Caractériser et Comprendre le Processus de Changement d’une Psychothérapie Complexe *

Modélisation des processus, mécanismes et conditions des changements associés à la psychothérapie de 66 enfants et adolescents présentant des troubles du spectre autistique

Jean-Michel Thurin ©

Discussion

Cette thèse porte sur l’introduction de la recherche processus-résultats en psychothérapie et la possibilité d’en appliquer les principes et les conséquences aux processus de changement d’une population de 66 enfants et d’adolescents souffrant de troubles autistiques. L’application porte sur l'évaluation des changements suivant une méthodologie d'études intensives de cas au cours d’une année de traitement psychothérapique menée en conditions naturelles.

Premier chapitre, un historique

Il concerne le développement de la recherche sur le processus interne de la psychothérapie et de sa mise sa relation avec les études de résultats, l'introduction de la complexité dynamique au cœur de la recherche, et l'introduction des chaînes causales dans les processus de changement et leur modélisation.

Années 90, une nécessité d’introduire le processus dans les études de résultats

La reconnaissance de la nécessité d’introduire le processus dans les études de résultats (Beutler 1990) est issue d’un constat partagé. Une approche purement descriptive du processus de la psychothérapie n’est pas suffisante ; il est nécessaire, pour qu’elle prenne tout son sens, d’y associer une mesure des effets que cette activité produit. De son côté, la recherche sur les résultats ne peut pas atteindre son objectif d’évaluation de l’effet produit par l’application d’une technique particulière sans une définition précise de ce qui le cause.

Cette relation à double sens a impliqué un rapprochement culturel et la conjonction de deux approches qui avaient fonctionné de façon séparée pendant près de 40 ans. L’une des approches est issue du laboratoire, l’autre de la clinique, deux mondes qui ont pu paraître irréconciliables tant leurs cultures et leurs outils de base semblaient différents. De nombreux articles ont présenté cette situation durable qui a produit, jusque dans les années 2000, une fracture qui semblait infranchissable. C’est finalement la reconnaissance des limites de chacune des deux approches isolées, l’une centrée sur la démonstration de l’efficacité de la psychothérapie sans véritable démonstration de ce qui en est l’origine, l’autre sur le processus interne séparément de l’action qu’il est susceptible de produire, qui a permis qu’un pont soit jeté entre elles.

Concrètement, les questions méthodologiques qui ont été rencontrées dans chacun des deux courants ont rendu nécessaire une meilleure connaissance de la nature et de la complexité du processus thérapeutique qui se produit dans le cadre de la relation entre le patient et le thérapeute.

Cette évolution s’est faite dans un contexte scientifique favorable. Dans le champ de la psychothérapie, les études se sont progressivement complexifiées, de nouveaux instruments se sont constitués, des rencontres se sont établies et structurées. La politique de santé s’est inscrite dans une perspective où les cliniciens et les chercheurs se sont directement engagés dans l’amélioration de la qualité des pratiques. Il a été démontré que les références théoriques générales ne permettaient pas de comprendre précisément pourquoi, comment et dans quelles conditions une psychothérapie produit des effets. La tentative d’une application de techniques efficaces en laboratoire ne répondait pas aux questions qui se posent au praticien dans sa pratique et aux principes et connaissances qui déterminent son action. Il est apparu nécessaire de distinguer la référence théorique générale et la théorie du changement qui se construit à partir de l’analyse clinique de la situation et des faits qui se produisent dans la pratique.

Années 2000, l'introduction la complexité dynamique au cœur de la recherche

Cette nouvelle étape a été préparée par la réflexion et les études d’un ensemble de chercheurs – cliniciens. Leur travail a donné lieu à une littérature très étendue et sans concession. Cette thèse présente leur apport dans une revue de la littérature qui permet de suivre l’évolution paradigmatique profonde de l’approche scientifique qui s’est produite. La description et l’analyse des processus internes de la psychothérapie impliquent nécessairement la complexité des interactions qui se produisent entre ses deux acteurs principaux, le patient et le thérapeute. Cet état de fait conduit à s’écarter du paradigme médical où le médecin prescrit et le patient applique sa prescription. Le contexte est aussi à prendre en compte. C’est ainsi que le paradigme de référence de la psychothérapie devient nécessairement celui d’un système dynamique ouvert à différents facteurs.

La conceptualisation et la représentation de ce système dynamique complexe sont difficiles à appréhender. L’introduction des concepts de modérateur, médiateur et mécanisme, à partir des définitions de Baron et Kenny (1986) apporte les bases d’une organisation des variables qui y participent. Elle est complétée par une conception du processus de changement comme une succession d’étapes dont la structuration, la finalité et le résultat sont différents.

L’importance des différentes variables qui participent à ce processus est sujette à évolution. Chacun des ingrédients du processus peut avoir une influence dans le changement et le mécanisme qui la sous-tend peut être different. L’activité des ingrédients est elle-même dépendante de la configuration dans laquelle ils se situent et des autres composants qui y sont potentiellement impliqués à un moment donné. Leur influence est donc relative et évolutive. Cette dimension sera introduite avec les dimensions d’interaction qui caractérisent les relations d’une partie au moins de ces variables.

Cette situation n’est pas propre à la psychothérapie. On la retrouve dans la modélisation des mécanismes d’ajustements biopsychosociaux dans le stress (Thurin 2016, Thurin & Baumann 2003). Cette modélisation implique des travaux de recherche à différents niveaux : biologique, physiologique, psychique (représentation de soi, mécanismes de défense) et cognitif (coping) pour comprendre comment une trajectoire d'évolution peut s'établir et se modifier. L'évolution délétère « spontanée » et « l’action efficace pour la modifier » constituent un modèle conceptuel de référence pour comprendre comment un système dynamique complexe peut évoluer favorablement ou défavorablement. Ce modèle considère notamment l’histoire développementale, avec ses facteurs favorables, dont le principal est peut-être l’attachement et les interactions qui en découlent, et défavorables de toutes sortes. Il considère la charge que peut représenter le contexte externe pour le système biopsychosocial dans sa globalité et ses différentes composantes. Il se retrouve dans les nombreux articles portant sur les mécanismes (Kazdin) et l’ajustement (Lazarus et Folkman, cité par Kazdin 1982 chap. 4), ainsi que dans différents articles centrés sur la distinction entre médiateurs et modérateurs (p.ex, Holmbeck 1997). Une modélisation à un niveau plus fin se rencontre en biologie comme, par exemple, la représentation schématique des interventions des différents systèmes neuroendocriniens dans le fonctionnement de l’axe du stress (Jacque et Thurin 2002), systèmes neuroendocriniens qui sont hautement sensibles aux contextes externe et interne.

Chaînes causales, action thérapeutique et modélisation du changement

La recherche en psychothérapie demande et permet un abord multifactoriel et multi-niveaux de la complexité. Le modèle des « facteurs de risque » est un apport majeur. Kazdin et Kraemer (1997, 2001-2) l'utilisent sous une forme étendue pour décrire à la fois les facteurs de changement défavorables (liés aux événements et facteurs d’environnement, ainsi qu'au handicap), et les facteurs de changement favorables (liés notamment à l’action thérapeutique). Suivant ce modèle et les recherches menées en psychothérapie, l'action thérapeutique fait intervenir l’approche et les attitudes du thérapeute. Elles permettent qu’une relation de confiance, de sécurité et de compréhension réciproque puissent s’établir et que des actions spécifiques puissent être engagées. Cette dimension est particulièrement importante et spécifique avec les enfants autistes. Au facteur relationnel central s'associent des interventions ciblées qui trouvent leur efficacité dans la zone proximale de développement décrite par Vygotsky. L’action thérapeutique est donc nécessairement ajustée et ce facteur se retrouve de façon régulière dans les cas dont cette thèse est issue.

Partant d’une situation de handicap important, le suivi du processus de changement conduit à considérer que l’intervention psychothérapique et les interventions qui l’accompagnent contribuent à une chaîne de changements. Ils se situent à différents niveaux : le rapport à l’autre et au monde (qui sont en interaction et permettent une réduction de la peur), l’évolution du sentiment de soi et la construction d’un schéma corporel, des aptitudes développementales (qui ouvrent de nouvelles possibilités cognitives, relationnelles, ... lesquelles interviennent aussi en modifiant la situation et les fonctionnements précédents). Dit autrement, on peut concevoir que l’action de la psychothérapie permet une réduction de la vulnérabilité à certains facteurs qui exposent l’enfant à des relations très difficiles avec le monde et qu’elle facilite la reprise du développement. Celle-ci permet à son tour une réduction progressive des mécanismes d’adaptation inadaptés ou pathologiques qui se sont développés (crises, stéréotypies, retrait et évitement), auxquels se substituent une sécurité de base, une compréhension mutuelle et de nouvelles aptitudes qui rendent possible la relation avec les autres et une activité de pensée qui peut être orientée.

L’évolution est ainsi intra et inter individuelle. C’est un des apports de l’étude de cas individuel que de pouvoir la décrire dans ce double registre (Hilliard 1993).

Une nouvelle approche de la preuve

Du fait de la conception multifactorielle et multiniveaux des processus de changement, les critères sur lesquels on peut parler de preuve se trouvent modifiés. De la perspective catégorielle (oui/non) des essais cliniques centrés sur un médiateur, elle s’oriente vers la convergence des observations et les regroupements logiques qui peuvent s’opérer quand elles sont mises en relations.

Ces questions ne sont pas simplement académiques. Elles interviennent à la fois sur la qualité des soins (en situant la logique qui sous-tend une intervention efficace), et l'élargissement de la base de connaissance des facteurs et des mécanismes qui contribuent à l’efficacité. La réduction d'un dysfonctionnement, dont la cause est cernée, devient l’objectif qui précède la réduction des symptômes. Dans cette investigation, la relation entre cliniciens et chercheurs est centrale.


Dernière mise à jour : 31 juillet 2018


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