Caractériser et Comprendre le Processus de Changement d’une Psychothérapie Complexe *

Modélisation des processus, mécanismes et conditions des changements associés à la psychothérapie de 66 enfants et adolescents présentant des troubles du spectre autistique

Jean-Michel Thurin ©

Chapitre 2

2.4. Relation processus - résultats

Pourquoi et comment intégrer le processus dans les études de résultats ?

Pourquoi introduire le processus interne de la psychothérapie dans les études de résultats ?

Plusieurs facteurs se sont conjugués. Le premier est que la méthodologie des études de résultats a posé très rapidement de nombreux problèmes. Kazdin le souligne dans son éditorial d'un numéro spécial du JCCP en 1986. La même année, dans un numéo spécial de l'American Psychologist, VandenBos déclare que la recherche fondée uniquement sur le « résultat » (ou l’efficacité) devrait être « une chose du passé ». La capacité des méta-analyses d'évaluer de l'efficacité des interventions psychosociales de troubles spécifiques est en déclin (Goldfried et al 1990). Les études expérimentales de résultats ont atteint leurs limites dans leur capacité à déterminer l'origine des changements observés et à les rattacher à l'intervention testée (Elkin 1996).
Le second facteur est que a recherche sur le processus a beaucoup progressé (Beutler 1990) sur le fond et au niveau de sa réalisation. La compréhension des processus qui promeuvent le changement thérapeutique nécessite une analyse précise de l'interaction patient-thérapeute et conduit à tester les modèles théoriques. Le format "étude de cas individuel" est nécessaire pour y accéder. Les principales questions associées à la recherche issue de cas individuels sont accessibles (Jones 1993). Les problèmes que traitent les psychothérapies ne sont pas univoques et leurs causes sont généralement multiples. Le trouble traduit à la fois un dysfonctionnement et une rentative d'adaptation pour le gérer. Le processus de changement introduit une représentation spécifique de la psychothérapie qui permet de répondre à des questions cliniques, théoriques et de recherche fondamenale (Kazdin 1997-2014).

Combler le fossé entre la théorie et la pratique clinique, réduire l'écart entre la recherche théorique et thérapeutique.

Kazdin et Kendall 1998 établissent un plan directeur pour le progrès de la recherche thérapeutique, de la théorie à la définition du processus de changement en 7 étapes. Il est accompagné de recommandations pour l’amélioration de la recherche. L’objectif est de présenter une alternative aux études comparatives de groupe. [synthèse détaillée de l’article dans Thurin 2016c]

Kazdin 2001(a) distingue la théorie globale qui constitue la référence sous-jacente à une approche et technique psychothérapique et la théorie des processus de changement thérapeutique qui accompagne la réalisation d’une psychothérapie. Bien qu'il y ait des explications de pourquoi un traitement semble raisonnable, il y a très peu de théorie vérifiable ou de test de théorie dans la recherche thérapeutique. L’objectif est à la fois de combler le fossé entre la théorie et la pratique clinique, mais aussi l'écart entre la recherche théorique et thérapeutique.

Kazdin 2001(b) présente pourquoi la progression de la recherche thérapeutique et l’application clinique du traitement requièrent une meilleure compréhension du processus de changement et comment la réaliser. L’article souligne l'importance d'un programme conçu pour comprendre la thérapie. Une thèse centrale est que le développement des traitements dépend fortement d'investigations portant sur des questions scientifiques essentielles. En particulier, quels sont les mécanismes par lesquels la thérapie fonctionne et dans quelles conditions la thérapie est-elle susceptible d'être efficace et pourquoi ? L’article plaide en faveur d'un portefeuille de recherches qui aborde un éventail de questions plus large et englobe des méthodes plus diverses d'évaluation du traitement. La largeur et la diversité ne sont pas des fins en elles-mêmes, mais elles seront essentielles pour obtenir les connaissances nécessaires pour effectuer des changements optimaux dans les applications cliniques du traitement.

Kazdin 2007 établit des recommandations pour la recherche avec la perspective de réduire une exploration "à l'aveugle" et d’utiliser la théorie comme guide.

Abord de questions méthodologiques relatives aux études de processus et de résultats en psychothérapie

Le chapitre de Hill & Lambert (2004) publié dans la cinquième édition du Handbook of Psychotherapy and Behavior Change a pour objectif de fournir un ensemble de ressources concernant les Questions méthodologiques relatives aux études de processus et de résultats en psychothérapie. Il est destiné aux chercheurs qui conçoivent et conduisent une recherche sur le processus et le résultat en psychothérapie. La première partie du chapitre est consacrée aux questions méthodologiques de l'évaluation du processus. La seconde partie est consacrée à la méthodologie de mesure des résultats.

Tout d’abord, les auteurs définissent ce que l’on entend par processus et par résultats (outcome). Le processus se réfère à ce qui se produit dans les séances de psychothérapie, tandis que les résultats se réfèrent aux changements immédiats ou à long terme qui apparaissent comme un résultat de la thérapie. La distinction n’est pas toujours évidente car un changement (comme le gain d’insight) peut être à la fois l’effet d’une configuration du processus et un résultat. Par ailleurs, il est important de distinguer les variables internes (concernant le thérapeute, le patient, mais aussi le cadre de la thérapie) et les variables extra thérapie (telles que les événements se réalisant hors de séances, qui aident ou perturbent le processus psychothérapique).

Une nouvelle génération d'études de cas

McLeod 2013 distingue des objectifs différents pour quatre conceptions différentes d’études de cas, les études de cas orientées vers les résultats et les études de cas orientées vers la théorie, les études pragmatiques de cas et les études expérientielles ou narratives.

  • - les études de cas orientées vers les résultats doivent répondre à 2 questions : Quelle a été l'efficacité de la thérapie pour ce cas ? Dans quelle mesure les changements observés chez le patient peuvent-ils être attribués à la thérapie ? ;
  • - les études de cas orientées vers la théorie abordent des questions telles que : Comment le processus de la thérapie peut-il, dans ce cas, être compris en termes théoriques ? Comment les données peuvent-elles, dans ce cas. être utilisées pour tester et affiner un modèle théorique existant ou construire un nouveau cadre théorique ? ;
  • - les études pragmatiques de cas permettent de réunir des cas très différents unifiés par un format de présentation commun. L'un des objectifs les plus importants de ce type d'étude de cas est de contribuer à la construction d’une base extensive de données de cas qui puissent être utilisées pour éclairer la pratique ;
  • - les études expérientielles ou narratives visent à raconter l’histoire d’un cas, du point de vue du patient ou du thérapeute.
  • Elles sont décrites plus en détail dans les commentaires associés au chapitre « revue de la littérature ».

    Études quantitatives et qualitatives : distinction et apports spécifiques

    Dans Hilliard 1993, Le terme quantitatif est parfois utilisé pour désigner des échelles de mesure ayant des propriétés ordinales, d'intervalle ou de rapport, alors que les termes qualitatif ou catégoriel sont utilisés pour désigner des échelles qui ont des propriétés nominales. Cependant, les échelles nominales vont être également considérées comme quantitatives dans la mesure où l'on compte des fréquences de niveaux différents et où l'on applique des statistiques descriptives et inférentielles aux résultats. En relation à des cas de ce type, le terme qualitatif se réfère à la situation dans laquelle aucune quantification formelle ne se produit, même au niveau nominal. Ces données sont exprimées en prose et ont la nature d'un récit. Cette dernière distinction est nécessaire, étant donné les méthodes hautement sophistiquées d'analyse quantitative qui peuvent être appliquées aux données nominales. La recherche sur un cas isolé peut impliquer des données quantitatives ou qualitatives...ou mixtes [c’est le cas des études du reseau].

    Dans Fishman 2013, les données numériques quantitatives, ont pour avantage de fournir : a) une signification stable à travers le temps ; b) la capacité de contrôler la qualité des données via l’établissement de procédures psychométriques ; c) la capacité de réduire de manière efficiente la quantité importante de différences complexes parmi la multitude des cas inclus ; d) la capacité d’établir un contexte objectif et normatif pour comparer des patients individuels ; et e) la capacité de créer des lois de déductions « du haut vers le bas » (Stiles 2006 ). Les descriptions qualitatives ont pour avantage de : a) produire des descriptions denses qui incluent le détail, la complexité, le contexte, la subjectivité et la nature multi facettes de la connaissance humaine ; b) capturer la structure narrative de la connaissance humaine ; et c) ancrer les généralisations dans des exemples particuliers, selon un processus inductif ascendant « du bas vers le haut ». Elles permettent d'introduire des éléments explicatifs du succès ou de l'échec des résultats d'une psychothérapie, comparativement à des cas similaires.

    Commentaire: les études réalisées dans le RRFPP sont « mixtes » dans le sens qu’elles associent le quantitatif et le qualitatif et les critères qui en découlent.

    Analyses intra-sujet et inter-sujets de cas individuels

    Hilliard 1993 distingue l’analyse des changements intra sujet qui se fait à partir de la méthodologie de recherche cas isolé (single case) appliquée dans la recherche en psychothérapie et la recherche inter-sujets qui est une recherche comparative du cas individuel avec un ou plusieurs sujets individuels ou regroupés. La variation intra sujet implique qu'une variable est libre de varier dans des sujets individuels. Chaque variable ne peut prendre chez un individu qu'une valeur à un temps spécifique. La recherche cas isolé est présentée comme une sous-classe de la recherche intra sujet dans laquelle l'agrégation des sujets est évitée et la généralité des conclusions du cas-isolé est abordée à travers la réplication sur une base de cas-par-cas.

    Les modalités de base suivant lesquelles les protocoles cas isolé varient sont également discutées, et 3 types de base de recherche cas-isolé sont différenciés : (a) les études expérimentales de cas isolé (avec manipulation directe de la variable indépendante) ; (b) les analyses quantitatives de cas isolé (avec observation sans manipulation directe) déclinent des protocoles tels que l’analyse en séries temporelles, l’analyse séquentielle et l’analyse de courbe de croissance ; l’objectif peut être le test d’hypothèses ou la génération d’hypothèses, et ; (c) les études de cas (qualitatives avec observation passive). En outre, certaines des principales faiblesses de la recherche cas isolé en psychothérapie sont identifiées.

    Conditions pour obtenir un bon niveau de preuve avec les études de cas individuels

    Kazdin 1981, 1982, 2014, Shadish et al. 2002 : les études quasi expérimentales de cas individuels peuvent permettre d’obtenir des niveaux de preuve sensiblement similaires à ceux des études expérimentales.

    Kazdin 2007. Cet article présente les conditions centrales requises pour démontrer quels sont les médiateurs et les mécanismes de changement. Il fait la revue des approches d’analyse des données, des constructions méthodologiques et pourquoi certaines d’entre elles ne parviennent que peu à répondre aux conditions requises.

    Edwards 2004. Cet article présente de façon très détaillée comment développer une pratique fondée sur des données probantes. Comme tous les chercheurs, ceux qui utilisent des méthodes fondées sur des cas doivent adopter des stratégies permettant de sauvegarder la précision, la réplicabilité, et l'assurance de la validité des arguments. Dans la recherche en psychothérapie, cet objectif peut être atteint en faisant en sorte que toutes les séances soient enregistrées, en utilisant des juges indépendants pour vérifier que la réduction des données brutes en récits de cas n'est pas biaisée par une sélection personnalisée de matériel. Les études utiliseront des échelles d'auto-évaluation ou des observations comportementales qui sont recueillies à plusieurs reprises tout au long de l'étude, afin de fournir une source d'information supplémentaire à laquelle on peut confronter le sens de l'évolution dans le narratif du cas. Des juges indépendants peuvent évaluer les séances de psychothérapie en utilisant la méthode de tri Q qui « peut capturer l'unicité de chaque séance de thérapie et permettre l'évaluation des similitudes et des dissemblances d'une séance de traitement à l'autre » (Jones et al. 1993, p. 384). Les données à travers un grand nombre de séances peuvent être un facteur analysé afin d'identifier les dimensions de processus qui caractérisent le cas. Les scores factoriels reflétant ces dimensions de processus peuvent, à leur tour, être soumises à une analyse des séries temporelles pour révéler des modèles complexes de relation entre les variables au sein de la thérapie. De cette façon, Jones et al. ont démontré des aspects de l'influence réciproque du thérapeute et du patient au cours du traitement.

    Hilsenroth 2010 (in Thurin 2013). Les critères pour la publication d’une étude de cas « evidence-based » sont présentés en relation avec les recommandations de l’ APA publiées en 2006 sur la « Pratique fondée sur des donnés probantes en psychologie ».

    Conditions de l’agrégation des études de cas

    Le regroupement général des études de cas produit une perte d’information très importante concernant les variables susceptibles d’intervenir sur une trajectoire (les différences initiales inter cas s’ajoutent à celles concernant le développement qui, lui-même, conditionne l’action potentielle des interventions spécifiques). L’étape cas individuel est ainsi incontournable pour concevoir et examiner les variables qui interviennent dans le processus de changement. Les cas regroupés permettent de définir des traits généraux, de réaliser des comparaisons inter-cas à propos d’une question clinique particulière, ou de rechercher l’impact d’un modérateur particulier comme l’âge. Les réplications directes réalisées dans le réseau sont un avantage car les paramètres de mesure sont identiques et les cas sont hétérogènes. À partir de cas qui partagent des éléments descriptifs similaires, les comparaisons cas-à-cas font apparaître des éléments de différenciation qui peuvent être pris en compte dans d’autres cas. Une étape de recensement des variables confondantes et des variables particulièrement actives paraît nécessaire, en même temps que le nombre de cas s’élève. Un autre élément intervient, celui des phases de développement et des crises intercurrentes qui peuvent leur être associées. À ce niveau également les informations doivent être explicites.

    Commentaire : l’analyse avec R permet progressivement de distinguer des éléments et traits particuliers issus des différents instruments, à partir desquels des comparaisons inter-cas peuvent être effectuées. On peut identifier également des changements significatifs précis intra-cas. Ces possibilités peuvent permettre des recherches ciblées (comme par exemple, l’identification des variables et facteurs qui interviennent dans la modulation des expressions émotionnelles (en cours)).


    Dernière mise à jour : 21 juin 2018


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