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Le site des recherches fondées sur les pratiques psychothérapiques

Editorial

L'expertise clinique au coeur du nouveau paradigme de la construction de la preuve scientifique

Jean-Michel Thurin

L’évaluation des pratiques professionnelles (EPP) se situe initialement dans la démarche générale de l’EBP (Evidence based practice), elle même issue, en l’élargissant à un champ plus large, de l’EBM  (Evidence based medicine) [1] .

Le principe général en est que le praticien doit utiliser de façon « consciencieuse, explicite, et judicieuse les meilleures preuves actuelles existantes dans la prise de décision concernant le soin du patient individuel » [2]. Ces preuves, disséminées dans la littérature internationale, sont utilisées pour l'élaboration des recommandations professionnelles auxquelles le praticien est invité à se référer. Au cours des 20 dernières années, les résultats de la recherche en laboratoire ont constitué la base quasi-unique en matière de preuve scientifique dans le domaine des psychothérapies, comme ailleurs. Cette démarche, appliquée initialement à la psychothérapie dans le but de démontrer son efficacité suivant la même méthode que celle utilisée pour les essais médicamenteux, a eu le mérite de la faire reconnaître comme traitement efficace. Mais elle a eu aussi des conséquences extrêmement délétères, sauf peut-être en France, lorsqu’on a voulu valider (labéliser) différentes interventions et approches psychothérapiques en fonction des résultats qu'elles avaient obtenus dans ces conditions méthodologiques de recherche. La règle était que les études devaient inclure au hasard, dans des groupes « homogènes », des patients présentant un même trouble, qui seraient soumis à un traitement contrôlé dans un espace-temps lui même contrôlé de façon à éviter l'implication potentielle du temps ou d'autres facteurs dans les résultats.

L'évaluation critique de cette méthodologie, par les chercheurs eux-mêmes, a montré ultérieurement qu'elle n'était pas adaptée aux psychothérapies, du moins dans une visée générale, pour tout un ensemble de raisons. Mais cela n'a pas empêché que son choix ait des conséquences importantes. Non seulement le rôle des thérapies qui ne se prêtaient pas à ce type de recherche expérimentale (notamment les psychothérapies psychanalytiques) a été contesté par le système sanitaire et assurantiel, mais la conception même de la psychothérapie s’est trouvée reconstruite suivant le modèle médical des conditions qui permettaient de tester une efficacité en laboratoire (traitement bref d'un trouble isolé) [3] [4].

Ce principe dit du «  belvédère » pour signaler, qu'en recherche, ce qui existe est ce qui est vu, et que ce qui est vu dépend de l'éclairage focal et de la méthodologie qui le filtre, semble actuellement bénéficier d'un élargissement de son angle de vue vers le "monde réel". Par exemple, l’importance d’études menées dans des conditions naturelles et ne dissociant pas les résultats d'une psychothérapie de son processus et de son contexte, est soulignée. Mais surtout, un renversement se dessine où le savoir faire de cliniciens compétents avec leurs patients pourrait apporter au moins autant à la connaissance de "ce qui marche, pour qui, et dans quelles conditions " que la démarche aseptisée du laboratoire appliquée à des groupes moyens [5]. L’expérience professionnelle et la participation du patient dans le soin, c’est-à-dire la place de l’évaluation clinique experte, de l’interaction praticien-patient, adaptée non seulement à la psychopathologie du patient et à ses représentations, mais à son évolution dans la cure, (re)commencent à être considérés à leur juste valeur, c’est à dire essentielle. Ce retour à ce qui semblera un bon sens élémentaire ne doit cependant pas laisser penser que le principe "de la référence aux meilleures preuves existantes dans la décision clinique ", soit aboli. Il persiste, mais il se trouve posé à un autre niveau de construction de la preuve qui prend en compte la complexité, la singularité, la valeur de l’expertise clinique et les capacités propres de recherche des cliniciens, sous différentes formes [6].

Il en résulte quatre conséquences  : la première est que la véritable recherche clinique, c’est à dire celle qui se fait à partir du diagnostic, des stratégies de soin, de leur déroulement et de leurs résultats, qu’ils soient bons ou mauvais, reprend toute sa place ; la seconde est qu’il n’y a pas de recherche sans cliniciens, mais également sans chercheurs. Elle implique donc nécessairement leur collaboration. La troisième est que la compétence du clinicien ne s’inscrit plus institutionnellement seulement comme un but à atteindre à partir de recommandations issues de la recherche en laboratoire, mais aussi comme une activité et un accès aux données cliniques qui peuvent permettre de formaliser la démarche extrêmement complexe que constitue la psychothérapie en situation réelle, étape indispensable à une recherche sur les mécanismes de changement et donc à un éventuel progrès dans les pratiques. La quatrième est que ce qui sera testé en laboratoire ne sera plus la psychothérapie en général ou ses marques, mais l'implication de facteurs particuliers et d'enchaînements dans les processus de changement et les résultats.

Nous proposons un programme d'EPP [1][7] qui se situe dans ce contexte général. Il est à la fois un cycle d’Évaluation des pratiques professionnelles dans le champ des psychothérapies (qui ne peut être déconnecté des autres abords thérapeutiques et du contexte dans lequel s’exprime la demande du patient), un cycle d’initiation à une recherche clinique à la fois rigoureuse et adaptée aux conditions de la pratique, et un cycle ouvert sur l’élaboration de référentiels de pratique clinique. L’ensemble repose à la fois sur une interrogation ouverte de nos pratiques psychothérapiques et sur leur élaboration.

Cinq grandes questions sont abordées en détail à propos des pratiques psychothérapiques  : 1) celle du diagnostic (au sens fort et précis du terme, c-a-d d’abord psychopathologique et complété ensuite de données quantitatives et classificatoires) et de l’indication, incluant les objectifs et la stratégie envisagée pour les atteindre, l’ensemble constituant la formulation de cas ; 2) le choix des indicateurs de changement et la façon de les appréhender ; 3) l’évolution  de la psychothérapie et la caractérisation de son profil (le processus) à différentes étapes ;  4) La terminaison de la psychothérapie et son évaluation à ce stade ; 5) le suivi après-coup de l’état du patient et des effets de la psychothérapie.

Le programme est organisé suivant le principe d’une formalisation par chaque praticien du déroulement de la psychothérapie de un ou deux de ses patients à partir d’une méthodologie qui est présentée, discutée puis appliquée en en petit groupe au cours de quatre journées. Entre ces journées et ultérieurement, le travail se poursuit en groupes de pairs, téléformation, forum de discussion par l’intermédiaire du réseau Internet. La validation se fait à partir de la présence et participation d’une part, et de la rédaction d’un des cas suivis d’autre part.

Ce programme d’EPP et d’initiation à la recherche est animé par trois cliniciens chercheurs et un chercheur familiarisé à la clinique, une façon de travailler en cohérence avec les exigences actuelles [8].

Références bibliographiques

1. THURIN JM, THURIN M, BRIFFAULT X. Évaluation des pratiques professionnelles et psychothérapies. L’information psychiatrique 2006 ; 82 : 39-47. demander tiré-à-part .

2. Pour la Recherche 2004 ; 41. Evidence Based Medicine, avec les articles de H. ALLAIN, X BRIFFAULT, M THURIN ET JM THURIN. accéder

3. THURIN JM, BRIFFAULT X. Distinction, limites et complémentarité des recherches d'efficacité potentielle et d'efficacité réelle : nouvelles perspectives pour la recherche en psychothérapie. L'Encéphale 2006 ; 32 : 402-12. demander tiré-à-part . Voir également : Évaluer les psychothérapies : nouvelles méthodologies, par JM THURIN

4. WESTEN D, NOVOTNY C M, THOMPSON-BRENNER H. EBP ≠ EST: Reply to Crits-Christoph et al. (2005) and Weisz et al. (2005). Psychological Bulletin 2005 ; 131(3) : 427–433.

5. BARKHAM M & MELLOR-CLARK J M. Bridging Evidence-Based Practice and Practice-Based Evidence: Developing a Rigorous and Relevant Knowledge for the Psychological Therapies. Clin. Psychol. Psychother Psychother. 10 10, 319–327 (2003)

6. APA. 2005 Presidential Task Force on Evidence-Based Practice. American Psychological Association. July 1, 2005 - http://www.apa.org/practice/ebpreport.pdf - traduction

7. Initier une psychothérapie, en suivre l'évolution, en évaluer les résultats. Programme d'évaluation des pratiques professionnelles et d'entrée dans une recherche sur les psychothérapies (Agrément de la HAS du 12 10 06).

8. THURIN M, LAPEYRONNIE B, THURIN JM. Mise en place et premiers résultats d'une recherche naturaliste en réseau répondant aux critères actuels de qualité méthodologique. Bulletin de Psychologie 2006 ; 59(6) : 591-603.

 

 


Dernière mise à jour : 2/02/07 info@techniques-psychotherapiques.org