Caractériser et Comprendre le Processus de Changement d’une Psychothérapie Complexe *

Modélisation des processus, mécanismes et conditions des changements associés à la psychothérapie de 66 enfants et adolescents présentant des troubles du spectre autistique

Jean-Michel Thurin ©

Chapitre 1

1.5. Développement des études systématisées de cas individuels

L'évolution de la recherche sur le processus et sa relation avec les résultats a été accompagnée d’une renaissance des études systématisées de cas individuels (Thurin 2012b) .

Les premières études prospectives systématiques processus-résultats sont développées dans les années 1950 par l’équipe de la clinique Menninger dans le champ des psychothérapies psychanalytiques des psychoses et des états limites (Wallerstein (1986), Kernberg (1973)).

Les années 80 sont marquées par le développement de la méthodologie expérimentale pour les cas isolés. Deux ouvrages leurs sont consacrés : celui de Kazdin (1982) et de celui de Barlow & Hersen (1984). Ils portent essentiellement sur les études expérimentales. Cependant, Kazdin (1981, 1982 Chap. 4 p. 76-102) situe ces études dans un continuum avec les études de cas "quasi expérimentales" "non contrôlées », mais dont les menaces à la validité interne peuvent être rejetées. Ces études constituent des alternatives aux études expérimentales lorsque ces dernières ne peuvent être appliquées pour des raisons éthiques, méthodologiques et pratiques inhérentes à la situation clinique. Avec les études quasi-expérimentales, il est possible de situer leur niveau de preuve depuis le récit anecdotique (niveau 0) jusqu’à l’étude structurée, répliquée, et évaluant les menaces à la validité interne (niveau 3). Suivant ce classement, les études de niveau 3 ont un niveau de preuve très proche de celui des études expérimentales [Compléments dans Bibliographie]. Cette distinction dans un continuum entre études expérimentales et études quasi-expérimentales permet à des études de cas naturalistes bien construites de se situer à des niveaux de preuve similaires, voire supérieurs à ceux des ECR (Thurin 2016c).

Quelques années plus tard, Goldfried, Greenberg et Marmar (1990) constatent, dans l’Annual Review of Psychology, un déclin des méta-analyses pour l'évaluation de l'efficacité des interventions psychosociales de troubles spécifiques. La tendance croissante est de se confronter à la question de la façon dont se déroule le changement thérapeutique, quand il a lieu. Cette évolution, qui leur paraît cruciale dans l’amélioration de l’efficacité des psychothérapies, est le thème dominant de la revue. Les auteurs insistent également sur les répercussions a priori négatives qu'ont pu avoir les décisions du NIMH de supprimer la branche de recherche sur le traitement psychosocial et d'organiser ses programmes suivant les catégories du DSM. Un Consortium Psychothérapie est constitué pour identifier les problèmes potentiels.

Jones et Wundholz (1990) présentent une étude portant sur les séances, enregistrées et transcrites, de 6 années de psychanalyse. L’analyse du processus est réalisée avec le Psychotherapy Process Q-Set. Cet instrument permet de saisir la complexité du processus psychothérapique où sont concentrés les mécanismes potentiels de changement en psychothérapie. La méthode d’analyse issue de cet instrument permet : (1) que la richesse de l’observation des études de cas puisse être ramenée à des dimensions objectives et quantifiables, (2) de capturer le caractère unique de l’étude individuelle de cas et (3) de réaliser des comparaisons entre observateurs du même cas, ainsi que des comparaisons inter-cas. L'éditorial de Jones (1993), publié dans un numéro spécial du JCCP consacré à la recherche issue du cas individuel en psychothérapie, donne deux explications à la renaissance des études de cas. La première est la reconnaissance croissante des limites des ECRs pour informer sur la façon dont les patients changent à travers des interventions dont la médiation est psychologique. La seconde est que la compréhension des processus qui promeuvent le changement thérapeutique nécessite une analyse précise de l'interaction patient-thérapeute et conduit à tester les modèles théoriques. Les états sur la psychothérapie issus d'études de groupes ont peu à voir avec les problèmes cliniques qui se présentent aux cliniciens, si bien que la recherche est restée périphérique à la pratique clinique et aux principaux courants intellectuels et théoriques dans le champ.

Six articles de haut niveau accompagnent l’éditorial. Ils abordent les principales questions méthodologiques associées à la recherche issue de cas individuels. Hilliard (1993) présente les questions centrales associées couramment aux études de cas (définition, agrégation, généralisation, différentes catégories). La recherche cas-isolé est située comme une sous-classe de la recherche intra-sujet ; l'agrégation directe des sujets est évitée car elle porte le risque d'une perte d'information très explicative ; la généralité des conclusions issues du cas-isolé est abordée à travers la réplication sur une base de cas-par-cas. Jones, Ghannam, Nigg et Dyer (1993) présentent l'analyse statistique en série temporelle à partir d'un exemple clinique. L'article de Spence, Dahl et Jones (1993) fournit un exemple de la façon dont la recherche cas-isolé, avec des techniques aussi innovantes que l'analyse linguistique et la Q-Méthodologie, aborde la question du test d'hypothèses théoriques. Les deux études quantitatives de cas isolés rapportées par Silberschatz et Curtis sont exemplaires du test d'hypothèses spécifiques à partir de l'ajustement des interventions du thérapeute. Elles illustrent également la puissance de la vérification des découvertes issues du cas individuel à travers la réplication. Moras, Telfer et Barlow (1993) démontrent l'utilité de l’étude de cas pour développer de nouveaux traitements psychothérapiques et tester des hypothèses développées à partir de la théorie à propos des moyens présumés d'action. L'article de Horowitz et al. (1993) présente l'étude de cas empirique, orientée vers la découverte et sensible au contexte. Il présente un outil d’analyse et décrit comment différents styles d’attachement peuvent correspondre à différents types de problèmes interpersonnels.

Cette série d'articles sera complétée progressivement par des publications qui illustrent les réponses que la description du processus apporte aux grandes questions en cours : facteurs communs et spécifiques, équivalence des résultats des différentes approches, déplacement de la recherche vers les pratiques et leurs effets, scientificité des études de cas, qualité et rigueur des connaissances qui en sont issues, relations avec les théories, méthodes, aspects épistémologiques ...

Kazdin (1993) complété en 2014c ) aborde la façon dont l’évaluation du cas individuel peut être réalisée en pratique clinique. Il précise les conditions qui peuvent : 1) améliorer l’information et la qualité des inférences qui peuvent en être tirées et 2) renforcer la force des résultats en donnant à l'étude une qualité quasi-expérimentale. Un tableau (p 313) précise les 5 étapes clés pour une évaluation systématique en pratique clinique. Ces cinq étapes sont les suivantes : 1) spécifier et évaluer les buts du traitement, 2) spécifier et évaluer les procédures et les processus, 3) sélectionner les mesures, 4) déterminer les temps d’évaluation, 5) modéliser et évaluer les données. Une étude de cas est présentée.

Fishman (2000) , présente les études pragmatiques de cas dans le cadre d’une épistémologie post-moderne et la variété méthodologique des études de cas en insistant sur les études mixtes. Il crée la revue Études pragmatiques de cas, conçue sur le principe d’une base de données organisées par un format général commun de publication.

Haynes et Williams (2003) valorisent la formulation de cas et l’appréhendent comme une analyse fonctionnelle qui facilite les décisions du traitement. Elle aide le clinicien à estimer l'importance relative de l'effet de chaque variable causale sur les problèmes de comportement du patient. Les problèmes peuvent s'affecter réciproquement de façon complexe et chaque problème de comportement peut être influencé par de multiples variables causales en interaction. Suivant ce modèle, un déterminant principal de la conception du traitement est l'importance attribuée à chacune des multiples variables causales affectant les problèmes du patient. La conséquence logique de cette approche est que l'ampleur estimée des effets du traitement est une fonction partielle du degré suivant lequel les mécanismes d'action associés à chaque traitement modifient les variables causales les plus importantes pour les problèmes de comportement du patient. La stratégie de traitement la plus efficace dépend en partie du degré suivant lequel les mécanismes d'action potentiels du traitement traitent les variables causales les plus importantes chez le patient. On retrouve ici l’approche « facteurs de risque, facteurs de protection et de développement » développée par Kazdin er al. 1997).

Stiles (2003) aborde la question de la scientificité de l'étude de cas. Le premier point concerne la relation entre les idées et les observations. Les observations s'infiltrent dans les idées et leur permettent de se modifier. C'est ce qui permet à la science d'être cumulative. Les théories évoluent en fonction des observations. En statistiques, de nombreuses observations sont mises en relation avec une hypothèse. En psychothérapie, plutôt que d'attribuer une forte confiance à un élément particulier, l'investigateur compare simultanément un grand nombre d'observations chez un individu particulier avec un grand nombre d'énoncés issus de théories. Chaque énoncé qui décrit un certain aspect du cas en termes théoriques représente une comparaison de la théorie avec l'observation.

Comment l'étude de cas peut-elle produire de la théorie ? En identifiant des problèmes et en les suivant à travers les séances. À partir de cas issus de différentes approches, et de la façon dont l'expression du problème diffère d'un moment à l'autre, un processus de changement peut être inféré, et les concepts pour décrire ce processus être développés. Certains événements réactivent le processus et la question devient alors celle de leurs effets et de leur intégration. Le passage d'expériences problématiques à des ressources implique plusieurs (8) étapes qui sont décrites. Au fur et à mesure que les observations s'accumulent, la théorie peut se modifier légèrement ou montrer ses limites pour un type particulier de cas. Au total, Stiles suggère que les études de cas offrent une alternative qui peut compléter la recherche par test d’hypothèse.

Edwards et al. (2004) décrivent comment les études basées sur des cas permettent d’affiner les modèles de traitement clinique ainsi que le test et l'affinage de la théorie sur laquelle les modèles sont basés. Elles fournissent des réponses à des questions plus détaillées sur le processus, car elles permettent la collecte de nombreuses informations sous la forme de mesures quantitatives répétées, ainsi que des informations qualitatives sur le processus de chaque séance et les événements pertinents survenus entre les séances, comme la réponse aux tâches. L'information concernant le moment où un changement important est survenu et ce que le patient a connu comme produisant des changements cognitifs, comportementaux ou émotionnels importants, permettent de tester en détail le modèle clinique sur lequel le traitement est fondé.

Virues-Ortega et Haynes (2005) font de l’analyse fonctionnelle une des étapes de la formulation de cas. Ils développent un modèle du cas individuel qui rappelle celui de l’analyse PLS-SEM. Cet exercice, outre son intérêt pour la conception logique et ajustée du programme thérapeutique à partir des variables issues de la formulation de cas, permet un bon travail de réflexion pour la possibilité d’une modélisation analogue pour un groupe (voir le Chapitre 3 pour la description détaillée de PLS-SEM).

Messer (2007) présente comment le format adopté par la revue Pragmatic Case Study (PCS), peut contribuer à améliorer la qualité et la rigueur des connaissances issues des études psychanalytiques de cas individuels. L’auteur examine cinq limitations de présentations de cas ou de vignettes psychanalytiques typiques et la façon dont la méthode PCS tente de les améliorer. Les limitations comprennent : (1) le recours à la mémoire du thérapeute ou à des notes non développées ; (2) la sélection des données par le thérapeute seul ; (3) la tendance à interpréter le matériel des cas suivant l'orthodoxie théorique régnante ; (4) le manque de contexte disponible pour permettre au lecteur d'accepter ou de réfuter la lecture du cas par le thérapeute : (5) la restriction de la source des données au seul thérapeute. Malgré les avantages de la méthode PCS sur ce qui est actuellement la norme pour présenter le matériel du cas psychanalytique, il y a des défis en cours pour déterminer si la méthode doit être considérée comme un moyen scientifique de présenter des preuves et d'utiliser ces éléments de preuve pour modifier la théorie.

Quatre principes sont ainsi proposés par Messer pour améliorer le rendement scientifique des études de cas : décrire précisément la variable dépendante dans les conditions de base (formulation de cas) ; spécifier soigneusement le traitement ; réaliser des mesures répétées et observer l’évolution pendant un temps suffisant ; collecter des informations complémentaires pour éliminer les facteurs éventuels (menaces à la validité interne) qui pourraient expliquer les modifications tout au long du traitement. Ces quatre critères sont tout à fait compatibles avec les études observationnelles.

Iwakabe (2011) discute la méthode de comparaison de cas en faisant la revue des approches précédentes de ce type. Les 4 études de Strupp (1980) centrées sur la compréhension des différences de résultats de patients similaires traités de la même façon (1980 a,b,c,d) étaient qualitatives. Les études suivantes (Henry et al. 1986, O’Farrel et al. 1986) ont intégré des mesures quantitatives des comportements des patients et des thérapeutes au cours des séances, de façon à identifier ce qui contribue au changement thérapeutique ou ont utilisé une méthode strictement qualitative (Knox et al. (2008).

Thurin (2009, 2012b) explore la capacité de l’étude de cas à faire face à la complexité des cas cliniques et à fournir des données scientifiques sur le processus de changement en psychothérapie. Soulignant l’inadaptation des études comparatives de groupes pour apporter aux cliniciens des connaissances appropriées sur l’approche thérapeutique des cas individuels et la nécessité de méthodes alternatives de recherche, il propose d’utiliser la potentialité des études de cas systématisées centrées sur la compréhension des mécanismes de changement et décrit les lignes directrices pour la conduite de telles recherches en psychothérapie.

Fishman (2013) présente une mise à jour de son article de 2000 dans laquelle il distingue les différents types de méthodologies de recherche possibles en psychothérapie. Sa classification est générée par trois dimensions : a) le type de données collectées – principalement quantitatives, qualitatives, ou une combinaison des deux ; b) le type de situation dans laquelle les données de recherche sont collectées : expérimentale ou naturaliste ; et c) le focus de l’analyse des données : par groupe d’individus, par cas individuels ou par une combinaison des deux. Il dresse un premier bilan des 8 années de publication de Pragmatic Case Studies in Psychotherapy.

McLeod (2013) présente différentes stratégies pour renforcer la rigueur des rapports d’études de cas. Elles portent sur la conception générale et les objectifs de la recherche, les critères de qualité pour évaluer la validité des résultats des études, les approches pour agréger les conclusions d’un ensemble de cas, et l’interprétation des données issues des cas. Sont ainsi distinguées : (1) les Études de cas orientées vers les résultats, répondant à deux questions principales : Quelle a été l'efficacité de la thérapie pour ce cas ? Dans quelle mesure les changements observés chez le patient peuvent-ils être attribués à la thérapie ? ; (2) les Études de cas orientées vers la théorie, qui traient des questions telles que : Comment le processus de la thérapie dans ce cas peut-il être compris en termes théoriques ? Comment les données dans ce cas peuvent-elle être utilisées pour tester et affiner un modèle théorique existant ou construire un nouveau cadre théorique ? ; (3) les Études pragmatiques de cas. Leur objectif est de fournir un plus large éventail de données quantitatives et qualitatives de base sur le cas que les rapports traditionnels de cas cliniques. Elles adhérent à un format standard pour leur publication qui leur permet d’être intégrées dans une base de données, et (4) les Études de cas expérientielles ou narratives. Elles visent à raconter l’histoire d’un cas, du point de vue du patient ou du thérapeute, en explorant des questions telles que : “Qu’est-ce que le patient ou le thérapeute semblait être dans ce cas ? Quelle était la signification de cette rencontre thérapeutique ?“

Huit critères généraux sont avancés pour permettre de définir la qualité des informations fournies par les études de cas : (1) les buts et objectifs de l'étude ; (2) les caractéristiques du problème présenté par le patient (s), décrites de telle manière qu’il soit possible de localiser le cas dans une population plus large ; (3) le contexte organisationnel ou l’organisme au sein duquel le traitement a eu lieu ; (4) le nombre de séances, de séances manquées, la durée des séances, le paiement, etc. ; (5) les caractéristiques du thérapeute (par exemple, l'âge, le sexe, la formation) ; (6) les interventions utilisées par le thérapeute ; les procédures éthiques utilisées pour obtenir le consentement du client ; (7) l’utilisation d’une supervision externe et consultation par le thérapeute. S’y ajoute, dans le cadre des Études de résultats, (8) la recherche d’événements extérieurs susceptibles d’avoir influencé le cours de la psychothérapie.

Ces différents aspects sont développés dans l’analyse bibliographique.

Hilsenroth (2010) , rédacteur en chef de la revue Psychotherapy, lance un appel à la publication d'études de cas fondées sur des données probantes. Il en attend des informations très utiles pour combler le fossé entre la recherche et la pratique et des modèles importants sur la façon d’intégrer la recherche fondamentale dans les travaux appliqués au niveau du cas individuel. En outre, cette initiative devrait ouvrir une voie pour la publication à ceux qui, dans la pratique privée à temps plein, sont intéressés par l’intégration de mesures de recherche dans leur travail clinique. Cet appel devrait offrir un ensemble facilement identifiable d’études de cas systématisées de différentes formes de traitement répondant aux critères de l’Association Américaine de Psychologie pour la Pratique Fondée sur des Preuves (APA 2006) ainsi que pour la dimension de l’utilité clinique dans les critères d’évaluation des directives thérapeutiques (APA 2002).


Dernière mise à jour : 21 septembre 2018


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