Caractériser et Comprendre le Processus de Changement d’une Psychothérapie Complexe *

Modélisation des processus, mécanismes et conditions des changements associés à la psychothérapie de 66 enfants et adolescents présentant des troubles du spectre autistique

Jean-Michel Thurin ©

Chapitre 2

2.3. Études expérimentales et observationnelles de cas

Nous nous référons beaucoup ici au travail de Kazdin pour plusieurs raisons : depuis les années 80, il n’a cessé d’explorer les moyens de créer des ponts entre la recherche expérimentale et la recherche issue de la pratique clinique. Ce faisant, il a développé une méthodologie rigoureuse qui permet de conceptualiser et de tester les ressorts de l’action thérapeutique à partir d’études de cas, celles-ci pouvant être menées aussi bien en conditions naturelles quand elles ne peuvent l’être en laboratoire. Dans les faits, c’est le cas à partir du moment où la complexité du système causal est introduite.

Les études ne sont pas uniquement centrées sur la démonstration de l’efficacité comparative d’une approche par rapport à une autre, mais sur la causalité complexe qui la sous-tend. L’exploration de la causalité est un chemin d’accès à la connaissance du « Pourquoi, comment et dans quelles conditions une psychothérapie peut-elle produire des effets favorables ? ». Les protocoles peuvent être complémentaires quand la conception de la théorie du changement est suffisamment affinée pour que l’on puisse en tester, sur un fond commun, l’effet d’un composant spécifique potentiel ou d'un autre. Chacun, le patient et son entourage, le clinicien et le chercheur, mais aussi chacune des disciplines connexes impliquées dans la recherche en santé et institutionnelles concernées, peut y contribuer et trouver bénéfice. Nous présentons ici les différents articles sur lesquels cette approche est fondée.

Kazdin 1981 : Il est nécessaire d’inclure les études individuelles de cas dans la recherche en psychothérapie et de préciser dans quelles conditions elles peuvent apporter un haut niveau de preuve, y compris à partir d’études menées dans le champ clinique. Le principe central de cet objectif se situe dans l’élimination des explications alternatives de changement par rapport au traitement. Certaines caractéristiques du protocole (des informations objectives, le nombre et la chronologie des évaluations, le type d’effet (rapide et important), le nombre et l’hétérogénéité des sujets) permettent de réduire les menaces à la validité interne (MVI). La réplication avec des patients présentant une certaine hétérogénéité, interne ou externe, permet d’éliminer les principales MVI en considérant si la variable explicative principale du changement [la " structure " du traitement, c.a.d les principaux éléments qui le composent] est régulièrement présente dans l’explication des résultats. L’existence d’événements explicatifs externes doit être également systématiquement recherchée.

Kazdin 1982 : La mise en relation du cadre naturaliste versus de laboratoire pour l’évaluation est présentée dans le le chapitre 2 de Single-Case Research Designs. Methods for Clinical and Appied Settings, p 39-46.
« L'observation naturaliste, dans le présent contexte, consiste à observer une performance sans intervenir sur la situation du patient ou la structurer. La performance est observée telle qu‘elle se déroule à l'état naturel et la situation n'est pas volontairement modifiée par l'investigateur dans le but d'obtenir des observations. C'est ainsi que les observations d‘interactions entre les enfants à l'école pendant la récréation peuvent être considérées comme naturalistes dans la mesure où une activité ordinaire a été observée pendant la journée scolaire ».
On retrouve également dans ce chapitre les recommandations de 1981 avec tableaux récapitulatifs.

Kazdin et al. 1997 : L’observation est une étape fondamentale pour définir une causalité. La réflexion sur la causalité s’est appuyée sur des exemples simples (comme la boule de billard). La causalité est rarement unifactorielle et linéaire dans les situations qui sont rencontrées en clinique, [et notamment dans celles impliquant des enfants autistes]. L’existence de facteurs déclenchant montre la caractère discret des troubles. La distinction génotype - phénotype montre le rôle de l’environnement dans l’expression d’un trouble et, réciproquement, le fait que tous les enfants soumis à une même situation n’y réagissent pas de la même façon (p.ex., l’étude de Spitz 1946, décrivant la chaîne séparation, institution, dépression, démontre l’existence de vulnérabilités particulières qui peuvent être de différents ordres (génétiques, mais aussi développementales (ici, la nature de l’attachement pré séparation, seulement 35% des enfants ont souffert de troubles liés à la séparation/institution)).
« Les relations causales sont déduites et non évidentes à partir de l'observation elle-même (note 2). ... Les influences et les résultats varient au cours du développement, ils se rapportent les uns aux autres de façon dynamique et réciproque, et sont soumis à de nombreux facteurs qui peuvent modifier leur trajectoire. Les défis consistent à conceptualiser, à mesurer et à cartographier les processus de développement ; à comprendre la stabilité, le changement et les transitions ; et à identifier les influences qui peuvent être exploitées pour promouvoir un fonctionnement adaptatif positif » (résumé initial).

Les concepts de modérateur et de médiateur sont introduits. Les facteurs de risque peuvent être, pour beaucoup d’entre eux, neutralisés et laisser la place à des facteurs de construction. Les études naturalistes se réfèrent à des études dans lesquelles la variation de l'exposition au facteur de risque est déterminée par "la nature", c'est-à-dire des événements qui échappent au contrôle de l'enquêteur [ce qui différentie les études naturalistes des études expérimentales]. De tels changements ne sont pas susceptibles d'être aléatoires, de sorte que des événements éventuellement associés à ce changement pourraient masquer les inférences sur les effets réels du facteur de risque d’intérêt [un exemple avancé est celui des troubles cognitifs associés à l’exposition au plomb et à des conditions psychosociales de vie très difficiles ; la causalité « directe » de ce second facteur potentiel a été éliminée].

Deux études de cas sont incluses dans l’article. La première porte sur les troubles des conduites de l’enfant et l’impact d’attitudes éducatives dures. La seconde porte sur l’apprentissage de la lecture et l’effet favorable de la lecture à haute voix avec écoute de l’enfant pas les parents. Il y a toujours une nostalgie d’études où tout serait contrôlé, mais, dans la réalité, elle deviennent, au moins dans un premier temps, de moins en moins réalisables. C’est quand le tableau d’ensemble a été déjà travaillé dans la recherche des paramètres actifs et que des premiers tests ont été réalisés que l’on peut les envisager.

Kazdin 2014. Dans le chapitre 11 de son ouvrage Research Design in Clinical Psychology , Kazdin présente l’évaluation du cas individuel dans le travail clinique en précisant les conditions qui peuvent 1) améliorer l’information et la qualité des inférences qui peuvent en être tirées et 2) renforcer la force des résultats en donnant à l’étude une qualité quasi-expérimentale. Cinq modalités sont proposées pour améliorer la qualité des inférences : 1. Collecter des données systématiques. [condition nécessaire mais non suffisante] ; 2. Évaluer à de multiples occasions ; 3. Considérer la performance passée et ses projections futures ; 4. Considérer le type d’effet associé avec le traitement ... Si une étude de cas inclut une estimation continue à plusieurs occasions au cours du temps, quelques unes des menaces à la validité interne relatives à l’estimation peuvent être écartées ; 5. Utiliser des sujets multiples et hétérogènes. Le nombre de sujets inclus dans un rapport de cas peut influencer la confiance qui peut être placée dans les inférences tirées à propos d’un traitement. Des démonstrations avec plusieurs cas, plutôt qu'avec un seul cas, fournissent une base plus forte pour inférer les effets d’un traitement. Essentiellement, chaque cas peut être vu comme une réplication de l’effet original qui a semblé être le résultat d’un traitement. Plus il y a de cas qui s’améliorent avec le traitement, moins il est probable qu’un événement externe soit responsable du changement. Des événements externes ont probablement varié parmi les cas, et l’expérience commune, à savoir le traitement, peut être la raison la plus plausible pour les changements thérapeutiques.

L’hétérogénéité des cas ou la diversité des types de personnes peuvent aussi contribuer aux inférences concernant la cause du changement thérapeutique. Si le changement est démontré chez plusieurs patients qui diffèrent dans des variables individuelles ou démographiques (âge, genre, origine, classe sociale, problèmes cliniques), les inférences qui peuvent être faites à propos du traitement sont plus fortes que si la diversité n’existe pas. Avec un échantillon hétérogène de patients la probabilité qu’une menace particulière à la validité interne (histoire, maturation) qui pourrait expliquer les résultats est réduite.

Commentaire : Les différentes conditions pour réaliser des études de cas en conditions naturelles et de bonne qualité méthodologique sont réunies dans les les études du réseau. Les commentaires par rapport à l’intérêt de l’hétérogénéité des cas sont par ailleurs évidemment les bienvenus compte tenu de la population qui participe à ces études.


Dernière mise à jour : 3 aout 2018


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