Caractériser et Comprendre le Processus de Changement d’une Psychothérapie Complexe *

Modélisation des processus, mécanismes et conditions des changements associés à la psychothérapie de 66 enfants et adolescents présentant des troubles du spectre autistique

Jean-Michel Thurin ©

Chapitre 3

Résultats

3.3.1. Évaluation générale des résultats

La recherche en psychothérapie s'est recentrée depuis les années 2000 sur la causalité de ses effets à différents niveaux : Pourquoi, comment et dans quelles conditions contextuelles une psychothérapie produit-elle des effets ? La réponse à cette question centrale implique une réponse préliminaire, celle des effets constatés.

Nous présentons dans un premier temps les résultats généraux des psychothérapies des 66 enfants qui ont participé à la recherche. Ces résultats sont issus d’une année d’évaluation de chaque cas par le thérapeute lui-même, mais aussi par les 2 collègues qui ont accompagné ce processus à partir de la lecture attentive des données initiales, puis à travers leurs cotations individuelles de chacun des cinq instruments de l’étude : formulation de cas initiale, ECA-r et EPCA à 0, 2, 6 et 12 mois, CPQ à 2, 6 et 12 mois, et nouvelle formulation de cas à 1 an. Ces cotations individuelles ont chacune été suivies d’une discussion approfondie des écarts constatés dans les jugements, en référence aux notes extensives issues des séances, jusqu’à l’obtention d’un accord de cotation validé par les 3 membres du groupe de pairs.

Les données font apparaître que les cas sont hétérogènes. Cette hétérogénéité n'est pas ici un obstacle à la recherche, comme cela pourrait l'être si l'objectif de la recherche était d'apporter une réponse globale pour la théorie et la pratique (Mesibov et Shea 2011). L'hétérogénéité est ici au service d'une logique où les différences sont des entrées dans la recherche explicative. Elles ont par exemple le mérite, comme le souligne Kazdin (2001b), d’éliminer l’hypothèse d’une évolution dont la variable explicative confondante serait le développement naturel lié à l’âge et au temps qui passe. À noter la distinction intéressante sur la double dimension du développement (constitutionnelle et environnementale) que font Eyberg et al. (1998) à ce sujet. L'hétérogénéité n'est pas toutefois complète. On peut observer des spécificités qui s'expriment dans des sous-groupes, notamment le fait que l’évolution des enfants de 3 à 6 ans dans un cadre psychothérapique peut être très rapide. En même temps, les cas individuels permettent de noter des évolutions tout à fait essentielles qui se produisent à d'autres âges tels que l’adolescence avec l'expression verbalisée de la souffrance liée au handicap [cf. X071]. À chaque âge, il y a des psychothérapies qui donnent des résultats importants, moyens et plus rarement (très) faibles. La présentation par âge fait nettement apparaître ces différences et les transforme en question : Quels en sont les facteurs explicatifs ? Ce point sera abordé plus loin (section 3.3.3. )

La première série de résultats concerne successivement : 1) les 3 variables de base : l’âge, l’indice global de modération (IG), issu de la somme des modérateurs potentiellement actifs négativement parmi les 10 qui sont recherchés systématiquement (cotation 0 ou 1), et le nombre d’années antérieures de psychothérapie avant l’entrée dans l’étude (Napa), 2) les indicateurs de changement manifeste ECA-r (comportements), EPCA (Pathologie, développement et aptitudes acquises), et CPQ (fonctionnement IntraPsychique : Insight, Expression et Défenses affectives (EAD), Relation au monde, à soi, et aux autres (RMA)). Ces résultats sont complétés dans un deuxième temps par des tableaux commentés réunissant les enfants par âge. Ces tableaux attirent l’attention sur les différences inter-cas. Ces différences seront abordées par des analyses de cas individuels qui introduisent des facteurs explicatifs potentiels fiables et cohérents.

Données générales et évolution des scores de comportements, développement et fonctionnement intrapsychique.
  1. - Les enfants sont âgés de 3 à 15 ans (moyenne = 7,3, sd = 3,2).
    - L’indice de difficulté potentielle de la psychothérapie liée au contexte (IG) est établi à partir des modérateurs actifs dans chaque cas, parmi les 10 modérateurs considérés. Il est en moyenne de 3 (sd = 1,6 ; intervalle = 0 à 9 modérateurs).
    - Le nombre d’années de psychothérapie antérieures à l’entrée dans l’étude (Napa) est en moyenne de 2.4 ans (sd = 2,7).

  2. L’Échelle des comportements autistiques (29 items) permet de mesurer 3 dimensions : le score général (EG), la déficience relationnelle (DR) et la modulation émotionnelle (IM). Les enfants se situent en moyenne dans l’autisme moyen.
    On remarque cependant, dans le tableau 01, des scores extrêmes initialement très élevés de déficience relationnelle (86.5) et de modulation des émotions (75).

Tableau 01. Évolution des scores de comportements autistiques chez 66 enfants de 3 à 15 ans à partir de l’ECA-r, de façon générale (EG) et aux niveaux de la déficience relationnelle (DR) et du déficit de modulation des émotions.

Tableau1

Les différences très importantes inter-cas appellent une attention aux différences éventuelles des prises en charge qu’elles impliquent et aux résultats qui leur sont associés.

En moyenne, les scores se réduisent régulièrement dans les 3 dimensions.

3. L’Évaluation psychodynamique des changements dans l’autisme (147 items) aborde 8 dimensions suivant 3 axes : Pathologie (P), Développement (Dev) et Émergence développementale temporaire (EDT) (Tableau 02). Le troisième axe réunit les symptômes qui accompagnent une phase de développement particulière. Les cotations des 2 premiers axes sont classiques : une réduction de scores de P traduit celle de la pathologie, une élévation des score de Dev traduit l’activité du processus développemental. Nous observons une amélioration pour les deux.

Tableau 02. Évolution des scores de pathologie, de développement et d’expression développementale temporaire chez 66 enfants de 3 à 15 ans à partir de l’EPCA.

Tableau1

La cotation du troisième axe (EDT) traduit un degré d’activité développementale en cours (en relation aux symptômes qui s’y produisent) et par extension un indice de l’activité développementale. Les scores sont en moyenne assez stables, mais plutôt en croissance, avec des écarts très importants.

4. Parmi les 47 items de l’axe Développement de l’échelle EPCA, 14 concernent des aptitudes dont l’acquisition constitue à la fois un repère et une transformation. On parle de fonction pivot pour décrire les effets qu'elle produit chez l’enfant et son entourage. Ces 14 aptitudes sont les suivantes :

Le tableau 03 présente l’évolution dans un ensemble de 14 aptitudes issues des différentes dimensions de l’EPCA et qui rendent compte d’acquisitions centrales telles que le regard, le langage, ...

Tableau 03.Évolution des scores d’aptitude chez 66 enfants de 3 à 15 ans à partir de l’EPCA

Tableau1

Ce tableau n’a ici qu’une valeur indicative de l’évolution générale et sera repris en détail plus loin.

5. Le Questionnaire classé de processus psychothérapique présente l’évolution de 3 dimensions intra-psychiques (tableau 04). Elles concernent l’insight (INS), l’expression et les défenses affectives (EAD) et la relation à soi, au monde et aux autres (RMA).

Tableau 04. Évolution des scores d’insight, de vécu affectif et de relation au monde, à soi, et aux autres chez 66 enfants de 3 à 15 ans à partir du CPQ.

Tableau1

L’insight démarre très bas, mais est en croissance régulière. Les deux autres mesures montrent en moyenne une croissance régulière, avec des écarts inter-enfants extrêmement importants. Ici encore, une attention au cas par cas est nécessaire, certains enfants pouvant accéder à une santé mentale déjà affirmée.


Dernière mise à jour : 10 juillet 2018


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