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Le site des recherches sur les psychothérapies psychodynamiques

Point sur

Évaluer les psychothérapies : nouvelles méthodologies.

Dr Jean-Michel Thurin

Durant une vingtaine d'années, la méthodologie des essais contrôlés randomisés (ECR) a constitué la référence dominante dans le domaine de l'évaluation des psychothérapies, comme elle l'était déjà dans celui de la pharmacothérapie. L'unicité de la méthodologie entre les deux approches, recommandée en 1985 par le NIMH (National Institute of Mental Health) et rapidement adoptée par l'Association américaine de psychologie (APA), a permis d'affirmer l'effet en soi de la psychothérapie sur un certain nombre de troubles isolés et ainsi d'être comparée favorablement à la pharmacothérapie, en dépit du réel avantage que constituaient pour cette dernière les milliards de dollars dévolus à l'expérimentation et à la commercialisation des médicaments.

L'efficacité intrinsèque de la psychothérapie a donc été démontrée. Mais l'utilisation de ce constat n'a pas été suffisamment accompagnée d'une explication des conditions dans lesquelles elle l'avait étée. Tout s'est passé comme si les résultats obtenus "en laboratoire", avec des patients ad hoc (présentant un trouble unique), des thérapeutes ad hoc (formés à l'application stricte d'une technique psychothérapique focalisée dont l'objectif est la réduction de ce trouble) et une durée ad hoc de la thérapie (moins de 40 séances, souvent 6 ou 7, ce qui était censé permettre d'attribuer les effets constatés à la seule action du traitement prodigué), pouvaient être transférés dans le "monde réel" des patients et des thérapeutes "réels" participant à une psychothérapie "réelle".

Les effets de ce raccourci ont été dramatiques. La réalité a été assimilée à celle des conditions de laboratoire. L'amélioration statistique a été confondue avec la guérison clinique, les patients réels dont une des caractéristiques est la co-occurence de plusieurs troubles ont été assimilés à la population hypersélectionnée (et docile) susceptible d'être incluse dans les expérimentations, la psychothérapie a été généralement réduite à l'application de règles techniques fixes destinées à faire disparaître rapidement un symptôme, au détriment de toute souplesse et initiative du praticien, le temps nécessaire à une évolution a paru se raccourcir "miraculeusement". Cela n'aurait eu finalement qu'un effet anecdotique si une convergence d'intérêts n'avait transformé cette erreur en dogme et l'avait appliquée à la politique sanitaire dominante du moment, celle du Managed care, au nom de l'intérêt général. Depuis une dizaine d'années, une critique de cette généralisation abusive et de ses effets aiguisés par le contexte s'est exprimée de plus en plus fortement, non seulement chez les cliniciens, mais aussi dans le monde de la recherche, jusqu'à se trouver répercutée fin 2002 dans un séminaire du NIMH dont l'argument précisait notamment qu' : "En dépit de progrès substantiels, les ECR ont été l'objet d'un examen attentif et ont été critiqués pour leur manque de validité externe, leurs coûts élevés, et leur faible capacité de traiter les questions cruciales concernant la dissémination des interventions".

La majeure partie de ces éléments commencent à être bien connus. Nous les avons décrits dans plusieurs articles accompagnés d'une bibliographie étendue. Ce qui nous paraît le plus important maintenant est de nous tourner vers le futur (même si la période précédente n'est pas terminée), dans une perspective où la recherche participe à l'amélioration des pratiques et à un élargissement des connaissances. Un des intérêts de la période "tout ECR" a été de conduire les chercheurs à rechercher des solutions associant à la fois une excellente qualité méthodologique des études et leur adéquation à l'objet qu'elles étudient, la psychothérapie, dans des conditions quasi-ordinaires. Cette perspective n'aurait pas été possible sans un réexamen complet des différents paramètres qui interviennnent dans le résultat d'une psychothérapie et la façon de les appréhender. La mise en oeuvre de ce programme est en cours depuis déjà plus de 10 ans !

Ce "Point sur" présentera pendant 3 mois les principaux articles qui ont marqué ce processus et contribué à éclairer les différents éléments de sa problématique. Nous n'avons sélectionné que les articles qui, partant (généralement) d'une critique de la méthodologie des ECR, font des propositions pour la suite.

- Nous commençons par l'article de Howard, Orlinsky et Lueger (1994). Un de ses intérêts est de présenter un modèle de la psychothérapie qui non seulement explicite les fondements des critiques de la méthode des ECR, mais contient les éléments de sa propre évaluation. C'est un modèle très pragmatique, prenant en compte les variables de processus (les particularités du patient et du thérapeute, et leur interaction) et conçu pour que l'évaluation du processus psychothérapique puisse être utilisée en rétroaction par le praticien dans la cure. Il est complété par deux vignettes cliniques qui illustrent, sur la base de cette évaluation, la première un succès et la seconde un échec.

- L'article de Guthrie (2000) rappelle le contexte dans lequel les essais contrôlés sont devenus depuis le début des années 80 et pendant 20 ans "l'étalon or" de la recherche en psychothérapie. D'un côté, la crédibilité empirique des traitements psychothérapiques s'est renforcée, mais d'un autre la méthodologie utilisée pose de réels problèmes au niveau de la généralisation de ses résultats à la pratique clinique. En particulier, "Cela entraîne la situation plutôt curieuse où la plupart des études de traitement psychologique ciblent les patients qui dans la pratique clinique seraient traités par des médicaments, et excluent les patients à qui en pratique clinique on proposerait un traitement psychologique." D'un point de vue méthodologique, le choix du diagnostic nosographique spécifique comme critère de constitution des groupes expérimentaux pose un problème majeur au niveau de l'homogénéité réelle des groupes (comme par exemple dans le cas de la dépression), dès que l'on aborde le rôle de la fonctionnalité interpersonnelle, des traits de personnalité, des expériences antérieures de vie, du contexte social et de l'attitude envers le traitement psychologique. On retrouve les mêmes difficultés dès que l'on s'intéresse à l'homogénéité des thérapeutes, non seulement en terme de compétence, mais de leur "docilité" à suivre scrupuleusement les indications d'un manuel technique de base. Restant convaincue que la recherche sur la psychothérapie doit rester une priorité majeure, elle présente alors trois possibilités d'évolution méthodologique : 1) élaboration d'un traitement, test en laboratoire, puis en situation clinique réelle ( "modèle du sablier" analogue à celui utilisé pour les traitements médicamenteux); mais on se retrouve souvent alors dans la situation antérieure de l'application à des patients souffrant de troubles complexes d'un traitement conçu pour un trouble "pur" suivant une méthode "pure". 2) test de performance, utilisant des méthodes naturalistes, comme le propose par exemple Howard (article précédent et autres) pouvant être associées à des bases de données, mais avec le problème potentiel des groupes de contrôle. 3) réalisation d'essais contrôlés randomisés avec des patients représentatifs de populations cliniques particulières (par exemple, ceux qui refusent tout traitement médicamenteux ou se plaignent de façon chronique de plusieurs symptômes) ou qui reflètent certaines caractéristiques particulières (attentes des patients, leur personnalité, leur style de relation et d'adaptation (configurations interpersonnelles d'interactions sociales et de comportement, …). Dans les cas où une étiologie peut être envisagée, il devient alors également possible de concevoir une stratégie particulière pour la psychothérapie. Tout cela entre dans une logique d'attention aux éléments majeurs du processus psychothérapique et sa conception à partir d'une approche diagnostique psychopathologique, impossible à réaliser précisément quand la définition des patients est catégorielle. E Guthrie donne un exemple de ce paradigme de recherche à partir d'une étude récente utilisant la thérapie interpersonnelle psychodynamique pour des patients présentant des troubles chroniques et constants de santé mentale et qui en a examiné le coût.

- En 1998, Kazdin et Kendall* proposent un plan pour améliorer la recherche sur les psychothérapies suivant un processus logique organisé. Leur expérience de la pédopsychiatrie est centrale et se retrouve dans la conception générale de leur modèle.

En introduction, les auteurs rappellent les différentes étapes qui ont conduit à la différenciation parmi les techniques et les interventions psychologiques des traitements soutenus ou validés empiriquement selon le niveau de preuve dont ils disposent. Sans remettre en question le principe général de cette procédure de validation, ils remarquent que si l'on sait désormais que certains traitements sont efficaces suivant les critères de méthodologie qui ont été mis en oeuvre (sans que l'on ait une connaissance complète "d'exactement ce qui marche"), on a laissé de côté la question "pourquoi ça marche ?", et avec qui ? Sur ces bases, on peut multiplier les études pour répondre aux déficits dans la recherche existante tout en laissant de côté un certain nombre de questions, en particulier méthodologiques. L'objectif sera donc d'accroître l'étendue et la force des conclusions et la façon d'établir que des traitements sont potentiellement et réellement efficaces.

Pour ce faire Kazdin et Kendall proposent d'appuyer le programme d'une psychothérapie sur une analyse fonctionnelle du ou des troubles et de considérer les processus qui sont associés à ce dysfonctionnement. A partir de là, il devient possible de concevoir un traitement qui prend en compte les principales "causes", d'en opérationnaliser les procédures et de développer des recherches non seulement sur les résultats, mais également sur les processus : quelles sont les interventions techniques, les méthodes qui produisent un effet ? Cette recherche sera complétée par une étude des "modérateurs", c'est à dire en fait tous les éléments individuels et de contexte qui influent (dans un sens ou dans un autre) sur le processus et donc sur ses résultats.

Un niveau encore complémentaire est de concevoir comment on peut jouer sur ces différents facteurs (éventuellement en en associant d'autres, comme une thérapie familiale) pour améliorer encore le traitement.

Enfin Kazdin et Kendall proposent des critères élargis d'évaluation des résultats, en particulier des critères fonctionnels, individuels et familiaux auxquels sont associés des indicateurs d'impact social. Il met également l'accent sur l'importance de la signification clinique des résultats plutôt que sur sa simple signification statistique.

Au total, il s'agit d'un plan que l'on adopterait volontiers … et que notre équipe a véritablement commencé à mettre en place à partir de la méthodologie qu'elle a testée et qu'elle propose actuellement.

* Kazdin AE et Kendall PC. Current progress and future plans for developing effective treatments : Comments and perspectives. Journal of clinical child psychology 1998; 27(2):217-226. traduction de l'article

- Voici la traduction d'un article assez technique, annoncé plus haut, qui est le compte-rendu du séminaire du NIMH à propos des modérateurs et des médiateurs de 2002. Pour dire les choses simplement, il est évidemment abusif de concevoir l'efficacité en dehors de certaines variables de contexte (modérateurs) qui peuvent être déterminantes dans la causalité d'un trouble ou l'efficacité d'un traitement, voir sa faisabilité. Ainsi, par exemple, le contexte social ou familial peut avoir une influence importante sur les résultats positifs ou à l'inverse négatifs d'un traitement. D'autre part, il est assez frustrant de ne pouvoir démontrer que l'effet global d'une intervention thérapeutique sans pouvoir y distinguer quels sont les ingrédients, les actions, les facteurs qui sont à l'origine des effets constatés (les médiateurs). Le séminaire a réalisé un travail important de définition des modérateurs (conditions de changement) et médiateurs (mécanismes de changement) en précisant d'abord que le modérateur précède le traitement alors qu'un médiateur se produit pendant le traitement. Ses auteurs montrent également comment un modérateur peut devenir un médiateur : le niveau de la ligne de base de l'estime de soi au pré traitement devrait être considéré comme un modérateur, alors que le changement du niveau de l'estime de soi pendant le traitement pourrait être un médiateur. Kazdin, dans l'article précédemment cité, en avait donné comme exemple l'influence que pouvait avoir des attitudes autoritaires inadaptées des parents (modérateurs) sur les troubles des conduites des enfants, influence qui pouvait se modifier, voir s'inverser à partir d'une intervention de conseil parental, laquelle pouvait faire évoluer l'attitude des parents qui devenait dès lors une variable médiatrice du changement de leurs enfants. Bref, une gymnastique intellectuelle assez difficile à intégrer initialement, mais qui devient très utile et intéressante dès que l'on se demande qu'est-ce qui marche dans une psychothérapie et dans quelles conditions. accès à l'article

- Les années 2004 et 2005 sont marquées par un grand débat par publications interposées sur le statut empirique des psychothérapies soutenues empiriquement. Il est initié par D Westen, C Novotny et H Thomson-Brenner avec un article retentissant publié en 2004 dans le Psychological Bulletin (The Empirical Status of Empirically Supported Psychotherapies: Assumptions, Findings, and Reporting in Controlled Clinical Trials) qui va entraîner un cycle de commentaires et de réponses. Plusieurs auteurs très renommés, dont Ablon, Goldfried, Crits-Christoph et Weisz vont y participer. L'ensemble permet de bien comprendre les différents arguments. Le premier article de Westen et al. (2004) fournit une analyse critique des hypothèses puis des résultats des études utilisées pour établir que les psychothérapies sont soutenues empiriquement (c-a-d, que leur efficacité est démontrée). La tentative d’identifier des thérapies soutenues empiriquement (ESTs) repose sur des hypothèses implicites spécifiques de la méthodologie de l’essai contrôlé randomisé (ECR). Les principales d'entre-elles sont les suivantes : 1) le temps pour produire des changements peut être court ; 2) la plupart des patients ont un seul problème fondamental ou peuvent être traités comme si c'était le cas ; 3) les symptômes psychologiques peuvent être compris et traités isolément de la personnalité ; 4) les essais contrôlés randomisés fournissent le gold standard de l'évaluation de l'efficacité thérapeutique. Ces hypothèses semblent être valides pour certains troubles et certains traitements (notamment les traitements fondés sur l’exposition pour des symptômes d’anxiété spécifique), mais largement infondés pour d’autres. Les études par méta-analyse présentent une vision plus nuancée de l’efficacité potentielle du traitement que celle qui est suggérée par un jugement dichotomique sur les traitements soutenus versus les traitements non soutenus empiriquement. Les auteurs recommandent des changements dans les comptes-rendus des pratiques pour maximiser l’utilité clinique des ECRs, décrivent des méthodologies alternatives qui peuvent être utiles quand les hypothèses sous-jacentes à la méthodologie EST ne sont pas valides, et suggèrent qu’on change les regroupements de traitements validés par des tests portant sur les stratégies d’intervention et les théories du changement que les cliniciens pourront intégrer dans les thérapies informées empiriquement. Il s'agit d'un article assez long, mais très complet qui demande pas mal de temps de réflexion (et de traduction). Aussi, nous allons en présenter des larges extraits en plusieurs temps. - Première partie.

 

Dr Jean-Michel Thurin

Références bibliographiques

- Introduction

- Articles présentés

 

 


Dernière mise à jour : 13/05/08 info@techniques-psychotherapiques.org