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Le site des recherches fondées sur les pratiques psychothérapiques

L’évaluation des psychothérapies en milieu naturel : une nécessité.

H. CHABROL
chabrol@univ-tise2.fr

Psychiatre
Professeur de psychopathologie, Centre d’Etudes et de Recherche en Psychopathologie, Université de Toulouse-Le Mirail.

L’acceptabilité et l’efficacité des différentes psychothérapies intéressent les usagers, les prescripteurs, les payeurs, mais aussi, bien sûr, les psychothérapeutes eux-mêmes, psychiatres ou psychologues, qui veulent comparer leurs résultats à ceux des praticiens de leur approche et des autres approches. Les étudiants en psychiatrie et en psychologie, qui s’interrogent sur les formations à suivre, sont également concernés.

Le récent rapport de l’INSERM apporte d’utiles informations en rendant compte des résultats des études randomisées contrôlées réalisées en particulier par les grands centres de recherche d’Amérique ou d’Europe du Nord. Ce rapport donne des indications importantes, cependant insuffisantes, pour plusieurs raisons.
D’abord, nos différences culturelles et les modes de formation et de pratique des diverses thérapies assez différents dans notre pays peuvent rendre difficilement transposables ces résultats au contexte français.
Ensuite, les études randomisées contrôlées sont peu représentatives des pratiques réelles : les thérapies y sont administrées dans des conditions quasi-expérimentales visant à assurer la validité de ces études (par exemple, échantillon de participants homogènes, modalités thérapeutiques spécifiées dans un manuel, vérification que le traitement administré correspond au traitement prévu par une supervision étroite). Ces conditions réduisent bien sûr la généralisabilité des résultats.
Enfin, bien qu’on ne dispose que de peu d’études des thérapies « spontanées », telles quelles sont pratiquées par les thérapeutes de « terrain », les études réalisées sous la direction d’équipes de recherche paraissent avoir une efficacité bien supérieure à celles réalisées dans un milieu de soin « ordinaire » (ex, 6). Plusieurs raisons peuvent y contribuer comme une plus forte motivation et une plus grande activité des thérapeutes, une meilleure adhésion aux « techniques » de la thérapie. Ainsi, alors que les études contrôlées montrent une efficacité certaine des thérapies cognitives-comportementales dans les troubles du comportement alimentaires, le suivi pendant 5 ans, de 216 adolescentes et jeunes adultes ayant une anorexie, une boulimie ou un trouble alimentaire non autrement spécifié, a montré que l’évolution n’était pas influencée par les traitements éventuels (1). Les auteurs concluent : « L’efficacité des interventions actuelles est douteuse » (p. 1254). Malgré les preuves d’efficacité des thérapies dans les études contrôlées, les thérapies de « terrain » se sont montrées inefficaces, n’obtenant pas des résultats supérieurs à l’absence de traitement. Il semble également que les études contrôlées surestiment l’acceptabilité des thérapies. L’arrêt précoce est un phénomène fréquent, qui concerne l’ensemble des thérapies dans leur modalités d’application sur le « terrain », peut-être de façon inégale. Ces ruptures thérapeutiques peuvent être particulièrement fréquentes dans certains troubles.

On voit bien que les études randomisées contrôlées ne fournissent pas à l’usager des informations suffisantes ni sur l’acceptabilité, ni sur l’efficacité des différentes thérapies. Ce qui intéresserait les usagers, les prescripteurs et les praticiens eux-mêmes, ce serait des données concernant les thérapies telles qu’elles sont pratiquées en France, au quotidien, dans les lieux de soins accessibles à tous. L’intérêt de ces études est que leurs résultats sont plus généralisables. De plus, elles conviennent mieux aux thérapies difficiles à standardiser comme les thérapies psychodynamiques, pour lesquelles on ne dispose que de trop peu d’études contrôlées.
Or, il n’existe aucune étude des thérapies « en milieu naturel » en France, c’est-à-dire des thérapies réalisées par les praticiens « de base » du public ou du privé auxquels auront affaire la plupart des usagers et des prescripteurs. En leur absence, usagers, prescripteurs, psychothérapeutes et étudiants sont livrés aux préjugés, aux croyances, aux arguments d’autorité. Bref, la foi ou la mauvaise foi remplacent la raison à moins que prime un scepticisme démobilisateur.

Des études « en milieu naturel » sont nécessaires, elles sont un devoir éthique et scientifique. Les usagers, les prescripteurs les réclament ou les réclameront. Ils sont en droit de s’étonner de leur absence et de s’interroger sur les raisons de cette absence qui peut passer pour de la légèreté ou une dérobade. Elle est en tous cas injustifiable et jette une suspicion légitime sur l’ensemble des psychothérapies.

Il existe des méthodologies pour ces études en milieu naturel, à reprendre et à adapter. L’organisation de ce type d’études peut s’appuyer sur une réflexion déjà élaborée des expériences réalisées (2). Quelques suggestions. Un même protocole d’évaluation pourrait être utilisé pour les différentes psychothérapies et pour les différentes combinaisons thérapeutiques incluant un traitement médicamenteux. Evaluations quantitative et qualitative pourraient être associées à la fois pour avoir un point de vue plus complet et pour proposer une méthode plus consensuelle, susceptible de recueillir l’adhésion des praticiens des différentes approches. Les études recourant à un évaluateur « externe » expertisant les effets de la thérapie sont plus difficiles à organiser que celles s’appuyant sur l’évaluation de la thérapie et de ses effets par l’usager lui-même à l’aide d’auto-questionnaires. On dispose d’auto-questionnaire permettant cette évaluation par l’usager, plus acceptable et plus facile à mettre en place.
Le protocole minimal comporterait deux temps d’évaluation, avant et après la thérapie. L’évaluation pré-thérapie peut évaluer les variables socio-démographiques principales, les plaintes et symptômes et les attentes de l’usager. L’acceptabilité pourrait être mesurée en particulier par la fréquence des arrêts prématurés et leurs raisons. L’efficacité pourrait être évaluée par le degré de satisfaction de l’usager et par la modification des symptômes, du fonctionnement de la personnalité mais aussi des représentations du bien-être, du sens de l’identité, de l’acceptation de soi et des autres. Même imparfaites, ces mesures sont possibles. Une mesure individualisée du changement comme le Shapiro Personal Questionnaire peut être employée pour mieux s’adapter à la singularité de chaque cas (5). Des mesures du processus thérapeutique, tant dans ses dimensions spécifiques que non spécifiques, pourraient être utilisées. Le degré d’adhésion du thérapeute au modèle thérapeutique choisi et annoncé peut être mesuré par des instruments comme la Perception of Technique Scale qui présente une version à remplir par le patient (4). Les mesures des facteurs non spécifiques peuvent évaluer des facteurs comme l’alliance thérapeutique qui est une composante majeure de l’effet de toutes les psychothérapies (3).

Le traitement des données et la discussion des résultats pourraient être confiées à un groupe où seraient représentées les différentes approches. Chaque thérapeute, volontaire pour participer à l’étude, remettrait à tout client un questionnaire, comprenant une évaluation en début et en fin de traitement, que celui-ci enverrait au centre d’évaluation à l’arrêt concerté ou non de la thérapie. Ce questionnaire serait doublement anonyme (pour le thérapeute et le client). Ne pouvant être basées que sur le volontariat à la fois du thérapeute et de l’usager, les études « en milieu naturel » ne peuvent être totalement représentatives des pratiques de terrain et de leur efficacité qu’elles surestiment probablement, en particulier parce qu’elles recrutent des praticiens plus motivés. Elles apportent néanmoins des informations irremplaçables et indispensables. Il serait souhaitable que plusieurs études soient réalisées en France pour que leur méta-analyse puisse enfin fournir des informations pertinentes pour le contexte français.

REFERENCES

1 BEN-TOVIM DI, WALKER K, GILCHRIST P et al. Outcome in patients with eating disorders : a 5-year study. Lancet 2001 ; 357 : 1254-1257.

2 HARDY GE. Organizational issues : Making research happen. In : Aveline M, Shapiro DA, eds. Research foundations for psychotherapy pratice. Chichester : John Wiley & Sons, 1995 : 97-116.

3 HORVATH AO, LUBORSKY L. The role of the therapeutic alliance in psychotherapy. J Consult Clin Psychol 1993 ; 61 : 561-573.

4 OGRODNICZUK JS, PIPER WE, JOYCE AS et al. Different perspectives of the therapeutic alliance and therapist technique in 2 forms of dynamically oriented psychotherapy. Can J Psychiatry 2000 ; 45 : 452-458.

5 SHAPIRO MB. A method of measuring psychological changes specific to the individual psychiatric patient. Brit J Med Psychol 1961 ; 34 : 151-155.

6 WEISZ JR, WEISS B, DONENBERG GR. The lab versus the clinic : effects of child and adolescent psychotherapy. Am Psychol 1992 ; 47 : 1578-1585.

 

Éditorial paru dans L'Encéphale, 2005 ; 31 : 393-5

 


Dernière mise à jour : 25/01/07 info@techniques-psychotherapiques.org