Caractériser et Comprendre le Processus de Changement d’une Psychothérapie Complexe *

Modélisation des processus, mécanismes et conditions des changements associés à la psychothérapie de 66 enfants et adolescents présentant des troubles du spectre autistique

Jean-Michel Thurin ©

Chapitre 2

2.0. Introduction

Comme nous l'avons présenté dans le premier chapitre, la méthodologie de la recherche sur le processus s'est constituée progressivement et le pont avec la recherche sur les résultats s'est établi dans les années 1990. Nous abordons plus précisément dans cette partie quelques questions méthodologiques centrales qui éclairent les choix méthodologiques que nous avons retenus dans la recherche qui est la base de cette thèse.

Il est important de rappeler les étapes qui ont conduit à l’introduction du processus dans la méthodologie des études. Au cours des 40 dernières années, la recherche empirique en psychothérapie n’a cessé d’évoluer. Elle a d’abord établi l’efficacité générale de la psychothérapie, à partir de la taille d’effet issue d’études très disparates (méta-analyses de Smith et Glass 1976, 1977). Elle a ensuite commencé à distinguer des sous-groupes, puis comparé l’effet d’approches issues de théories différentes (psychodynamique, cognitivo-comportementale, systémique, interpersonnelle, et autres) sur différents troubles à partir d’essais cliniques contrôlés (Inserm (2004) . Une approche à la fois complémentaire et différente a été de distinguer l’impact qui relevait d’éléments communs aux différentes thérapies et celui qui relevait d’éléments spécifiques (Rosenzweig 1936, Wampold 2015) .

Le mouvement de définition progressive des éléments pouvant expliquer la variabilité des résultats d’une même approche avec des patients présentant le même trouble a conduit à rechercher, parmi l’ensemble des variables potentiellement responsables de ce constat, des caractéristiques particulières concernant le thérapeute et le patient (études des Universités US) et à mener des recherches secondaires à partir des données de la grande étude comparative sur les traitements de la dépression du NIMH (1980-1986), jusqu’à considérer les interactions entre spécificités du thérapeute et spécificités du patient (Blatt & Zuroff 2005) . Les configurations particulières qui pouvaient se constituer à partir de la situation clinique (Ablon et Jones 2002) ont également été décrites. Ce mouvement a conduit à reconnaître dans l’action psychothérapique, initialement identifiée à celle du traitement par psychotropes, l’importance des interactions et des (in)adaptations réciproques qui caractérisent la psychothérapie, en plus de celle des interventions techniques spécifiques.

La dimension paradoxale de cette évolution majeure a été soulignée. Les facteurs qui y ont contribué sont à la fois le caractère inexplicable de l’identité des résultats avec des approches réputées différentes (Stiles et al. 1986) et la différence des résultats avec des approches a priori identiques (Strupp 1980). C’est aussi l’évolution générale de la pensée et de la recherche dans les domaines des sciences sociales et de la santé.

Cette évolution a conduit, dans les années 2000, à l’introduction de la complexité (Kraemer et Kazdin 2001) et de la dynamique des systèmes complexes (von Bertalanffy 1973) dans la recherche en psychologie et en psychiatrie. Un nouvel objectif de la recherche est proposé. Il s’agit de passer de « Avec quelle approche, pour quel trouble, est-il possible de prédire qu’une psychothérapie donnée produira plus d’effet qu’une absence de traitement ou qu’un traitement habituel ? » à « Pourquoi, comment et dans quelles conditions une psychothérapie peut-elle produire un effet favorable pour un trouble ou un problème particulier ? » (Kazdin 2000, 2001). La méthodologie de la recherche se trouve radicalement modifiée par cette évolution. L’approche expérimentale ne peut plus fonctionner suivant le modèle simplifié antérieur, l’approche observationnelle devient au moins une étape préliminaire indispensable. L’articulation entre le général et le particulier, entre le groupe et la personne se trouve de fait complètement modifiée. Par ailleurs, avec cette nouvelle orientation, la définition du trouble n’est plus seulement associée directement à ses manifestations symptomatiques. Elle considère aussi les dysfonctionnements qui les sous tendent, les facteurs et les mécanismes qui les accompagnent, tant dans l’évolution pathologique que dans le processus de réduction du risque et de réparation/ (re)construction (Kazdin 1997, Insel 2012).

Les conditions méthodologiques de la recherche ne sont que partiellement prêtes et organisées pour cette évolution, pour différentes raisons. Le nombre des variables potentiellement explicatives est important, relativement au nombre de cas complexes qu’il est possible de réunir. Les processus de changement sont le produit de transformations en chaînes où les variables de résultat d’un jour deviennent les variables explicatives des changements du lendemain. De plus, la psychothérapie, longtemps considérée comme un système isolé du contexte externe est amenée à considérer la fonction développementale et médiatrice qu’elle peut tenir dans le rapport entre le psychisme et le monde extérieur, ainsi qu’entre l’esprit et le corps.

Un facteur très favorable est intervenu, celui de la possibilité d’une participation directe des cliniciens à la recherche à partir d’une double évolution, celle d’une collaboration cliniciens - chercheurs permettant de réduire le fossé qui s’était creusé et, de façon connexe, la réalisation de réseaux de recherche (Thurin 2013) permettant de regrouper les expériences cliniques à partir d’une méthodologie partagée, répondant aux possibilités et exigences actuelles de la recherche. De nombreux chercheurs dont Borkovec et al. (2001), Westen et al. (2004a , 2004b ), Goldfried (2004 , 2015 ) Castonguay (2015) , Kazdin (2008) ont publié des articles sur cette nouvelle structuration de la recherche et la collaboration entre intervenants qui la permet.

En résumé, la recherche en psychothérapie a adopté différentes stratégies méthodologiques pour essayer de répondre aux problèmes qu’elle a successivement rencontrés au fur et à mesure de l’extension de son champ et des résultats paradoxaux qu’elle rencontrait. Il est indiscutable que le passage des études de résultats aux études processus-résultats et l’introduction de la complexité ont introduit une reconfiguration de la conception épistémologique et méthodologique qui était propre aux essais cliniques. Tout en bénéficiant de l’expérience et des résultats acquis par rapport à cette étape, une relecture des questions précédentes et de la façon dont elles se trouvent abordées, résolues ou toujours posées est devenue nécessaire.

Beaucoup de ces questions ont été abordées en 2004 par Hill et Lambert dans le chapitre 4 du Bergin and Garfield's Handbook of Psychotherapy and Behavior Change. Ce chapitre traite successivement les questions méthodologiques de la recherche sur le processus et de la recherche sur les résultats. La première partie aborde ainsi successivement en détail : les mesures de processus, leur validité et fiabilité ; le recueil des données ; les juges ; l’analyse des données ; la recherche qualitative. La seconde partie, centrée sur la définition des résultats, présente successivement un historique ; les questions liées aux mesures, leur sélection et organisation ; la mesure du changement ; la signification clinique et la relation à la norme ; les analyses statistiques du changement.

Ces questions très techniques coexistent et sont souvent intriquées avec des questions plus générales telles que le statut de la théorie, la distinction spécifique - non spécifique , l’analyse cas isolé - cas agrégés. D'autres questions révèlent de véritables dissociations épistémologiques entre champs d'observation, de fonctionnement et de pratique. La question de "ce qui agit et comment dans un processus thérapeutique" est évidemment centrale. Son abord est différent de celui du modèle médical dans lequel on teste l'activité d'une variable "indépendante" déterminée (l'intervention thérapeutique) sur des variables "dépendantes" (les symptômes cibles de départ). L’approche doit être ouverte aux principaux facteurs susceptibles d’intervenir isolément et en interaction dans le processus complexe et individuel que constitue une psychothérapie. Cette complexité est apparue dans les résultats instables issus des méthodes statistiques classiquement utilisées comme la corrélation.

Nous reprenons dans cette perspective les questions saillantes de la recherche en psychothérapie, dont celle de la modélisation de l’action thérapeutique dans les psychothérapies complexes.

À partir de chacune des questions, nous présentons le mouvement qui s’est opéré à partir de la recherche internationale. Nous incluons dans ce travail nos « commentaires » qui renvoient directement aux études sur lesquelles s’appuie cette thèse et apportons un modèle d’application dans la troisième partie. Ces commentaires sont en général situés en fin de question ou entre [ ] dans le texte même.


Dernière mise à jour : 1 aout 2018


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