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Le site des recherches fondées sur les pratiques psychothérapiques

Le statut empirique des psychothérapies soutenues empiriquement : Hypothèses, Résultats et rapports dans les essais cliniques contrôlés

Drew Westen, Emory University
Catherine M. Novotny, Veterans Affairs Medical Center, San Francisco, California
Heather Thompson-Brenner, Boston University

©Traduction française, JM Thurin, M Thurin, X. Briffaut, B. Lapeyronnie, novembre 2006

Cet article fournit une revue critique des hypothèses et des résultats des études utilisées pour établir que les psychothérapies sont soutenues empiriquement. La tentative d’identifier des thérapies soutenues empiriquement (ESTs) repose sur des axiomes particuliers de la méthodologie de l’essai contrôlé randomisé (ECR). Ces axiomes apparaîssent être valides pour certains troubles et certains traitements (notamment les traitements fondés sur l’exposition pour des symptômes d’anxiété spécifique), mais largement infondés pour d’autres. Les études par méta-analyse présentent une vision plus nuancée de l’efficacité potentielle du traitement que celle qui est suggérée par un jugement dichotomique sur les traitements soutenus versus les traitements non soutenus empiriquement. Les auteurs recommandent des changements dans les comptes-rendus des pratiques pour maximiser l’utilité clinique des ECRs, décrivent des méthodologies alternatives qui peuvent être utiles quand les hypothèses sous-jacentes à la méthodologie EST ne sont pas valides, et suggèrent qu’on change les regroupements de traitements validés par des tests portant sur les stratégies d’intervention et les théories du changement que les cliniciens pourront intégrer dans les thérapies informées empiriquement.

 

Quand les résultats des études scientifiques sont appliqués à des questions nouvelles et importantes qui peuvent affecter directement ou indirectement la formation clinique, le traitement clinique et les décisions financières quant à la façon de traiter, il est utile de retourner à nos racines de la science empirique et de considérer soigneusement une nouvelle fois la nature de nos méthodes scientifiques et ce qu’elles fournissent ou non comme conclusions possibles pertinentes à ces questions. (Borkovec & Castonguay, 1998, p. 136).

Robert Abelson (1995) a soutenu que la fonction des statistiques n’est pas de déjouer « les faits » mais de raconter une histoire cohérente, pour donner un argument de principe. Au cours des dernières années, une histoire a été racontée dans la documentation sur la psychologie clinique, dans les programmes d’internat en psychiatrie, et même dans les media populaires et qui pourrait s’intituler : « Le conte des thérapies soutenues empiriquement (ESTs) ». L’histoire commence un peu comme cela :

Il était une fois, à une sombre période, des psychothérapeutes qui pratiquaient comme ils avaient envie, sans aucune donnée scientifique pour les guider. Puis, un groupe de guerriers courageux que nous appellerons les Chevaliers de la Table de Prévoyance s’est embarqué dans une campagne de tests scientifiques soigneux des thérapies sous des conditions contrôlées.
En chemin, les Chevaliers eurent à franchir de nombreux obstacles. Il y eut, parmi les plus redoutables, les riches Lords Pharmaceutiques qui résidaient dans les douves Mercky remplies de feuilles Lilly  (jeu de mots ? pad of lily water feuille de nénuphar). Il y avait aussi les Perfides, ces dragons-cliniciens cracheurs de feu qui rugissaient, sans aucun fondement dans leurs données, que leur façon de pratiquer la psychothérapie était la meilleure.
Après de nombreuses années d’efforts inlassables, les Chevaliers arrivèrent à établir une série de thérapies soutenues empiriquement qui amélioraient les gens. Ils commencèrent à développer des guides de pratique afin que les patients reçoivent les meilleurs traitements possibles pour leurs problèmes spécifiques. Et à la fin, la Science allait régner et il y aurait la paix (ou du moins, moins d’affect négatif) au pays.

Dans cet article, nous racontons cette histoire un peu différemment, avec quelques rebondissements supplémentaires et quelques tours à l’intrigue.  La nôtre est une nouvelle histoire sympathique mais critique, qui pourrait se dire ainsi :

Il était une fois, des psychothérapeutes qui pratiquaient sans guide empirique adéquat, supposant que les thérapies appartenant à leur conviction personnelle, étaient les meilleures. La majeure partie de leur pratique était probablement efficace pour de nombreux patients, mais savoir ce qui était efficace et ce qui était sans efficacité ou iatrogène restait une question d’opinion ou d’anecdote.
Alors, un groupe de scientifiques cliniciens développa une série de procédures qui devint l’étalon or pour évaluer la validité des psychothérapies. Leur but fut valeureux et nécessita un immense courage face aux vastes ressources des Lords Pharmaceutiques et de la disposition d’esprit non empirique de la plupart des dragons cliniciens, qui tendaient à souffler un mélange d’air chaud, de feu et de sagesse. Dans leur quête, les Chevaliers identifièrent les interventions qui se révélaient prometteuses pour un certain nombre de troubles. Les traitements auxquels ils accordaient un Soutien Empirique aidèrent de nombreuses personnes à se sentir mieux, certaines de façon considérable, d’autres complètement.
Cependant, dans l’excitation, certains détails importants parurent négligés. Nombre des hypothèses sous-jacentes aux méthodes utilisées pour tester les psychothérapies étaient elles-mêmes non testées empiriquement, non confirmées ou seulement appropriées à une série de traitements ou de troubles. Et bien que de nombreux patients se soient améliorés, la plupart ne furent pas guéris, ou furent dans un premier temps guéris puis rechutèrent ou cherchèrent un nouveau traitement au cours des deux ans qui suivirent. Toujours aussi troublant, la Méthode Scientifique (Excalibur) parut faire vœu d’allégeance à qui avait le temps et le financement pour la manier : la plupart du temps, les études de résultat de la psychothérapie soutenaient la position préférée du chevalier galant qui arrivait à les mener (Sir Grantsalot).
Néanmoins, la tradition clinique et l’alchimie anecdotique ne fournirent aucune alternative à la rigueur expérimentale et alors que le nom de croisade des Chevaliers était devenu légendaire, leurs récits établirent le programme du travail clinique, de la formation et de la recherche à travers le pays. De nombreux programmes de troisième cycle commencèrent à enseigner aux nouveaux professionnels uniquement ces traitements qui avaient l’imprimatur de Validation Empirique ; les cliniciens cherchant à recevoir la Licence devaient mémoriser les récits racontés par les Chevaliers et leur promettre allégeance à l’examen national de licence et les compagnies d’assurance utilisèrent les résultats des essais contrôlés randomisés pour réduire le traitement des patients qui ne s’amélioraient pas en 6 à 16 séances, invoquant le nom de la Validation Empirique.

C’est une version très différente de l’histoire, mais c’en est une, nous espérons le montrer, au moins aussi fidèle aux faits. La morale de la première, version plus familière de l’histoire est claire : ce n’est que la science qui peut faire la distinction entre les bonnes interventions et les mauvaises. Notre nouvelle version ajoute une deuxième morale, complémentaire : les affirmations non qualifiées et les jugements dichotomiques sur la validité et la non validité dans des domaines complexes ont peu de chance d’être scientifiquement et cliniquement utiles, et pour le terrain, nous devrions faire plus attention aux conditions suivant lesquelles certaines méthodes empiriques sont utiles pour tester certaines interventions, pour certains troubles.

Soyons clairs dès le départ sur ce que nous ne discutons pas. Nous ne nous faisons pas l’avocat contre la pratique fondée sur les preuves, cherchant à donner refuge aux cliniciens qui veulent pratiquer comme ils le font depuis des années indépendamment des données empiriques. Un élan majeur et bien justifié pour tenter de développer une liste d’ESTs a été un brouhaha littéral dans le champ de la psychothérapie, avec peu de façon de distinguer (ou d’aider le public à distinguer) les interventions thérapeutiques utiles de celles qui sont inutiles ou destructrices. Et bien que nous argumentions en faveur d’une histoire plus nuancée sur l’efficacité potentielle et le traitement de choix qui sont parfois vus dans la documentation scientifique, nous ne clamons pas que notre propre récit soit sans biais (voir Westen & Morrison, 2001). Aucun de nous n’est capable d’être complètement dépassionné sur des sujets que nous sommes poussés à étudier, à dire vrai,  par des croyances passionnées. Nous nous efforçons de présenter un argument équilibré et nous avons été aidés dans cet effort par un certain nombre de collègues, y compris par plusieurs dont le penchant aurait été de raconter une histoire quelque peu différente. Heureusement, là où nos propres facultés critiques nous ont manqué, cela n’a pas été habituellement le cas pour d’autres. Ce que nous suggérons, cependant, c’est que le temps est venu d’une évaluation complète du statut empirique non seulement des données, mais aussi des méthodes utilisées pour assigner les appellations soutenues empiriquement ou non soutenues empiriquement.

Nous allons raconter désormais notre histoire dans le langage plus conventionnel de la science, en commençant par l’examen des fondements empiriques qui sous-tendent les méthodes utilisées pour établir le soutien empirique des psychothérapies. Ensuite, nous examinerons à nouveau les données soutenant l’efficacité potentielle d’un certain nombre de traitements que l’on croit actuellement être soutenus empiriquement. Nous conclurons en offrant des suggestions pour rapporter les hypothèses, les méthodes et les résultats des essais contrôlés randomisés et pour élargir les méthodes utilisées pour tester l’utilité clinique des interventions psychosociales pour des troubles particuliers. En permanence, nous discuterons à partir des données car en fin de compte, le futur de la psychothérapie ne tient pas dans les affirmations en concurrence sur quels patients obtiendraient le plus d’aide, mais tient dans les données reproductibles. La question est comment recueillir et interpréter ces données de sorte que, pour le terrain, nous maximisions nos chances de tirer des inférences correctes.

Raconter à nouveau l’histoire : les hypothèses sous-jacentes aux ESTs

L’idée de créer une liste des traitements psychosociaux soutenus empiriquement a été une idée impérieuse, incitée pour partie par les préoccupations concernant les guides de pratique largement disséminés qui donnaient priorité à la pharmacothérapie par rapport à la psychothérapie en l’absence de preuves soutenant une telle priorité (Barlow, 1996 ; Beutler, 1998, 2000 ; Nathan, 1998). Le mandat pour utiliser les thérapies validées empiriquement et former les professionnels exclusivement à ces thérapies (thérapies souvent appelées désormais thérapies soutenues empiriquement ou ESTs ; Kendall, 1998) a gagné en puissance en 1995 avec la publication du premier des différents rapports de la Task Force réalisé par l’American Psychological Association ( La Task Force sur les guides d’intervention psychologique, 1995). Ce rapport, et ceux qui ont suivi et l’ont précisé, faisait la distinction entre les ESTs et les traitements moins structurés et plus longs menés par la plupart des cliniciens dans leur pratique. Depuis ce moment, de nombreuses personnes défendant les ESTs ont soutenu que les cliniciens devraient être formés en priorité à ces méthodes et que les autres formes de traitement sont « moins essentielles et dépassées » (Calhoun, Moras, Pilkonis & Rehm, 1998, p. 151 ; voir aussi Chambless & Hollon, 1998 ; Persons & Silberschatz, 1998).

Les ESTs, et les méthodes de recherche utilisées pour les valider, partagent un certain nombre de caractéristiques (voir Chambless & Ollendick, 2000 ; Goldfried & Wolfe, 1998 ; Kendall, Marrs-Garcia, Nath & Sheldrick, 1999 ; Nathan, Stuart & Dolan, 2000). Les traitements sont typiquement conçus pour un trouble de l’axe I, et les patients sont présélectionnés pour maximiser l’homogénéité du diagnostic et minimiser les conditions de co-occurence qui pourraient augmenter la variabilité de la réponse au traitement. Les traitements suivent un manuel et sont de durée brève et fixée pour minimiser la variabilité dans le groupe. L’évaluation du résultat se centre en premier lieu (bien que non nécessairement de façon exclusive) sur le symptôme qui est le centre de l’étude. À de nombreux égards, ces caractéristiques donnent un sens scientifique évident, dont l’objectif est de maximiser la validité interne de l’étude – la « pureté » de la conception de l’étude. Une expérimentation valide est une expérimentation dans laquelle l’expérimentateur répartit de manière aléatoire les patients, manipule un tout petit nombre de variables, contrôle potentiellement les variables confondantes, standardise les procédures autant que possible, d’où il est capable de tirer des conclusions relativement peu ambiguës sur la cause et l’effet.

Ce que nous pensons ne pas avoir pas été apprécié de manière adéquate, cependant, c’est combien l’utilisation des méthodologies ECR pour valider les ESTs nécessite une série d’hypothèses supplémentaires qui ne sont elles-mêmes ni bien validées ni largement applicables à la plupart des troubles et des traitements, à savoir  : que la psychopathologie est hautement malléable, que la plupart des patients peuvent être traités pour un problème ou un trouble unique, que les troubles psychiatriques peuvent être traités indépendamment des facteurs de personnalité qui ont peu de chance de changer dans les traitements brefs, et que les méthodes expérimentales fournissent un étalon or pour identifier les regroupements psychothérapeutiques utiles. Les chercheurs en psychothérapie peuvent se servir de la méthodologie de l’ECR pour différents usages, dont certains (référés ci-après comme Méthodologie EST ou méthodologie des ESTs) comportent toutes ces hypothèses. D’autres utilisations de la méthodologie ECR, comme celles qui se sont centrées sur le test des postulats théoriques de base concernant les processus de changement (Borkovec & Castonguay, 1998 ; Kazdin, 1997), les médiateurs et les modérateurs de résultat ou les interventions spécifiques (plutôt que les traitements dans leur ensemble), ne comportent que certaines de ces hypothèses parfois. Ici, nous nous centrons beaucoup plus sur les hypothèses de la méthodologie EST que sur les méthodes ECR et nous décrivons chacune de ces hypothèses et les données existantes qui les concernent. Comme la discussion ci-dessous va l’éclaircir, nous ne soutenons pas que ces hypothèses ne sont jamais valides. Au contraire, nous soutenons qu’elles ne sont pas valides de façon générale, c’est-à-dire qu’elles s’appliquent à certains exemples et pas à d’autres, et que les chercheurs et les consommateurs de recherche ont besoin d’être plus instruits sur les conditions selon lesquelles leur violation rend les conclusions valides seulement par qualification solide.

Hypothèse sous-jacente 1. " Les processus psychologiques sont hautement malléables".

L’hypothèse de malléabilité est implicite pour les durées de traitement utilisées dans pratiquement tous les ESTs qui vont typiquement de 6 à 16 séances. Comme Goldfried l’a observé (2000), d’un point de vue historique, l’intérêt exclusif pour les traitements brefs a émergé moins des données systématiques sur la longueur de traitement requis pour traiter efficacement la plupart des troubles que des considérations pragmatiques, comme le fait que si les chercheurs en psychothérapie voulaient comparer leurs psychothérapies aux médicaments, ils avaient besoin d’éviter la confusion avec le simple temps qui passe et à partir de là, ils ont eu tendance à concevoir les traitements grosso modo de la longueur d’une conception croisée par médication. Ce qui a été aussi important dans la détermination de la longueur des essais cliniques, c'est un fait simple et inévitable de méthode expérimentale telle qu’elle est appliquée à la psychothérapie, dont l'importance de l'impact, nous le croyons, n’a pas fait l'objet de suffisamment d’attention : plus la thérapie est longue, plus il y a de variabilité dans les conditions expérimentales ; plus il y a de variabilité, moins on peut en tirer des conclusions de causalité. Comme nous le soutenons, la préférence pour des traitements brefs est une conséquence naturelle des efforts de standardisation des traitements pour les amener à un contrôle expérimental. Même 16 à 20 séances d’une heure et soigneusement contrôlées posent des menaces importantes à la validité interne. En fait, nous sommes conscients qu’aucune autre expérimentation dans l’histoire de la psychologie dans laquelle une manipulation se veut constituer une condition expérimentale unique a approché cette longueur.

Etant donné l’aspect essentiel de l’hypothèse de malléabilité, on s’attendrait à ce qu’elle repose sur un fondement de forte évidence ; et que pour certains troubles, des traitements brefs et focalisés produisent des résultats puissants (voir Barlow, 2002 ; Roth et Fonagy, 1996). Cependant, un corpus important de données montre que, avec ou sans traitement, les taux de rechute pour une poignée de troubles, si ce n’est tous (en premier lieu les troubles anxieux avec très peu de centration thérapeutique spécifique) sont hauts. Par exemple, les données sur le cours naturel de la dépression suggèrent que le risque d’épisodes répétés en suivant l’index initial de l’épisode dépasse 85% sur 10 à 15 ans (Mueller et coll., 1999) et en moyenne, les individus ayant un trouble majeur dépressif feront l’expérience de quatre épisodes majeurs dépressifs d’une durée approximativement de 20 semaines chacun, tout comme d’une pléthore d’autres symptômes dépressifs durant les périodes de rémission d’épisodes majeurs dépressifs (Judd, 1997).

L’hypothèse de malléabilité est aussi incohérente avec les données issues des études naturalistes de psychothérapie, qui trouvent en permanence une relation dose-réponse telle que les traitements plus longs, particulièrement ceux de un à deux ans et au-delà, sont plus efficaces que les traitements brefs (Howard, Kopta, Krause & Orlinsky, 1986 ; Kopta, Howard, Lowry & Beutler, 1994 ; Seligman, 1995). D’un intérêt tout particulier est le résultat issu des échantillons naturalistes selon lequel le soulagement important du symptôme survient souvent au bout de 5 à 16 séances, particulièrement pour les patients sans pathologie de la personnalité importante ; cependant, la « réadaptation » nécessite un traitement plus long, suivant le degré et le type de déficience caractérologique du patient (Howard, Lueger, Maling & Martinovich, 1993 ; Kopta et coll. 1994). Par exemple, Kopta et coll. (1994) ont trouvé que les patients ayant des problèmes de caractère nécessitaient en moyenne deux ans de traitement avant que 50% d’entre eux ne montrent un changement cliniquement significatif.

Bien que l’on puisse soulever de nombreuses et légitimes inquiétudes quant à la méthodologie des conceptions naturalistes, peut être que les données les plus incontestables sur l’hypothèse de malléabilité vient des essais contrôlés eux-mêmes. Comme nous en discutons ci-dessous, les données des méta-analyses sur les ESTs pour une série de troubles qui utilisent les intervalles de résultat plus longs que 6 mois suggèrent que la plupart des vulnérabilités psychopathologiques étudiées sont en fait très résistantes au changement, que nombre d’entre elles sont enracinées dans la personnalité et le tempérament, et que le patient modal traité par des traitements brefs pour la plupart des troubles (autres que ceux impliquant des associations spécifiques entre un stimulus ou une représentation et une réponse hautement spécifique cognitive, affective ou comportementale) rechute ou cherche un traitement supplémentaire dans les 12 à 24 mois.

Des résultats suggestifs viennent aussi de la recherche qui utilise des mesures implicites et d’autres mesures indirectes (voir Gemar, Segal, Sagrati & Kennedy, 2001 ; Hedlund & Rude, 1995) comme les tâches émotionnelles de Stroop (dans lesquelles on présente aux participants, par exemple, des mots neutres ou dépressifs dans des couleurs variables au hasard et ils doivent ignorer le contenu du mot pour rapporter la couleur aussi vite que possible ; voir Williams, Mathews & MacLeod, 1996) ou des présentations audio d’homophones associés à de l’anxiété ou de la dépression (comme weak-week ; voir Wenzlaff & Eisenberg, 2001). Les patients qui sont remis de leur dépression montrent souvent des biais attentionnels continus envers les mots dépressifs, indexés par des latences de réponse plus grandes dans les tests de Stroop et une plus grande probabilité de choisir l’épellation dépressive des homophones. La recherche qui utilise des mesures implicites trouve souvent des biais continus pour les mots dépressifs et pour le contenu thématique parmi les gens qui ne sont plus dépressifs, ce qui suggère que les changements de l’état peuvent ou peuvent ne pas être accompagnés de changements dans les organisations pour ces états encodés dans des réseaux implicites, ce qui fait surgir les questions de durabilité du changement. A.T. Beck (1976) a décrit des études similaires, il y a des décennies, sur le contenu du rêve de patients qui se remettaient d’une dépression, dans son livre classique sur la thérapie cognitive des troubles émotionnels. Ces résultats font sens à la lumière de la recherche contemporaine dans les sciences neurocognitives (et dans la psychologie sociale) sur les réseaux associatifs implicites qui reflètent les régularités durables dans l’expérience d’un individu, qui peuvent être résistants au changement et qui fournissent probablement l’organisation à de nombreux troubles psychologiques (Westen, 1998b, 1999 2000). Bien que cela soit un domaine frontière de la recherche, des résultats suggestifs commencent à émerger sur la prédiction du comportement, du résultat ou de la rechute futurs à partir de mesures indirectes comme celles-ci (Segal, Gemar & Williams, 1999 ; Wiers, Van Woerden, Smulders & De Jong, 2002).

Hypothèse sous-jacente 2. "La plupart des patients ont un seul problème fondamental ou peuvent être traités comme tels ".

L’hypothèse que les patients pourraient être traités comme s’ils n’avaient qu’un seul problème individuel, syndrome ou trouble fondamental - et l’hypothèse corrélative que s’ils avaient plus d’un trouble, les syndromes pourraient être traités de manière séquentielle en utilisant différents manuels (voir Wilson, 1998) – reflète une nouvelle fois un mélange de contraintes méthodologiques et de méta-hypothèses théoriques. Ce qui est peut-être le plus important, ce sont les deux caractéristiques de la pragmatique de la recherche. D’abord, le fait d’inclure les patients avec des comorbidités importantes augmenterait considérablement la taille de l’échantillon nécessaire pour détecter des différences de traitement si la comorbidité comporte une relation systématique au résultat. Ainsi, le chemin le plus prudent est sans doute de commencer par des cas relativement « purs » pour éviter des confusions présentées par des troubles co-occurents. Deuxièmement, la nécessité que les propositions de recherche soient liées à des catégories définies par le Manuel Diagnostic et Statistique des troubles mentaux (DSM 4 ed ; DSM-IV ; American Psychiatric Association, 1994), pour pouvoir recevoir un financement a pratiquement garanti une centration sur les troubles isolés (ou au mieux un double diagnostic, comme le stress post-traumatique (PTSD) et l’abus de substance).

Si nous examinons plus soigneusement la base empirique de cette hypothèse, nous trouvons que, en règle générale, elle ne réussit pas mieux que l’hypothèse de malléabilité. Nous nous centrons ici sur trois questions : les limites empiriques et pragmatiques imposées par la dépendance aux diagnostics DSM-IV, le problème de comorbidité, et la façon dont les différentes fonctions d’évaluation de la comorbidité dans les essais contrôlés et en pratique clinique peut donner des limites à la possibilité de généralisation.

La pragmatique des diagnostics DSM-IV

Lier la recherche sur le traitement aux catégories définies par le DSM a de nombreux bénéfices, dont les plus importants sont la capacité à généraliser à différentes situations et le lien entre la compréhension de la psychopathologie et l’identification des processus qui peuvent la modifier. Nous remarquons ici, toutefois, trois coûts.
D’abord, les diagnostics DSM sont créés eux-mêmes par des comités de consensus sur la base de preuves disponibles plutôt que par des méthodes strictement empiriques (comme l’analyse factorielle ou l’analyse de classe latente) et dans de nombreux cas, ils sont sous un sérieux défi empirique. Par exemple, que la dépression majeure soit un trouble distinct ou qu’elle représente simplement la fin la plus sévère d’un continuum dépressif, on ne le sait pas ; on ne sait pas non plus jusqu’où la grande comorbidité du trouble dépressif majeur et du trouble anxieux généralisé (TAG) est un artéfact par rapport à la manière dont les deux troubles sont définis (séries de critères se chevauchant) ou d’une organisation commune pour l’affect négatif (voir Brown, Chorpita, & Barlow, 1998 ; Westen, Heim, Morrison, Patterson & Campbell, 2002). Tant que certaines catégories du DSM-IV sont elles-mêmes non soutenues empiriquement, accrocher nos wagons thérapeutiques à ces troubles peut nous engager à une série d’hypothèses non soutenues empiriquement sur la psychopathologie.

Deuxièmement, l’hypothèse implicite selon laquelle les patients se présentent typiquement avec des symptômes d’un diagnostic spécifique de l’Axe I et peuvent identifier au début du traitement précisément lequel c’est (avec peut-être l’aide d’un filtrage téléphonique et d’un entretien structuré) n’est généralement pas valide. Pour des raisons historiques plutôt que rationnelles ou scientifiques, la recherche sur le traitement a avancé indépendamment de tout type de besoin d’évaluation systématique des raisons pour lesquelles le patient moyen se présente pour une psychothérapie en pratique clinique. Au contraire, les catégories DSM (typiquement l’Axe I) ont largement guidé la programmation de la recherche sur la psychothérapie dans les 20 dernières années (Goldfried, 2000). Est-ce que la plupart des patients qui cherchent un traitement se plaignent d’abord de troubles de l’Axe I, soit cliniques soit infra cliniques ? Est-ce que la plupart des patients présentent en premier lieu des problèmes interpersonnels (ou avec de la dépression ou de l’anxiété dans le contexte de problèmes interpersonnels, comme des configurations relationnelles problématiques, des difficultés au travail, etc.) ? Ou est-ce que le patient moyen se présente avec une représentation diffuse qui nécessite une formulation du cas plus importante qui compte des critères diagnostiques ? Tout cela est inconnu (Voir Persons, 1991, Westen, 1998a). Cependant, les meilleures données disponibles provenant des études naturalistes comme des études de communauté (circonscription hospitalière) suggèrent qu’entre un tiers et la moitié des patients qui cherche un traitement de santé mentale ne peuvent pas être diagnostiqués en utilisant le DSM parce que leurs problèmes ne rentrent pas dans des catégories existantes ou en dépassent les seuils (voir Howard et coll. 1996 ; Messer, 2001). Comme l’a observé Goldfried (2000), l’exigence des financiers que les chercheurs centrent la recherche sur le traitement des situations psychiatriques définies selon le DSM a pratiquement éliminé de la recherche les problèmes qui dominaient autrefois la recherche en psychothérapie, comme l’anxiété de parler en public, les problèmes interpersonnels ou les problèmes souvent associés à l’anxiété et la dépression à la fois entre et pendant les épisodes comme la régulation problématique de l’estime de soi.

Le troisième problème concernant le lien de la recherche sur le traitement aux catégories de l’Axe I est un problème pragmatique. Comme plusieurs commentateurs l’ont souligné (Beutler, Moleiro & Talebi, 2002 ; Weinberg, 2000), le nombre pur et simple de troubles dans le DSM-IV rend tout à fait irréaliste l’idée que les cliniciens apprennent des manuels spécifiques à des troubles pour plusieurs troubles . Etant donné que 40% à 60% des patients ne répondent pas à un EST de premier choix pour la plupart des troubles (comme la dépression majeure ou la boulimie), les cliniciens auraient besoin d’apprendre au moins deux ou trois manuels pour chaque trouble. Si les chercheurs commencent alors à développer des manuels pour d’autres troubles, y compris les diagnostics « atypiques », « ou non spécifiés autrement » et infraliminaires, le nombre de manuels requis pour la pratique compétente seraient même multiplié encore plus. C’est un bon exemple du problème qui n’est pas inhérent à l’utilisation des ECRs (pour tester les interventions, comme l’exposition ou les théories du changement) mais il est inhérent à l’effort d’identifier les regroupements de traitement appropriés à une population particulière de patients et au changement qui va des manuels en tant qu’outils à la standardisation d’un traitement en laboratoire, aux outils pour standardiser le traitement en pratique clinique, un point sur lequel nous allons revenir.

Le problème de la comorbidité

À côté du problème du lien des manuels de traitement aux troubles définis par le DSM, il y a la question de savoir si, en fait, les patients en pratique clinique se présentent typiquement avec un seul trouble fondamental. La documentation sur la comorbidité à la fois dans les échantillons cliniques et hospitaliers suggère que les présentations de trouble unique sont l’exception plutôt que la règle. (Nous n’utilisons le terme comorbidité ici que pour signifier la co-occurrence, étant donné les significations multiples potentielles de ce terme ; voir Lilienfeld, Waldman, & Israel, 1994). Les études ont trouvé en permanence que la plupart des situations de l’Axe I sont comorbides avec d’autres troubles de l’Axe I ou de l’Axe II dans une variation de 50 à 90% (Voir Kessler et coll., 1996 ; Kessler, Stang, Wittchen, Stein & Walters, 1999 ; Newwman, Moffitt, Caspi & Silva, 1998 ; Oldham et coll. 1995 ; Shea, Widiger & Klein, 1992 ; Zimmerman, Mc Dermut & Mattia, 2000).
Les données sur la comorbidité sont embarrassantes à la lumière du fait que la méthodologie sous-jacente à l’identification des ESTs renvoie implicitement à un modèle de comorbidité que la plupart des chercheurs en psychothérapie (et en psychopathologie) désavoueraient explicitement, c’est-à-dire que la comorbidité est aléatoire ou additive (comme le fait que certaines personnes se retrouvent à avoir des troubles multiples plutôt que leurs symptômes pourraient être intriqués). Il se pourrait bien, comme de nombreux avocats des ESTs l’ont soutenu (comme Wilson, 1998) que la meilleure façon d’approcher la représentation polysymptomatique, c'est d'utiliser des manuels séquentiels, un pour la dépression, un autre pour le PTSD, un pour le TAG, ainsi de suite. Cependant, cibler le symptôme séquentiel peut ne pas être la stratégie de traitement optimale pour des conditions dans lesquelles (a) des symptômes apparemment distincts de l’Axe I reflètent des causes sous-jacentes communes, comme l’anxiété et la dépression qui ensemble découlent du rejet de la sensibilité ou de la tendance à faire l’expérience d’affect négatif ; (b) les symptômes de l’Axe I surgissent dans le contexte d’endurer des configurations de personnalité qui créent des vulnérabilités psychosociales à des épisodes futurs ; ou (c) la présence de multiples symptômes peut avoir des propriétés émergentes non réductibles aux caractéristiques de chaque symptôme indépendamment.
Comme nous en discutons plus bas, les données disponibles suggèrent que chacune de ces conditions est rencontrée fréquemment. Par exemple, les patients dépressifs ayant une histoire de vie avec des symptômes d’agoraphobie et de panique ne montrent pas seulement moins de réponses à la psychothérapie interpersonnelle (IPT) dans les essais contrôlés randomisés, mais aussi s’avèrent plus longs à répondre à une stratégie de traitement séquentielle y compris aux inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine s’ils échouent à répondre à la psychothérapie (Frank et coll. 2000). Cela ne veut pas dire que des résultats comme ceux-ci sont universels ; les ECRs pour certains traitements et certains troubles ont montré tout le contraire, que la comorbidité a peu d’impact sur le résultat du traitement ou que le traitement du trouble cible conduit à la réduction de la symptômatologie comorbide (Borkovec, Abel & Newman, 1995 ; Brown & Barlow, 1992). La question est simplement que l’on ne peut pas faire systématiquement l’hypothèse que la psychopathologie est additive ou peut être traitée comme si elle l’était.

La fonction de l’évaluation de la comorbidité et la possibilité de généralisation à la pratique clinique quotidienne.

Ce qui est peut-être moins évident que le problème de comorbidité pour les traitements conçus pour les troubles uniques, c’est que la fonction de l’évaluation des conditions de co-occurrence diffère en recherche et en pratique d’une façon qui peut affecter la possibilité de généralisation des ESTs. Typiquement, les chercheurs commencent par solliciter des patients qui ont un trouble particulier, soit par avertissement direct soit en informant les cliniciens dans le cadre du traitement (habituellement dans une clinique universitaire ou un centre médical) sur les types de patients qui conviendraient à l’étude. Ceux qui répondent subissent un filtrage initial bref (souvent par téléphone) pour déterminer s’ils correspondent potentiellement au protocole du traitement, puis un entretien structuré ou une série d’entretiens pour réaliser une décision finale s’ils correspondent à l’étude et pour obtenir les données de diagnostics avant le traitement. Après cette évaluation, ceux qui sont admis dans l’étude arrivent au bureau du thérapeute chercheur et le traitement commence. Les cliniciens qui évaluent l’efficacité potentielle des ESTs dans les études ne conduisent habituellement pas leur propre évaluation et avancent sur l’hypothèse que le diagnostic est précis et principal.
Ce qu’il faut noter ici, c’est la fonction de l’évaluation au laboratoire des situations de comorbidité, ce qui généralement est fait pour éliminer les patients qui ne rencontrent pas les critères de l’étude. Le clinicien traitant peut même ne pas savoir si le patient a reçu un deuxième diagnostic, qui est typiquement négligeable pour le traitement. En fait, le clinicien est maintenu habituellement aveugle aux diagnostics secondaires si un des buts de l’étude est d’évaluer leur rôle potentiel comme modérateurs de résultat.

En pratique clinique, la situation est très différente. À moins que le patient n’ait spécifiquement cherché un spécialiste qui travaille avec une population particulière, typiquement, les cliniciens ne font  pas l’hypothèse qu’un seul symptôme ou syndrome soit principal. Au lieu de partir avec un seul symptôme ou syndrome à l’esprit, les cliniciens vont probablement chercher plus largement à connaître les symptômes, l’histoire, etc. du patient. Même pour un pourcentage inconnu de patients en pratique clinique qui identifient un souci principal, l’objectif d’enquêter sur les situations de co-occurrence n’est pas pour décider si on doit les adresser ailleurs, mais pour mieux les comprendre. Généralement, cela suppose de développer une formulation de cas préliminaire qui touche tous les symptômes et qui va être probablement considérablement plus variée que les formulations standardisées sur les schémas mal adaptés, les rôles de transition interpersonnelle, ainsi de suite, qui sont essentiels dans la recherche pour minimiser la variation intra-groupe dans les interventions (Persons & Tompkins, 1997 ; Westen, 1998 a). Nous ne discutons pas ici de la validité des formulations des cliniciens, question abordée ailleurs (Westen & Shelder, 1999 : Westen & Weinberger, 2003). Au contraire, nous ne faisons que remarquer combien ce qui est nécessaire au contrôle expérimental dans la méthodologie EST limite la portée de la variation permise dans la formulation du cas, si la variation dans la formulation est potentiellement reliée à la variation dans le traitement délivré.
En pratique clinique, les symptômes qui ont été initialement identifiés comme étant les principaux peuvent ne pas rester au centre du traitement au cours du temps, même si le clinicien répond de manière appropriée aux problématiques du patient. Par exemple, beaucoup de jeunes gens en conflit avec leur orientation sexuelle souffrent de dépression, d’anxiété ou d’idées suicidaires (Harstein, 1996), et ces symptômes psychiatriques peuvent être leur principale plainte. Dans ces cas-là, des semaines et des mois de traitement passent avant que le patient ne soit capable de reconnaître ou d’admettre la source de leur détresse. L’ampleur des problèmes de ce type qui sont responsables de certaines ou de la plupart de la symptomatologie dans la pratique quotidienne est inconnue, mais la méthodologie des ESTs s’en remet à l’hypothèse de leur non pertinence, pour deux raisons. Premièrement, tester des traitements suffisamment brefs pour maintenir le contrôle expérimental et prescrire le nombre de séances en avance pour maximiser la possibilité de comparaison des traitements dans et quelles que soient les conditions, donne de l’importance à une identification rapide des cibles de traitement. Deuxièmement, la mise en forme selon des manuels présuppose que les mêmes techniques (comme confronter les cognitions dysfonctionnelles, aborder les problèmes dans les relations réelles) fonctionneraient pour le même symptôme ou syndrome de l’Axe I  indépendamment de l’étiologie, des circonstances qui l’ont suscité, de la personnalité du patient, et ainsi de suite. C’est l’une des nombreuses hypothèses possibles sur la relation entre les interventions et les symptômes, mais elle reste une hypothèse non testée, et elle ne devrait pas être construite dans la structure du test de l’hypothèse pour toutes les formes de traitement pour tous les troubles. Il semble peu probable à première vue, par exemple, que les mêmes techniques utiles pour aider un patient dépressif ayant des sentiments d’insuffisance induits par une situation (comme après la perte d’un travail) seraient toujours optimales pour traiter quelqu’un ayant des sentiments chroniques d’insuffisance, sans parler de quelqu’un avec le même symptôme (de dépression) qui se bat avec une homosexualité non admise, d’un adulte ayant des séquelles d’abus sexuel dans l’enfance, d’une personne vieillissante dans le contexte d’une personnalité narcissique, ou de l’expression génétique dans le contexte d’une histoire familiale de dépression majeure.

Hypothèse sous-jacente 3. "Les symptômes psychologiques peuvent être compris et traités isolément des dispositions de la personnalité".

L’hypothèse que les symptômes psychologiques puissent être compris et traités isolément de la personnalité de la personne qui les endure est central à la méthodologie des ESTs, dans une large mesure du fait de la nature brève et focalisée du traitement nécessaire pour maximiser le contrôle expérimental et en partie du fait de la centration sur les symptômes plutôt que sur les processus ou sur les organisations. Bien que les traitements comme la TCC ou la TIP ciblent des schémas dysfonctionnels ou des configurations interpersonnelles qui s’enracinent dans la personnalité, aucun des traitements n’a eu pour objectif de changer les processus persistants de personnalité et nous savons qu’aucune théorie de la personnalité ou qu’aucune donnée ne suggère que les processus durables de personnalité ou les traits persistants de personnalité puissent être typiquement changés en 9 à 16 séances d’une heure. Le seul traitement considéré EST pour des troubles de la personnalité, la thérapie comportementale dialectique (TCD) de Linehan (1993) pour un trouble de la personnalité borderline prend grosso modo une année entière pour arriver à ce qui est essentiellement la première des différentes étapes (M. M Linehan, communication personnelle, mai 2002). La recherche qui a testé cette première phase de la TCD a trouvé un changement comportemental important dans les comportements d’équivalent suicidaire (comme se couper) après 12 mois avec un certain nombre d’autres résultats cliniques importants (comme la réduction du nombre de jours d’hospitalisation). Cependant, les variables de personnalité comme les sentiments de vide ont montré peu de diminution même après un an de traitement et les effets durables de la TCD sur les années ne sont pas connus (Scheel, 2000).

L’hypothèse selon laquelle les états de l’Axe I peuvent être traités comme s’ils étaient indépendants d’organisations durables de la personnalité comprend deux complications, l’une empirique, l’autre méthodologique, que nous allons aborder tour à tour. La première est que, d’un point de vue empirique, la plupart des syndromes de l’Axe I ne sont pas indépendants de la personnalité et souvent la personnalité modère la réponse au traitement. La deuxième, c’est que, d’un point de vue pragmatique, inclure les patients qui partagent un diagnostic comme celui de dépression mais qui varient considérablement quant à leur personnalité nécessiterait d’utiliser des tailles d’échantillon qui sont considérablement plus grands que ceux qui sont habituels ou défendables pour établir les ESTs.

Indépendance des symptômes et processus de personnalité

Accumuler les preuves suggère que la première partie de cette hypothèse, selon laquelle les symptômes ou syndromes de l’Axe I peuvent être compris en dehors des processus de personnalité, est inexacte pour la plupart des troubles. Les études qui utilisent l’analyse factorielle, l’analyse de classe latente et la modélisation structurale de l’équation suggèrent que l’anxiété et les troubles de l’humeur de l’Axe I sont systématiquement reliés à des variables longtemps considérées comme des variables de personnalité, notamment l’affect hautement négatif ou faiblement positif (Brown et coll., 1998 ; Krueger, 2002 ; Mineka, Watson & Clark, 1998 ; Watson & Clark, 1992 ; Watson et coll., 1994 ; Zinbarg & Barlow, 1996). Une autre recherche a trouvé que les types différents d’organisations de personnalité comme la vulnérabilité à la perte versus la vulnérabilité à l’échec, prédisposent des individus différents à devenir déprimés selon des circonstances différentes (Blatt & Zuroff, 1992 ; Hammen, Ellicott, Gitlin & Jamison, 1989 ; Kwon & Whisman, 1998). La prévalence des états comorbides de l’Axe I chez les patients traités pour des troubles tels que la dépression, le TAG, le PTSD et la boulimie nerveuse peuvent fournir réellement un index de prévalence des organisations de personnalité sous-jacentes. Les études qui utilisent des échantillons à la fois d’adultes (Newman et coll., 1998) et d’adolescents (Lewinsohn, Rohde, Seeley & klein, 1997) suggèrent que la présence d’états multiples de l’Axe I est essentiellement une procuration pour la présence d’état de l’Axe II, avec le fait que plus il y a de symptômes présents dans l’Axe I, plus il y a de probabilité de pathologie sur l’Axe II.
De plus, un corpus croissant de données suggère que le même symptôme ou syndrome sur l’Axe I peut avoir différentes fonctions ou implications dans la présence de certains troubles de la personnalité. La recherche sur les adolescents et les adultes qui présentent un TPB a trouvé des différences sur une douzaine de variable entre les patients diagnostiqués avec un trouble dépressif majeur et ou sans TPB. Un exemple typique, c’est la façon dont ces patients font l’expérience, expriment et tentent de réguler leur détresse. La dépression borderline n’est pas seulement distincte de la dépression non borderline d’un point de vue quantitatif mais aussi qualitative, avec des corrélats sensiblement différents (Westen et coll., 1992 ; Westen, Muderrisoglu, Fowler, Shelder & Koren, 1997 ; Wixom, Ludolph & Westen, 1993). Par exemple, pour les gens qui ont à la fois un trouble dépressif majeur et un TPB, la sévérité de la  dépression est fortement corrélée à une variable latente qui inclut les angoisses d’abandon, l’affectivité négative diffuse, une incapacité à maintenir une image rassurante et constante des autres significatifs et des sentiments de dégoût de soi et d’être mauvais. Pour les gens qui ont un trouble dépressif majeur sans TPB, les mêmes qualités sont corrélées négativement à la sévérité de la dépression.
Comme cela est noté ci-dessus, les données issues de nombreux troubles et traitements (mais pas toutes, voir Hardy et coll., 1995 ; Kyuken, Kurzer, DeRubeis, Beck & Brown, 2001) suggèrent que les patients traités pour des états relevant de l’Axe I réussissent moins bien s’ils ont aussi certains troubles de la personnalité, particulièrement un TPB ( Johnson, Tobin & Dennis, 1991 ; Steiger & Scotland, 1996). Bien que cela soit typiquement décrit en termes de comorbidité comme variable modérateur, le concept de comorbidité peut induire en erreur parce qu’il implique que les variables personnalité sont un ajout au symptôme qui est essentiellement distinct d’elles. Cela peut être analogue d’étudier l’aspirine comme traitement contre la fièvre et de considérer la méningite, la grippe, ou l’appendicite « comorbides » comme modérant la relation entre le traitement (l’aspirine) et le résultat (la réduction de la fièvre). À partir de la perspective du traitement, les corrélations hautes entre l’anxiété et la dépression et la comorbidité importante entre la dépression majeure et pratiquement tout trouble anxieux, suggèrent que les chercheurs feraient bien de développer des traitements pour l’affectivité négative et la perturbation de la régulation émotionnelle plutôt que de se centrer exclusivement sur les syndromes définis par le DSM.

Le paradoxe des échantillons purs

La prévalence des organisations de personnalité pour la psychopathologie présente un paradoxe méthodologique. Si les chercheurs incluent les patients ayant une pathologie importante de la personnalité dans les essais cliniques, ils courent le risque de conclusions ambiguës si ces variables modèrent le résultat, à moins que les tailles d’échantillon soient suffisamment grandes pour permettre les analyses de co-variation ou de modérateur. Si à la place, ils excluent de tels patients (ce qui, comme nous le remarquons plus loin, est la norme, soit explicitement soit de facto par l’utilisation de critères d’exclusion comme les idées suicidaires ou l’abus de substances) on ne peut pas présumer de la possibilité de généralisation pour une population cible qui est rarement pure au niveau symptomatique.
Le lecteur peut objecter que commencer par des cas relativement purs est juste le début de l’entreprise : la manière appropriée de développer et de tester le traitement est de commencer par des essais d’efficacité potentielle relativement circonscrits et puis d’aller vers des situations de communauté où les chercheurs peuvent tester des conditions expérimentales qui ont déjà démontré leur efficacité potentielle en laboratoire. La progression séquentielle des cas purs aux cas impurs est probablement la stratégie appropriée pour tester certaines thérapies pour certains troubles (comme la phobie isolée ou le trouble panique, qui peuvent se présenter comme des constellations de symptômes relativement à part même dans un tableau polysymptomatique), mais avec deux avertissements importants.
D’abord, cette approche s’en remet de facto à de nombreuses hypothèses esquissées ici, dont la plus importante est que les conditions polysymptomatiques vues dans la communauté n’ont pas de propriétés émergentes qui puissent faire appel à différents types d’interventions. Les interventions pour aborder ces propriétés émergentes ne seront, comme simple résultat des préconditions méthodologiques, jamais identifiées si les chercheurs commencent systématiquement par des cas moins complexes et centrent les études dans la communauté sur les interventions qui ont été validées antérieurement dans les ECRs. Par exemple, se centrer en premier lieu sur des symptômes alimentaires peut être bien approprié pour certains ou pour beaucoup de patients présentant une boulimie nerveuse : cependant, pour d’autres, comme ceux qui sont plus impulsifs, les symptômes alimentaires peuvent avoir besoin d’être abordés dans le contexte de problèmes plus larges avec la régulation de la pulsion et de l’affect, dont le gavage et les actes de purges peuvent être un exemple cliniquement pertinent (Westen & Harndern-Fischer, 2001). Les critères d’exclusion fréquemment utilisés dans les essais cliniques contrôlés pour la boulimie nerveuse, y compris l’abus de substance et les idées suicidaires (qui excluent les patients ayant une perturbation de la régulation émotionnelle) et avec un poids anormalement bas (qui excluent les patients ayant des symptômes anorexiques) peuvent être en train de limiter systématiquement les phénomènes vus en laboratoire et les interventions à examiner choisies en conséquence (pour des données empiriques, voir Thompson-Brenner, Glass & Westen, 2003).
Le second avertissement est qu’en tant que chercheurs, éducateurs, administrateurs, et cliniciens, nous avons besoin d’exercer une circonspection considérable en tentant de tirer des conclusions pour la formation et la politique publique alors que nous attendons des données qui pourraient nous fournir une compréhension plus importante des conditions selon lesquelles les traitements développés en laboratoire ont des chances d’être transposés à la pratique clinique quotidienne. C’est une chose de dire que la thérapie cognitive et la TIP sont les meilleurs traitements testés en laboratoire pour des patients ayant une dépression majeure qui passent des procédures de filtrage rigoureuses et que nous ne savons cependant pas encore comment ces traitements ou d’autres réussiront dans des conditions naturalistes avec des patients plus polysymptomatiques. C’est autre chose de dire que les données existantes issues du laboratoire ont déjà démontré que nous devrions arrêter d’enseigner et que les tiers payants devraient arrêter de rembourser les traitements longs, souvent plus intégratifs d’un point de vue théorique, et largement pratiqués pour ces troubles dans la communauté. On peut argumenter l’un ou l’autre mais pas les deux. Comme nous le suggérons plus loin, pour certains troubles et certains traitements, les données existantes issues du laboratoire apparaissent avoir de fortes implications pour la formation et la pratique. Pour d’autres, y compris plusieurs traitements largement considérés comme ESTs, les données empiriques soutiennent qu’il y ait une plus grande modération pour tirer des conclusions jusqu’à ce qu’on en sache considérablement plus sur les paramètres dans lesquels ces traitements ont des chances d’agir efficacement.

Notes

Un certain nombre de chercheurs a attiré l’attention sur d’importants avertissements dans l’entreprise qui consiste à établir une liste d’ESTs en utilisant la méthodologie de l’essai contrôlé randomisé (ECR), travail auquel nous nous référons ici (Borkovec & Castonguay, 1998 ; Goldfried & Wolfe, 1996, 1998 ; Ingram & Ritter, 2000 ; Kazdin, 1997 ; Seligman, 1995)

D’autres considérations ont tout autant influencé l’intérêt quasi-exclusif pour les traitements brefs comme les considérations de coût, de résultat, et de faisabilité de la recherche. Une autre considération est que la majorité de la recherche en psychothérapie est de type comportementale ou cognitive et comportementale. Les théoriciens de Skinner en passant par Bandura ont soutenu que le comportement humain est sous contrôle environnemental important et qu’un système de réponses peut facilement être changé sans se soucier de systèmes plus larges dans lesquels ils sont enchâssés (voir Bandura, 1977 ; Skinner, 1953). Bien que cette hypothèse ait été avancée avec acharnement surtout au tout début de la thérapie comportementale, et que de nombreux chercheurs en thérapie comportementale et cognitive (TCC) ne l’approuvent plus explicitement, cette hypothèse est désormais implicite dans la conception de presque tous les essais cliniques de psychothérapie.

 

Nous suspectons que cette hypothèse est rarement mise au défi dans la documentation sur le traitement parce que l’échantillon des techniques habituellement utilisées dans la recherche en psychothérapie rend le problème opaque : les chercheurs établissent typiquement des cliniques spécialisées pour des troubles particuliers et attirent les patients qui s’identifient comme souffrant en premier lieu de ces troubles-là. C’est un domaine dans lequel l’observation clinique peut fournir un rectificatif important à l’observation en laboratoire.

à suivre …

 


Dernière mise à jour : 9/03/07 info@techniques-psychotherapiques.org