Caractériser et Comprendre le Processus de Changement d’une Psychothérapie Complexe *

Modélisation des processus, mécanismes et conditions des changements associés à la psychothérapie de 66 enfants et adolescents présentant des troubles du spectre autistique

Jean-Michel Thurin ©

Chapitre 1

1.6. Nouvelles méthodologies de recherche en psychothérapie

En 1997, trois institutions de recherche, le NIMH, la Fondation MacArthur - Réseau Psychopathologie et Développement, et le Consortium de Recherche en Intervention Psychosociale chez l'Enfant et l'Adolescent (CAPIRC) se réunissent pour organiser un séminaire de travail. Elles ont la volonté de faire progresser le champ de la recherche sur les thérapies psychosociales. Ce séminaire donne lieu à la production d’un numéro spécial du Journal of Abnormal Child Psychology. Cette publication, introduite par E. Hibbs (1998) présente six articles sur les principales questions méthodologiques qui ont besoin d'être améliorées dans la recherche sur le traitement psychosocial de l'enfant et de l’adolescent.

L’article de Brent et Kolko (1998) fait l’inventaire des facteurs dont on considère qu’ils interviennent dans les résultats (p.ex., la relation thérapeutique, les mécanismes qui sous-tendent le changement cognitif, la régulation de l’affect, les connexions biologiques associées, le contexte dans lequel vit l’enfant) et constate que ces effets n’ont pas été testés. Les auteurs recommandent qu’ils soient pris en considération dans le développement de traitements psychothérapiques. Les résultats de ces études peuvent aider à réaliser d'autres améliorations dans deux registres, celui des théories de l'étiologie et celui de l'amélioration des traitements pour les enfants et les adolescents. Deux figures complètent cet article qui pose de façon générale le cahier des charges d’études de nouvelle génération telles que celles dont la réalisation, les résultats et les méthodes sont présentées dans cette thèse.

Eyberg, Schuhman & Rey (1998) présentent le modèle transactionnel (ce qu'il advient du développement d'un enfant résulte de transactions dynamiques complexes entre le système constitutionnel de l'enfant (au sein de l'enfant) et le système de son environnement (en dehors de l’enfant)). Avec ce modèle, l'accent est placé sur l'effet de l'enfant sur l'environnement, de sorte que les expériences fournies par l'environnement ne sont pas indépendantes de lui. Les auteurs en donnent un exemple détaillé avec le processus qui peut s’enclencher à partir de l’angoisse de séparation. Ils décrivent les problèmes liés au diagnostic suivant le DSM, l’influence de différents modérateurs (âge, environnement social, relations interpersonnelles). Les mesures doivent pouvoir saisir et mettre en relation ces différentes influences.

Kendall & Flannery-Schroeder (1998) décrivent toutes les difficultés concrètes qu’ils peuvent rencontrer dans la réalisation d’un essai clinique concernant le traitement des troubles anxieux chez les jeunes à 3 niveaux : (a) problèmes de procédure ; (b) évaluation de la détresse anxieuse et (c) analyse du changement produit par le traitement. Ils proposent pour chaque difficulté des stratégies d’amélioration potentielle. Dans leur conclusion ils précisent que ces améliorations ont un coût, mais que c’est le prix de l’assurance d’une rigueur méthodologique et de la confiance dans les conclusions de la recherche.

Eddy, Dishion & Stoolmiller (1998) présentent un article méthodologique très fouillé centré sur 3 questions : (a) Quels sont les changements que nous mesurons ? ; (b) Quand mesurons-nous le changement ? ; (c) Comment le mesurons-nous ? Le modèle général est développemental transactionnel. Les auteurs distinguent, dans le développemental, ce qui relève du processus naturel et ce qui relève de l’intervention thérapeutique. Le transactionnel fait intervenir, dans le cycle longitudinal des interactions, non seulement les interactions patient-thérapeute, mais également les interactions de ces deux acteurs avec le contexte (parent, milieu scolaire, pairs). Le point d’appui de cette présentation se situe au niveau des études de Patterson (1982) sur le traitement clinique du comportement antisocial de l’enfant, auxquelles se réfère également beaucoup Kazdin dans ses articles, d’un point de vue théorique, méthodologique (Kazdin 1997) et pratique.

March & Curry (1998) considèrent les questions associées aux variables prédictives d'un point de vue méthodologique. En raison de la complexité des traitements psychosociaux, qui ciblent non seulement les symptômes spécifiques des troubles, mais aussi les comportements étroitement liés à la maladie, le modèle linéaire général n'est pas satisfaisant quand on a besoin de déterminer les effets des modérateurs et des médiateurs. Les auteurs expliquent aussi la difficulté de mettre en œuvre ce modèle dans un cadre clinique qui n'est pas celui du laboratoire. Un traitement axé sur des symptômes spécifiques est généralement limité, étant donné le fait que d'autres variables compliquent l'ensemble. Par exemple, l'environnement de l'enfant, la maladie des parents, les difficultés socio-économiques, et la comorbidité peuvent entacher les résultats. En réponse aux insuffisances du modèle linéaire général, cinq modèles de recherche sont examinés par les auteurs. Ils peuvent être utilisés, en fonction de l'objectif de l'étude, pour examiner les variables prédictives dans la recherche sur les thérapies psychosociales : (1) les études épidémiologiques longitudinales, (2) les protocoles de cas individuels et ouverts, (3) les protocoles comparatifs de groupes (4) les stratégies séquentielles ou simultanées, (5) le design factoriel simultané [d’après Hibbs].

En 1997, Kazdin, Kraemer, Kessler, Kupfer et Offord (1997) publient un article sur les contributions de la “recherche facteur de risque“ à la psychopathologie développementale. La recherche sur les facteurs de risque a grandement contribué à comprendre le développement, la dysfonction et l'adaptation. Cette recherche se réfère à l'étude des conditions qui leur sont antérieures, aux changements qui leur sont consécutifs, et aux nombreuses façons dont ils sont associés.

La recherche facteur de risque est intrinsèquement développementale dans la mesure où l'accent est mis sur les influences et les résultats au fil du temps, ainsi que sur les chemins et les processus intermédiaires qui les relient. Dans le cas simple, les individus sont évalués à deux points dans le temps pour déterminer si les variables mesurées à l'évaluation initiale sont associées à l'émergence d'un résultat particulier à l'évaluation ultérieure. À première vue, la nature corrélationnelle des facteurs de risque semblerait reléguer la recherche à des inférences relativement faibles concernant les chemins et les trajectoires du développement. Cependant, il y a des forces spéciales de l'approche dans la façon dont les antécédents et les résultats sont conceptualisés, la façon dont la recherche progresse vers une compréhension à grain fin du développement, et la façon dont la recherche et l'application sont étroitement liées.

Le but de l’article est de situer la recherche “facteurs de risque“ comme une approche vers la recherche en psychopathologie développementale. L'approche reflète une façon de conceptualiser les phénomènes, ainsi que les méthodes de design et d'analyse des relations entre les conditions antérieures et les résultats au fil du temps. Cet article traite de la conceptualisation des causes des résultats au cours du développement, de la progression de la recherche dans l'élaboration de la nature des influences qui y participent et comment elles fonctionnent. S’y associent les nombreuses questions et stratégies adoptées par la recherche sur les facteurs de risque, et leurs contributions à la connaissance et à son application. Des exemples pour illustrer les contributions et les progrès de la recherche sur les facteurs de risque sont tirés de la psychopathologie développementale, ainsi que de la santé publique, où les stratégies et les contributions de la recherche ont été le plus pleinement développées.

Cet article est structurellement essentiel. Il introduit le modèle général d’une causalité à double orientation, psychopathologique dans un sens, développementale dans l’autre. Les hypothèses qui leur sont relatives peuvent être précisées et, pour une part, testées à partir des interventions thérapeutiques attenantes et des mécanismes qui leur sont inférés. Ce design et ses étapes se trouvent précisés par les exemples qui sont présentés. On les retrouve sous une forme résumée dans les 7 étapes qui décrivent le développement d’un traitement efficace suivant Kazdin et Kendall en 1998.

Holmbeck (1997) précise les conditions d'application des concepts de modération et de médiation. Il donne de nombreux exemples de leur mauvais et bon usage conceptuel et statistique. Il compare également l’approche de régression et l’approche de modélisation par équation structurale pour tester les effets des modérateurs et des médiateurs.

Dans le prolongement de l’article qu'il a réalisé avec Kendall en 1998, et de celui qu’il consacre au développement d’un agenda de recherche pour la psychothérapie de l’enfant et de l’adolescent (Kazdin 2000), Kazdin engage en 2001 un tournant méthodologique important qui remet fortement en question la démarche générale de recherche centrée par les ECRs.

  • Dans un premier article Kazdin (2001a) souligne son objectif général, à savoir combler le fossé entre la théorie et la pratique clinique, mais aussi l’écart entre la recherche théorique et thérapeutique.
  • Dans second article (Kazdin 2001b), sa thèse est que le développement des traitements dépend fortement d'investigations portant sur des questions scientifiques essentielles. Il suggère que si les chercheurs impliqués dans la clinique organisaient un peu mieux la recherche en psychothérapie, et qu’ils fournissaient aux investigateurs une succession de questions, étapes, ou méthodes d'évaluation du traitement, le mouvement vers des traitements bien développés et utiles serait plus rapide et évident. L’objectif est une meilleure compréhension du processus de changement. En particulier, celles des mécanismes par lesquels la thérapie fonctionne et des conditions dans lesquelles elle est susceptible d'être efficace et pourquoi .
  • On devrait être armé avec la connaissance de la façon dont le traitement produit le changement, la nature des composants essentiels du traitement, et comment maximiser leur impact. Les commentaires de l’auteur plaident en faveur d'un portefeuille de recherches qui aborde un plus large éventail de questions et englobe des méthodes plus diverses d'évaluation du traitement. L’étendue et la diversité des méthodes ne sont pas des fins en elles-mêmes, mais elles seront essentielles pour obtenir les connaissances nécessaires permettant d’effectuer des changements optimaux dans les applications cliniques du traitement. S'appuyant sur la démarche clinique de construction d'un traitement, il en formalise le processus opérationnel en 6 étapes, des principes qui le sous-tendent aux tests qui lui donnent sa légitimité. Un bilan des facteurs de contexte et de leur caractère favorable ou défavorable (les modérateurs) est incontournable. Les études d'efficacité n'ont pas développé systématiquement la base de connaissances. L'activité d'un traitement ne se résume pas à ses composants internes. Elle implique aussi des processus psychologiques, sociaux et biologiques. Un traitement additionnel est nécessaire qui se centre sur la compréhension des bases qui sous-tendent le traitement et la façon dont on peut optimiser le changement thérapeutique.


    Dernière mise à jour : 23 septembre 2018


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