Caractériser et Comprendre le Processus de Changement d’une Psychothérapie Complexe *

Modélisation des processus, mécanismes et conditions des changements associés à la psychothérapie de 66 enfants et adolescents présentant des troubles du spectre autistique

Jean-Michel Thurin ©

Chapitre 1

1.7. Nouvelles méthodologies de recherche en psychothérapie (2)

Le séminaire du NIMH de 2002 “Psychotherapeutic Interventions: “How and Why they Work“ marque une nouvelle étape de la recherche en psychothérapie. Le thème central de cet atelier, auxquels participent notamment Kraemer et Kazdin, concerne une question centrale, celle de la façon dont pourquoi et comment les interventions psychothérapiques produisent des résultats. Son objectif est d'établir des stratégies pour optimiser la recherche dans ce domaine. À sa suite, deux articles de Kraemer et al. précisent les arguments et la méthodologie de l’évolution de la recherche présentée dans le séminaire du NIMH.

Le premier article de Kraemer et al. (2001) est centré sur la nécessaire introduction de la complexité et de ses conséquences sur l’abord de la causalité par la recherche. De nouveaux outils méthodologiques sont nécessaires. Son introduction est la suivante :

"Les troubles qui constituent l'essentiel des questions médicales, de recherche et de santé aujourd'hui, particulièrement en psychiatrie, ont la probabilité d'être complexes. De tels troubles peuvent ne pas avoir une seule cause, mais être sous-tendus par une ou de multiples chaînes causales. Ces chaînes peuvent impliquer des facteurs de risque génétiques, environnementaux, sociaux et biologiques. Aucun effet de ces risques ne peut être pleinement compris en dehors du contexte de tous les autres. Jusqu'ici, une attention insuffisante a été portée à aider à la fois le chercheur clinique et le clinicien avec les outils méthodologiques appropriés pour fournir cette information. Que l'accent soit placé sur le processus de prise de décision d'une intervention ou sur des questions de recherche, une compréhension de la façon dont les facteurs de risque travaillent ensemble est cruciale."

Ces questions ne concernent pas que la psychiatrie, mais elles y sont particulièrement actives. Elles nécessitent une clarification conceptuelle et des définitions attenantes pour aborder le statut des facteurs et les "chaînes causales" qui interviennent dans le développement des troubles et leur résolution. L'accent est mis sur l'introduction et la distinction des médiateurs et des modérateurs, la précision de la chronologie de l'intervention des facteurs actifs, leurs rapports de dominance ou d'équivalence, et les formes de leur présentation (directe, par procuration, ou sous une forme globale).

Le second article de Kraemer et al. (2002) explique comment différencier l'action des modérateurs et des médiateurs dans les ECRs quand les résultats sont mesurés sur un mode dimensionnel. Les modérateurs identifient pour qui et dans quelles circonstances les traitements ont des effets différents. Les médiateurs identifient pourquoi et comment les traitements ont des effets. Le mécanisme est le lien causal entre le médiateur et le résultat.

Plusieurs articles de Kazdin et al. précisent comment appliquer ces concepts.

En 2003, Kazdin et Nock (2003) présentent les nouveaux objectifs de la recherche en psychothérapie et huit recommandations pour les atteindre.

En 2007, Kazdin publie Mediators and Mechanisms of change in psychotherapy research dans la Revue annuelle de psychologie clinique. Cet article complète celui de 2003. Il est présenté ici en détail car il constitue une synthèse des objectifs et de la méthode, assortis de nombreux exemples, ainsi que des questions qui se trouvent posées par son application. Il anticipe les évolutions de la recherche en psychiatrie que présentera Insel en 2012.

L'article précise d’abord les définitions et différences entre médiateur et mécanisme. Le concept de mécanisme se réfère à un niveau supérieur de spécificité par rapport à celui du médiateur. Il reflète les étapes ou le processus à partir duquel la thérapie (ou une quelconque variable indépendante) sous-tend et produit le changement. Le modérateur se réfère à plusieurs caractéristiques qui influencent la direction ou l'ampleur de la relation entre l'intervention et le résultat.

Parmi les conditions requises pour démontrer les médiateurs et les mécanismes de changement, le caractère plausible et cohérent d’un mécanisme reliant une cause et un effet est expliqué à partir de l’exemple de blessures d’enfants amenés aux urgences. Dans certains cas, l’explication donnée ne rejoint pas les critères précédents, alors que l’examen clinique approfondi oriente vers des sévices parentaux. La consistance est une autre condition importante. Elle nécessite la réplication d'un résultat observé à travers les études, échantillons et conditions. Par exemple, nous nous attendons à ce que les relations entre A, B et C ne soient pas spécifiques d'un seul échantillon. Il n’est pas nécessaire non plus qu’elles soient spécifiques de tous les échantillons. Après plusieurs études, et quand tous ou presque tous les critères sont réunis, on peut établir qu'un certain processus d'intervention intervient pour le changement.

L’article présente ensuite un aperçu général des méthodes pour étudier les médiateurs et les mécanismes dans la psychothérapie. Deux techniques statistiques sont décrites : les tests de médiation et le pourcentage de variance.

Dans les tests de médiation, les techniques de régressions multiples, l'analyse des chemins, la modélisation par équations structurelles et les méthodes de bootstrap sont les options prédominantes. Une limitation clé de l’interprétation est le fait que la chronologie entre le médiateur et le résultat n’est pas nécessairement établie. Même quand la chronologie est établie, la médiation ne suggère pas nécessairement les mécanismes de l’action. Quel est précisément le processus de changement, quelles sont ses étapes jusqu'au changement, existe t-il d'autres variables impliquées dans la mesure ? (Kraemer et al. 2001).

Dans le pourcentage de variance, si deux variables sont corrélées (r), alors on peut identifier la proportion d'influence commune ou partagée (r2). On dit souvent que les processus thérapeutiques (par ex, l'alliance) « prédisent » le changement thérapeutique. Mais rien dans la mesure du pourcentage de variance ne parle de médiateurs ou de mécanismes. La variance partagée de l'alliance et du résultat pourrait être énorme, mais cela pourrait être dû au changement symptomatique se produisant avant la réalisation de l'alliance. Ensuite, l'alliance thérapeutique peut « intervenir » dans la variance de résultat du traitement, mais elle même peut être expliquée par une ou plusieurs autres variables (p.e. Kazdin & Whitley 2006). En bref, le niveau de variance peut ou peut ne pas nous orienter vers les médiateurs ou les mécanismes. Si la relation (certaines corrélations) fournit des voies significatives, les conditions requises pour établir les médiateurs devront être réunies, comme cela a été mentionné avant.

Concernant les méthodes, les essais contrôlés ne prennent souvent pas en compte la chronologie des changements. Les études de démantèlement placent tous les composants de l’intervention dans un groupe et les variations qui ne concernent pas tous les composants dans un ou plusieurs autres groupes. L'approche complémentaire est la stratégie de construction dans laquelle on commence avec un composant et on ajoute les autres dans d'autres groupes. La même approche peut être réalisée au niveau individuel avec une méthode d'études de cas croisés (voir Kazdin 2003). L'idée derrière chaque stratégie est d'identifier les ingrédients nécessaires, suffisants et facilitants qui permettent d'atteindre un changement dans un traitement. Dans son commentaire, Kazdin précise qu’après avoir réalisé l'analyse statistique, on revient ensuite vers l'un des critères pour se demander « est-ce que ce critère était là ?». Qu'il s'agisse de la chronologie d'un médiateur ou d'un mécanisme supposé de changement, ou qu'il s'agisse de la construction d'une explication plausible et cohérente du changement thérapeutique, ce ne sont pas des questions qui se posent à partir des analyses statistiques en elles-mêmes, mais à propos de l'interprétation de ces analyses.

Voies d’identification et d'élaboration des médiateurs et des mécanismes

Kazdin introduit cette question dans la suite de l’article. Il précise d’abord que :

« Comprendre les médiateurs et ensuite les mécanismes n'est pas la matière d'une seule étude, mais elle est la matière du développement ultérieur d'un processus qui se dessine sur une série de projets qui semblent souvent distincts ou issus de différentes disciplines ou de types de recherche. Il est utile de penser la recherche sur les mécanismes comme un jeu d'échecs. Même s'il pouvait y avoir un mouvement final d' « échec et mat », le jeu est gagné sur des fronts multiples, les séquences d'actions intégrées et les mouvements convergents qui rendent possible l'échec et mat. L'essentiel du jeu d'échecs est qu'il y a un mouvement vers un but ; le fait que la recherche sur les psychothérapies montre ce mouvement, au moins en relation avec la compréhension des mécanismes, n'est pas si clair. »

Suit la description, décrite dans plusieurs articles, qui a conduit à la découverte du mécanisme à partir duquel le tabac peut conduire au cancer du poumon ou celle de la relation cholestérol - trouble cardiaque. Dans les deux cas, la réduction de l’agent causal identifié à partir de l’exploration des mécanismes modifie le risque de trouble secondaire associé. Comment un processus de découverte du même ordre peut-il se développer dans le champ des psychothérapies ? Cette question est introduite de la façon suivante :

« La recherche psychologique se déplace rarement de l'évaluation du corrélat au facteur de risque, jusqu'à celle d’un agent causal. Une raison habituellement donnée est que l'on ne peut pas manipuler les variables essentielles expérimentalement chez l'homme (par exemple, l'éducation des enfants, le style d'attachement), et donc que nous sommes confinés à la corrélation. Le problème est ailleurs, à savoir qu'il y a peu de théorie sur les concepts clés (les médiateurs) et la façon dont ils pourraient être étudiés, peu d'efforts pour identifier les étapes ou les processus (mécanismes) par lesquels la construction conduit à un résultat, et peu d'utilisation de lignes convergentes d'investigation qui pourraient renforcer les inférences sur les causes, les médiateurs et les mécanismes. On n'a pas nécessairement besoin d'une véritable expérimentation. On a besoin de construire le problème en réunissant les exigences décrites ci-dessus. Il existe de nombreuses stratégies pour comprendre les mécanismes ou au moins pour déplacer le ballon vers l'avant de façon significative au-delà de la corrélation, comme je le traite ci-dessous ».

La stratégie proposée est très ancrée dans le biologique par rapport à celle décrite dans l’article de Kazdin et Kendall (1998) :

  • (1) réaliser une description méticuleuse à différents niveaux (par exemple, on sait finalement peu de choses sur ce qui se produit dans l’interaction sociale en dehors du contexte de la thérapie, en relation à des indices neurologiques ou biologiques) ;

  • (2) savoir que les modérateurs peuvent être un chemin d'identification des médiateurs et des mécanismes. S’appuyant sur les travaux concernant les comportements antisociaux, qui conduisent à des niveaux de précision des enchaînements depuis la réalité actuelle jusqu’à la génétique, on constate que la recherche en psychothérapie en est encore aux tous premiers stades avec les modérateurs. Il existe une vaste littérature avec des analyses montrant que les garçons versus les filles, les jeunes versus les vieux, et tel groupe ethnique versus tel autre groupe ethnique diffèrent. C'est très bien comme point de départ, mais une grande partie de la recherche ne parvient pas à dépasser ce « point de départ » ;

  • (3) recourir à l’intervention et à une expérimentation directe. L’activation, par un médicament (la D-cycloserine), du récepteur essentiel associé à la technique d’exposition dans une angoisse des hauteurs améliore les résultats obtenus avec la technique d’exposition seule [il s’agit ici d’une relation simple entre un symptôme et une intervention psychologique isolée, ce qui n’est pas la règle] ;

  • (4) faire converger les lignes de travail. Kazdin s’appuie ici sur les études menées par Patterson et al. dans les années 1960 pour comprendre l’émergence et le maintien des comportements agressifs de l’enfant (Kazdin et al. 1997, Patterson 1982 , 1992). Il n’y a ici ni intervention médicamenteuse ni expérimentation. Ces études ont fait apparaître, à partir de l’observation, les comportements, les enchaînements réciproques en escalade qui s’établissaient entre l’enfant et ses parents, et comment le comportement de l’enfant pouvait s’orienter d’un côté ou d’un autre. Un élément complémentaire, la formation des parents à une meilleure gestion de leurs attitudes dans les crises, a montré la réduction de ces renforcements négatifs interagis. Dans ce cas, le déroulement d'un comportement coercitif et d’une intervention efficace vont très loin pour suggérer les mécanismes impliqués dans l'apparition et l'élimination des agressions dans la maison, au moins pour certains enfants.
  • La discussion met en évidence des exemples de recherches liées au traitement qui se déplacent de relations causales vers la compréhension des médiateurs et des mécanismes. Kazdin précise qu’il a omis les études sur la médiation, qui sont devenues relativement communes. La raison de leur omission est expliquée dans la discussion des tests statistiques de médiation, à savoir, que les études établissent rarement les conditions essentielles pour l'établissement d'une chronologie et qu'un médiateur n'est pas nécessairement un mécanisme. Lorsque la chronologie n'est pas établie, c'est même encore un saut trop important que d'impliquer qu'il existe une relation de médiation au-delà d'une relation statistique dans laquelle le médiateur et les résultats pourraient être inversés.

    À partir des bases précédentes, des recommandations pour la recherche sont proposées. Elles sont simplifiées par rapport à celles de 2003 et comprennent : (1) l’utilisation de la théorie comme guide ; (2) l’inclusion de mesures de médiateurs potentiels dans les études thérapeutiques ; (3) l’établissement d’une chronologie entre le médiateur ou le mécanisme proposé et le résultat ; (4) l’évaluation de plus d’un médiateur ou d’un mécanisme ; (5) l’utilisation de protocoles (designs) qui peuvent évaluer les médiateurs et les mécanismes. Un tableau récapitulatif montre les conditions nécessaires pour l’évaluation des mécanismes. Elles ne sont pas remplies par les essais cliniques classiques ; (6) l’examen de la consistance à travers différents types d’études.

    La compréhension des médiateurs et des mécanismes par lesquels le changement thérapeutique se produit pourrait bénéficier de différents types d'études, au-delà de celles qui pourraient être interprétées comme de la recherche en thérapie. Les conclusions de ces études peuvent être homogènes et convergentes en rendant un processus particulier plausible.

    Les différents types d’études comprennent : (1) La recherche animale en laboratoire. Des tests, très éloignés des paramètres de la thérapie, fournissent des tests de principes importants. Par exemple, les comportements de soins maternels (comme le nursing, le léchage, le toilettage) chez les rats influencent la réactivité au stress chez les ratons ; les effets peuvent être observés dans le comportement, ainsi que dans les réponses neurologiques et endocriniennes de la progéniture (cf., Francis, Champagne, Liu et Meaney 1999). Cela pourrait bien être pertinent pour comprendre le stress, faire face au stress, et pour les interventions visant à améliorer le stress ; (2) la recherche observationnelle naturaliste sur les processus qui peuvent être opérationnels dans l'environnement naturel et leurs corrélats - à court et à long terme, peut être très utile. Elle peut à la fois générer et tester des hypothèses sur les médiateurs et les mécanismes (p.ex., étude précédente sur l’émergence et le maintien d’un comportement agressif de l’enfant, réactivité des nourrissons au stress de la mère durant des activités de routine (Hume & Fox 2006) ; (3) La recherche qualitative peut fournir une analyse fine en évaluant de manière intensive la richesse et les détails du processus, y compris ce qui change et comment le changement se déroule, et ce qui ne change pas et qui pourrait être opérationnel dans cette situation ; (4) Les études de laboratoire des processus thérapeutiques.

    Défis et obstacles particuliers

    Ils concernent d’abord les relations entre mécanisme et résultats. La complexité s’exprime lorsqu'une seule influence produit des résultats multiples. Il peut y avoir des mécanismes multiples et différents pour un agent unique, avec des résultats différents. Mais aussi, certaines voies communes peuvent exister qui aident à la focalisation de la recherche. Des influences multiples peuvent conduire à un résultat unique. Des résultats similaires peuvent être atteints par des chemins multiples. Une exploration des modérateurs possibles et des études exploratoires, suivies par un travail conceptuel, seront essentiels pour trouver des sous-groupes.

    Plusieurs autres aspects sont à considérer : (1) Les relations non linéaires. Nous sommes formés à penser et à apprécier que les statistiques génèrent des relations linéaires. Peut-être même, sommes-nous victimes d'une heuristique cognitive qui nous attire vers elles. Les analyses de sous-groupes et les tests de relations non linéaires pour identifier des configurations fiables de relations médiateur-résultats sont un point de départ ; (2) La chronologie des changements. C’est un défi pour la recherche, de veiller à ce que l'on puisse évaluer le mécanisme et le changement, alors qu’ils peuvent varier dans le cours du temps suivant les individus ; (3) les modérations. Les effets d'une intervention peuvent être modérés suivant des modalités qui exercent un impact énorme. Plutôt que de chercher les principaux effets d'une intervention et un mécanisme uniforme de changement, nous pouvons avoir besoin d'identifier et de caractériser des sous-groupes, d'une manière très semblable à celle des chercheurs en génétique.

    Les obstacles concernent également la mesure du développement. De nombreux médiateurs du changement commencent comme de larges construits (par exemple, les changements dans la cognition). Nous avons besoin de mesures valides de tels construits, puis d'une démonstration de la façon dont ils fonctionnent. Dans ses conclusions, Kazdin revient sur le fait que malgré ses progrès, les avancées de la recherche en psychothérapie font cruellement défaut dans l'étude des médiateurs et des mécanismes de changement thérapeutique. Il est remarquable que, après des décennies de recherche dans ce champ, nous ne puissions pas fournir une explication fondée sur des preuves pour savoir comment ou pourquoi nos interventions, y compris celles qui sont les plus étudiées, produisent des changements. Le meilleur soin du patient viendra de la variation optimale du traitement qui lui sera fourni. Comprendre les mécanismes du traitement est le chemin vers un traitement amélioré.


    Dernière mise à jour : 23 septembre 2018


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