Jean-Michel Thurin ©
Distinction entre analyse factorielle et régression multiple
F. des Nétumières (1997) a présenté à partir d’un exemple, celui de la différence des revenus entre hommes et femmes, comment l‘analyse factorielle et la régression multiple sont deux techniques d’analyse complémentaires qui permettent de répondre à des questions différentes se rapportant à un même objet.
L’analyse factorielle permet de distinguer des groupes qui partagent des éléments communs. Elle ne traite que des liaisons entre variables prises 2 à 2 et ne peut avoir d'ambition explicative. Elle est particulièrement utile lors de la phase exploratoire et constitue l'outil privilégié de la description.
La régression multiple apparaît comme le moyen privilégié pour mettre en évidence des liaisons déterminantes entre variables, rechercher l’effet propre d’une variable sur une autre. On dit d'ailleurs couramment, à partir des résultats d'un modèle, que telle variable « explique » telle autre et on parle de variables « explicatives » et de variables « expliquées ». La définition des variables à expliquer et des variables explicatives doit respecter certaines conditions pour satisfaire aux critères habituellement avancés en statistique de l'existence d'une relation causale : (1) il existe une liaison statistique entre la variable A et la variable B ; (2) A précède B dans l'ordre temporel ; (3) la corrélation entre A et B subsiste lorsque l'on contrôle l'effet d'autres variables qui peuvent avoir un lien avec A ou B.
Pour illustrer la différence entre les deux méthodes, F. des Nétumières montre comment chacune des méthodes peut être utilisée dans le contexte politique. « Une analyse réalisée à partir d’analyses factorielles, en décrivant la réalité sociale, pourra dénoncer les inégalités, mais sans être à même de proposer des solutions visant à les réduire. À l’inverse, les analyses fondées sur la modélisation (régression multiple), en repérant l’effet d’une variable sur une autre, donnent les moyens aux politiques d’agir sur tel ou tel phénomène par le biais de mesures spécifiques ».
Cette présentation peut être facilement transposée au champ thérapeutique. La formulation de cas peut rester dans le champ spécifiquement descriptif des différents symptômes et fonctionnements qui composent le tableau clinique sans proposer de solution particulière pour les réduire. En associant à cette description des objectifs et une stratégie, la F.C. introduit un début de modélisation conceptuelle de l’action thérapeutique spécifique qui pourrait intervenir sur le tableau problématique et symptomatique de départ. À un degré supplémentaire, l’analyse fonctionnelle introduit des relations de causalité entre différentes variables, certaines paraissant plus déterminantes que d’autres. Ces variables peuvent être contextuelles ou internes à la configuration symptomatique. Par exemple, la peur peut être à l’origine de différentes manifestations symptomatiques qui peuvent être distinguées dans l’ensemble des symptômes. Cette nouvelle description introduit la question des actions qui seraient les plus pertinentes pour corriger les dysfonctionnements sous-jacents aux manifestations symptomatiques. Le choix de ces actions peut être réalisé en relation avec leur cohérence avec la possible résolution du problème. Les résultats constatés quand elle est mise en oeuvre constituent un premier test d’efficacité. L’analyse factorielle du processus apporte une description de l’action thérapeutique réalisée en distinguant les principaux facteurs qui caractérisent chaque psychothérapie aux différents temps d’évaluation et en situant leur importance relative en intra et en inter cas.
La régression multiple recherche les configurations d’items du CPQ qui sont susceptibles d’avoir une action sur les indicateurs manifestes dans le processus de changement.
Présentation de l’analyse factorielle dans l'étude
Dans la recherche présentée pour cette thèse, l’analyse factorielle est effectuée à partir des réplications de l'étude du processus de changement sur une période de 1 an de 66 enfants autistes en psychothérapie. Les mesures sont issues de l’accord inter-juges réalisé par les 66 groupes de pairs, constitués chacun de 3 cliniciens, après cotation individuelle et discussion jusqu'à consensus, avec retour aux données, des écarts inter-juges constatés.
La structure de l’analyse factorielle peut être résumée avec le tableau suivant
Tableau 21a : Structure de l'analyse factorielle
Un tableau observations / variables a été réalisé à partir des 100 lignes des énoncés du CPQ et des 198 colonnes correspondant aux 3 cotations des 3 séances de psychothérapie (2, 6 et 12 mois) réalisées avec les 66 enfants.
Les corrélations étudiées concernent ainsi les cotations des 100 énoncés du CPQ aux 3 évaluations pour les 66 psychothérapies (par exemple, X067_02 avec X067_02, X067_06, X067_12, X069_02, X069_06, X069_12, ...
Il s'agit donc de corrélations inter séances de psychothérapie caractérisées par le CPQ à 3 temps (T2, T6, T12) dans chaque cas et inter-cas, impliquant les 3 registres d'observations enfant, thérapeute, interactions.
Chaque facteur représente la communauté des tris fortement corrélés entre eux et faiblement corrélés avec les autres. Nous avons sélectionné 3 facteurs dont la participation à la variance était supérieure ou égale à 3,5 % du pourcentage de variabilité (31,01 ; 6,68 ; 3,98).
Les coordonnées factorielles (loadings) définissent le niveau de concordance / participation (?) de chaque variable (issue du classement des items de chacune des 3 évaluations des 66 psychothérapies) avec chacun des facteurs (par exemple, pour X067_02, (F1 = 0,555, F2 = -0,114 et et F3 = -0,001, le degré de concordance du classement des items à T02 avec celui de F1 est de 0, 555).
Tableau 21b : Niveau de concordance d’une variable (la psychothérapie X067 à T2) avec les facteurs F1, F2 et F3
Les loadings s'inscrivent dans les intervalles suivants : pour F1, de 0,022 (Y098_06) à 0,791 (Y112_12), pour F2, de -0,624 (Y096_02) à 0,502 (X069_06), pour F3, de -0,619 (Y099_06) à 0,565 (Y083_02).
Tableau 22 : Intervalles des loadings des facteurs F1, F2 et F3
Les facteurs permettent de distinguer des types de psychothérapies correspondant à des approches différentes. Cela apparaît bien en comparant les facteurs relatifs à 2 psychothérapies typiquement psychodynamiques (X071 et Y067) et ceux de 2 psychothérapies typiquement cognitivo-comportementales (Y096 et Y098) (en relation aux scores prototypiques).
Tableau 23 : comparaison des facteurs correspondant à 2 types de cas
Certaines variables sont corrélées de façon significative avec plusieurs facteurs.
Par exemple, la psychothérapie X071 est corrélée fortement avec F1 et, de faible à moyen, avec F2. En fait, les items en négatif correspondent à des items inscrits dans le prototype psychodynamique. Les scores de F3 sont nuls. Les scores caractérisant l’approche sont très fortement PPD et négatifs TCC.
La psychothérapie Y096 est corrélée à T02 de façon assez faible avec F1 et moyenne avec F2 (en négatif). Elle est corrélée à T6 et T12 avec les 3 facteurs. Les scores TCC sont assez forts, les scores PPD beaucoup plus faibles, mais pas négatifs. L’approche est mixte à prédominance TCC.
Tableau 24a : distinction des facteurs de 2 cas (Y096 et X071)
Les coordonnées de chaque observation (numéro de l'item du CPQ), complétées de l'énoncé correspondant, peuvent ensuite être mises en relation avec chacun des facteurs. La participation importante d'une observation est signalée en gras. Par exemple, pour l'item 26, « L’enfant est socialement désaccordé ou décalé » , F1 = 0,068 ; F2 = 2,726 ; F3 = -0,830. C’est dans F2 que la participation de cet énoncé est la plus importante.
Les coordonnées factorielles de chaque observation suivant les axes F1 et F2 sont récapitulées dans la figure 10b suivante
Si l'on réunit les items affectés d'un score négatif en gras dans F2, on obtient le tableau suivant qui décrit à la fois l'enfant et son état d'une part, le thérapeute et sa technique d'autre part :
Tableau 25 : items avec scores négatifs correspondant au facteur F2
Si l'on réunit les items affectés d'un score positif en gras dans F2, on obtient le tableau suivant qui décrit à la fois l'enfant et son état d'une part, le thérapeute et sa technique d'autre part :
Les situations sont souvent moins tranchées ...
Tableau 26 : items avec scores positifs correspondant au facteur F2
Le CPQ décrit ainsi des situations de psychothérapie impliquant à la fois l'enfant, le thérapeute et leur interaction. La relation de chaque variable (psychothérapie) avec chacun des facteurs traduit le positionnement de la psychothérapie à chaque étape de l'évaluation avec les caractéristiques synthétisées par chaque facteur.
Cette approche permet de situer les similitudes et les distinctions entre les variables de l'action psychothérapique. Dans le facteur 2, la référence prototypique de l'action psychothérapique apparaît clairement, ainsi qu'un profil de l'enfant qui lui a été directement associé.
Nous complétons ce paragraphe par la présentation des items qui composent F1 et F3.
Tableau 27 : items correspondant au facteur F1
Dans F1, les 20 formulations les plus caractéristiques concernent l’approche générale du thérapeute, son ajustement au développement de l’enfant et la technique spécifique utilisée pour le langage et les affects. L’enfant se sent confiant, en sécurité et compris par le thérapeute. Le thérapeute et l’enfant font preuve d’un vocabulaire et d’une compréhension partagées.
Tableau 28 : items correspondant au facteur F3
Dans F3 (scores positifs ou énoncés inversés quand négatifs), l’enfant semble être globalement dans une position défensive vis-à-vis du thérapeute (évite une plus grande intimité, a des difficulté à exprimer des demandes, évite d'exprimer de l'agressivité envers le T). Le T est neutre. Il pointe à l'enfant qu'il utilise des mécanismes de défense et établit une liaison entre la relation thérapeutique et d'autres relations. Différents thèmes sont abordés : la relation thérapeutique, les parents, les symptômes ou la santé physique, la situation actuelle.
Apport de l’analyse factorielle à la définition des cas présentés
Comment Y078, Y086, Y096 et Y098, dont les psychothérapies ont été présentées plus haut, se situent-ils en relation aux facteurs F1, F2 et F3 ?
Tableau 29 : mise en relation des coordonnées factorielles de Y078
Tableau 30 : mise en relation des coordonnées factorielles de Y086
Tableau 31 : mise en relation des coordonnées factorielles de Y096
Tableau 32 : mise en relation des coordonnées factorielles de Y098
Y098 n'adhère pas au facteur commun à 2 et 6 mois. Il est donc en dehors de ce qui constitue la démarche générale adoptée pour l’ensemble des cas (on retrouve dans F1 les items les plus caractéristiques issus de la moyenne des cotations de l’ensemble des cas). Ce cas illustre comment une démarche théorique rigoureusement appliquée peut en fait se situer en dehors de ce qui constitue l’efficacité de la démarche parce qu’un élément contextuel ne permet pas à la relation de s'établir.
En résumé, l’analyse factorielle permet de construire rapidement, à partir des 3 facteurs F1, F2 et F3, des éléments de communauté et de distinction entre psychothérapies qui regroupent toutes 3 composantes : l’enfant, l’approche du thérapeute et la relation enfant/thérapeute. Ces facteurs discriminants sont susceptibles d’évoluer d’une évaluation à une autre, ce qui introduit une dimension dynamique de la description de chaque psychothérapie au cours du temps à partir des éléments qui la composent.
Le facteur 1 est un facteur commun. Il réunit, parmi les 100 items qui décrivent chaque psychothérapie, ceux qui caractérisent le mieux une psychothérapie d’enfants présentant des troubles autistiques traités majoritairement par des thérapeutes d'orientation psychanalytique. Ce facteur, dans sa dimensionnalité, et les autres facteurs définissent des familles de psychothérapies qui décrivent les protagonistes dans une situation donnée.
Par exemple, ce que fait ou peut faire un thérapeute avec son approche et sa technique avec un enfant « compliant » ou au contraire dissocié et opposant avec le cadre de la psychothérapie (facteur 2). Ou encore, comment l’approche du thérapeute se modifie quand les caractéristiques de l’enfant le situent déjà dans la santé mentale (facteur 3). Le poster SPR 2015 résume comment l’application de la méthodologie du Q-sort apporte les éléments qui permettent cette distinction pour décrire le processus de la psychothérapie.
Tous ces éléments remettent totalement en question les étiquettes rigides censées définir les psychothérapies en fonction de leurs références théoriques et leur influence sur les pratiques.
Autrement dit, l’analyse factorielle introduit une base de comparaison entre familles de psychothérapies et entre psychothérapies, impliquant non seulement l’approche générale (psychodynamique, cognitivo-comportementale), mais également le fonctionnement de l’enfant en soi et dans la relation. Elle met en scène des configurations de psychothérapie et leur déroulement d’un temps à l’autre.
Le sous-chapitre suivant présente comment la modélisation par équations structurelles peut contribuer à décrire l’évolution dynamique des psychothérapies, les médiateurs qui y contribuent et les changements qui caractérisent cette évolution.
Dernière mise à jour :
25 juillet 2018
Matières