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Le site des recherches sur les psychothérapies psychodynamiques

Peut-on évaluer la psychanalyse ?

Jean-Michel Thurin, psychiatre et psychanalyste.

1. Quelle nuance faites-vous entre les psychothérapies psychodynamiques et psychanalyses ?

 

C’est une question compliquée qui a donné lieu à de nombreux débats. Actuellement, elle est abordée de différentes façons

 


D’après Gabbard 1994

 

2. Et selon vous, peut-on évaluer les deux et de la même manière ? Qu'est-ce qu'une psychanalyse aujourd'hui (est-ce une thérapie ? Dans ce cas que soigne-t-elle ? Son déroulement a-t-il évolué ?

D’abord, le fait que la psychanalyse soit une thérapie n’est pas nouveau. Rappelons la définition de Freud (1913) : « la psychanalyse est un procédé médical qui vise à la guérison de certaines formes de nervosité (névroses) au moyen d’une technique psychologique . ». Elle n’est pas qu’une thérapie. : c’est aussi une méthode d’investigation de la signification inconsciente des paroles, des actions, des productions imaginaires, d’œuvres, ainsi qu’un ensemble de théories psychologiques et psychopathologiques.
Il y a eu une longue période de comparaison de l’efficacité respective de la psychanalyse et de la psychothérapie et un des aspects les plus intéressants a été de montrer précisément que dans les états limites (troubles graves de la personnalité et psychoses latentes), la technique n’était jamais appliquée de façon « pure » dans la durée ( Kernberg, Wallerstein). Il y avait toujours, notamment pour les psychanalyses une variation de la technique impliquant une dimension plus soutenante ou plus interprétative. Et cela est bien compréhensible pour le praticien.
Récemment l’étude de Sandell en Suède a repris cette question. Les résultats ont été importants, tant avec la psychanalyse qu’avec les psychothérapies psychanalytiques. Concernant les symptômes, les patients en psychanalyse ont atteint un résultat très proche de celui du groupe « normal » qui servait de comparaison. En ce qui concerne l’ajustement social , les résultats étaient quasiment identiques. Mais il faut savoir que dans cette étude, les modalités du traitement, psychanalyse ou thérapie analytique de longue durée ont été choisies librement par les patients eux-mêmes. Par ailleurs, il s’est avéré que le facteur thérapeute intervenait directement dans les résultats, tant au niveau de leur style (la neutralité technique n’est pas un facteur optimisant) que de leur expérience. Enfin, la répartition suivant le fonctionnement psychique initial des patients n’est pas précisée. On nous avons vu que précisément c’est un élément essentiel dans le choix d’une technique par rapport à une autre. Ce fonctionnement va s’exprimer dans la motivation du patient de se comprendre, sa tolérance à la frustration, sa capacité de penser en termes de métaphore et d’analogie …

Pourquoi a-t-on autant tardé à évaluer la psychanalyse ?

En fait, la psychanalyse a commencé à être évaluée pratiquement dès son origine. On en trouve un premier bilan dans l’article de Knight (1941) qui plaide déjà pour que cette évaluation soit développée. Une autre revue majeure a eu lieu en 1991 (Bachrach) , par Barber et Lane en 1995, par Fonagy et al. en 2000 . et à l’occasion de l’expertise collective  (mise à jour permanente sur techniques-psychotherapiques.org. Fonagy et al. ont réuni pour l’Association Internationale de Psychanalyseplusieurs centaines d’études qui concernent plus généralement la recherche empirique en psychanalyse. Et si la méthodologie n’est pas toujours parfaite, ce qui fait que cette recherche reste pour une part ignorée, elle témoigne de l’intérêt qu’elle suscite dans des domaines très variés. Dans ce registre, il faut insister sur le travail extraordinaire qui a été fait dans le cadre de la clinique Menninger à propos des cas borderline.
L’évaluation de la psychanalyse et des psychothérapies psychanalytiques  a toujours été compliquée, ce qui explique que la méthodologie n’a jamais cessé de se sophistiquer, avec différentes phases (Wallerstein, Goldfried), si bien que les résultats des études anciennes ne sont plus véritablement reconnus aujourd’hui.

Les questions que pose l’évaluation de la psychanalyse ont été posées depuis son origine (ci-dessous tableau récapitulatif dans l’expertise collective, chapitre 5, p 74).

Freud, 1916 Difficulté de l’évaluation statistique à cause de la disparité des cas, de l’intervalle trop réduit entre l’évaluation et la fin de la thérapie pour affirmer qu’il s’agit de guérisons durables, de l’identification potentielle des cas publiés, de l’irrationalité qui accompagne ce qui concerne la thérapeutique.
Coriat, 1917 Il est essentiel de considérer le type de cas qui correspond le mieux à la psychanalyse, de définir des critères permettant de définir la « guérison » dans ces différents types de cas, la durée du traitement et comment les résultats sont analysés.
Jones, 1936 Sur quels critères mener l’évaluation ?
Alexander, 1937 Il existe de nombreuses difficultés pour l’évaluation :
- la durée longue des traitements psychanalytiques 
- la difficulté d’enregistrer des centaines de données et des centaines d’heures passées avec des patients variés
- le caractère moins tangible des symptômes en psychopathologie, leur importance secondaire par rapport à des désordres encore moins tangibles de la personnalité
- la disparition de symptômes manifestes et bien définis ne peut être utilisée comme un signe de résultat que dans un nombre limité de cas 
- les critères pour juger les résultats thérapeutiques sont nécessairement vagues et abstraits et requièrent un jugement subtil et expert 
- les critères standard d’un tel jugement manquent 
- les cas traités par la psychanalyse sont très complexes et diversifiés, et incluent souvent un grand nombre d’entités diagnostiques 
- les cas dans une catégorie diagnostique peuvent présenter différents niveaux de sévérité
Knight, 1941 La psychanalyse peut-être (et est) utilisée par des analystes avec différents degrés d’expérience et de compétence. Elle reste une procédure thérapeutique relativement non standardisée.
Tout rapport des résultats thérapeutiques est ainsi issu de différents individus psychanalystes ayant des degrés d’expérience et d’habileté technique différents avec des cas de sévérité différente.
Concernant la nosologie, comment situer les cas « mixtes » ?

Certaines des difficultés demeurent : les patients sont disséminés, les cas sont complexes et diversifiés, et il est donc difficile de constituer des groupes homogènes, la psychanalyse ne se centre pas sur les symptômes (qui se déplacent), mais sur le fonctionnement. Pourtant, force est de constater que peu à peu la plupart de ces problèmes ont trouvé leur solution.

Certes, cela a pris beaucoup de temps de (commencer à ) codifier le fonctionnement. C’est plus difficile que de codifier les symptômes. Mais aujourd’hui, il existe des instruments qui permettent de mesurer les mécanismes de défense, les structures d’attachement, le niveau des relations interpersonnelles, le thème relationnel conflictuel central (en relation avec le transfert), Il est également difficile de donner une description opératoire de certains concepts. Par exemple, l’interprétation recouvre toute une palette d’interventions qui vont de la reformulation, à l’interprétation à proprement parler (décrire la  signification inconsciente d’un symptôme).
 La plupart de ces instruments sont maintenant traduits en français ou sont en cours de l’être. Il existe également des instruments permettant de saisir le processus (le patient, le thérapeute et sa technique, leur interaction dans la cure) (Jones, Waldron, notamment).

 

Instruments d’évaluation des changements psychodynamiques
Dimensions et aires psychologiques multiples
- McGlashan semistructured interview (MSI ; Goin et coll., 1995)
Échelles de changement dans les psychothérapies dynamiques (Hoglend et coll., 2000)
- Karolinska psychodynamic profile (KAPP ; Weinryb et Rössel, 1991)
- Minnesota multiphasic personality inventory (MMPI)
Relations interpersonnelles
- Inventory of interpersonal problems – circumflex version (IIP) (Horowitz et coll., 1988 et 1993)
- Core conflictual relationship theme (CCRT ; Luborsky, 1977)
- Adult attachment interview (AAI ; Main et coll., 1985)
Tolérance affective (Monsen et coll., 1995)
Mécanismes de défense et capacités psychologiques
- Defense mechanism rating scale (DMRS ; Perry, 1991)
- Scales of psychological capacities (SPC ; DeWitt et coll., 1991)

Nous sommes arrivés à un moment où la recherche en psychanalyse est potentiellement opérationnelle sur des bases qui soient communes avec celle qui sont en usage dans la communauté scientifique. Mais cette maturité ne doit pas laisser penser que l’évaluation de la psychanalyse et des psychothérapies psychanalytiques a commencé récemment. Il suffit pour s’en rendre compte de se référer au bilan des études qui a été réalisé par
Il reste des difficultés. Le fait que la recherche sur les psychothérapies soit traditionnellement mal financée (ceci est sans doute encore plus vrai en France qu’ailleurs) en est une. Il y a aussi beaucoup de résistance dans la profession elle-même (cette situation ne se rencontre pas qu’en France, cf par exemple Bachrach, Waldron, Vaughan, Wallerstein à ce sujet…). Beaucoup de cliniciens n’ont aucune culture de la recherche et s’en méfient. Ils pensent qu’on va les évaluer eux-mêmes, dire s’ils sont bons ou mauvais alors que le thérapeute n’est que l’un des facteurs et qu’en tout état de cause qui pourrait affirmer qu’il n’a pas été en difficulté avec certains patients ? Le résultat d’une thérapie ne dépend pas que d’eux. Il y a beaucoup de variables qui entrent en jeu, parmi lesquelles celles qui viennent de l’environnement (incluant l’accès au soin) et du patient lui-même (sa motivation à une période donnée, la gravité de son cas). Il faut en finir avec l’idée, le mythe qu’il existerait un modèle idéal de psychothérapie : chaque clinicien cherche la méthode la plus appropriée en fonction du cas qui se présente à lui.

3. Est-ce que des études d'évaluation des psychanalyses et des psychothérapies psychodynamiques ont été faites récemment à l'étranger ? Et quels ont été les résultats ?

Même si elles sont encore relativement nombreuses, les études sur les psychothérapies psychanalytiques répondant aux critères actuels d’excellence ont eu tendance à se multiplier ces dernières années, en dépit du fait que la méthodologie ne leur soit pas adaptée . On peut distinguer deux sortes d’études : celles qui rentrent dans la durée limite des essais contrôlés, c’est à dire 12 à 18 mois et celles dont la durée n’est pas initialement limitée.

Pour les premières, il est logique que ce soient sur les troubles de la personnalité que les études soient les plus nombreuses, du double fait que ces troubles font traditionnellement partie de l’approche psychanalytique et que d’autre part ils ont été distingués dans la classification du DSM qui a servi de base de référence pour la définition des troubles dans les recherches. Ce sont dés études récentes : pratiquement les deux tiers des études concernant les troubles borderline ont été publiés dans les cinq dernières années. Mais on trouve également des études qui portent sur la dépression, les troubles paniques et états de stress post-traumatiques, les troubles des conduites alimentaires, les addictions .
Il est important de signaler que ces études  ont été réalisées dans des conditions quasi naturelles, ce qui est loin d’être le cas général. Une autre spécificité de ces études est que le modèle théorique auxquelles elles se réfèrent est explicité, ce qui est indispensable dans la perspective d’un processus thérapeutique et d’une stratégie pour l’atteindre. Cela peut conduire même à comparer des modèles théoriques et des approches différentes pour un même trouble. Ainsi par exemple, on a pu évaluer les effets d’un traitement de patients borderline suivant l’approche de Kernberg  « centrée sur le transfert » ou celle de Meares qui insiste beaucoup sur le rétablissement d’une sécurité de base  nécessaire à la possibilité de penser et de se représenter.

Pour les psychanalyses et psychothérapies longues, plusieurs types de recherches ont été menées :

 

4. Quelle autre méthode que l'EBM peut être utilisée pour les thérapies de l'âme ?

Deux méthodologies de recherche ont guidé l’évaluation des psychothérapies ; l’essai contrôlé randomisé et l’étude naturaliste ou quasi-expérimentale. La méthodologie de l’essai contrôlé est centrée sur la preuve qu’une intervention psychologique (par exemple un traitement psychanalytique) a un  effet sur un groupe particulier de patients et que cet effet ne  se retrouve pas de façon semblable en l’absence de traitement.  La construction de l’étude, y compris la répartition aléatoire des patients dans les groupes, a pour objectif de s’assurer que les différences observées peuvent être attribuées sans ambiguïté à l’influence de la  variable indépendante (le traitement).  Mais cela se fait au détriment de nombreuses conditions dans lesquelles la psychothérapie se déroule normalement  (revue dans  Thurin et Briffault, 2006). Afin de résoudre ce problème, des études ont été réalisées en milieu naturel, comme celle de Seligman (1996), mais on est dans la situation inverse de la précédente : de nombreux facteurs externes (événements, autres interventions thérapeutiques ou de l’entourage, …) sont susceptibles d’intervenir sur les résultats sans qu’ils soient contrôlés.

On pourrait se dire qu’il suffit d’associer les deux méthodes – expérimentale et naturaliste - pour parer à tous ces inconvénients, et cela a effectivement été fait. Cependant il reste un problème majeur qui est que ces études ne donnent que des valeurs moyennes de résultat et ne répondent pas à la question de l’efficacité du traitement pour un patient particulier.
La solution est alors de croiser les valeurs moyennes avec celles de cas isolés soigneusement décrits. C’est ce que permet l’analyse pragmatique de cas, pour saisir l’influence des différents facteurs qui lui donnent sa  spécificité. Elle est initiée avec des cas individuels isolés qui sont graduellement agrégés jusqu’à  constituer une importante base de données, qui permet de faire usage de l’expérience antérieure (Fishman, 1999) et de concevoir des modélisations. Cette information peut être à son tour utilisée à propos de nouveaux patients.
On ne parviendra jamais à déterminer complètement l’ensemble des facteurs qui font qu’une psychothérapie marche ou pas, mais on peut en tout cas dès à présent affirmer que le fait de se contenter d’une approche : « telle thérapie (prise globalement) va fonctionner sur tel trouble (défini globalement) » risque fort de passer à côté de caractères essentiels, comme par exemple le type de personnalité du patient, le type de relation engagée, le contexte familial ou social, etc, qui sont des déterminants essentiels. C’est ce qu’a démontré l’étude la plus ambitieuse et la plus contrôlée dans le domaine de la dépression, celle du NIMH dans les années 85. Il s’agit donc de mieux connaître certaines variables qui ont avoir de l’importance, au moins dans certains cas et que ces éléments soient au cœur de la pratique.

Si on en restait à des cas isolés, on ne pourrait pas sortir de la diade patient-thérapeute, alors qu’il existerait des logiques plus générales de succès ou d’échec qui ne seraient pas repérées. Par exemple, on s’est aperçu relativement récemment de l’importance de la flexibilité des psychanalystes en fonction des besoins de leurs patients plutôt que leur adhésion à une neutralité technique, dans les résultats.

Le problème  est alors, à partir de ce qui semble constituer une multitude de pratiques différentes s’adressant à des patients différents, de dégager une certain nombre de facteurs et d’ingrédients qui participent d’une communauté d’approche tout en étant plus ou moins mis en jeu, du moins à certains moments. L’idée générale est ainsi que les psychanalyses ou les psychothérapies psychanalytiques de certains patients présentent certaines caractéristiques communes et que certains facteurs repérables font qu’elles marchent ou pas. Le début d’une psychothérapie psychanalytique est par exemple un moment très délicat, et encore davantage avec certains patients, Pouvoir mettre les expériences en commun peut-être d’une très grande utilité pratique et apporter des connaissances précieuses.

Les principes généraux étant posés, quelle est la démarche plus en détail ?  A partir des cas isolés (qui vont donc participer ensuite à alimenter la base de données) plusieurs types d’études peuvent être réalisées en associant l’analyse des résultats à la connaissance du déroulement de la psychothérapie. Ce déroulement peut lui-même être envisagé de différentes façons.

La première est celle de sa courbe de déroulement. Howard et al. (1996) ont démontré plusieurs choses : d’une part, il existe un effet « dose » de la psychothérapie (les résultats dépendent du nombre des séances). Mais cet effet dose évolue en fonction de la phase de la psychothérapie. Ainsi Howard et al. ont décrit et démontré la succession de trois phases : soulagement de la souffrance, réduction des symptômes et amélioration des fonctionnements. Les résultats des phases 1 et 2 sont atteints assez rapidement ; la troisième phase va dépendre de la gravité , de l’étendue et de la durée de l’atteinte fonctionnelle. Par rapport à une courbe moyenne, on peut donc voir que la psychothérapie ne démarre pas vraiment, ou qu’à un certain stade, elle stagne. Mais cela donne un représentation également que certains effets sont faciles à atteindre, alors que d’autres, qui conditionnent réellement l’avenir de la santé de la personne demanderont plus de temps.

 

 

 

D’après Lutz (2002)

Cette première approche est assez grossière. Elle a été modulée dans un second temps en fonction de l’évaluation initiale. En effet, suivant le niveau subjectif de détresse et de difficulté du patient, ses symptômes actuels, son niveau global de fonctionnement, les thérapies antérieures qu’il a suivies, l’antériorité de ses problèmes, ses attentes d’amélioration, … se définit un profil du tempo de l’amélioration que l’on peut attendre.

Cette précision ne prend toutefois pas vraiment encore en compte le processus du traitement, c’est à dire les interactions entre le patient et le thérapeute et sa technique. Elle ne renseigne pas non plus sur les dimensions de la personne qui s’améliorent  plus ou moins que d’autres (par exemple, les relations interpersonnelles et la capacité d’associer continuent à poser des problèmes importants alors que par ailleurs les symptômes les plus voyants se sont améliorés). On entre alors dans un deuxième type de méthodologies qui réclament d’autres instruments et méthodes de traitement.
Pour le premier aspect, on a globalement deux façons de procéder :

Pour le second, il existe des instruments dimensionnels de fonctionnement, comme l’échelle de fonctionnement psychodynamique de Hoglend et avec un peu moins de précision l’ESM de Luborsky.

Les approches que je viens de décrire ont commencé à être mises en œuvre. Par exemple, la base de données d’Ulm en Allemagne a été créée dans les années 80-90 et elle réalise des analyses textuelles de psychothérapies psychanalytiques et de psychanalyses . Elles concernent par exemple les thèmes, les associations, les actes de langage, les caractéristiques d’une période de résistance Cette base est accessible aux chercheurs (les textes sont anonymisés) et son utilisation est soumise à des règles très strictes de confidentialité.  Elle reçoit des textes de diverses provenances, d’Allemagne, mais également des Etats-Unis.  Suivant une méthode d’analyse de contenu, nous avons nous-même réalisé une recherche Inserm à partir d’un corpus de rêves qui se terminaient souvent par un réveil avec cris, en concevant une méthode d’analyse linguistique associée à  une approche psychanalytique des contenus.
Les études du groupe de Howard, qui s’inscrivent dans une perspective différente, sont parties des données de centres cliniques qui réalisaient des évaluations au début du traitement et dans certains cas au cours du traitement (Lutz et al., 2001).
Récemment, D Fishman qui avait lancé un projet très avancé dans ce domaine en 1999, a créé une revue en ligne d’articles d’études de cas systématisées et de méthodologie  de l’étude de cas (présentation par X Briffault dans Pour la recherche). Notre groupe travaille actuellement sur la mise en place d’une base pouvant accueillir des données quantitatives et qualitatives à partir d’études de cas systématiques.

Dans une perspective différente de celle que nous venons de développer (étude prospective , avec suivi de l’évolution, analyse de la situation et éventuelle modification de l’approche si cela ne fonctionne pas), on peut également citer la méthode d’évaluation rétrospective de Pfeffer. Cette méthode consiste en une série de quatre à six entretiens hebdomadaires relativement non structurés conduits par un analyste autre que l'analyste traitant, plusieurs années après la terminaison. Les entretiens sont étudiés au niveau des données relatives à la symptomatologie, aux manifestations de transfert, et à leur résolution. Un résumé est écrit par l'analyste de suivi, qui est comparé à un compte préparé indépendamment par l'analyste traitant.
Comme nous l’avons signalé plus haut, une approche de ce type a été utilisée récemment par l’Association psychanalytique allemande  (Leuzinger-Bohleber, 2002, résumé dans expertise collective)

5. Concernant votre étude pilote, dans quel cadre est-elle menée ? Quel est son but ?

Notre étude part d’un groupe de cliniciens-chercheurs, membres de l’Ecole de psychosomatique, association d’interface sciences humaines – biologie au sein de laquelle a déjà été réalisée il y a quelques années une recherche sur « Analyse descriptive et comparative des rêves au cours d’une psychothérapie » dans le cadre d’un contrat national d’étude pilote Inserm. Nous y avons abordé leur fonction et leur évolution, avec l’idée que c’était aussi une façon d’évaluer les effets  d’une psychothérapie, notamment à partir de la distance du rêveur par rapport à des scènes traumatiques, distance à la fois affective et symbolique. Cela a représenté un important travail et D Widlöcher avait déjà accepté, comme pour cette seconde recherche dans ce domaine, d’être notre consultant. Après l’expertise collective, il nous a paru indispensable d’essayer de répondre à l’incroyable déficit de recherche sur les psychothérapies psychanalytiques en France, en utilisant au mieux le travail d’analyse des multiples études que nous avons disséquées dans leurs moindres détails, mais en trouvant aussi le moyen de dépasser les limites évidentes dont elles souffraient. 

Sur la base des recommandations pour une nouvelle génération de recherches qui s’exprimaient dans toute une série d’articles, nous sommes partis d’une idée originale de Daniel Fishman, publiée dans « Prevention and Treatment », qui est de réaliser des études de cas empiriques, en situation naturelle [ ]. La proposition de Fishman n’était pas très détaillée, elle s’est soldée d’ailleurs  pour le moment par le développement d’un journal en ligne, mais elle renvoyait à un travail que nous avions initié il y a déjà quelques années à propos de l’utilisation scientifique du cas singulier, en référence en particulier aux travaux de Kazdin (1982, 2002, 2004).
Nous sommes ainsi en train de développer la mise en place d’une base de données de cas, informatisée, dans laquelle on pourrait collecter des cas recueillis par des  praticiens dans leur situation usuelle de pratique, avec un protocole très systématisé. Ce protocole que nous avons présenté à partir d’une étude pilote prend en compte à la fois le diagnostic initial, avec différents éléments diagnostiques, les différents éléments de résultats de la thérapie, et le processus entre les deux. L’approche diagnostique est vraiment psychopathologique, au sens classique du terme. Les premiers entretiens sont pris de façon intégrale, ils sont notés ou tapés directement ou très rapidement . Ces entretiens sont transmis pour analyse aux membres d’un groupe de pairs, trois ou quatre personnes qui vont avoir à répondre à trois questions : quel est le diagnostic psychopathologique que vous faites, quelles sont les objectifs que vous vous donnez pour cette psychothérapie, et quel est la stratégie pour les atteindre ? À partir de là, il y a une réunion des membres du groupe de pairs qui aboutit à une formulation de cas. Nous sommes là dans la situation de l’expérience clinique du clinicien sauf qu’au lieu de faire ça tout seul et de le faire de façon non formalisée, il confronte son opinion à celles d’autres praticiens.
Ces éléments-là étant recueillis et construits, le corpus est soumis d’une part, à l’échelle santé maladie de Luborsky, et d’autre part à une catégorisation DSM de façon à ce qu’on ait les trois niveaux de diagnostic qui donnent à la fois une dimension qualitative approfondie du cas, des éléments quantitatifs et catégoriels qui permettent son entrée dans des études plus générales.

Nous réunissons ainsi à la fois une approche qualitative, issue de la richesse de l’entretien verbatim et de la confrontation entre pairs, et une approche quantitative en soumettant notre corpus à plusieurs outils systématiques, ceux destinés à l’évaluation des résultats et ceux destinés à l’analyse du processus, à savoir le Psychotherapy Process Q-set (PQS) d’Enrico Jones et les échelles de fonctionnements psychodynamique de Hoglend, dont nous avons réalisé la traduction. L’idée n’est pas de décrire tout ce qui se fait, mais de déterminer quels sont les ingrédients actifs,  et des variables  intermédiaires qui définissent le patient et le thérapeute de façon à pouvoir dire que c’est une psychothérapie qui à cette phase-là est plutôt de type psycho dynamique, de type comportemental ou de soutien, etc, et quel est à ce stade l’état et le niveau de fonctionnement du patient. En effet les psychothérapeutes dans la réalité ne font pas forcément uniquement ce qui relève de leur théorie de référence.

La comparaison avant-après de l’état du patient et la description des principales caractéristiques de la psychothérapie tous les trois mois durant un an permet au clinicien de se faire une réelle idée de l’évolution qui s’est produite et de la façon dont elle s’est déroulée. C’est le premier niveau de la recherche, une étude processus-résultat sur des cas isolés systématiques.

Étant donné que c’est la même structure qui est appliquée à chacun des cas, nous supposons qu’ensuite il va être possible de faire de la recherche inductive. C’est-à-dire de constituer et d’observer a posteriori des groupes de cas similaires, avec une notion de similarité qui dépend de ce qu’on veut rechercher : questions et problèmes similaires, diagnostic similaire, processus similaire, résultats similaires ou non similaires ….
On peut constituer ainsi des groupes quasi expérimentaux à partir desquels il devient possible de faire des comparaisons à différents niveaux. Nous supposons que cela va dépasser les limites des essais contrôlés randomisés. La question est évidemment que cela repose sur la constitution d’une base de cas conséquente, ce qui nécessite une participation importante des praticiens. Une des questions qui se pose est celle des enregistrements (ils ne sont pas indispensables, mais très utiles pour appréhender le style et l’ambiance de la psychothérapie). Au niveau des premiers entretiens, ils nous paraissent difficiles à réaliser. En revanche, quand les patients sont là depuis un mois ou deux, cela ne pose aucun problème.

Comment sélectionnez-vous les patients qui participent, prenez-vous des cas "types" correspondant à quel type de troubles (et combien sont-ils en tout : six ou plus ?).

Notre  premier objectif a été de nous assurer de la faisabilité d’une étude répondant aux exigences d’excellence scientifique et respectant les conditions naturelles de traitement. Nous avons constitué un groupe de trois cliniciens, associés en groupe de pairs, qui prendraient des notes les plus complètes possibles des premiers entretiens des deux premiers cas qui les consulteraient et s’engageraient ainsi dans la méthodologie que nous avions élaborée. Il n’y a donc pas eu de  sélection d’un trouble particulier. L’étude était prévue pour durer un an, avec l’objectif d’en présenter les conclusions au cours d’un colloque organisé sur l’évaluation des psychothérapies par le CEREP, ce qui a effectivement été réalisé.

Comment est établi le diagnostic de départ (par plusieurs psychanalystes ou un seul ? Qui définit le profil thérapeutique du patient ?

L e diagnostic (formulation du cas) est donc établi à plusieurs. Un échange a lieu à propos des objectifs thérapeutiques envisagés par le clinicien et la stratégie pour les atteindre.

Comment est évalué le degré d'investissement du patient, le rapport avec le thérapeute ?

Il s apparaissent bien avec le PQS, notamment au niveau des prises de parole, des thèmes abordés et de la façon dont ils le sont. Certaines questions sont spécifiques, par exemple nous avions indiqué dans les résultats de notre étude que "la thérapie est entrée dans un processus psychodynamique psychanalytique et passée d’une technique de soutien à une technique interprétative", à partir de différents items du PQS sur une période de 1 an :

Item 17. “Le thérapeute exerce un contrôle actif sur l’interaction" à un an (+4 alors que la première est dans le - et la seconde +1)
Item 36. “Le thérapeute pointe l’utilisation des mécanismes de défense"  +4 à la dernière séance, alors qu’il n’en était pas question à 2 mois (0) et que c’était même dans le -3 à 6 mois
Item 62. “Le thérapeute identifie un thème récurrent" à un an +3 alors que dans la première évaluation cette cotation est faible +1 et nulle à 6 mois

Ce fonctionnement se situait en contraste avec  la situation initiale pour les items précédents, mais également pour l’item

Item 45.  Le thérapeute adopte une attitude de soutien" dans la première séance légèrement cotée +1 alors que dans les deux autres évaluation cet item est relevé dans les moins

Comment est décidée la thérapie (choix concerté, entre quoi et quoi ?)

La décision thérapeutique est l’aboutissement de la formulation de cas. On peut ainsi concevoir un traitement pharmacologique ou social, ou une psychothérapie d’un type ou d’un autre, associée ou non à un traitement médicamenteux. Cette décision justifiée non pas seulement par un diagnostic catégoriel mais par une véritable appréciation psychopathologique et contextuelle du cas permet d’envisager des études comparatives. Elle ouvre, pour les cas dont l’indication est une psychothérapie sur la seconde étape qui est celle de la caractérisation de la psychothérapie et de son processus et à l’évaluation de ses résultats.

Quand refait-on un bilan ?

A 3 mois, 6 mois, 9 mois et un an

Comment ? A quoi servent ces bilans ?

Ces bilans servent à plusieurs choses. Déjà, ils permettent de suivre une évolution. Le patient a-t-il progressé et dans quelle proportion ? C’est l’étude classique de résultats. Mais aussi, cette évolution est-elle homogène ou non, et pourquoi ? Cela renseigne sur les points qui sont les plus difficiles à modifier et donc à rechercher pourquoi ils le sont ? Est-ce que cela vient  de problèmes particulièrement profonds et ancrés du patient, ou bien de la relation thérapeutique  qui ne prend pas les bons moyens de les aborder ? il ne  s’agit donc pas simplement d’une réflexion théorique, mais aussi d’un abord pratique.

A la fin de la thérapie (qui décide de la fin ?), qu'évaluez-vous ?

La fin de la thérapie est l’objet d’une décision commune entre le patient et le thérapeute (je veux dire que ce sont des thérapies dont la fin n’est pas décidée à l’avance). Elle ne correspond pas nécessairement avec la fin de l’étude, du moins de sa première période que nous avons fixée à un an, avec des suivis secondaires à 6 mois et 1 an

Quelles sont les modalités de travail du groupe de pairs et comment envisagez-vous la réunion de leur travail dans une base de données ?

Les modalités de travail du groupe de pairs sont favorisées par les conditions techniques d'aujourd'hui. Ainsi, le travail peut s'échanger par mails, des réunions peuvent se faire par vidéo-conférences et des rencontres ont aussi lieu régulièrement. Avant chaque réunion, chacun des participants travaille séparément à la réflexion sur le cas et à la passation des instruments. Une des personnes du groupe centralise les résultats sur un site. Tous les résultats deviennent ainsi accessibles à chaque chercheur. La réunion ainsi préparée, peut s'effectuer afin de confronter les points de vue et de finaliser les résultats, qui à leur tour sont mis sur le site.

Pour la suite de la réunion de l'ensemble de tous les résultats de tous les groupes de pairs, un des membres de notre équipe travaille spécifiquement  sur le  développement de la base de données .

Dr Jean-Michel Thurin. 13/02/2006


Notes

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Chapitre 4, pp 50-51

Le traitement psychanalytique d’un patient borderline ne se conçoit pas et ne se met pas en œuvre comme celui d’un patient obsessionnel ou hystérique. Dans le premier cas par exemple, le cadre et la sécurité de base, qui sont les conditions de la possibilité d’un travail psychothérapique, ne se limitent pas aux règles analytiques classiques. Ils impliquent directement la capacité du thérapeute à faire face à des mouvement transférentiels intenses, notamment au début du traitement où ils ont pour fonction de tester la solidité du cadre. Mais les objectifs du traitement sont également différents. Ils sont davantage centrés sur le développement de la subjectivité  et l’aménagement des relations interpersonnelles. L’évolution des mécanismes de défense primaires tels que le passage à l’acte (mutilation, violence…) vers des modalités plus matures est également un objectif très important, alors que la psychanalyse classique s’intéresse surtout aux mécanismes de défense élaborés (refoulement des pulsions, déplacement, conversion). Les troubles de l’attachement, de la tolérance à la séparation, de l’insécurité structurelle, s’expriment chez le patient borderline dans une difficulté de la mentalisation (capacité de penser sur soi en relation aux autres et de comprendre l’état d’esprit des autres). La capacité à penser seul, à rêver n’est pas la même chez lui que chez un névrosé classique De ce fait, le face à face est indiqué dans la mesure où la réalité psychique nécessite quasi structurellement une intersubjectivité directe, qui garantit la sécurité de base et permet une activité mentale nécessaire à la constitution du moi et où. Le nombre de séances est généralement moindre (2-3 séances par semaine) que dans le cas d’une psychanalyse type (3-5).

http://www.spp.asso.fr/Spp/Colloques/ColloquesOuverts/2006/

  Freud S. L’intérêt que présente la psychanalyse. Œuvres complètes XII, p 99.

Fonagy P, Hkächele H, Krause R, Jones E, Perron R. An Open Door Review of Outcome Studies in Psychoanalysis. IPA. http://www.ipa.org.uk . Traduction française JM Thurin, B Lapeyronnie, M Villamaux. http://www.techniques-psychotherapiques.org/documentation/Psychanalyse/Opendoordefault.html

expertise collective, chapitre 5, p 80.

  Expertise collective, chapitre 6, pp 105-165.

  Voir à ce sujet www.techniques-psychotherapiques.org/resultats

  On trouve une référence à une initiative du même ordre émanant du Committee on Scientific Activities de l’American Psychoanalytic Association qui finalement préféra constituer un consortium indépendant sous la direction de Alice Brand Bartlett, Robert Galatzer-Levy, Leonard Horwitz, George Klumpner, Lester Luborsky, Nancy Miller, Sherwood Waldron Jr. and Robert Wallerstein. Voir à ce sujet S Waldron : http://ourworld.compuserve.com/homepages/sherwood_waldron/prcdesc.htm

n3

 


Dernière mise à jour : 10/04/06 info@techniques-psychotherapiques.org