Jean-Michel Thurin ©
Face au modèle des maladies dont l'évolution répond à des lois générales, la diversité des trajectoires d'évolution des Troubles Envahissants du Développement (TED) suscite beaucoup d'interrogations. Cette diversité est-elle le témoin de sous-types diagnostics méconnus, du dispositif dans lequel la psychothérapie intervient, de l'efficacité particulière d'une approche spécifique, ou bien d'éléments distinctifs au niveau individuel ?
Dit autrement, traduit-elle l'influence de différences individuelles initiales, de facteurs de contexte extérieurs à la psychothérapie (modérateurs), de médiateurs de changement spécifiques d'un dysfonctionnement ou d'un stade de la thérapie, ou de variables en interaction dans le processus interne de la thérapie ?
Plusieurs méthodes peuvent contribuer à répondre à ces questions.
La notion « d’analogie » entre cas est difficile à bien spécifier. Elle trouve un appui dans les statistiques qui situent des similarités entre sujets à partir d'une sélection de variables "d'intérêt " qui les réunissent. Nous avons cependant montré qu’il ne s’agit que d’une étape dans un processus d’investigation des variables qui définissent un sujet. Les représentations graphiques des analyses factorielles et des classifications ascendantes hiérarchiques permettent une première représentation des proximités inter-cas.
L’approche cas-à-cas apporte un autre degré de précision, avec notamment la possibilité d’intégrer des données qualitatives. Nous en prenons comme exemple la comparaison de l'évolution de Y096 et Y098.
Y096 et Y098 sont deux enfants du même âge (4 ans). Ils ont le même thérapeute et sont tous les deux dans leur première année de Thérapie d'Échange et de Développement (la spécificité de cette approche est validée par le CPQ, en relation au prototype cognitivo-comportemental). La sévérité initiale de leur trouble est plus importante chez Y096 que chez Y098 (ECA-r : 54 vs 44).
Après une année de thérapie, leur score composite de changement (changement à l’ECA-r + changement à l'EPCA) est très different (67 pour Y096 et 11 pour Y098). Ici, le résultat est bien meilleur pour Y096 qui a commencé avec un score plus sévère que celui de Y098. La sévérité des symptômes s’améliore nettement plus pour Y096 (ECA-r = 16 vs 34), ainsi que les aptitudes acquises (7 vs 3). Quels sont les facteurs qui peuvent expliquer cette différence d'évolution ?
Tableau 18 : Comparaison de Y096 et Y098 au niveau des variations comportementales et d’aptitudes
Des regroupements d'énoncés du CPQ ont été réalisés à partir des facteurs potentiels de changement. Ils correspondent aux dimensions qui participent à l'alliance thérapeutique, et aux actions spécifiques centrées sur l'émotion, le langage, l'interprétation et les comportements. Ces regroupements thématiques font intervenir des actions techniques centrées, mais aussi les attitudes de l'enfant et sa relation avec le thérapeute. Ils concernent également l'implication de l'enfant et du thérapeute, ainsi que son ajustement aux besoins et développement de l'enfant.
Les scores moyens d’implication (EP) et de participation (PP) à la psychothérapie de Y098 sont très faibles comparés à ceux de Y096, de même que son score d’interaction (IT). Les scores d’engagement (ET) et d'ajustement (AT) du thérapeute sont élevés pour les deux enfants.
Les scores moyens des facteurs spécifiques montrent une différence importante entre les thérapies de Y096 et de Y098. Le score "Contenance et Expression affective » (ECA) est plus fort chez Y096, "Communication, Langage et Verbalisation" (CVL) sont presque équivalents, les scores "Interprétation, Signification" (IS) sont très négatifs. Les scores "Conseil et comportement" (CC) sont élevés, l'insight est très négatif. Les scores relatifs à l'approche cognitivo-comportementale (40 et 39) sont équivalents pour les deux enfants. On retrouve un peu d'approche psychodynamique (9) dans la thérapie de Y096. Elle est absente dans la thérapie de Y098 (-3). Nous notons ici que la différence se situe essentiellement dans l’implication de l’enfant dans sa psychothérapie ( EP et PP).
Tableau 19 : Comparaison des scores moyens des médiateurs préconstruits de Y096 et Y098 .
L'évolution longitudinale des scores montre également que les scores d'implication et de participation de Y096 sont en progression, mais qu'il y a une difficulté dans son interaction avec le thérapeute à 12 mois. L'implication et la participation de Y098 sont également en progression (il commence avec des scores très bas) et l'alliance avec son thérapeute est croissante. Les scores d'ajustement émotionnel et de communication, verbalisation, langage de Y096 sont en progrès. Ce n'est pas le cas pour Y098. Pour l'un et pour l'autre, l'Interprétation Signification et l'Insight sont très bas aux 3 cotations.
Tableau 20 : Comparaison des scores à 2, 6 et 12 mois des médiateurs préconstruits de Y096 et Y098
Pouvons-nous décrire ce que recouvre exactement l'ajustement du thérapeute ? L'analyse factorielle des cas de Y096 et Y098 confirme que les principaux items qui caractérisent l'approche cognitivo-comportementale sont présents et recueillent des scores élevés, mais aussi que le thérapeute ajuste son approche aux problèmes particuliers de Y098.
Les problèmes de Y098 incluent le fait qu'il parle de façon confuse, avec de fréquentes digressions, ou est vague (2,48 vs 0,6) [item 54]. Il est davantage désaccordé ou inapproprié que Y096 (2.22 vs. 1.71) [item 26], il ne contrôle pas ses sentiments ou ses impulsions 1.82 vs. 0.8) [item 70] et il est en compétition et rivalité avec son thérapeute (1.55 vs 0.3) [item 39]. Il est vivant, alerte [item 13], mais aussi distant de ses sentiments [item 56], et a des difficultés à comprendre les commentaires du thérapeute (1.04 vs 0.4) [item 05].
Au total, la relation de Y098 avec sa thérapie (implication et participation) et avec son thérapeute (désaccordée, confuse avec digressions) semble initialement de mauvaise qualité alors que les conditions générales de la thérapie sont les mêmes. Mais le contexte de la thérapie est-il le même ? C'est ici que l'examen des modérateurs prend toute son importance. Il apparait ainsi que Y096, dernier né d'une famille de quatre enfants dont les parents sont séparés, est très entouré par sa mère et ses frères et soeurs. Pour Y098, le contexte familial est source d'insécurité avec des conditions de violence et de séparation. Au delà de ce problème majeur, l'enfant a changé deux fois de thérapeute dans l'année. Le détail du processus de la thérapie de Y098 montre cependant que son implication, sa participation à la thérapie et son alliance avec le thérapeute, établis avec retard, sont néanmoins en progrès (7, 3, 25 ; -40, 35, 15). L’engagement du thérapeute est en forte progression, avec un creux à 6 mois (38, 4, 67) et son ajustement est très élevé, avec le même creux à 6 mois (55, -10, 40). La sécurité interne qui s’établit dans la thérapie [item 44] est peut-être la première étape d'un vécu absent ailleurs et le facteur qui, en s’établissant, a permis un début de reprise du développement chez Y098.
Finalement, existe-il des éléments prédictifs d'une évolution plutôt qu'une autre ? La mise en relation cas-à-cas montre le poids que peut avoir la différence d'une variable et son évolution, alors que les 2 cas sont très similaires du point de vue des critères habituellement réunis pour le dire.
Dans la comparaison qui vient d’être réalisée, l’élément essentiel semble être l’insécurité de base contextuelle qui bloque ou retarde le processus thérapeutique. Cette observation oriente sur une recherche systématique de ce modérateur lorsqu’un blocage de l’évolution d’un enfant est constaté.
Dernière mise à jour :
29 juillet 2018
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