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Le site des recherches sur les psychothérapies psychodynamiques

Éditorial

L'évaluation des psychothérapies et les frontières de la rationalité

Dr Jean-Michel THURIN

 

Le retrait, à la demande du ministre de la santé, du rapport de l'Inserm du site du ministère marque assurément un moment fort du débat qui se tient depuis maintenant un an sur l'évaluation des psychothérapies et auquel techniques-psychotherapiques a apporté sa contribution depuis sa création, le jour où ce rapport était rendu public.

Les réactions qui se sont exprimées à la suite de l'intervention assez étonnante, au moins dans son style, de Ph Douste-Blazy, puis de la parution des articles du Monde donnent assurément raison à Freud quand il déclarait en 1916 que l'obstacle qui lui paraissait le plus important vis à vis de l'évaluation n'était pas tant celui des difficultés méthodologiques liées au faible nombre de cas que traite un clinicien et à leur disparité, ou celui du respect du secret professionnel, que l'irrationalité qui accompagne ce qui concerne la thérapeutique et au peu de possibilités de convaincre les hommes à l’aide d’arguments logiques, même tirés de l'expérience et de l'observation.

La psychothérapie doit-elle rester du côté de l'irrationnel et de la croyance ? P Janet (1919) introduit cette question dans le tome I des Médications psychologiques, quand il décrit l'incroyable mouvement de la "Christian Science" animée par Mrs Eddy et son essor fondé sur une sorte de syllogisme idéaliste qui nie la réalité "extérieure", y compris celle du corps, et la remplace par la toute puissance de l'esprit de Dieu.

Doit-elle rester du côté des limites infranchissables de la connaissance, du fait d'une impuissance à appréhender sereinement ses ingrédients et ses ressorts ou encore que, technique de la parole, elle serait paradoxalement confrontée à l'indicible de la souffrance humaine et, par là même, à l'impossible objectivation de ses effets et de leur évolution ? Doit-elle rester dans une sorte d'extra-territorialité par respect de l'intimité du psychisme et de la liberté de ceux qui y recourent, jusqu'à dire que toute appréciation des changements qu'elle produit chez une personne relèverait d'une sorte de volonté totalitaire où la connaissance des effets et des indications d'un traitement ne serait qu'une forme de contrôle des esprits ?

Doit-elle s'extraire du champ du soin, abandonnant à des techniques plus élémentaires les centaines de milliers de patients qui y recourent à des techniques plus élémentaires, sous prétexte qu'ils n'y auront plus accès faute de moyens financiers suffisants ?

Ces arguments parlent en eux-mêmes des glissements de niveau qui peuvent s'opérer dans un contexte politique d'insécurité, ainsi que de l'irrationalité et de la violence qui peuvent en surgir.

La question de la justification de l'évaluation n'en demeure pas moins, quasiment dans les mêmes termes que que ceux employés par P Janet en 1919.
"En un mot, la psychothérapie est une application de la science psychologique au traitement des maladies.
Une pareille psychothérapie existe-t-elle ? Son premier caractère devrait être de nous fournir des médications nombreuses et précises en nous indiquant exactement leurs effets, les modifications bien déterminées morales ou physiques qui suivent leur emploi. C'est ce que font assez bien les formulaires de la thérapeutique physique, quand ils nous parlent des médicaments calmants, soporifiques, purgatifs, altérants, etc. : le médecin peut choisir suivant les cas et les besoins. Il n'existe rien de tel en psychothérapie et certains prétendent même que toute classification de ce genre est impossible "parce que les traitements sont personnels et varient simplement avec chaque individu qui les applique". Cela est fort exagéré, l'originalité de chaque psychothérapeute n'est le plus souvent qu'apparente et il ne faut pas croire que son traitement est nouveau, parce qu'il le désigne par un mot nouveau. Mais il est certain que ces traitement étant connus et décrits d'une manière très vague, on voit difficilement les relations qu'ils ont les uns avec les autres.
Une thérapeutique fondée sur des lois doit surtout nous indiquer les conditions dans lesquelles telle ou telle médication doit être employée, nous montrer en un mot les indications de chaque traitement. Des indications de ce genre existent encore moins dans la psychothérapie. Chaque spécialiste vante son procédé qu'il prétend original et veut l'appliquer à tout, puisqu'il guérit tout. L'un moralise, l'autre hypnotise tout le monde ; celui-ci repose et engraisse et celui-là psychanalyse à tort et à travers. Que penserait-on d'un médecin qui se vanterait de donner de la digitale à tous ses malades, tandis que son confrère aurait la spécialité de donner de l'arsenic ?"

Habermas, s'appuyant sur la définition de Weber de ce qu'est une "technique rationnelle" (l'emploi des moyens "orientés de façon consciente et planifiée d'après des expériences et des réflexions…") va dans le même sens : "Tant que les techniques ne sont pas spécifiées, avec leurs domaines d'application et la base d'expérience au vu de laquelle on puisse, le cas échéant, contrôler leur efficacité, le concept de "technique" demeure très général. Toute règle ou tout système de règles autorisant un agir susceptible d'être reproduit en toute sûreté constitue en ce sens une technique, que cet agir soit conforme à un plan ou bien à l'habitude, qu'il s'agisse d'un agir pronosticable par les parties prenantes de l'interaction, ou qu'il soit calculable pour l'observateur : "c'est ainsi qu'il y a une technique pour toute action suivant chaque type : technique de prière…, technique de pensée et de recherche… et toutes sont susceptibles de degrés de rationalité très différents."

Où en sommes nous aujourd'hui ? Il est peu crédible de penser que la psychothérapie reste en dehors d'un mouvement qui concerne l'ensemble des pratiques professionnelles. Comme chacun le sait, les ministres changent, les administrations restent et les mouvements généraux ne s'arrêtent pas à nos frontières, comme on a voulu nous le faire croire avec le nuage de Tchernobyl.

Faire comme si la question n'existait pas, s'enfermer dans une toute puissance imaginaire, ou se placer dans une position de retrait me paraissent être des stratégies vouées à l'échec

La véritable question qui est posée aujourd'hui est de savoir si une évaluation intelligente et honnête peut se faire, à propos d'un objet qui est extraordinairement complexe. Il existe comme toujours plusieurs espaces d'objectivité. Bien entendu, il n'a pas été nécessaire pour le clinicien habile ou pour le patient d'attendre les résultats de méta-analyses, dont on peut par ailleurs discuter la pertinence méthodologique et surtout l'utilisation qui en est faite pour savoir que la psychothérapie "ça marche". Mais ce qui a valeur de vérité au niveau individuel ne l'a pas nécessairement au niveau général et comme le faisait remarquer Howard, le dire comme "les antibiotiques, ça marche" est une drôle de façon de considérer un objet aussi différencié que l'est une psychothérapie avec une personne particulière.

L'objectivité scientifique avance lentement et sa force tient paradoxalement à la capacité de démontrer les limites de ce que l'on a cru vrai auparavant, sans états d'âmes. A ce titre, le débat sur l'expertise est exemplaire. Cette expertise, s'est déroulée à la fin de la période de la toute puissance des essais contrôlés randomisés comme moyen de déterminer la vérité dans ce domaine. L'utilisation fallacieuse de ces résultats aurait pu avoir sans doute des effets du même ordre qu'aux Etats Unis ou au Royaume Uni sous la forme de la promotion (et de la prise en charge d'une thérapeutique unique (All you need is TCC ? (Holmes 2000)). L'argumentation sur le fond que nous avons produite et soutenue a sans doute été un des éléments qui ont permis d'éviter un passage direct dans cette perspective.

Mais cela n'élimine pas la question et il est aujourd'hui nécessaire et très intéressant, tant du point de vue de la connaissance que dans une perspective sociale de faire avancer les choses dans ce domaine, avec les moyens que nous avons.

 

Références

Freud S (1917). Introduction à la psychanalyse, PBP 1969, p 439

Janet P. Les médications psychologiques. Paris, Alcan, 1919. 3 Vol (346, 308 et 494 p)

Habermas J. Théorie de Max Weber in Théorie de l'agir communicationnel T. I, 1981, tr fr 1987, Fayard. p 184.

Holmes J. All you need is cognitive-behaviour therapy ? BMJ 2002 ; 324 : 288-294


Dernière mise à jour : 20 fÈvrier, 2005
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