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Le site de la recherche sur les psychothérapies psychodynamiques

Editorial


Recherche, communication, propagande... un inquiétant glissement

Dr Jean-Michel Thurin

Depuis plusieurs mois, nous assistons avec une intensité croissante à un déferlement d'informations dont le minimum de bien fondé semble se dissoudre un peu plus à chaque parution.

Ainsi, on peut trouver le moyen de guérir les troubles psychiatriques les plus courants (stress, dépression, anxiété)... en évitant les médicaments et la psychanalyse1 ; on peut lire, suivant un déroulement logique assez surréaliste, que la consommation française de Prozac découle directement "du règne sans partage de la psychanalyse"2, et même que cette incroyable situation, symbole de notre exception , conduit à trouver le fameux antidépresseur dans l'eau potable de plusieurs villes européennes (et dans ses poissons)3 ; que les TCC sont quasiment les seuls traitements psychologiques valides scientifiquement pour les états dépressifs4 ; que les "thérapies analytiques n'obtiennent qu'un bien maigre résultat (1 seule étude positive)5" et même que "les thérapies analytiques s'adressent surtout aux gens relativement bien portants dans le cadre de ce qu'on appelle le développement de la personne mais qu'elle n'aident pas le phobique ni le déprimé à sortir de son isolement6, et qu'elles ne sont pas remboursées7, etc ….

On nous suggère que des thérapeutiques "nouvelles" viennent s'attaquer au roc des thérapies fossilisées, anciennes, etc. et pourront enfin bénéficier aux patients qui en sont privés quand les frontières seront ouvertes.

Disons le, cette entreprise de communication produit un sentiment à la fois de stupéfaction, de gêne et d'indignation.

Les références permanentes au "scientifique", aux travaux menés à l’étranger, comme à l'expertise de l'Inserm supposée confirmer ces affirmations, ne nous impressionnent certainement pas, bien au contraire. Nous connaissons bien les travaux anglo-saxons et d'ailleurs, nous les épluchons quotidiennement. Ils ne sont pas forcément en faveur des traitements brefs et CC, et vont plutôt dans le sens d'une complexification des questions, que de leur réduction. Quand au scientifique, on ne saurait accepter d'en laisser réduire l'usage de cette façon.

Nous avons choisi, en créant techniques-psychothérapiques.org de mettre à la disposition des professionnels et du public concerné une documentation de fond, sur la base de travaux répondant aux exigences actuelles et ouverts, comme il se doit, à un perfectionnement méthodologique. Nous soutenons aussi que l'apport de la recherche n'a de véritable valeur que s'il est mis en tension avec la clinique et la pensée de ceux qui, depuis plus d'un siècle et au contact quotidien de leurs patients, "cherchent" à résoudre les problèmes qu'ils leur posent. Cette perspective ne disparaîtra pas demain, dans ce champ si difficile à pratiquer et à vivre que constitue la psychiatrie. C'est sur cette base que nous entendons bien participer au débat qui traverse la psychiatrie, ses modèles théoriques et ses pratiques professionnelles.

Désormais, chacun des arguments avancés dans la presse sous la forme de "déclarations d'experts" (par ailleurs si critiquées) , fera systématiquement l'objet d'une information et, si nécessaire, d'une analyse de fond. Évidemment, les éléments évoqués ci-dessus seront les premiers concernés, à l'exception toutefois de ceux qui sont tellement fantaisistes qu'ils n'appellent que le sourire.

Durant les vacances le site a bénéficié de profondes améliorations. Soutenu par une équipe renforcée, il est désormais conçu pour pouvoir assurer à la fois une veille permanente et aborder en profondeur tout ce qui concerne les recherches et les pratiques dans le champ des psychothérapies psychodynamiques. Qu'il soit clair à ce sujet que nous n'entendons pas travailler dans un champ "fermé" sur lui même, mais bien au contraire créer des connexions, avec bien entendu les autres modèles théoriques de la psychopathologie, mais également les champs connexes et associés comme les neurosciences, les sciences humaines et de la vie, et l'économie de la santé.

Ne manquez-donc pas ce débat en ligne, auquel vous avez la possibilité bien sûr de participer directement par vos réflexions et vos propres travaux.

PS. 22 09 2005. A la suite de la parution de cet éditorial, C André m'a informé - et nous en avons parlé ensemble - que ses interventions récentes dans la presse peuvent s'expliquer par le contexte agressif auxquelles sont soumises les TCC depuis un an. Il me prie de mettre à la disposition des lecteurs l'éditorial qu'il avait publié dans le JTCC de septembre 2004 et qui correspond davantage à sa perspective. Dont Acte.


1. D Servan-Schreiber. Guérir le stress, l’anxiété et la dépression sans médicaments ni psychanalyse" (édit. Robert Laffont)
2. P Légeron. La double exception française. JTCC décembre 2004 ; 14(4) : 154-155
3. D Servan-Schreiber. Du Prozac dans l'eau potable. Le Monde 31 août 2005
4 P Légeron. La double exception française, p 155
5. C André. Psychothérapies : revenir à l'essentiel. JTCC septembre 2004 ; 14(3) : 107-108
6. C André. cité dans L'express 05 09 2005
7. Le Figaro. 09 02 2005

Suite : 25 octobre 2005.

Dans l'éditorial de septembre, j'annonçais que désormais chacun des arguments à l'emporte pièce avancés dans la presse sous la forme de "déclarations d'experts", à propos de la psychanalyse et des psychothérapies psychananalytiques, ferait systématiquement l'objet d'une information et, si nécessaire, d'une analyse de fond. C'est l'objet de ce texte.

Le Dr Cottraux aime pontifier sur l'absence de résultats des psychothérapies psychodynamiques. Il n'a pas manqué de le faire une fois de plus au cours du débat qu'il a eu avec JD Nasio sur France Culture le 22 octobre 2005*.

Pourtant il sait très bien que cette affirmation est fausse dans l'absolu et il n'ignore rien du caractère relatif des résultats de l'approche qu'il entend promouvoir.
Ainsi, il connaît fort bien, pour avoir participé à l'expertise collective Inserm 2004, les conditions particulières suivant lesquelles a été réalisée l'évaluation des psychothérapies au cours des vingt dernières années (études expérimentales portant sur des troubles isolés, grossièrement décrits suivant une classification catégorielle impliquant également des variations importantes de sévérité, techniques décrites globalement, absence de prise en compte des facteurs individuels et de processus, études comparatives méthodologiquement très discutables**, etc.).
Dans ces conditions pourtant peu propices à l'étude des cas beaucoup plus complexes traités par les psychothérapies psychodynamiques - et ce contexte très agressif -, en ayant respecté une approche quasi naturaliste et ayant décrit soigneusement non seulement les interventions psychothérapiques, mais les modèles particuliers auxquels ils se référaient, les psychothérapies psychodynamiques ont des résultats et les études commencent à se multiplier depuis que les problèmes méthodologiques particuliers commencent à être maîtrisés [1].

Le Dr Cottraux ne s'en tient pas à cette affirmation générale erronée. Il se permet un petit exercice supplémentaire. D'un ton patelin, il ajoute, presque désolé, que les psychanalystes eux-mêmes reconnaissent cet état de fait. Il aime ainsi se recommander de Knight, précurseur de l'évaluation des psychothérapies puisqu'il a réalisé une publication très approfondie sur ce sujet en 1941. Ainsi, il annonce "tristement" que dans son étude "sur l'ensemble, 30 % abandonnent, et sur les 60% restant 30% ont été améliorés. Pas totalement inefficace mais faiblement". Il se trouve que nous avons traduit l'article auquel il se réfère. Chacun peut donc s'y reporter et constater que les chiffres de résultat n'ont aucun rapport avec ceux avancés [2].

Son autre référence est Fonagy. On sait que Fonagy s'est battu pour l'évaluation des psychothérapies et a réalisé en 2000 avec l'Association Mondiale de Psychanalyse un inventaire ouvert des études d'évaluation menées ("l'Open Door"). C'est un travail impressionnant, comprenant des centaines d'études et introduit par une analyse épistémologique de la question. Nous avons également traduit pour une grande partie ce rapport, le connaissons bien (évidemment) et chacun peut s'y référer [3]. Or que trouve t'on dans sa conclusion ? Effectivement, Fonagy reconnait d'abord qu'il n'y a aucune étude définitive "qui montre que la psychanalyse soit sans équivoque efficace relativement à un placebo actif ou à une méthode de traitement alternative". Mais il faut lire la suite, où il fait l'inventaire des problèmes méthodologiques qui grèvent la valeur de preuve des études réalisées. Cet inventaire sans concessions est important car il représente une sorte de check up des conditions à respecter pour accéder à la preuve. Et effectivement, cela a été utile puisque depuis cette date un certain nombre d'études portant sur les psychothérapies psychanalytiques ont été réalisées qui respectent ces critères et entrent donc dans le lot des "thérapies empiriquement validées".
Depuis également, Fonagy est revenu sur son enthousiasme pour les essais contrôlés randomisés et nous rejoint dans la critique qu'il en fait dans un chapitre important d'un ouvrage à paraître début 2006.

Dr Jean-Michel THURIN         

* http://www.radiofrance.fr/chaines/france-culture2/emissions/repliques/index.php?emission_id=14

** une des études auxquelles il a directement participé a fait l'objet d'une critique sévère concernant le choix des "psychothérapies" alternatives utilisées pour affirmer les résultats des TCC [4].

1.http://www.techniques-psychotherapiques.org/resultats/
2. http://www.techniques-psychotherapiques.org/documentation/articles/Knight1.html
3. http://www.techniques-psychotherapiques.org/documentation/psychanalyse/Opendoordefault.html
4. http://www.techniques-psychotherapiques.org/documentation/ExpertiseCollective/ArretsurImage4.html

 

 


Dernière mise à jour : 25/10/05 info@techniques-psychotherapiques.org