Caractériser et Comprendre le Processus de Changement d’une Psychothérapie Complexe *

Modélisation des processus, mécanismes et conditions des changements associés à la psychothérapie de 66 enfants et adolescents présentant des troubles du spectre autistique

Jean-Michel Thurin ©

Chapitre 2

2.1. Un paradigme spécifique pour l'action thérapeutique de la psychothérapie

Les racines de ce paradigme se retrouvent dans différents articles, parmi lesquels ceux de Strupp et Marmar.

Strupp 1986 précise que la psychothérapie n'est pas une forme physique ou chimique de traitement « médical ». Les méthodes de recherche couramment utilisés pour établir la « sécurité » et « l'efficacité » des médicaments sont largement inadaptées. Au lieu de cela, il est proposé que la psychothérapie soit considérée comme une relation humaine spécialisée qu'un thérapeute compétent développe, maintient et gère avec une intention thérapeutique. La recherche sur les processus de changement doit prendre en compte cette structure de base.

Marmar 1990 décrit comment les questions et les avancées dans la recherche en psychothérapie ont conduit à, et rendu possible, la référence à un nouveau paradigme.

La recherche en psychothérapie commence par la conception d'un modèle théorique du processus de changement (Kiessler 1973) et la génération des variables qui naissent de ce système théorique. L'absence de prise en considération de cette règle est source de problèmes.

Il existe un consensus croissant pour une segmentation du processus en configurations significatives, pour des efforts de modélisation des multiples niveaux et dimensions du processus thérapeutique et de reconstruction, en cotant les multiples points de vue issus de variables pertinentes. Le changement de paradigme est présenté avec ses configurations, leur contexte et phases, modélisées en fonction des troubles et des psychothérapies, du répertoire d'événements de changement, et de la prise en compte des facteurs contextuels dans l'ajustement de la thérapie. Cela entraîne en retour la nécessité d'une stratégie d'analyse des données qui prenne en compte le contexte et la séquence temporelle du processus thérapeutique.

Les stratégies d'analyse sont passées d'approches univariées à des approches multivariées qui prennent en compte les dépendances séquentielles des données du processus, l'interaction des variables de processus avec les caractéristiques de pré-traitement, et qui traitent la question de l'influence bidirectionnelle des effets processus-résultats.

Commentaire: Dans les études de cas individuels réalisées dans le Réseau, le modèle théorique du changement est engagé à partir de la formulation de cas. Les analyses séquentielles sont utilisées pour appréhender le cycle d’enchaînement des expressions des enfants et des réponses correspondantes du thérapeute, puis de l’enfant, etc. C’est une méthode qui correspond bien à la démarche clinique et au travail sur les hypothèses reliant les interventions ajustées du thérapeute à la causalité inférée des dysfonctionnements. On en trouvera un exemple dans les présentations associées aux formulations de cas dans la partie application.

Modèles interactionnel et transactionnel

Jones, Cummings & Horowitz (1988) décrivent un modèle interactionnel intrinsèquement bi-personnel ou dyadique. Il mettent l'accent sur les processus réciproquement influents en psychothérapie (i.e, ce modèle reconnaît explicitement l'influence des caractéristiques spécifiques du patient, de ses comportements et de ses représentations mentales sur le thérapeute et sur le développement du processus thérapeutique émergent). Ce faisant, la théorie de la structure de l'interaction dans l'action thérapeutique fait également un pont entre les effets thérapeutiques de l'insight, ou de l'orientation didactique, et les effets de la relation thérapeute-patient. Ces polarités sont réunies dans un nouveau cadre qui met l'accent sur les interactions entre le thérapeute et le patient, qui s’influencent mutuellement et se répètent, et qui sont un aspect fondamental de l'action thérapeutique. (In Ablon et Marci 2005) .

Shoham-Salomon (1990), propose, suivant une perspective systémique, un cadre conceptuel qui intègre à la fois des stratégies théoriques et des stratégies axées sur la découverte, dans un modèle cyclique et écologique. L'expérimentation, les observations d'événements de changement, les descriptions détaillées participent à ce modèle cyclique, s'informant et s'enrichissant les unes et les autres. Le noyau de cette intégration est une conception transactionnelle qui considère que les processus de changement se définissent mutuellement, plutôt qu'en interagissant les uns avec les autres. Cette conception conduit à des examens holistiques des changements de configuration, en plus des configurations de changement. Le noyau transactionnel sert de point de départ et de base, à la fois pour les stratégies de recherche axées sur la théorie et celle orientées sur la découverte.

Avec Eyberg, Schuhmann et Rey (1998), le développement est compris comme une interaction continue entre l'enfant, les expériences fournies par l'environnement de l'enfant et l'effet de l'enfant sur l'environnement. Le développement d'un enfant résulte de transactions complexes et dynamiques entre son système constitutionnel (au sein de l'enfant) et le système environnemental qui l’entoure (en dehors de l'enfant). Ce qui est unique dans le modèle transactionnel, c’est l'accent mis sur l'effet de l'enfant sur l'environnement, de sorte que les expériences fournies par l'environnement ne sont pas indépendantes de l'enfant. Le comportement antérieur de l'enfant peut être ainsi un déterminant important des expériences actuelles.

Commentaire : Les modèles de Jones et al., Shoham-Salomon, et Eyberg et al. font intervenir à la fois les interactions, la structure d’interaction qui sous-tend les répétitions d’interactions, les transactions entre le monde interne de l’enfant et le système environnemental qui l’entoure, les configurations de changement et les changements de configuration. Le CPQ nous donne accès aux interactions directement à partir d’énoncés décrivant par exemple la compréhension réciproque entre le patient et le thérapeute ou au contraire leur décalage, d’énoncés décrivant une attitude similaire de l’E et du T (p. ex., l’implication peut être commune) ou au contraire très différente (le thérapeute est très impliqué, alors que l’enfant ne l’est pas et ne participe pas aux activités de la thérapie), l’intervention d’un acteur envers l’autre (l’enfant fait participer le thérapeute à son jeu) ou une discussion sur un thème partagé.

L’interaction peut être révélée par une approche séquentielle impliquant le comportement de l’enfant (à partir de l’ECA-r ou de l’EPCA) et la façon dont le thérapeute y répond (à partir du CPQ) (p.ex., « le thérapeute ne répond pas aux provocations de l’enfant », provocations qui sont décrites dans l’EPCA (item 146). L’interaction se retrouve également dans les chaînes développementales de l’EPCA. Les interactions peuvent également se retrouver aussi à partir des facteurs 2 et 3 de l’analyse factorielle.

Modèle « facteurs de risque » étendu aux « facteurs de changement »

Kazdin, Kraemer et al. (1997) engagent l’approche « facteurs de risque » dans une orientation élargie à celle des facteurs de « protection », « réparation », « construction » à partir de la psychopathologie développementale. La référence à des facteurs de risque et à leur recherche ne vise pas seulement à centrer l’attention sur les effets indésirables potentiels, mais également à concevoir les facteurs (interventions, configurations) qui peuvent conduire à des résultats favorables. Cette approche associe le niveau des dysfonctionnements aux manifestations pathologiques et à leurs causes. C’est une première étape importante. Ce qui l’est encore davantage, c’est d’y associer les actions développementales et thérapeutiques qui leur correspondent. La ou les chaînes causales qui conduisent aux résultats se trouvent ainsi conçues sous la forme d’hypothèses, destinées à être éventuellement déjà testées au cours du processus de traitement. Les instruments mis en place des les études du RRFPP permettent de suivre ce processus à partir des différents items qui caractérisent les comportements, le développement, l’intrapsychique et les configurations actives du processus. L’antérieur et l’actuel ouvrent le chemin d’un ultérieur favorable, si des actions appropriées correspondent aux dysfonctionnements et leurs causes. Des exemples en sont donnés dans la partie « formulations de cas » de la thèse.


Dernière mise à jour : 31 juillet 2018


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