Caractériser et Comprendre le Processus de Changement d’une Psychothérapie Complexe *

Modélisation des processus, mécanismes et conditions des changements associés à la psychothérapie de 66 enfants et adolescents présentant des troubles du spectre autistique

Jean-Michel Thurin ©

Chapitre 2

Apports de la modélisation

En pédagogie, la modélisation consiste en une représentation simplifiée des objets d'enseignement sous une forme plus ou moins abstraite que les apprenants auront à s’approprier. Dans une entreprise, la modélisation du processus consiste à structurer et à représenter visuellement les activités de l’entreprise. En économie, la modélisation permet une représentation simplifiée de la réalité économique ou d'une partie de l’économie (Wikipedia).

En psychothérapie, la modélisation permet une représentation simplifiée des éléments qui participent à la réalité psychopathologique et des interventions psychothérapiques et conditions qui permettent de la modifier. Elle permet ainsi de concevoir une intervention ajustée à la personne à partir des dysfonctionnement qui l'affectent et de leurs causes.

La modélisation est également utilisée pour la modélisation par équations structurelles et PLS-SEM. : « Les modèles structuraux sont considérés comme une représentation schématique des relations existant entre plusieurs variables. En pratique, l’investigateur fait une série d’hypothèses sur les variables qu’il pense être directement en relation et sur le sens de ces relations. Il est en outre possible d’introduire des variables latentes, non directement mesurées, mais s’exprimant plutôt au travers d’une liste d’indicateurs » (Falissard 2005 pp 203-215).

Modélisation et action thérapeutique

En introduisant les concepts définissant et distinguant les principaux types de variables impliquées en psychologie sociale et dans les troubles complexes que l’on rencontre en recherche médicale - et particulièrement en psychiatri e -, Baron et Kenny (1986) puis Kraemer et al. (2001) ont élargi le champ de la causalité aux chaines causales qui la sous-tendent. Ces chaines peuvent inclure des facteurs de risque d’origines diverses (psychologique, environnementale, biologique).

Un complément essentiel de la prise en compte de la nature complexe des risques et de leurs effets a été réalisé. Les analyses fondées sur la modélisation de l’effet d’une variable ou d’une chaine de variables sur une autre, donnent les moyens aux thérapeutes de concevoir et d’agir sur tel ou tel phénomène, par le biais d’interventions spécifiques (des Nétumières 1997 p 283 ; Kazdin et al. 1997).

Modélisation concernant la psychothérapie

La modélisation de la psychothérapie était déjà présente au cours du premier congrès de la Society for Psychotherapy Research. Il s’est tenu en France (à Lyon) en 1990 et un ouvrage de synthèse a été publié par l’Inserm sous la direction de P. Gerin et A. Dazord . Dans l’introduction de ce congrès D. E. Orlinsky présente le « modèle générique de la psychothérapie ». Ce modèle a été développé par l'auteur et Ken Howard en 1985, avec la perspective d'intégrer les conclusions de nombreuses études en un corpus de connaissances cohérent à partir d'une revue générale des recherches sur les effets cliniques des psychothérapies.

La revue de la littérature concernant la recherche sur les rapports processus/effets cliniques (1985) a fait apparaître qu'un petit nombre de catégories suffit à décrire les paramètres du processus psychothérapique et de son environnement. Ces catégories sont les suivantes : (1) le contrat psychothérapeutique ; (2) les interventions thérapeutiques ; (3) le lien relationnel psychothérapeutique ; (4) le rapport à soi (l’élément intrapersonnel) ; (5) les effets immédiats en cours de séance. Une sixième catégorie a été ajoutée entre 1985 et 1990 : (6) les thèmes relationnels conflictuels.

Une série de graphes et un tableau précisent les éléments qui participent à chacune de ces catégories. Ils sont progressivement intégrés dans un diagramme global qui synthétise l’ensemble. Il est lui même complété par les éléments contextuels. Cette représentation graphique et les commentaires qui l’accompagnent constituent le support d’une théorie-pour-la-recherche qui devrait permetre de résoudre les paradoxes et d'élucider les problèmes qui sont apparus au cours des années précédentes dans la littérature consacrée aux recherches sur la psychothérapie.

Cette théorie-pour-la-recherche apparait nécessaire aux auteurs, d'une part pour guider les procédures de mesure (d'évaluation) et d'élaboration des protocoles de recherche, et d'autre part pour interpréter les résultats des observations. Les phénomènes de la psychothérapie y sont formulés en termes de variables ou de catégories de variables. La théorie-pour-la-recherche se distingue ainsi des théories-pour-le-traitement en ce que ces dernières sont basées sur des catégories de problèmes présentés par les patients et sur les caractéristiques liées à ces problèmes, et qu’elles servent de guides au psychothérapeute pour comprendre la situation de son patient et appliquer les démarches psychothérapiques appropriées.

On trouve dans la distinction théorie-pour-la-recherche - théories-pour-le-traitement la base qui sera intégrée par Kazdin et al. dans la méthode facteurs de risque - facteurs d’action thérapeutique. La première évolution essentielle par rapport au modèle générique de Orlinsky et Howard sera d’appréhender la dynamique des variables et des facteurs impliqués en constituant des chaines causales et des descriptions séquentielles du processus psychothérapique. Une seconde évolution sera évidemment d’intégrer des méthodes statistiques alors que le modèle de Orlinsky et Howard est descriptif. Sur ce plan, les caractéristiques de base de la psychothérapie et les interactions attenantes restent les mêmes. Une troisième évolution sera d’intégrer dans les chaines causales le contexte actuel et historique socio-familial, ainsi que les processus intra-psychiques. Une quatrième évolution sera d’associer aux problèmes les dysfonctionnements qui les sous-tendent et les mécanismes par lesquels ils peuvent être réduits. À noter que la cause de l’amélioration n’est généralement pas directement identifiable à la réduction de la cause qui a produit le trouble et ses manifestations. Cette cause a pu elle même générer des effets qui eux-mêmes fonctionnent comme de nouvelles causes (p. ex., le handicap produit des effets sur les relations interpersonnelles).

Parmi les articles qui portent sur la modélisation en psychothérapie, trois directions se dessinent.

Les données issues de mesures répétées peuvent être utilisées pour évaluer trois questions de base : (1) Quelle est la trajectoire ou la forme du développement ou du changement dans le temps chez la personne ? ; (2) Existe-t-il des différences entre personnes dans le développement ou le changement ? ; et (3) Pouvons-nous expliquer ou prédire les différences entre personnes dans le développement ou le changement au cours du temps ?

Ces trois directions seront utilisées à partir des données issues des études de cas du Réseau.

Modélisation avec analyse fonctionnelle issue de la formulation de cas

La formulation de cas est un temps essentiel pour la modélisation car les informations qui y sont recueillies et leur organisation ouvrent un espace irremplaçable pour la conception et la sélection d’objectifs de traitement et d’une stratégie de départ pour les atteindre. Choisir le meilleur traitement pour un patient est compliqué parce que les traitements diffèrent dans leur niveau de spécificité et ont des mécanismes d'action inégalement pondérés. En outre, le mécanisme d'action d'un traitement est souvent inconnu.

Les articles de Haynes et al. partent de la constatation que les traitements standardisés peuvent ne pas être d'une efficacité optimale pour les patients qui ont de multiples problèmes de comportement. Ces problèmes peuvent s'affecter réciproquement de façon complexe et chaque problème de comportement peut être influencé par de multiples variables causales en interaction. Les mécanismes d'action des traitements standardisés peuvent ne pas toujours répondre aux variables causales les plus importantes pour les problèmes de comportement d'un patient.

Dans le premier article, Haynes et Williams associent à la formulation de cas une analyse fonctionnelle qui reprend de façon formalisée la démarche clinique. La conception du traitement est renforcée par l’identification des principales variables causales et l’estimation de l’importance relative qu'elles peuvent avoir sur les problèmes de comportement du patient. L’analyse fonctionnelle permet de concevoir des jugements concernant les problèmes de comportement du patient, les variables causales importantes, et les relations fonctionnelles entre les variables. Les auteurs suggèrent que l'amplitude estimée des effets du traitement est une fonction partielle du degré suivant lequel les mécanismes d'action associés avec chaque traitement modifient les variables causales les plus importantes des problèmes comportementaux du patient.

Les auteurs butent sur le fait que les mécanismes supposés être à l’origine des différents traitements validés ne sont pas réellement connus. Cela renforce le problème posé par la différence de chaque cas, avec l’implication potentielle de plusieurs problèmes qui s’affectent mutuellement suivant des modalités complexes et dont les variables causales peuvent être en interaction. L’article se termine en soulignant l’intérêt pour le clinicien de l’analyse fonctionnelle associée à la formulation de cas qui lui permet de communiquer à propos de son cas et d’estimer l’amplitude de l’effet associé avec chaque variable causale.

C’est ici que les études observationnelles naturalistes prennent toute leur force, à partir du moment où les éléments qui sont présentés dans l’article permettent de décrire la chaine qui conduit du traitement au résultat. Le passage par les mécanismes et les variables causales introduit une une matérialité objective issue des mesures qui caractérisent le traitement réellement mis en œuvre. On retrouvera cet effet dans les cas présentés dans le chapitre 3, à partir de l’instrument de processus, le CPQ, et de l’ECA-r et de l’EPCA pour les indicateurs de changement.

Dans le second article, Virués-Ortega & Haynes (2005) font la revue des fondements théoriques et appliqués d'une stratégie d'analyse fonctionnelle dans la formulation de cas clinique.

Les relations fonctionnelles entre variables sont celles qui démontrent une association mathématique. Les relations causales fonctionnelles entre variables (c-a-d., entre variable causale et variable comportementale) requièrent: (a) la covariation ; (b) une connexion logique ; (c) une antériorité temporelle de la variable causale ; et (d) l'absence d'une troisième variable qui explique la relation. Il y a des relations fonctionnelles causales unidirectionnelles, bidirectionnelles, modératrices et médiatrices (par exemple, explicatives). Dans l’analyse fonctionnelle, les relations fonctionnelles pertinentes, contrôlables, et causales applicables à des comportements particuliers d'un individu sont identifiées. Une approche analytique fonctionnelle de la formulation de cas est conçue pour minimiser les biais de jugement clinique et optimiser la prise de décision clinique dans les processus d'évaluation et de traitement.

Des caractéristiques supplémentaires de l'analyse fonctionnelle et de son utilisation pour la conception d'une intervention sont discutées dans le cadre d'un patient souffrant de schizophrénie de type paranoïde. La présentation montre, en particulier, qu’un chemin d’action thérapeutique peut avoir peu de chance d’aboutir si l’on choisit une action, logique du point de vue de la relation causale entre le symptôme et son origine, mais qui est de fait peu modifiable. Il s’agit dans ce cas du rôle très négatif qu’a eu l’entourage familial du patient sur le développement des relations sociales. Il est préférable de lui donner les moyens d’améliorer ces relations « avec du neuf », ce qui aura en retour un effet sur son confort dans ce contexte et pourra modifier la structure de base qui constitue le modèle de ses relations avec le monde extérieur. La thérapie exposée est de type cognitivo-comportementale, mais on peut très bien modifier le chemin en passant par la relation transférentielle avec le thérapeute et son évolution si le thérapeute d’orientation psychodynamique y répond habilement.

Cet article examine également la nature conditionnelle et les limites d'une approche fonctionnelle-analytique en psychologie clinique.

Commentaire : plusieurs analyses fonctionnelles associées à la formulation de cas sont présentées dans la partie application de la thèse.

Modélisation de l’évolution d’un cas en relation à des cas similaires

Le but l’article de Lueger et al. (2001) est de développer un système qui permettrait de suivre précisément les progrès d’un patient individuel et qui apprécierait objectivement les bénéfices clés de la psychothérapie. Dans cette perspective, les mesures de résultat devraient réunir plusieurs critères : (a) le schéma de mesure devrait être basé sur les modèles de réponse du patient au traitement ; (b) les résultats évalués devraient être importants pour les patients ; (c) les résultats évalués devraient être importants pour le fournisseur de services ; (d) les données devraient informer cliniquement le thérapeute ; (e) la durée du traitement devrait permettre son administration dans les conditions où il doit être réalisé ; et (f) les mesures devraient aussi être normées pour être représentatives des patients ambulatoires en psychothérapie.

Deux modèles ont influencé le développement du système d’assurance qualité des auteurs. Le modèle dose-réponse fournit une estimation normée de la configuration de l'amélioration qui peut être attendue dans les traitements en santé mentale. De façon habituelle, la courbe d’évolution est plus rapide dans les premières séances du traitement, et davantage de traitement est progressivement nécessaire pour obtenir des augmentations équivalentes au cours de la phase d'amélioration. Le modèle de dose a été étendu au modèle de phase pour identifier différents types de configurations de réponse pour différents domaines de mesure. Trois domaines sont ainsi distingués : le bien être subjectif (la reprise de moral), la réduction des symptômes, et la récupération du fonctionnement de vie (réhabilitation). La réponse attendue du traitement (ETR) utilise les caractéristiques des patients pour prédire un chemin attendu de progrès pour chaque patient. Avec des mesures répétées de l'état de santé mentale, le progrès du traitement d'un patient individuel peut être évalué par rapport à l'ETR du patient pour soutenir les décisions qui permettraient d'améliorer la qualité d'un service clinique pendant qu'il est délivré.

Dans son article de 2002, Lutz présente la recherche en psychothérapie centrée sur le patient comme une stratégie alternative par rapport à la recherche d'efficacité et d'effectivité. L’article décrit deux exemples qui illustrent la prédiction individuelle du progrès thérapeutique. Il explique également comment le développement de règles de décisions significatives pour le traitement peut servir d'information pour la pratique clinique en cours. La première partie de l’article est consacrée à un recentrage sur la personne, où il donne l’exemple de l’effet du nombre de cas sur les résultats d’un ECR.

Lutz montre ensuite comment la courbe d’évolution d’une personne peut être suivie relativement à une évolution moyenne réalisée à partir d’une base de données (dans l’exemple donné, cette base réunit 322 patients essentiellement anxio-dépressifs). Cette méthode permet d’attirer l’attention sur des patients qui présentent une courbe d’évolution différente par rapport à une courbe de croissance « normale » élaborée à partir de l’ensemble des cas et prenant en compte la modélisation en 3 phases de Howard. Des prédicteurs d’évolution spécifique sont définis pour des sous-groupes.

Pour les cas prévus difficiles, un suivi séance-par-séance peut être réalisé au début afin de voir s'il est possible de contrarier une prédiction négative et comment. Une spécification plus détaillée des patients et des traitements focalisés sur des problèmes doit être incluse dans la future recherche. Elle serait basée sur l'interaction optimale entre le Patient et l’action thérapeutique. En outre, la le caractère transférable ou non de tels systèmes, prenant en compte différents types de services, dans différentes cultures, avec différentes configurations de traitement, modalités, et longueurs de traitement, aurait besoin d'être étudiée. L'idéal d'une transmission à deux voies de la recherche à la pratique et de la pratique à la recherche peut trouver une signification concrète en appliquant les méthodes présentées ici. En outre, si les chercheurs et les cliniciens peuvent établir une telle transmission bidirectionnelle et sentir ensemble leur avantage à le faire, un traitement amélioré et une pratique clinique ayant une base empirique devraient suivre.

Commentaire : Dans la population du réseau, l’évolution particulière de certains cas dans les sous-groupes définis par l’âge apparaît nettement. Une investigation systématique pour en comprendre l’origine s'est avérée très intéressante. Rapportés à la population étudiée d’enfants/adolescents autistes, les prédicteurs pourraient se trouver au niveau des modérateurs en les testant sur chacun des 3 indicateurs : comportements, aptitudes acquises, fonctionnements intrapsychiques. Chaque enfant serait situé dans un des quartiles de ces dimensions et cette position serait mise en relation avec l’index des modérateurs qui lui sont associés. Il est également important de suivre l'évolution au cours des évaluations. Dans un des cas, l'enfant s'est engagé dans la psychothérapie à 6 mois avec une évolution significative dans la seconde période.

Examen du changement longitudinal à plusieurs niveaux : intra-individuel et interindividuel

Isolé, le cas individuel apporte la « haute définition » à différents niveaux : le diagnostic, les facteurs de contexte actuels et anciens (modérateurs) susceptibles d’avoir un effet général sur le déroulement de la psychothérapie, les caractéristiques précises de la thérapie incluant la relation de l’enfant avec le thérapeute, les actions spécifiques engagées et leur contexte interne (médiateurs), les mécanismes qui peuvent en être inférés, la courbe, la dimension et les modalités de changement.

Regroupés, les cas individuels permettent de dessiner des tendances. La part de l’aléatoire et de l’exceptionnel se trouve réduite. La moyenne des évolutions dans différents registres et la constitution de sous-groupes de cas « similaires » rendent possible la recherche des facteurs qui interviennent favorablement ou défavorablement sur les résultats. L’hétérogénéité devient une force. L’attention peut-être portée sur ce qui est différent autant que sur ce qui est commun et les changements qui leur sont associés.

A partir de ces sous-groupes, il est possible de décrire leurs trajectoires de changement et les facteurs particuliers susceptibles d’intervenir. Par exemple, un certain nombre d’enfants ne sont pas du tout engagés en début de thérapie. Cette situation prédit-elle un échec de la psychothérapie ? Si la réponse est non, quels sont les facteurs qui sont potentiellement intervenus pour modifier la situation initiale ? Et si la réponse est oui, Pourquoi ?

Un des effets de cette perspective est de faire évoluer la notion de cas généraux vers celle d’approches spécifiques de cas individualisés par certains caractères. Un exemple de la démarche « Cas isolé », le cas Anna est présenté par Thurin, Thurin et Guibert (2013)


Dernière mise à jour : 13 octobre 2018


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