Caractériser et Comprendre le Processus de Changement d’une Psychothérapie Complexe *

Modélisation des processus, mécanismes et conditions des changements associés à la psychothérapie de 66 enfants et adolescents présentant des troubles du spectre autistique

Jean-Michel Thurin ©

Chapitre 3

Méthodologie de l'étude

Cinq hypothèses préliminaires

1. L’information issue du cas est un cadre potentiel de recherche causale à laquelle les cliniciens peuvent et devraient contribuer pour éviter que leur connaissance se trouve perdue

Kazdin (2008, p 155) a présenté cet objectif de la façon suivante :

« Un déficit critique de la formation clinique se situe dans l'évaluation des cas cliniques dans le cadre de la thérapie «réelle» et de la pratique clinique. En effet, nous avons appris certaines choses à propos de l'étude de l'individu qui ne sont pas tout à fait vraies. Il est possible, par exemple, de tirer des conclusions de causalité de l'étude de l'individu, de mettre à profit l'information issue du cas, pour aider à faire des hypothèses rivales plausibles, de tester et de générer des hypothèses, et de fournir des résultats remarquables et étonnants qui vont s'ajouter à la base de connaissances (voir Sechrest, Stewart, Stickle, et Sidani, 1996). Il y a plusieurs façons d'arranger la situation clinique qui constituent même des quasi-expériences, un terme légitimé par la recherche de groupe. Notre formation actuelle nourrit une recherche clinique divisée en ne faisant pas savoir que l'évaluation peut aider les patients individuels et contribuer directement à l'accumulation de connaissances par des moyens qui couvrent un continuum de rigueur scientifique. De façon générale, les données obtenues dans la pratique clinique pourraient contribuer directement à la connaissance, générer des hypothèses à étudier dans la recherche, et, dans le processus, rendre la recherche thérapeutique plus alignée avec la pratique clinique et pertinente pour elle. Bien que je mette l'accent sur la contribution à la base de connaissances, la contribution de la base de données pour les soins cliniques est également significative. Un clinicien peut tirer des enseignements de cas antérieurs, faire des déductions sur les traitements à considérer et à combiner, et à partir des résultats chez des patients apparemment semblables.

La tâche est d’identifier les changements constructifs qui pourraient être faits dans la recherche thérapeutique et la pratique pour faire ce que nous faisons encore mieux. L'expérience clinique, la sagesse, de nouvelles hypothèses, et les connaissances sont souvent perdues parce qu'elles ne sont pas dans une forme que nous codifions et accumulons. Nous laissons la connaissance issue de la pratique couler goutte à goutte à travers les trous d'une passoire. Nous pouvons boucher ces trous pour retenir l'information critique, et nous pouvons nourrir cette information dans une recherche conçue pour tester des hypothèses et ajouter un soutien supplémentaire à ce qui semble être vrai à partir des données recueillies dans la pratique » .

2. Dans l’appréhension des causes qui déterminent l’efficacité d’une psychothérapie, des méthodes alternatives aux ECRs existent et sont réalisables en pratique clinique

Leur inventaire a été réalisé à partir de l’analyse de la littérature centrée sur le processus. Cette analyse complète celle qui avait été faite par l’Inserm sur les résultats dans les différentes approches psychothérapiques en 2004. Sa base était essentiellement composée des essais cliniques existants (études de groupes, portant sur un sujet moyen dont le trouble est focal). Différents auteurs dont Kazdin, Elliott, Stiles et Carey, et de façon plus générale l’Association Américaine de Psychologie, ont présenté d’autres méthodes.

3. Pour développer une recherche clinique fine sur les processus de changement , une collaboration entre cliniciens et chercheurs est nécessaire et possible

Depuis une quinzaine d’années, les expériences se sont accumulées. En 2001, Borkovec et Castonguay présentent le cadre général dans lequel cette collaboration peut s’organiser ... Des présentations des réalisations existantes ont été faites depuis (Henton 2012 , Castonguay et al. 2015a et 2015b ).

Aujourd’hui, il est possible de réaliser des études rigoureuses à partir des psychothérapies et interventions psychosociales réalisées en conditions naturelles. Le recueil des données implique que le fonctionnement habituel ne soit pas perturbé par la recherche et que les praticiens soient formés à l’observation et à l’analyse d’une situation clinique complexe.

4. Les processus de changement peuvent être modélisés

Qu’entend-t-on par modélisation ? Que peut-on modéliser ?

Nous avons situé plus haut la modélisation en psychothérapie comme une représentation simplifiée de sa réalité dynamique à partir de concepts et de catégories qui la caractérisent en relation à la réalité psychopathologique. La modélisation permet ainsi de concevoir une intervention ciblée sur le(s) dysfonctionnements et leurs causes actuelles, de considérer sa mise en oeuvre et de mesurer ses effets.

Une première modélisation de la psychothérapie a été réalisée en 1985 par Orlinsky et Howard (Orlinsky 1992) pour constituer un modèle générique dont les élément de base sont des catégories de variables concernant « l’entrée », « le processus » et « la sortie».

Dans la pratique, la modélisation commence dès la formulation de cas. Elle permet d’attirer l’attention sur des chaines causales potentielles (p.e. peur ou angoisse d’une situation, se manifestant dans un comportement émotionnel, lui-même lié à différents symptômes et fonctionnements pathologiques). L’identification des facteurs de vulnérabilité et déclenchants permet de concevoir et d’engager une action spécifique dans le contexte de cette causalité identifiée. La modélisation peut se poursuivre par une « analyse de tâche ». Que fait le thérapeute dans une situation telle qu’une crise de tantrum et avec quel résultat ? La répétition des cas et leur collection dans une base permet progressivement de produire des hypothèses de plus en plus fiables sur ce qui peut marcher ou non. La connaissance peut être également issue d’une « analyse séquentielle du processus ». Le déroulement pas-à-pas des interactions apporte un éclairage irremplaçable.

Ces méthodes permettent de commencer à répondre à la question suivante : dans l'ensemble des attitudes et des actions qui sont corrélées (et considérées comme une réponse à un problème), lesquelles (isolées ou regroupées) sont-elles véritablement à l’origine d’un changement objectif ?

Au niveau statistique la modélisation peut se faire à partir d’équations structurelles qui peuvent être agencées en PLS-SEM.

5. Comprendre les facteurs et mécanismes de changement, c’est enrichir la base des connaissances et améliorer la pratique

Mieux comprendre ce que l’on fait est une démarche de fond qui ne peut que contribuer à améliorer la pratique. Mais comment y parvenir ?

La base des connaissances concernant le processus de changement et ses ingrédients dans les troubles autistiques est réduite (Lerner 2012). Plutôt que de tester isolément, comme il le propose, des ingrédients potentiels, il est possible de suivre une logique psychopathologique pour les déterminer (Kazdin et al. 1997). Cette logique clinique consiste à mettre en relation les résultats des thérapies avec un certain nombre de « facteurs de risque » initialement repérés. Leur réduction en relation aux chaines causales qui les sous-tendent est un premier objectif du traitement. Parallèlement, le thérapeute va s’efforcer de développer des facteurs « de stabilisation/protection/développement » à la fois relationnels, techniques et contextuels. L’influence de ces facteurs peut être recherchée de façon globale et individuelle. Chaque lot d’observations et de mesures de ce qui se déroule dans le processus et son contexte apporte sa contribution. Ils permet de situer à la fois l’état de l’enfant à un moment donné, et les configurations technique, relationnelle et contextuelle qui la précèdent ou lui sont simultanées.

D’autre part, un meilleur suivi du processus de changement d'enfants partageant des conditions similaires (âge, nombre d’années de psychothérapie, fonctionnement, ...) permet de définir des alertes impliquant une réévaluation du cas et des facteurs de contexte lorsqu’une absence ou un blocage du développement se manifeste chez certains d'entre eux.


Dernière mise à jour : 29 juin 2018


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