..Janet
..Alexander..Bowlby..Cannon.......Kandel......Edelman..JamesClérambault.....Freud....Lacan...Lebovici....Klein...Jung...Bion
           

Site consacré aux Recherches fondées sur les pratiques psychothérapiques

Éditorial Juin-Juillet 2020

Un nouveau regard sur le neuro développement

Jean-Michel THURIN.
Psychiatre-Psychanalyste, Dr Sciences Cognitives. CESP Inserm 1018.

La Journée Recherche CIPPA, organisée le 5 octobre 2019 dans le cadre du Réseau de recherches fondées sur les pratiques psychothérapiques et annoncée dans l’éditorial d’Avril 2019 [1], a été très largement suivie (400 personnes). Un enchaînement d’interventions a présenté comment une évaluation rigoureuse des psychothérapies de 66 enfants autistes avait pu être réalisée dans des conditions ordinaires de pratique et ce que pouvait apporter une méthode particulière d’étude observationnelle, l’analyse qualitative micro séquentielle centrée sur le processus de changement. Cette présentation a été réalisée à partir du déroulement sur une période d’un an de la psychothérapie d’un des enfants, Léo âgé de 6 ans.

Une discussion avec la salle et un panel de discutants a abordé quelques points centraux : l'interprétation d'un comportement durant une séance suivant le point de vue du thérapeute, mais aussi ce que pourrait être celui de l'enfant, l'objectivité qui en découle quand la séquence est portée à l'extérieur ; ce que les instruments permettent ou non de saisir ; la dimension de la génétique ; la méthodologie de l'analyse phénoménologique ; l'efficacité relative des interventions portant sur l'interaction ou sur les symptômes, etc. ...). La critique de l’un d’entre eux, en fin de journée, portant sur l’ « entre soi » des cliniciens d’orientation psychanalytique a pris une importance inattendue.

Le fossé, plutôt dépassé, séparant l’approche cognitivo comportementale d’orientation neuro biologique et l’approche psychodynamique d'orientation développementale interactionnelle laissant l’initiative à l’enfant est ainsi brutalement réapparu, alors même que la méthodologie générale validée par l’Inserm avait permis de l’éviter pendant 15 ans et que l’attention des coordinateurs était vigilante sur ce spectre que l’on croyait assoupi.

Une orientation avancée plus tôt par le discutant (d’orientation physiologique) pour le réduire était l’utilisation d’un langage commun, avec l’abandon des concepts de l’orientation psychodynamique et la remise en question générale de l’explication du changement constaté, telle qu’elle ressortait de l’attitude, des comportements et des interventions orales de la thérapeute de l'enfant, soigneusement notées à chaque séance. La possibilité que certaines présentations, réalisées dans un langage et une conceptualisation potentiellement hermétique, aient pu favoriser le vécu d’ « entre soi » et d’exclusion dont témoignait le discutant n’était pas à éliminer complètement.

La démesure de cette intervention inattendue et ses conséquences pour les actions ultérieures de recherche incluant l’orientation psychodynamique nous ont conduits à une réflexion de fond.
La psychanalyse était-elle condamnée à rester un monde à-part, la modernité étant située assez artificiellement du côté du neuronal et nous ramenant ainsi aux débats de la fin du 19 ème siècle sur la cause neuronale ou psychologique des troubles traumatiques consécutifs aux accidents ferroviaires ? Ne fallait-il pas plutôt essayer de réarticuler le débat à partir des connaissances sur l'esprit (projection, oubli, rêve, intentionnalité, désir, agressivité, réaction, ...) issues de la pratique et du quotidien ? Car, qu'on le veuille ou non, nous sommes au plus près du fonctionnement de l'esprit, du moins dans les situations de souffrance psychique et dans celles où l'interaction entre le patient et le thérapeute conduit à un changement. Ce changementt opère non seulement dans le registre de la sédation des troubles, mais encore de celui du développement et de la vie.

Dès lors, comment rouvrir cette orientation ?

- Les deux articles de Kandel publiés en France en 2002 sont un premier appui. Évoquant une situation analogue rencontrée aux EU, ils proposent "Un nouveau cadre conceptuel de travail pour la psychiatrie" [2] et “ Le développement d’une relation plus étroite de la psychanalyse avec la biologie en général et les neurosciences en particulier. Comme la psychanalyse ne s’est pas reconnue elle-même comme une branche de la biologie, elle n’a pas incorporé dans la perspective psychanalytique de l’esprit la riche moisson de connaissances concernant la biologie du cerveau et son contrôle du comportement qui ont émergé durant les cinquante dernières années" [3].

Le premier article présente en détail les bases de l’épigénétique à l'élucidation de laquelle Kandel a directement participé. Il détaille la relation esprit-cerveau pour les biologistes à partir de cinq principes dont les éléments principaux peuvent être résumés de la façon suivante :

Le second article porte une attention particulière aux relations de la mémoire procédurale et de la mémoire déclarative, et aux conséquences des expériences précoces sur cette relation. Il présente huit domaines où biologie et psychanalyse pourraient coopérer : 1. la nature des processus mentaux inconscients ; 2. la nature de la causalité psychologique ; 3. la causalité psychologique et la psychopathologie ; 4. l’expérience précoce et la prédisposition à la maladie mentale ; 5. le préconscient, l’inconscient et le cortex préfrontal ; 6. l’orientation sexuelle ; 7. la psychothérapie et les modifications structurales dans le cerveau ; 8. la psychopharmacologie comme adjuvant de la psychanalyse.

Son article se termine avec trois recommandations :

- L’ouvrage d'un autre prix Nobel, Gerald M. Edelman Biologie de la conscience [5] sera notre second appui de départ. Je garde le souvenir de la standing ovation extrêmement longue de milliers de participants qu'il a partagée avec E. Kandel au cours du congrès de l’Association américaine de psychiatrie en 2000. Son livre, très didactique, nous semble apporter des qualités complémentaires à la démarche de Kandel par son ouverture sur les différentes disciplines qui composent le champ des neurosciences. Le pont est cette fois étayé par des disciplines comme la physique, la linguistique, la philosophie et la présentation générale sera peut-être plus accessible pour les sciences humaines et sociales que l'abord de la biologie par la génétique. D'autre part, introduire l'esprit comme un des maillons de la chaîne du développement des espèces, dédramatise le débat entre idéalisme et matérialisme.

L’argument général d’Edelman est le suivant : « Si nous ne parvenons pas à comprendre comment l’esprit se fonde sur la matière, il subsistera toujours un immense abîme entre nos connaissances scientifiques et nos connaissances de nous-mêmes ». Avec cet objectif, il se propose de décrire une théorie biologique qui rende compte de la façon dont nous en sommes venus à avoir un esprit.

Adoptant un abord plus ouvert sur le psychisme que celui que semble prendre actuellement le concept « neuro développemental », il apporte une base particulièrement intéressante pour aborder des sujets et des questions en manque de réponses.

La question du développement, associée à celle de l’évolution des espèces, situe l’esprit comme un processus particulier qui dépend de formes particulières d’organisation de la matière. Elle est menée en considérant les différents niveaux d’organisation des systèmes cérébraux, du moléculaire à la communication qui participent à la biologie, en y intégrant les interactions psychoaffectives et le contexte qui interviennent dans la construction du registre symbolique. Les relations entre l’inné et l’acquis sont examinées en détail.

Dans le fonctionnement de l’esprit, une place très importante est donnée à la formation des mémoires et aux expériences de différents ordres qui interviennent dans leurs constructions et restructurations.

La mémoire est d'abord en relation avec le corps en référence avec les inférences sensorielles et les régulations permanentes dont il est l’objet. Elle est également associée à la gestion partiellement corticale et partiellement directe des stress provenant de l'extérieur. L'ensemble assure le fonctionnement d’une conscience primaire déjà conceptuelle. Celle-ci entre en relation chez l'humain avec la conscience d’ordre supérieur qui s’établit avec le langage. Elle donne une autre forme au concept et à une réalité ouverte sur l’imaginaire, au sens que lui donne Edelman.

Cet abord, qui rejoint en le précisant celui de Kandel "mémoire procédurale - mémoire déclarative - réseaux neuronaux " est-il un point d'ancrage qui permettrait d'associer la biologie, la physiologie de l'esprit et le psychisme au processus de changement en psychothérapie ? Nous le pensons. Ne perdons pas de vue que la psychothérapie psychanalytique est une expérience particulière dans une situation particulière d’échange où les vécus actuels et passés entrent en relation et qui implique la participation du psychothérapeute à un véritable travail de (re)construction, de (re)subjectivation dans l'intersubjectivité [6]. Les pistes sont déjà tracées de ce qui se passe de part et d’autre au niveau cérébral. Il devient pensable qu’une théorie du changement en psychothérapie puisse être développée. Des éléments comme l’intentionnalité et la réentrance, qui participent à la dynamique d’un système humain, donnent au concept "neuro développement" une ouverture sur la clinique dans ses dimensions diagnostiques et thérapeutiques. Structurellement, essentiellement, le thérapeute fait partie du processus. La façon dont il s'en extrait reste posée.

Edelman initie dans la postface critique de son livre une actualisation de thèmes controversés. Ils concernent la physique, la distinction du fonctionnement des ordinateurs et du cerveau, le paysage cognitif et le langage où la syntaxe et la sémantique sont fermement distingués. Ces mises au point apparaissent comme un appel à poursuivre la discussion de la théorie qu’il défend dans ce livre.

Les deux séries de travaux que nous venons d'évoquer brièvement continuent d'être aujourd'hui séminales et programmatiques ; c'est ainsi que, en ce qui nous concerne, une équipe de travail s’est constituée sur la triade

Neuro développement, psychisme et psychothérapie L'objectif de cette équipe.est d’aborder le neuro développement dans son processus et ses fonctionnements plutôt que de le laisser enfermé dans la définition ciblée d'une catégorie de troubles. Les relations entre corps, cerveau, mémoires, conscience et inconscient se situent tout autant dans la perspective du développement et de la santé que de la pathologie. La psychopathologie peut alors être abordée comme un processus dynamique où l'action thérapeutique favorise une trajectoire favorable qui se traduit progressivement par un mieux-être psychique, émotionnel, relationnel et cognitif. L'observation d'une reprise développementale au cours de la psychothérapie d'un trouble comme l'autisme introduit une question centrale. : "Quelles en sont et où se situent les causes dans une perspective neuro développementale ? Quelles en sont aussi les limites ?".

Pratiquement, ce groupe considère ce que peut apporter une coalescence de savoirs aux questions qui se posent en psychothérapie (au sens large du terme) lorsque l'on cherche à approfondir les facteurs et les mécanismes du changement et en attribuant à ce terme une dimension concrète qui va au-delà des changements manifestes.

Nous sommes naturellement très attentifs à l’actualisation que peuvent apporter les publications sur le sujet et les différents sous-thèmes qui le composent [7, 8].

Le groupe de travail comprend une douzaine de personnes. Il est composé pour la plupart de cliniciens-chercheurs-enseignants (cinq psychiatres, cinq psychologues), d’un physicien et d’une linguiste (sciences du langage), également psychologue clinicienne.

Les personnes intéressées à suivre ce travail peuvent adresser un mail à jean-michel.thurin@inserm.fr

Références bibliographiques

.


Dernière mise à jour : jeudi 18 juin 2020
Dr Jean-Michel Thurin