus de développement ; à en comprendre la stabilité, le changement et les transitions ; et à identifier les influences qui peuvent être exploitées pour promouvoir un fonctionnement adaptatif positif ».

Le concept de facteur de risque renvoit ainsi à celui plus large de vulnérabilité, facteur pluriel sur lequel il devient possible d'intervenir dans la perspective non seulement d'une réduction du risque (protection), mais aussi de la reprise d'un fonctionnement orienté vers le développement.
« Le facteur de protection est utilisé pour se référer aux conditions antérieures associées à une diminution de la probabilité d'effets secondaires indésirables ou à une augmentation de la probabilité de résultats positifs. La recherche des facteurs de risque, comme approche, englobe à la fois l'étude des facteurs de risque et de protection ».

Cette présentation générale conduit à une question centrale : Comment peut-on établir une relation de causalité entre un résultat et un facteur qui ici prend successivement une triple dimension, celle de facteur de risque (facteur déclenchant associé à une vulnérabilité), celle de réduction du risque (soit par une modification du contexte déclenchant, soit par une reconstruction interne de l’expérience déclenchante), et celle de production ou de renforcement d’un facteur de protection (le dépassement du stress devient une force). « Le » facteur devient une chaîne causale.

On peut ainsi envisager la séquence suivante : Problème initial (p.e., complication périnatale) -> vulnérabilité à la séparation des parents -> expression comportementale (p.e., cris, retrait autistique, ...) -> action psychothérapeutique (p.e., commentaire verbal, jeu transitionnel) -> réduction de la vulnérabilité à la séparation -> Question : par quel mécanisme ? -> hypothèse : symbolisation de l’expérience de séparation rendue possible par une action ajustée intégrant dans des conditions propices, une relation adaptée, des manifestations affectives, le langage et la sécurité. Les recherches de Francis, Champagne, Liu & Meaney (1999) avec les souriceaux issus de souches anxieuses ont montré comment une cause biologique accroissant la vulnérabilité au stress de séparation peut être réduite par un comportement « psycho physiologique » de l'environnement maternel.

Les auteurs expliquent par ailleurs comment la démonstration d’une causalité peut se construire suivant une série d’étapes qui vont de la constatation de corrélations entre le couple modérateurs-médiateurs et les résultats en conditions naturelles, jusqu’à la définition et le test, à différents niveaux (celui de la pratique ou expérimental), de variables explicatives fiables et cohérentes.

Modélisation des facteurs de risque et de changement favorable à partir des FC et des données issues des instruments

La modélisation dans la formulation de cas initiale vise, dans l’idéal, à mettre en relation : (1) les troubles et problèmes, les vulnérabilités qui les sous-tendent et les événements qui les déclenchent ; (2) les causes actuelles (qui peuvent être liées à des causes anciennes) ; (3) les interventions qui sont projetées pour y remédier ; (4) les mécanismes par lesquels elles peuvent agir et ; (5) les résultats attendus.

Un point théorique central est qu’un comportement pathologique répétitif traduit une fixation à une réponse qui peut cesser d’être quasi-automatique lorsqu’une nouvelle expérience vient se substituer à celle qui a produit la fixation. La théorie psychanalytique (et cognitiviste (Janet)) introduit une seconde condition qui est l’intégration de l’événement dans le système symbolique. C’est la raison pour laquelle l’interprétation, qui peut être « simplement » un commentaire verbal du processus qui conduit au comportement pathologique, est considérée comme une action thérapeutique particulièrement importante. Elle est très largement utilisée dans les troubles autistiques avec l’hypothèse que la symbolisation, ordinairement réalisée dans le contexte ordinaire de la vie, n’a pas pu se réaliser du fait d’un débordement perceptif dont l’origine serait neurologique. Ces précisions confirment la remarque produite par différents auteurs (Kazdin, Stiles, ...) que la recherche en psychothérapie est pour partie aussi une recherche théorique.

La modélisation dans la formulation de cas finale (à 1 an) met en relation : 1) les troubles et problèmes ; 2) les causes actuelles de déclenchement ou de renforcement des manifestations pathologiques et les éléments qui ont eu un effet favorable ; 3) les interventions qui ont été réalisées et leur chronologie (formulées par le thérapeute dans les notes extensives de séances et retrouvées dans le CPQ), 4) les changements observés et 5) les mécanismes par lesquels ils ont pu agir. En ce sens, ces données participent au test de la théorie du changement, issue de la formulation de cas initiale, qui a guidé l’action du thérapeute.

Cette modélisation est le produit d’une analyse fonctionnelle dont la perspective a été décrite et explicitée par Haynes et Williams (2003). Ils suggèrent que l'amplitude estimée des effets du traitement est une fonction partielle du degré suivant lequel les mécanismes d'action qui lui sont associés modifient les variables causales des problèmes comportementaux du patient les plus importantes. Les modèles causals nomothétiques peuvent informer le clinicien sur la potentialité de variables causales importantes, mais ils ont habituellement une validité de contenu insuffisante au niveau individuel parce qu’ils ne parviennent pas à capturer la configuration unique de variables et de relations fonctionnelles qui les caractérisent. L'efficacité établie d'un traitement, relativement à un placebo ou à une condition contrôle dans un essai clinique, n'établit pas le mécanisme qui se situe derrière l'efficacité du traitement individuel.

Virues-Ortega et Haynes (2005) ont repris la perpective de l’article de 2003 en l’appliquant à la formulation de cas pour minimiser les biais de jugement clinique et optimiser la prise de décision clinique dans les processus d'évaluation et de traitement. Le principe général est d’identifier la chaîne causale qui conduit au comportement manifeste et de la synthétiser dans un texte et un graphique nommé “Modèle Clinique Fonctionnel-Analytique du Cas“ (FACCM). Dans le cas présenté dans leur article, les données sont issues des entretiens cliniques avec le patient et les personnes de son entourage, d’observations enregistrées en vidéo, et de questionnaires. La force de la relation fonctionnelle entre 2 variables est le degré de corrélation estimée entre elles au cours du temps. L’amplitude de la relation estimée est codée avec une échelle ordinale à 3 niveaux (faible, moyen et élevé). Le degré de modification de chaque variable est coté de 1 à 0. Il est souligné que certains fonctionnements pathologiques n’apparaissent que dans un contexte particulier. L’article présente un graphe qui met en relation les jugements du clinicien par rapport aux problèmes comportementaux du patient et aux variables qui les affectent.

À partir des données dont nous disposons, nous avons réalisé une analyse et une représentation graphique du même ordre, mais avec deux évolutions : elle intègre les principes de la méthode « facteurs de risque » et elle permet de préciser, aux côtés des objectifs de la formulation de cas, les principales actions thérapeutiques qui ont été réalisées à chaque temps d’évaluation (à partir du CPQ) et les résultats attenants jusqu’à la formulation de cas à 1 an. L’information issue de l’entourage de l’enfant, qui décrit notamment le contexte et les facteurs déclenchants qui accompagnent ses problèmes manifestes, et celle du thérapeute, qui observe in situ dans les séances ce qui occasionne ou réduit les comportements pathologiques, se trouvent ainsi associés en une relation à potentialité thérapeutique.

Sur cette base, il est possible de préciser que les causes des manifestations comportementales peuvent être internes (par exemple, la peur et l’angoisse, le retrait) et/ou être externes (p.e. le contexte socio-familial, incluant l’école, le caractère familier ou non d’un lieu ou d’une situation, les problèmes somatiques associés, qui sont indexés dans les 10 modérateurs examinés systématiquement). Les données permettent également de considérer les mécanismes de défense et l’ambiance contextuelle qui accompagnent les situations d’expression manifeste. La dimension causale des troubles se trouve ainsi plus ou moins incluse dans l’analyse du processus. Un second niveau d'analyse et d'hypothèses est introduit par les théories du développement qui décrivent les éléments structurels qui peuvent intervenir comme modérateurs de la confrontation au monde et aux autres, ainsi que les éléments qualitatifs des interactions dynamiques (p.e., la réponse du thérapeute, son attention, son entrée dans le jeu) qui interviennent dans le déroulement de la séance et les effets qui s’y produisent.


Dernière mise à jour : 26 aout 2018


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