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Contexte général du soin aux exilés : la question migratoire (François Héran, Catherine Withol de Wenden)

samedi 30 mars 2019, par François Journet

Accueillir et suivre des demandeurs d’asile ou déboutés, bouleverse. Nombre d’intervenants du champ social ou du soin témoignent du trouble, parfois violent, ressenti dans une clinique où les patients ne sont pas « seuls », mais avec un univers qui fait problème : un contexte sociojuridique oppressant .

Ce contexte détermine ou écrase les singularités, produit une grande précarité au niveau symbolique (en termes d’identité, de reconnaissance) et au niveau matériel (conditions économiques limitées par le droit), qui impacte l’état de santé psychique et somatique. Au-delà ou en-deçà de traumatismes réactivés, se retrouve souvent une clinique particulière de la honte, liée à l’exil et/ou aux traumatismes par violences intentionnelles. Une honte qui « contamine », englobe, perturbe les interlocuteurs, car quand la déontologie médicale proscrit toute discrimination dans l’accueil , le contexte sociojuridique trace une frontière, un mur du Droit, entre nos différents patients, entre patients exilés et leurs soignants.

Le droit des étrangers (CESDEA ), complexe, évolutif au gré des réformes successives , fait en effet irruption dans les parcours d’asile des patients, distinguant périodes et statuts :
(1) période de la demande d’asile avec l’attente (durée variant de 6 mois à deux ans ou plus), avec les réactions ou chocs (ou décompensations psychiques) face aux décisions des instances juridiques de l’asile qui opèrent un tri entre :
(2) ceux qui obtiennent d’une protection et un statut de « réfugié » (carte de 10 ans) ou de « protection subsidiaire » (carte de 4 ans possible) qui pourront débuter un parcours « d’intégration »
(2’) ceux qui sont déboutés de leur demande d’asile et pour qui un retour au pays n’est pas une option, qui, propulsés dans l’univers des sans-papiers sans ressources, vont chercher une régularisation (pour raison de santé lorsqu’ils sont gravement malades), démarches conduisant à des parcours qui s’éternisent 3,5, 10 ans sans ce droit de travail qui donne une sécurité minimale pour soutenir la dignité, l’amélioration de la santé et des soins dans de bonnes conditions.

Ce droit des étrangers en France, les pratiques administratives réelles, constituent un univers peu connu hors des réseaux d’accueil et de soin des exilés. Cet univers a pour toile de fond un contexte de représentations des migrations souvent éloignées des situations de vie réelles des exilés, construites médiatiquement au fil des agendas politiques des pays d’accueil. Ces représentations produisent des effets sur nos patients, sur nous-mêmes, et méritent à ce titre d’être confrontées à des approches affinées et rigoureuses.

C’est pourquoi nous proposons (ou rappelons !) quelques références précieuses, avec deux auteurs, chercheurs en sciences démographiques et sociales :

1- François Héran, philosophe, anthropologue, démographe .

Depuis 2018, François Héran occupe la chaire « Migrations et société » au Collège de France. Sa leçon inaugurale accessible en ligne permet une approche détaillée et scientifique de la question des migrations au niveau mondial, de la fraction européenne de ces migrations, de l’accueil différencié des pays européens, avec une analyse critique des chiffres.

Dans un article percutant « Comment se fabrique un oracle », François Héran apporte une critique documentée au livre de Stephen Smith « La ruée vers l’Europe » .

2- Catherine Wihtol de Wenden, politologue, spécialiste des migrations internationales .
Une synthèse quasi-encyclopédique concise sur la question migratoire, les enjeux internationaux actuels et à venir : « La question migratoire au XXIe siècle » - Migrants, réfugiés et relations internationales, Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.), 3ème édition, 2017
Un article approchant la question : « Une nouvelle donne migratoire » . dans « politique étrangère », 2015.

3- Sur l’asile :

On peut se référer au « premier bilan de la demande d’asile en France pour 2018 » de la CIMADE.

Et aux statistiques d’Eurostat sur l’asile en Europe.

Bonnes lectures !

François Journet

Cf. (1) Les témoignages en réponse à un questionnaire réalisé au printemps 2015 en Rhône-Alpes : un collègue écrit : « les symptômes étaient générés par le contexte inadmissible de l’attente et de l’interdiction de travailler infligées aux demandeurs d’asile ». (2) Un médecin généraliste travaillant à Médecin du Monde à la retraite : « Au début, j’étais désespéré, je rentrais malade chez moi le soir car je ne croyais pas qu’un tel niveau de misère existait en France » - un généraliste - (Le bulletin de l’Ordre national des médecins, 2016). (3) Un psychiatre de PASS : « l’impression que je ne soignais plus des malades mentaux, mais des victimes de la folie du monde » - (« La prise en charge des migrants en santé mentale. Enquête sur l’élargissement du réseau de prise en charge des migrants précaires vers les psychiatres libéraux », Vincent Tremblay, Mémoire de Master 2 de sociologie, Université Lumière Lyon 2.) (4), « Je me pose la question du sens du soin psy quand tout le reste est aussi écrasant… c’est complètement fou… » - une assistante sociale en CMP - (Geny-Benkorichi, M. et Vignal, M. (2012). État des lieux national de la santé mentale des demandeurs d’asile et réfugiés au sein du dispositif national d’accueil (Rapport de synthèse). Lyon : Réseau Samdarra).
Cf. Avalanches, Mémoire du DIU Santé, Société, Migration, 2015 - http://www.ch-le-vinatier.fr/documents/Publications/Memoires_du_DIU/Memoire_DIU_Francois_journet.pdf
Article 7 du Code de Déontologie Médicale, qui s’impose aux médecins comme loi. https://www.legifrance.gouv.fr/affichCode.do?cidTexte=LEGITEXT000006072634&dateTexte=20040807
Dernière version : la LOI n° 2018-778 du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie
https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do;jsessionid=2EE527FB0EB4DD230F2D3CBC2321A574.tplgfr22s_2?cidTexte=JORFTEXT000037381808&dateTexte=&oldAction=rechJO&categorieLien=id&idJO=JORFCONT000037381805#JORFSCTA000037381809

L’évaluation est confiée à l’OFPRA (Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides) avec une audience du demandeur d’asile (sauf décision sur ordonnance), avec possibilité d’un recours à a CNDA (Cour Nationale du Droit d’Asile). Il existe différentes modalités : procédure normale ou accélérée (dans le cas de personnes originaires de pays dit « sûrs » par exemple…)
Cf. réf. iii
Cf. biographie : https://www.college-de-france.fr/site/francois-heran/Biographie.htm
https://www.college-de-france.fr/site/francois-heran/inaugural-lecture-2018-04-05-18h00.htm
https://laviedesidees.fr/migrations-afrique-prejuge-stephen_smith-oracle
Biographie sur Wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Catherine_Wihtol_de_Wenden
https://www.eyrolles.com/Entreprise/Livre/la-question-migratoire-au-xxie-siecle-9782724621051/.
https://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2015-3-page-95.htm
Elisabeth Schulz dans son article de présentation de l’ouvrage dit : « outil indispensable pour comprendre les enjeux internationaux actuels et à venir, liés à la nouvelle donne migratoire. L’auteure parvient avec succès à mettre en relief les décalages entre la réalité des migrations et les politiques qui les gèrent, tout en proposant des alternatives. Si on peut lui reprocher certaines répétitions, on pourra la défendre en disant que, suivant les intérêts ou les besoins du lecteur, ce dernier pourra adopter une approche non linéaire. De plus, la présence d’un graphique et de cartes (p. 67-70) contribue à la qualité et à l’efficacité de ce livre. » https://journals.openedition.org/lectures/22386
https://www.lacimade.org/premier-bilan-de-la-demande-dasile-en-france/
https://ec.europa.eu/eurostat/statistics-explained/index.php/Asylum_statistics/fr