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Editorial

Scientificité et efficacité

Dr Jean-Michel Thurin

En lisant les articles accompagnant la publication du "Livre noir de la psychanalyse", chacun aura pu constater une confusion habile entre deux sortes d'arguments concernant le caractère "non scientifique" de la psychanalyse : - l'absence de ses résultats thérapeutiques ; - l'absence de démonstration de sa théorie. Le premier aspect sera abordé dans cet éditorial, le second le sera dans le prochain.

L'affirmation suivant laquelle " la psychanalyse n'a pas de résultats thérapeutiques" est le point sur lequel il est le plus facile de répondre. Elle est tout simplement fausse, suivant les critères mêmes invoqués, ceux de l'expertise de l'Inserm. Non seulement, le fait d'avoir des résultats "prouvés" dans le cadre des troubles de la personnalité borderline n'est pas insignifiant, quand on connait leur gravité1, mais la consultation du secteur "Résultats" de ce site, montrera que depuis décembre 2004, de nouvelles études ont été publiées ou d'anciennes "sorties des tiroirs" qui élargissent à de nouveaux domaines l'assise de l'efficacité "empiriquement validée" des psychothérapies psychanalytiques.

On pourrait théoriquement s'arrêter là et considérer que le "donc, elle n'est pas scientifique" est sans objet. Elle a des résultats, et donc … Mais, nous sentons bien que ce dont il s'agit véritablement est d'une autre nature, cette qualité particulière du terme qui confère à ce qui lui est associé un caractère mythique. Au risque de briser nos rêves, posons-nous la question de ce sur quoi repose cette fameuse preuve d'efficacité devenue un peu magiquement label du caractère "scientifique" d'une approche, puisque l'on vient de nous le conférer, au moins un peu, indirectement.

Revenons donc aux sources : la preuve d'efficacité répond à des règles formelles précises. Elle dépend, depuis une vingtaine d'années, de la méthodologie des essais contrôlés randomisés, c'est à dire de la comparaison des résultats d'un traitement appliqué à un groupe "homogène" de patients, par rapport à ceux d'une absence de traitement ou d'un traitement alternatif validé appliqué à un groupe témoin. Le groupe "homogène" est généralement constitué d'une vingtaine de personnes, lesquelles présentent un trouble unique, répondant aux critères de définition du DSM2. Le traitement est appliqué en référence à un manuel.

Pour qu'un traitement soit "validé empiriquement" (qu'il ait fait la preuve de son efficacité), il est nécessaire qu'il ait été soumis à deux essais contrôlés positifs3. S'il ne dispose que d'un essai, on parlera de "présomption d'efficacité". On voit ici que le second tampon prend, dans une certaine conception formelle de la preuve une grande importance. Et qu'elle peut tenir à pas grand chose, ou plutôt aux résultats du "vingt-troisième" patient, comme le montre habilement Lutz4 (2002).

Un certain nombre de raisons, faciles à comprendre, ont écarté les thérapies psychodynamiques de ce type d'études. Parmi elles, la première est le rôle majeur du patient dans ces psychothérapies. Le psychothérapeute formé à la psychanalyse intervient évidemment pour garantir le cadre, encourager le patient à s'exprimer, souligner les résistances, solliciter des clarifications, "co-penser",… mais c'est bien le patient qui détermine les associations qui permettent de construire sa réalité psychique. Il paraît un peu surréaliste que dans ces conditions il puisse se retrouver dans un traitement qu'il n'a pas sollicité, parce que l'affectation aléatoire est requise dans ce type de protocole et que ses progrès doivent être testés dans ces conditions pour être pris en compte. La seconde est que les troubles uniques, les troubles "purs", ne font pas vraiment partie de l'ordinaire des psychothérapies psychanalytiques (ce que chacun sait, et est confirmé par plusieurs études5). La troisième est que ceux qui les pratiquent n'apprécient pas trop (et même pas du tout) les protocoles figés, surtout quand ils foulent au pied la complexité qui constitue précisément la base de leur travail.

Ce qui ne convient pas à certaines psychothérapies peut être taillé sur mesure pour d'autres. Et cela pourrait bien être le cas des ECRs pour les TCC. Les patients (longtemps recrutés par annonces) y sont guidés, on leur dit ce qu'il faut faire, et corrélativement la thérapie leur est prescrite. Les TCC sont centrées sur le symptôme. Elle sont issues de la psychologie expérimentale et l'application d'un protocole prédéterminé dont on évalue l'effet est la règle plutôt que l'exception.

Au fond, ce qui fait qu'une approche est "très scientifique" pourrait bien d'abord se situer au niveau de sa compatibilité avec les critères actuels de son évaluation.

La discussion pourrait être portée plus loin en examinant élément par élément tout ce qui devrait conduire à une certaine humilité dans la proclamation des résultats et l'utilisation de certains termes.

Mais restons au plus près de l'essentiel. A l'arrivée, il pourrait bien y avoir des difficultés pour de nombreux psychothérapeutes, formés à cette technique "scientifique", lorsqu'ils se trouveront confrontés à des patients et des problèmes qui sont un tantinet plus difficiles que ceux qui ont permis l'obtention du label. Le terme "scientifique" ne garantira plus grand chose à ce moment là.
Le débat actuel n'est pas sans mérite, il aura remis en questions quelques certitudes et remis au premier plan la question clinique. Mais précisément ne laissons pas réduire la question de l'efficacité à une caricature. La méthodolologie qui peut apporter des éléments à cette question doit être appropriée à sa mise en oeuvre, et c'est à partir de là qu'une véritable démarche scientifique d'évaluation peut être conçue.

Références et notes

1. Définition DSM des troubles de la personnalité borderline : http://www.psychomedia.qc.ca/qfr16.htm

2. Cette question peut d'ailleurs se poser quand on reprend les références des études utilisées dans la méta-analyse de Andrews et Harvey
http://www.techniques-psychotherapiques.org/Documentation/Articles/Andrews_HarveyBib.html

3. Chambless D L, Ollendick T H. Empirically supported psychological interventions: Controversies and evidence. Annual Review of Psychology, 2001 ; 52 : 685–716.

4. Lutz W. Patient-focused psychotherapy research and individual treatment progress as scientific groundwork for an empirically based clinical practice. Psychotherapy Research, 2002 ;12 (3) : 251- 272. traduction sur demande

5. Inserm. Expertise collective Psychothérapies : trois approches évaluées, p 105. http://disc.vjf.inserm.fr:2010/basisrapports/psycho/psycho_ch6.pdf

 

 

 

 


Dernière mise à jour : 25/01/07 info@techniques-psychotherapiques.org