Caractériser et Comprendre le Processus de Changement d’une Psychothérapie Complexe *

Modélisation des processus, mécanismes et conditions des changements associés à la psychothérapie de 66 enfants et adolescents présentant des troubles du spectre autistique

Jean-Michel Thurin ©

Chapitre 3 : Application méthodologique

3.4. Analyse des données

3.4.7. Réplication et Agrégation des cas : variations intra et inter-sujets

Les comparaisons cas-à-cas permettent ainsi d'aborder les différences de trajectoires avec un grain fin à partir de ce qui distingue deux ou plusieurs sujets dont les symptômes d’appel sont proches. Elles introduisent de façon cruciale la question des conditions et des différents facteurs qui déterminent un changement favorable ou défavorable et la possibilité d'une réorientation. La dimension épistémologique doit inclure le fait que le « simple » peut être le voisin du « complexe ». La dynamique de l’interaction force la porte du modèle action–changement sur un organisme stable réceptif pour lui substituer celui de l'ajustement transactionnel des interventions réciproques aux différentes variables potentiellement impliquées, qui ne conduisent pas toujours à l’objectif initial qui était visé. Le cas et l'évolution de Y078 peuvent également évoquer une véritable intervention transférentielle si l’on rapporte l'évolution de l’enfant à la fois au besoin qu’il avait de sa mère et à la difficulté de la relation qui s'était établie avec elle.

La variation intra-sujet dans le cadre d’une interaction entre le patient et le thérapeute a été présentée avec la psychothérapie de Y078. C’est le changement interne qui se déroule en lui, même si ce changement nécessite le présence et l’action d’autrui pour se réaliser. Elle montre que le patient n’est pas le seul sujet impliqué et que la variation intra-sujet concerne également le thérapeute. Le cas et l'évolution de Y078 peuvent également évoquer une véritable intervention transférentielle si l’on rapporte l'évolution de l’enfant à la fois au besoin qu’il avait de sa mère et à la difficulté de la relation qui s'était établie avec elle.

La variation inter-sujets se réfère à des différences entre et à travers les sujets. Les perspectives de coupe transversale et d'agrégation directe des cas sont à éviter du fait de la perte d'information qu'elles entrainent car le risque est grand de ne pas saisir la ou les variables qui sont les réelles causes des changements. La variabilité peut être étudiée dans les configurations de la variabilité du changement intra-sujet. La généralité des résultats est habituellement traitée a partir de la réplication sur une base de cas-par-cas.

Deux types de réplication à travers les sujets sont décrits par Hilliard (1993). Le premier, est conçu comme une réplication directe. Il se réfère à la tentative de répliquer les résultats chez des sujets qui sont similaires en termes de variables individuelles perçues comme affectant le phénomène d’intérêt (p.e., âge, nature et sévérité du trouble, thérapeute, contexte).

Le second type de réplication, la réplication systématique, se réfère à la tentative de montrer que les résultats diffèrent sur des modes prévisibles quand on sélectionne des sujets qui diffèrent au niveau des variables essentielles de différence individuelle (p.e., comme dans les 2 cas précédents, par le type de relation entre l’enfant et le thérapeute). La comparaison de sujets hautement similaires en termes de certaines variables de différences individuelles (sexe, âge, nature et sévérité du trouble initial), mais dont le résultat est différent est, comme nous l'avons constaté précédemment, une voie de recherche prometteuse parce qu’elle conduit au delà des rapprochements simplificateurs.

Hilliard (1993 p 375) ajoute que ce n’est qu’une fois que le phénomène d'intérêt est suffisamment bien compris au niveau du cas isolé qu'une agrégation intelligente sur des groupes réellement homogènes peut être possible. Trois facteurs sont à prendre en considération quand on explore la question de la vraie homogénéité : (a) la nature de la question qui est posée, (b) comment la configuration de la variation intra-sujet diffère entre les sujets, et (c) la statistique particulière d’agrégation qui est utilisée.

La question qui se pose est celle de la ou des variable(s) méconnue(s) qui peu(ven)t expliquer que des cas "similaires" au niveau démographique et de la sévérité du trouble puissent ne pas avoir le même résultat, y compris quand ils sont traités par le même thérapeute. Parmi les hypothèses qui peuvent être envisagées, celle de l’interaction de l’enfant avec le thérapeute peut être examinée, mais elle sera complétée par la recherche des éléments qui peuvent intervenir sur cette interaction.

L’intervention des modérateurs liés au contexte actuel prend ici toute sa place. Nous avons vu comment Kazdin intègre ainsi, dans le cadre des troubles des conduites de l’enfant pour lesquels les résultats de la psychothérapie étaient faibles, la variable des interventions éducatives parentales, la possibilité de modifier ces interventions transformant en retour favorablement les résultats de la thérapie. D’autres variables peuvent être impliquées comme la situation psychosociale, le soutien des parents, la relation de l’enfant à l’école avec ses pairs, le transfert - contre transfert (Strupp 1980), etc. Il ne s’agit pas de multiplier les variables, mais d’être attentif à celles dont les cas individuels ont montré l’importance. Les statistiques qui peuvent être utilisées sont la distinction de sous-groupes suivant les modérateurs, l'analyse factorielle en composantes principales, et l'analyse PLS-SEM.

Concernant la réplication, Kazdin (1982, pp 284-286) remarque que :

"En fait, la réplication directe et la réplication systématique ne sont pas qualitativement différentes. Une réplique exacte n’est en principe pas possible car la répétition de l'expérience implique de nouveaux sujets testés à différents points dans le temps et, peut-être, par des investigateurs différents, qui tous en théorie pourraient conduire à des résultats différents. Ainsi, toutes les répétitions permettent nécessairement à certains facteurs de varier ; le problème est la mesure suivant laquelle la tentative de réplication s’écarte de l’expérience (experiment) initiale.

Si les résultats de la réplication directe et systématique de la recherche montrent que l'intervention affecte les comportements chez de nouveaux sujets à travers des conditions différentes, la généralité des résultats a été démontrée. L'étendue de la généralité des conclusions, bien sûr, est une fonction de la gamme, du nombre et du type de sujets, des problèmes cliniques, des paramètres et des autres conditions incluses dans les études de réplication. Dans toute étude systématique de réplication particulière, il est utile de faire varier seulement une ou quelques-unes des dimensions à partir desquelles l'étude pourrait s’écarter de l'expérience initiale. Si les résultats d'une tentative de réplication diffèrent de l'expérience initiale, il est souhaitable de disposer d'un nombre limité de différences entre les expériences de sorte que le motif possible (s) pour la différence des résultats puisse être plus facilement identifiable. Si il y a plusieurs différences entre les expériences d'expérimentation et de réplication d'origine, les divergences dans les résultats pourraient être dus à une multitude de facteurs qui ne sont pas facilement discernables sans une plus vaste expérimentation (experimentation).

Une limitation de la recherche cas-isolé se produit avec les tentatives de réplication dans lesquelles les résultats inter-sujets ne sont pas cohérents. Par exemple, les résultats peuvent être incompatibles ou mixtes, à savoir, que certains sujets peuvent avoir montré des changements clairs et d'autres pas. En fait, il est probable que les tentatives de réplication directe donneront des résultats incohérents parce que l'on ne devrait pas s'attendre à ce que toutes les personnes répondent de la même manière. Plusieurs démonstrations pourraient être citées dans la recherche cas-isolé dans lesquelles tous les sujets inclus n’ont pas répondu de la même façon (par exemple, Herman, Barlow et Agras, 1974; Kazdin et Erickson, 1975; Wincze, Leitenberg et Agras, 1972). Le problème avec les effets contradictoires est de comprendre pourquoi les résultats ne se généralisent pas avec tous les sujets [souligné par nous]. Ici se trouvent les limites potentielles de la recherche cas isolé. Lorsque la réplication directe révèle que certains sujets ne répondent pas, l’investigateur doit spéculer sur les raisons du manque de généralité. Il est souvent impossible dans une simple investigation ou même dans une série d’études de cas isolés d'identifier clairement la base du manque de généralité".

En mode observationnel, nous pouvons rechercher sur ces bases : (1) d'abord si les sujets qui sont similaires en terme de variables distinctives d'intérêt présentent globalement des résultats similaires ; (2) dans un second temps, quels sont ceux qui diffèrent de ces résultats dans un sens ou dans un autre (bien meilleur - bien moins bon) et essayer de comprendre l'origine de ces différences ; (3) dans un troisième temps, nous pouvons tester le caractère prédictif de ces observations et des hypothèses qui les accompagnent à partir de nouveaux cas, et rechercher si une modification de la variable explicative au cours de la période observée peut modifier les résultats.

Les variables distinctives candidates habituelles se situent au niveau de l’enfant (son implication, sa participation à la thérapie, et le type de relation qu’il entretient avec le thérapeute) et des modérateurs, tels que l'âge, le sexe, la sévérité initiale du trouble. Les résultats qui nous avons présentés plus haut montrent, dans la population des enfants étudiée, l’importance du contexte psychosocial précoce, des événements traumatiques qui ont pu s’y produire et des comorbidités somatiques. S’y ajoute la dimension dynamique du contexte actuel qui peut se modifier d’une difficulté - voire d’un blocage -, à un mouvement partagé ...

Nous pouvons y associer les configurations de variables issues du processus. La question devient celle de leur définition. Cette définition peut s'opérer a partir d'une analyse factorielle en composantes principales et d'une analyse PLS-SEM. L’une et l’autre permettent d’appréhender l'interaction dynamique qui se réalise entre l'action thérapeutique conduite par le thérapeute, son interaction avec l'enfant, et les résultats. Nous allons en montrer des exemples plus loin.


Dernière mise à jour : 20 juillet 2018


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