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Le site des recherches sur les psychothérapies psychodynamiques

Editorial

Une évolution de la conception de la pratique basée sur la preuve à l'Association Américaine de Psychologie (APA) ?

Dr JM Thurin

Chacun sait ou commence à savoir que l'APA a suivi une démarche similaire à celle de la médecine basée sur la preuve (EBM) depuis 1995, date de publication par sa division 12 de la première liste de 18 interventions psychologiques soutenues par la recherche [1]. Le but initial de cette initiative était (selon l'APA) d'identifier les traitements psychologiques dont l'efficacité était comparable à celle des médicaments, et par là même de mettre en valeur leur contribution particulière. La méthode de recherche était essentiellement celle des essais contrôlés randomisés (ECRs), les études systématiques de cas cliniques étant prévues mais dans les faits non utilisées. Suivant les critères définis, un traitement était "validé empiriquement" (EST) s'il avait fait l'objet d'au moins deux ECRs concernant une population spécifique bénéficiant de la mise en oeuvre du traitement effectué selon les caractéristiques d'un manuel. Il avait une présomption d'efficacité si une étude démontrait des résultats positifs.

Nous avons largement montré dans ces colonnes, dans différents articles et au colloque du CERP à Chambéry à quel point cette méthode s'est révélée limitée à l'évaluation de "thérapies" traitant des troubles isolés, à partir de protocoles appliqués suivant une logique de prescription "médicale" à des "patients" qui n'étaient d'ailleurs pas toujours, loin s'en faut, issus de populations cliniques "réelles". La formule saisissante de Ablon et Jones [2, 2002] "Les essais contrôlés randomisés testent un traitement quelque peu artificiel dans une configuration artificiellement contrôlée avec des patients atypiques, si bien qu'ils ont peu de capacité de généralisation au monde réel de la délivrance de soin en santé mentale" se trouvait ainsi récemment confirmée par une étude [3, 2003] montrant que dans une population de type mutuelle (HMO), 67% des patients ne réunissaient les critères d'aucun ECR pour quelque trouble (primaire ou secondaire) que ce soit.

Devant cette situation anachronique et qui n'était pas sans risque pour les psychothérapies portant sur des troubles courants, de très nombreux praticiens et chercheurs se sont élevés contre l'inadéquation des ECRs avec les besoins des cliniciens, des patients et des décideurs, et ont commencé à faire des propositions pour qu'une nouvelle génération de recherches évaluatives voit le jour.
Pourtant, jusqu'à présent, et alors que même le NIMH avait préconisé dès 1996 [4] qu'il y ait davantage de recherches portant spécifiquement sur l'efficacité réelle (en conditions cliniques ordinaires) des psychothérapies, l'APA semblait continuer sur sa lancée sans évolution notable de sa perspective générale.

Il semble que la situation soit en train de se transformer si l'on se réfère à une version de travail d'un Rapport politique sur la pratique basée sur la preuve en psychologie élaborée par le groupe de travail présidentiel 2005 de l'APA [5] (dont le président est RF Levant).

La partie préliminaire du rapport rappelle le contexte général de la mise en oeuvre des ESTs et la décade de controverse qui a suivi le fameux rapport de la division 12, tout en remarquant que la référence à l'EB Practice a tendance à s'étendre et qu'en particulier le NIMH et le SASMHA* la soutiennent considérant, sans que cela ait d'ailleurs jamais été démontré, qu'elle réduit les coûts et améliore la qualité des soins. Elle insiste sur les différentes composantes incluses dans la définition de Sackett et al (2000) : l'EBP est "l'intégration de la meilleure recherche par la preuve, de l'expertise clinique et des valeurs des patients". Or jusqu'ici l'essentiel de la discussion s'est focalisée exclusivement sur la recherche par la preuve, elle-même limitée pour l'essentiel à la recherche d'efficacité potentielle (en laboratoire).

La Task force s'est ainsi donnée trois objectifs :
1. élargir l'éventail de la recherche de preuve, en particulier à la recherche d'efficacité réelle, la recherche en santé publique, la recherche sur les services de santé et la recherche sur l'économie en santé
2. articuler et préciser le rôle de l'expertise clinique dans la prise de décision, ce qui inclut la prise en considération des multiples courants de preuve qui doivent être intégrés par les cliniciens.
3. articuler et expliquer le rôle de la spécificité identitaire des patients dans la prise de décision, incluant les dimensions ethniques, de culture, de langue, de genre, d'orientation sexuelle, de religion, d'âge, d'incapacité, et la question de l'acceptabilité du traitement et de son choix.

Nous reviendrons ultérieurement en détail sur les second et troisième objectifs, mais nous voudrions immédiatement souligner les différents types de recherche de la preuve qui sont proposés, accompagnés d'une définition de leur spécificité.
- l'observation clinique (incluant les études de cas) et la science psychologique fondamentale sont l'une et l'autre des sources importantes d'innovations et d'hypothèses (le contexte de la découverte scientifique)
- les recherches en santé publique et anthropologie sont particulièrement utiles pour rechercher la disponibilité, l'utilisation et l'acceptation des traitements en santé mentale, ainsi que la façon de les modifier pour augmenter leur utilité dans un contexte social donné
- les études systématiques de cas sont particulièrement utiles quand elles sont réunies dans le cadre de réseaux de recherche sur la pratique pour comparer les patients individuels à d'autres présentant des caractéristiques similaires.
- les études processus-résultats ont une valeur particulière pour identifier les mécanismes de changement
- les essais contrôlés randomisés et leurs équivalents logiques (recherche d'efficacité potentielle) constituent le standard pour tirer des inférences causales sur les effets des interventions (contexte de vérification scientifique)
- les études naturalistes d'interventions (recherche d'efficacité réelle) sont bien adaptées pour évaluer la validité écologique des traitements.

La pratique basée sur la preuve complète devra considérer les différents déterminants (la méthode de traitement, le thérapeute, la relation thérapeutique et le patient) qui contribuent de façon essentielle au succès de la pratique psychologique et leurs combinaisons optimales.

Plusieurs programmes spécifiques de recherche sont proposés. Ils devraient porter en particulier sur :
- l'efficacité en situation réelle de traitements largement pratiqués, basés sur des orientations théoriques variées et des mélanges intégratifs, qui n'ont pas encore été les sujets de recherche contrôlée
- les interactions patient-traitement (modérateurs)
- la généralisation et l'applicabilité d'interventions qui se sont révélées efficaces dans des configurations de recherche contrôlée
- la distinction entre facteurs communs et spécifiques comme mécanismes de changement
- les caractéristiques et les actions du psychologue et la relation thérapeutique qui contribuent à un résultat positif
- les critères d'interruption du traitement
- les coût-efficacité et coût bénéfice des interventions psychologiques.

 

Si ce rapport est définitivement adopté, une nouvelle perspective sera ouverte, redonnant aux questions cliniques et potentiellement aux acteurs de la psychothérapie une place importante dans la recherche. Souhaitons que sa mise en oeuvre se dessine rapidement.

Mais dès à présent, cela confirme qu'il est possible de développer en France une recherche sur les psychothérapies largement ancrée dans la clinique, dans une perspective qui pourra être associée à la démarche qualité devenue obligatoire depuis bientôt un an et dont les textes d'application sont sur le point de paraître.

* SAMHSA : Substance Abuse and Mental Health Services Administration

Références

1. Chambless D L, Ollendick T H. Empirically supported psychological interventions: Controversies and evidence. Annual Review of Psychology, 2001 ; 52 : 685–716.

2. Ablon J S, Jones E E. Validity of controlled Clinical Trials of Psychotherapy : Findings from The NIMH Treatment of Depression Collaborative Research Program. In Am J Psychiatry 2002 ; 159 : 775- 783.

3. Stirman SW, DeRubeis RJ, Crits-Christoph P, Brody, PE. Are Samples in Randomized Controlled Trials of Psychotherapy Representative of Community Outpatients? A New Methodology and Initial Findings. Journal of Consulting & Clinical Psychology. 2003 Dec Vol 71(6) 963-972

4. Markowitz , Street L: NIMH propels psychotherapy research on new course. Psychiatr News, Oct 15, 1999, p 20

5. http://forms.apa.org/members/ebp/ebp.pdf


Dernière mise à jour : 20 fÈvrier, 2005 info@techniques-psychotherapiques.org