Caractériser et Comprendre le Processus de Changement d’une Psychothérapie Complexe *
Modélisation des processus, mécanismes et conditions des changements associés à la psychothérapie de 66 enfants et adolescents présentant des troubles du spectre autistique
Jean-Michel Thurin ©
Discussion
Cette thèse porte sur l’introduction de la recherche processus-résultats en psychothérapie et la possibilité d’en appliquer les principes et les conséquences aux processus de changement d’une population de 66 enfants et d’adolescents souffrant de troubles autistiques. L’application porte sur l'évaluation des changements suivant une méthodologie d'études intensives de cas au cours d’une année de traitement psychothérapique menée en conditions naturelles.
Second chapitre, Évolution de la recherche en psychothérapie
Le second chapitre aborde plus en détail les principaux problèmes que pose la mise en relation des résultats avec le processus interne qui les sous-tend. La question générale est devenue la causalité du changement : Pourquoi, comment et dans quelles conditions une psychothérapie est-elle une action thérapeutique ? Les théories de référence (psychanalyse, thérapies cognitivo-comportementales, thérapies systémiques (?)) ne sont pas véritablement outillées pour répondre à ces questions qui sont pour une grande part demeurées dans le champ conceptuel ou réduites à des modalités techniques générales. Les méthodologies de recherche en psychothérapie ont dû évoluer pour intégrer la différence structurelle de la relation thérapeutique en psychothérapie et l'intégration d'interventions ajustées aux besoins et capacités du patient aux différents temps de la psychothérapie. Dans cette perspective, l'introduction d'un instrument de description du processus tel que le PQS et ses versions enfant (CPQ) et adolescent (ACQ) tiennent une place fondamentale. Les méthodes ont dû également se mettre à jour pour intégrer des analyses multivariables (dites multivariées) pour aborder la complexité des processus de changement. Les articles de Kraemer et al., dans le prolongement pour la psychiatrie des publications de xx ont engagé cette évolution.
L’abord de ces questions se décline en 10 axes qui peuvent être synthétisés.
- Un changement de paradigme et d’objectifs.
- a. Des études de résultats aux études processus-résultats ; l’introduction du processus interne de la psychothérapie conduit à une distinction entre l’action thérapeutique en psychothérapie et celle que l'on rencontre dans le modèle médical classique. Le paradigme de l'action thérapeutique en psychothérapie donne une place importante au patient dans la structuration de l'interaction avec le thérapeute et le processus qui s'y engage. L'interaction intègre une dimension transactionnelle dans la mesure où la réponse se constitue en relation avec le contenu de l'intervention de l'autre, dans ses différentes formes. La causalité actuelle de la psychopathologie entre dans le processus. La vulnérabilité à certaines situations et les facteurs de précipitation peuvent être appréhendés au niveau individuel à partir des données introduites par le patient ou son entourage. Les interventions psychothérapiques qui y répondent sont ajustées et orientées par une logique réparatrice à partir du contexte et d'interventions spécifiques (méthode "facteurs de risque").
- b. Le but de la recherche est la compréhension de la façon dont la thérapie fonctionne et la connaissance des mécanismes qui sous-tendent les changements. L'efficacité de la psychothérapie, importante en soi, est aussi le temps préliminaire d'une recherche sur les éléments du processus qui peuvent l'expliquer.
- c. La méthodologie exposée dans le 3ème chapitre a opéré avec le nouveau paradigme dans la perspective des buts qu'il permet d'atteindre.
- Un nouveau rapport à la théorie.
- a. La réflexion sur ce qui peut constituer ou participer à la causalité des troubles (analyse fonctionnelle et analyse psychopathologique) est un temps important. Initialement, l'analyse des facteurs de déclenchement ouvre sur la vulnérabilité et les conditions de son développement. La conception de l'action thérapeutique qui peut modifier ce paysage initial prend toute son importance. Elle n'est généralement que peu abordée par les théories générales.
- b. Des modèles conceptuels spécifiques sont nécessaires pour expliquer les processus responsables du changement thérapeutique. Kazdin et Kendall (1998) ont proposé une méthodologie en 7 étapes pour concevoir, opérationnaliser et tester l'efficacité d'un traitement. Partant d'un modèle conceptuel, le processus causal est recherché à partir de l'observation du déroulement et/ou de corrélations. Le traitement correspondant est conceptualisé et opérationnalisé. Ses axes deviennent des hypothèses que la recherche permet de tester à partir de différents protocoles et types d'études. L'analyse de configuration d'Horowitz permet de construire un modèle descriptif précis en 3 niveaux : 1) conditions de déclenchement, 2) relations sociales (alliance social, alliance de travail, transfert) au moment des différentes évaluations et 3) élaboration. L'analyse de l’assimilation (assimilation analysis) de Stiles (2001) a été utilisé pour étudier le processus de changement en sept étapes au cours de séances portant sur des thèmes problématiques identifiés. Chaque niveau est caractérisé à la fois par des traits cognitifs et affectifs.
- c. la méthodologie de Kazdin et Kendall a été appliquée dans ses premières étapes. Le test d'hypothèses a été essentiellement limité à l'analyse de la cohérence des actions engagées en relation aux hypothèses causales et à l'analyse des résultats obtenus.
- Convergence des études observationnelles et des études expérimentales de cas.
- a. Kazdin 1981. Il est nécessaire d’inclure les études individuelles de cas dans la recherche en psychothérapie et de préciser dans quelles conditions elles peuvent apporter un haut niveau de preuve, y compris à partir d’études menées dans le champ clinique. Les menace à la validité interne peuvent être éliminées par la réplication avec des patients présentant une certaine hétérogénéité, interne ou externe.
- b. Kazdin et al. 1997. L’observation est une étape fondamentale pour définir une causalité. La causalité est rarement unifactorielle et linéaire dans les situations qui sont rencontrées en clinique. Les relations causales sont déduites et non évidentes à partir de l'observation elle-même. Les facteurs de risque peuvent être, pour beaucoup d’entre eux, neutralisés et laisser la place à des facteurs de construction.
- c. Kazdin 2014. l’évaluation du cas individuel dans le travail clinique peut constituer une étude une qualité quasi-expérimentale à partir de cinq principes : 1. Collecter des données systématiques. [condition nécessaire mais non suffisante] ; 2. Évaluer à de multiples occasions ; 3. Considérer la performance passée et ses projections futures ; 4. Considérer le type d’effet associé avec le traitement ; 5. Utiliser des sujets multiples et hétérogènes. Plus il y a de cas qui s’améliorent avec le traitement, moins il est probable qu’un événement externe soit responsable du changement.
- d. Les études de cas incluses dans la recherche remplisent les critères des études quasi-expérimentales (données objectives, évaluation à de multiples occasions, stabilité antérieure du problème, effet associé au traitement, cas multiples et hétérogènes, contrôle de la menace à la validité interne). L'observation est une étape pour établir une causalité des variables qui interviennent dans les troubles et de l'effet des interventions dont l'objectif des de les neutraliser et de laisser la place à des facteurs de construction.
- Relations processus - résultats.
- a. L'introduction "officielle" en 1990 du processus interne de la psychothérapie dans la recherche sur les résultats est une réponse aux limites des études classiques de résultats et la reconnaissance de la progression importante de la recherche sur le processus
- b. la nouvelle orientation vise un progrès de la recherche thérapeutique dans l'élaboration d'une théorie des changements qui accompagne les théories globales. L'objectif est d'appréhender les mécanismespar lesquels la psychothérapie fonctionne et les conditions dans lesquelles elle est susceptible d'être efficace.
- c. Les études de cas sont redéfinies de façon générale et spécifiées en fonction de leurs objectifs et de leurs apports particuliers. Une distinction entre études expérimentales et études observationnelles, entre études quantitatives, qualitatives et mixtes, entre études intra-sujet et inter-sujets est ainsi réalisée. Les conditions de l’agrégation secondaire des études individuelles de cas sont posées.
- d. Les conditions pour obtenir un bon niveau de preuve avec les études de cas individuels sont décrites (Kazdin, Edwards, Hilsenroth).
e. Ces éléments sont décrits précisément au cours de la thése et ont été mis en oeuvre dans les études du RRFPP
- Analyse du processus interne et Q Méthodologie.
- a. L'analyse du processus interne est grandement facilitée par le PQS/CPQ, instrument pan théorique issu de la littérature et des pratiques. Il réunit en 100 variables ce qui concerne l’enfant, le thérapeute et leur interaction en psychothérapie, en référence aux principes psychologiques, ingrédients et actions auxquels se réfèrent les différentes approches (psychodynamique, cognitivo-comportementale, interpersonnelle, etc.) ;
- b. Les énoncés de l’instrument apportent à la fois une dimension qualitative et quantitative ;
- c. Le classement des énoncés permet d’appréhender les configurations qui caractérisent à un moment donné la psychothérapie et de suivre leurs évolutions.
- d. l'analyse des données du CPQ peut faire intervenir plusieurs méthodes : items les plus caractéristiques et classements thématiques, impact de configurations d'items (médiateurs) sélectionnés par thèmes intervenant potentiellement dans l'alliance de travail et comme interventions spécifiques, analyse séquentielle des interactions, analyse factorielle, analyse en composantes principales, analyse multivariée par équations structurales, chaînes causales avec PLS-SEM. Pour plusieurs de ces méthodes le nombre de cas et d'évaluations est important.
- 6. Complexité, Concepts, Causalité. Décrire les éléments structurels intervenant dans la causalité des changements en psychothérapie
- a. Les concepts de modérateur, médiateur, processus, mécanisme et cause permettent à la fois de préciser leur rôle et les rapports qui s’établissent entre eux.
- 7. Clinique et statistiques
Conciliation entre la réalisation d’études naturalistes des processus de changement en psychothérapie et le recueil de données fiables et valides ; l’introduction de méthodes statistiques tenant compte du nombre de variables potentiellement impliquées dans le changement.
- a. Les études de cas ne doivent pas perturber l’interaction clinique entre le patient et le thérapeute ;
- b. Les études de cas de seconde génération répondent aux critères de qualité attendus pour réaliser des études à niveau de preuve élevé ;
- c. La participation des cliniciens et leur collaboration avec les chercheurs sont indispensables ;
- d. La focalisation des études sur des questions/aspects particuliers de la psychothérapie la segmentation du processus au cours de son analyse sont nécessaires d’un point de vue théorico-pratique et statistique.
- 8. Pratique clinique et recherche
- 6. La conception et le test d’une théorie du changement
- a. Le modèle « facteurs de risque » appliqué à la psychopathologie du développement apparaît comme le plus efficient en terme de construction d’hypothèses et de réalisation d’un premier niveau de tests en conditions naturelles ;
- b. Ce modèle peut être appliqué dès la formulation de cas et à partir des évaluations du processus de changement psychothérapique qui la suivent. La démarche est explicitée à partir dans les articles 1997, 1998 de Kazdin et al. ;
- c. D’autres modèles, utilisés à partir d’une collection de cas similaires, sont complémentaires. Parmi eux, on peut citer l’APES de Stiles, les Événements de Elliott, ...
- 7. Une modélisation du processus de changement intégrant les interactions entre le patient, le thérapeute et le contexte. Principalement, trois méthodes y contribuent :
- a. L’extraction des variables descriptives les plus caractéristiques de la psychothérapie, leur classement par thèmes aux différents temps d'évaluation et l’analyse des variations ; l’élaboration d’hypothèses causales et l’examen de leur cohérence avec la nature des changements et les connaissances déjà établies ;
- b. L’analyse séquentielle des transactions patient, thérapeute, patient aux différents temps d'évaluation à partir des énoncés du CPQ, ... ; réalisable également par analyse des séries temporelles, mais avec un nombre important d’évaluations successives du processus ;
- c. Les méthodes statistiques d’analyse factorielle et et de modélisation structurellePLS-SEM
- 8. L’explication du changement
- a. Examiner les relations entre les médiateurs issus des éléments les plus caractéristiques du processus et l’évolution des indicateurs manifestes ; rechercher les mécanismes explicatifs à partir des changements intermédiaires survenus dans le processus ;
- b. Proposer les mécanismes explicatifs en établissant une cohérence entre les facteurs déclenchants, les facteurs de vulnérabilité, les attitudes et actions du thérapeute dans les configurations observées, les changements intermédiaires et les résultats ;
- 9. La recherche des possibilités de généralisation : comment la réaliser ? sur quels principes ?
- a. Une base de données réunissant les cas est indispensable
- b. La réplication directe à partir d’une méthodologie commune, en relation avec les recommandations de l’APA (Hilsenroth) ; la réplication systématique à partir d’une question (Hilliard 1993, Kazdin 1982) ; l’observation d’un processus commun d'évolution à partir de configurations émergentes dans une population de cas soumise à un problème similaire (Stiles 2001 et 2009, Elliott 2010) ;
- c. La collection de cas définis par un format commun respectant un certain nombre de conditons générales (Fishman 2013)
- 10. Apports et limites des analyses statistiques
- a. Les approches statistiques décrivent des facteurs généraux issus des éléments communs inter-cas du processus ; des pistes causales peuvent ainsi être établies ;
- b. Le caractère individuel des configurations psychothérapiques et des stades d’évolution réduit la possibilité de description des facteurs spécifiques. Il est cependant possible de décrire des typologies particulières de psychothérapie et de situer les enfants qui les fréquentent à un moment donné ;
- c. Les variations dans les mesures résultats peuvent avoir des causes très différentes, notamment l’âge ou paradoxalement une évolution plus précoce chez certains enfants dans la même tranche d’âge.
Dernière mise à jour :
31 juillet 2018