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Le site des recherches fondées sur les pratiques psychothérapiques

Éditorial Avril 2019

La recherche qualitative micro séquentielle dans le Réseau de recherches fondées sur les pratiques psychothérapiques

Jean-Michel THURIN.

Le pôle autisme du Réseau de Recherches Fondées sur les Pratiques Psychothérapiques (Inserm-FFP) poursuit depuis 2008 son activité de recherche-action (Golse 2008) à partir des nouvelles méthodologies qui permettent d’accéder aux processus de changement en psychothérapie. Introduire les processus de changement dans la recherche sur les résultats, c’est réactualiser la question de la causalité et de la complexité dans leur origine. Par extension, c’est se donner les moyens d’améliorer la compréhension qu’en a le clinicien dans sa pratique. Le paradigme général de l’évaluation de l’action thérapeutique utilisé pour les psychotropes n’est pas transposable à la psychothérapie. Des méthodes alternatives à cette approche existent. Fondées sur la recherche observationnelle, elles appellent la participation des cliniciens et de leur expérience à la recherche clinique. Ces alternatives ont été recensées et testées pour une grande part d’entre elles en conditions naturelles (Thurin 2017).

La recherche observationnelle en psychothérapie donne accès à l’action partagée des cliniciens avec les patients dans leur activité individuelle et aux facteurs de contexte susceptibles d’intervenir dans les résultats. Cette particularité s’intègre totalement avec l’orientation internationale actuelle de la recherche en psychothérapie recentrée depuis les années 2000 sur le « Pourquoi, Comment et dans quelles conditions une psychothérapie fonctionne-t-elle ? » (Kazdin 1997...2009).

Avec cette nouvelle perspective de la recherche, l’expertise clinique (APA 2006) et l’action thérapeutique (Jones 2000) donnent une place majeure à la psychopathologie, c’est à dire à l’appréciation des causes et des facteurs qui interviennent dans (1) la constitution d’un trouble et sa pérennisation, en relation notamment aux facteurs historiques et actuels de contexte et aux adaptations pathologiques qui se constituent et se stabilisent, (2) les crises qui se produisent, (3) la façon dont l’action thérapeutique menée peut permettre de les dénouer et 4) de ré enclencher un processus de développement bloqué et une évolution vers la santé mentale. L’expertise clinique, l’interaction du thérapeute avec le patient, ajustée à sa problématique et sa culture au sens large, constituent l’assise dynamique qui conduit aux résultats.

La mise à jour de ce processus et l’approche conceptuelle qui l’accompagne permettent aujourd’hui de se confronter à la complexité des facteurs qui interviennent dans les résultats. Une modélisation partageable de l’action thérapeutique est accessible en 4 étapes : (1) le relevé des facteurs de risque observables et explicables (déclenchement et vulnérabilité) et leur représentation graphique en chaînes causales ; (2) la recherche des facteurs de protection, de réparation et de reprise développementale que l’action thérapeutique introduit en relation à ces facteurs de risque ; (3) la cohérence logique de leur relation avec les résultats et (4) l’élucidation de leurs mécanismes à différents niveaux (Kazdin et al. 1997 ; Rdoc, Insel 2012).

Dans le réseau, cette démarche est réalisée à partir d’études longitudinales de cas individuels et leur regroupement secondaire. Elle met en œuvre différentes méthodes mixtes, quantitatives et qualitatives, qui permettent de saisir les principales variables d’intérêt. Ces études de cas de nouvelle génération offrent des points de connexion avec d’autres niveaux d’approche des processus qui se déroulent dans le corps. En voici deux exemples, celui du stress et celui des réseaux neuronaux.

          - La connaissance des conséquences longitudinales du stress, que son origine soit externe ou interne, comme facteur de vulnérabilité à certaines situations et de déclenchement de troubles psychiques et somatiques constitue un apport majeur. La physiologie du stress et de ses conséquences montre que cet abord n’est pas seulement conceptuel ou observationnel. Il existe des clés concrètes de compréhension et une connaissance du possible qui permettent de donner des réponses adaptées à une partie des causalités impliquées (Thurin, Baumann et al. 2003, Kandel 2000).

          - De même, la recherche sur les réseaux neuronaux réels ou artificiels apporte des informations très intéressantes sur le passage de la perception à la représentation, les différents niveaux de reconnaissance des formes, le caractère distribué de la mémoire, les circuits émotionnels qui l’accompagnent et les déficits qui peuvent perturber gravement la relation à la réalité (Mermillod Mooc FUN 2019, Pellicano et Burr 2012). Là encore, il y a des clés et des hypothèses qui peuvent permettre de comprendre l’origine fonctionnelle de comportements habituellement appréhendés seulement dans le registre symptomatique. Mais ces hypothèses introduisent aussi la possibilité de nouvelles trajectoires d’évolution à partir d’interventions spécifiques (Kandel 2000). Les approches psychanalytiques ont beaucoup à apporter aux côtés des approches biologiques, physiologiques et de modélisation artificielle à ce niveau (Haag 2018, Brun et al. 2016, Rabeyron et al. 2016, Maruani & Thurin 1989).

Revenons à la recherche menée dans le Réseau. Elle est menée à partir de la clinique et des questions qu’elle suscite. Le terme neuro développemental prend ici toute sa portée lorsqu’il est appréhendé comme un processus dynamique ouvert. Comme le souligne Insel (2012), « Contrairement aux déficits moteurs et cognitifs de beaucoup d'autres syndromes neurologiques du développement, le noyau des déficits de l'autisme répond bien à des interventions comportementales intensives, ce qui démontre qu'ils sont donc malléables »

Cette formulation n’est évidemment pas une révélation pour les cliniciens, mais elle a le mérite d’introduire la question du Comment cette réponse peut se produire et de la façon dont chacun, qu’il soit clinicien, biologiste ou mathématicien peut y contribuer. Du côté des cliniciens, la formalisation de l’action thérapeutique qu’ils conduisent ou accompagnent, devient une source de connaissances fines sur les composants de l’action thérapeutique comme facteur de changement. De plus, ces connaissances ne sont pas isolées du contexte extérieur. C’est avec la psychiatrie clinique individualisée, adossée à la psychologie, à la psychanalyse et aux neurosciences que peuvent se développer les connaissances conduisant à des recommandations qualitatives pour les pratiques.

Comment la CIPPA est-elle intervenue dans le fonctionnement et les résultats du Réseau.? D’abord dans la dynamique impulsée pour que des cliniciens français et italiens s’engagent dans la recherche et réalisent en groupe de pairs les études de cas sur un an. Cela a permis de réunir ainsi les données d’un nombre déjà important de cas, et de les travailler en groupe de pairs et au cours des journées de retours d’expériences. Un groupe d’études issues de cliniciens d’orientation psychanalytique s’est constitué, accompagné par des études se référant à d’autres approches.

Un deuxième apport est à souligner, c’est la participation régulière depuis 2014 d’une quinzaine de cliniciens, dont G. Haag, à un webséminaire qui a exploré à partir des cas individuels de chaque participant l’apport de différentes méthodologies dans l’analyse des résultats. Nous avons ainsi exploré des approches plutôt quantitatives, mais aussi qualitatives par les descriptions et hypothèses qui sortaient de la reformulation en langage parlé des caractéristiques chiffrées issues de chacune des psychothérapies. Cela a notamment permis d’introduire des modélisations de la thérapie transposables dans des analyses statistiques à partir des cas regroupés. Nous avons pris ainsi une certaine habitude de la distinction des variables et de leurs interactions dynamiques dans les processus de changement.

Depuis l’année dernière nous avons engagé dans ce cadre une analyse qualitative micro séquentielle (Elliott 2010) des notes extensives rédigées par une participante (C. R) à partir d’une psychothérapie qu’elle a menée. Une expérience importante s’est développée à partir de cette approche. Nous avons pu constater que l’observation pas-à-pas et séquence-par-séquence de l’enchainement des interactions entre l’enfant et le thérapeute, les changements de comportements qui leur sont liés, les commentaires et interprétations de la thérapeute qui les accompagnent, et leur effet permettent véritablement d‘appréhender une bonne partie de ce qui se déroule dans le processus de changement. Ces observations mènent à des hypothèses fortes travaillées par le groupe. On accède ici à des éléments de la pratique et à des points théoriques qui ne sont habituellement abordés qu’à un niveau très conceptuel. La clinique révèle les données individuelles du réel.

Un autre axe de travail a été mené à propos de l’EPCA. La mise à jour publiée en 2013 dans Pour la recherche avait déjà demandé un important travail. Il a été poursuivi dans les moindres détails pour arriver à une version finale. L’objectif permanent initié dès 2008 a été de favoriser sa dimension d’outil observationnel clinique, de faciliter la compréhension de ses formulations et la réalisation des cotations, de façon à ce qu’il puisse être utilisé par un plus grand nombre de cliniciens dans leur pratique courante et dans les recherches-actions auxquelles ils participent.

Au total, c’est un travail important dans le domaine de la recherche sur les processus de changement en psychothérapie des enfants, adolescents et adultes souffrant d’autisme qui est mené dans le Réseau avec des cliniciens de la CIPPA. Il sera présenté au cours de la Journée recherche prévue le 5 octobre 2019.

Références bibliographiques

- American Psychological Association. (2006). Evidence-based practice in psychology. APA Presidential Task Force on Evidence-Based Practice. Am Psychol, 61(4), 271-285. Trad. APA 2006 par JM. Thurin.

- Brun, A., Roussillon, R., & Attigui, P. (2016). Évaluation clinique des psychothérapies psychanalytiques. Paris: DUNOD.

- Elliott, R. (2010). Psychotherapy change process research : realizing the promise. Psychotherapy Research, 20(2), 123-135.

- Golse, B. (2008) Éditorial. Pôle autisme du Réseau de recherches fondées sur les Pratiques Psychothérapiques. Pour la recherche, 57:1&8.

- Haag, G., Thurin, J. M., Thurin, M., & al., e. (2013). Manuel de la grille d'Évaluation Psychodynamique des Changements dans l'Autisme (EPCA). Pour la Recherche(75-76), 4-11.

- Haag, G. (2018). Le Moi corporel. Paris: PUF.

- Insel, T. R. (2012). Next-Generation Treatments for Mental Disorders. Science Translational Medicine, 4(155ps19), 1-9. Trad. Insel 2012 par JM. Thurin

- Jones, E. E. (Ed.) (2000). Therapeutic Action. A Guide to psychoanalytic Therapy: Jason Aronson Inc.Northvale, New Jersey. London; 2000.

- Kandel, E. R. (2002). Un nouveau cadre conceptuel de travail pour la psychiatrie. A new intellectual framework for psychiatry. Traduction par J.M. Thurin de l’article paru dans l’American Journal of Psychiatry 1998 ; 155 : 457-69. Evol Psychiatr 2002 ; 67 : 12-39

- Kandel, E. R. (2002). La biologie et le futur de la psychanalyse : un nouveau cadre conceptuel de travail pour une psychiatrie revisitée. Traduction par J.M. Thurin de l’article Biology and the future of psychoanalysis: a new intellectual framework for psychiatry revisited, paru dans l’American Journal of Psychiatry 1999 ; 156 : 505-24. Évolution Psychiatrique, 67, 40-82.

- Kazdin, A. E., Kraemer, H. C., Kessler, R. C., Kupfer, D., & Offord, D. (1997). Contributions of risk-factor research in developmental psychopathology. Clin Psychol Rev, 17(4), 375-406. Trad. Kazdin et al. 1997 par JM. Thurin

- Kazdin, A. E. (2009). Understanding how and why psychotherapy leads to change. Psychother Res, 19(4-5), 418-428. Trad. Kazdin et al. 2009 par JM. Thurin.

-Maruani, A., & Thurin, J. M. (1989). Psychanalyse, Connexionnisme et modèles neuronaux ou : si Freud avait connu la calculette. Psychiatrie, 87/88(2), 50-58.

- Mermillod, M. (2016). Réseaux de Neurones Biologiques et Artificiels. Vers l’émergence de systèmes artificiels conscients ? : De Boeck Supérieur.

- Pellicano, E., & Burr, D. (2012). When the world becomes ‘too real’: a Bayesian explanation of autistic perception. Trends Cogn Sci, 16 (10), 504-510.

- Rabeyron, T., Saumon, A., Carasco, E., & Bonnot, O. (2016). Médiations thérapeutiques, évaluation des processus et troubles autistiques : l’exemple de la médiation musicothérapique. Évaluation clinique des psychothérapies psychanalytiques (pp. 441-465). Paris: DUNOD.

- Thurin, J. M., & Baumann, N. (2003). Stress, pathologies et immunité: Médecine-Sciences Flammarion.

- Thurin, J. M. (2017). Caractériser et Comprendre le Processus de Changement des Psychothérapies Complexes. Modélisation des processus, mécanismes et conditions des changements associés à la psychothérapie de 66 enfants et adolescents présentant des troubles du spectre autistique. (Thèse ès Sciences Cognitives), Université Paris-Descartes, Paris, France. http://www.theses.fr/2017USPCB104.

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Dernière mise à jour : dimanche 7 avril 2019
Dr Jean-Michel Thurin