Caractériser et Comprendre le Processus de Changement d’une Psychothérapie Complexe *

Modélisation des processus, mécanismes et conditions des changements associés à la psychothérapie de 66 enfants et adolescents présentant des troubles du spectre autistique

Jean-Michel Thurin ©

Chapitre 1

1.4. Recherches sur le processus de changement

Le terme de "Recherche sur le Processus de Changement" (Change Research Process (CPR)) en psychothérapie a été introduit par Greenberg en 1986 pour se référer à la recherche qui va au delà de la vieille dichotomie processus / résultats en se centrant sur " l'identification, la description, l'explication et la prédiction des effets des processus qui causent le changement thérapeutique ». Il souligne que l’hypothèse suivant laquelle tous les processus ont la même signification, indépendamment du contexte dans lequel ils se situent, doit être abandonnée. Un processus de recherche sensible au contexte doit être développé. Les actes de discours doivent être considérés dans le contexte des types d'épisodes dans lesquels ils se produisent, et les épisodes ont besoin d'être considérés dans le cadre du type de relation dans lequel ils s’expriment. Cette approche devrait se traduire par l'utilisation d'une batterie d'instruments de processus pour mesurer les configurations de processus dans leur contexte et les relier aux résultats.

En 1991, Greenberg situe cette recherche comme une approche qui reconnaît la complexité du processus psychothérapique. Elle tente d'analyser le développement successif, moment par moment, des fonctionnements de la personne dans différents états et contextes. Elle peut représenter une alternative aux études expérimentales.

Avec cette perspective, la recherche se déplace de l'association et l’interaction entre variables vers une étude plus complexe des processus de changement. Le processus devient une succession de configurations dont on peut préciser certains déterminants particuliers sur lesquels l'action thérapeutique peut être centrée. Parmi ces configurations, on trouve les croyances pathogènes, les conflits relationnels centraux, les réactions problématiques, les cycles interpersonnels négatifs. Ces configurations appellent des interventions intermédiaires spécifiques qui peuvent être décrites.

Il devient ainsi concevable de déterminer :

La question des mécanismes de changement, c'est-à-dire des changements intermédiaires qui peuvent désenclaver une réaction spontanée et/ou une situation bloquée, devient ainsi potentiellement accessible. La recherche doit viser à démontrer que, pour ce déterminant, cette intervention produit ce type de résultat.

C'est également à cette période que le concept d'alliance thérapeutique commence à s’imposer. Marmar et al. (1989) en identifient 5 dimensions à partir d'une analyse en composantes principales (ACP) : l'engagement du patient, sa capacité de travail, la compréhension du thérapeute et son implication, la contribution négative du thérapeute, et le désaccord sur les objectifs et la stratégie. Ces différentes évolutions posent la question d'une approche intégrative. Un séminaire du NIMH est consacré à ce thème. Sa conclusion est que le temps est davantage celui d'une "déségrégation" que d'une "intégration". La conférence recommande que la recherche commence par une comparaison du processus de changement tel qu'il se produit dans les différentes orientations.

La fin du clivage entre recherche sur les résultats et recherche sur le processus est annoncée et explicitée en 1990 par Beutler dans son éditorial du Journal of Consulting and Clinical Psychology consacré aux avancées de la recherche sur le processus psychothérapique.

Ce numéro réunit cinq articles. La distinction initiale entre les chercheurs défendant des observations objectives et ceux qui défendent des sources guidées par la théorie, entre comportementalistes et psychanalystes, entre chercheurs centrés sur les résultats ou centrés sur le processus subsiste encore, mais elle a tendance à se réduire avec le mixage interne dans les équipes.

Un article général de synthèse de Goldfried, Greenberg et Marmar (1990) portant sur les évolutions importantes qui se produisent dans les différents domaines de la recherche en psychothérapie dans les années 85-90, et centré sur l'étude du processus de changement, est publié la même année dans l'Annual Review of Psychology.

Dans un article de synthèse très documenté, Elliott (2010) distingue quatre protocoles principaux de recherche sur les processus de changement :

  1. le protocole quantitatif processus-résultats. Il est très intuitif mais se heurte à une difficulté centrale, celle de l'effet paradoxal de l'ajustement (la responsivité) du thérapeute. L’association des patients « bons répondeurs » nécessitant moins d'interventions et des patients « non répondeurs » avec lesquels elles doivent être multipliées, conduit à un résultat nul [l'association d'études de cas individuels peut préciser les conditions de ce problème] ;

  2. le protocole qualitatif des facteurs aidant. Il est réalisé à partir d'une enquête auprès des patients sur ce qui les a aidés (ou ne les a pas aidés dans leur thérapie) ;

  3. le protocole de microanalyse séquentielle du processus. Il implique des questions telles que "Quels sont les processus qui sont activés chez le patient, par quelles réponses du thérapeute, et dans quelles conditions ?" (et réciproquement) .. "et avec quels effets ?". Cette forme de recherche sur le processus de changement est très valorisée par l'auteur. Il y adjoint les conditions suivantes : introduire le résultat et par là même rechercher l'impact potentiel d'une variable confondante et de variables de contexte (p.e., un moment privilégié). La combinaison de l'analyse séquentielle avec l'analyse processus-résultats peut renforcer les résultats. Une autre force est l'émergence de méthodes statistiques appropriées pour des observations séquentiellement dépendantes telles que les analyses en séries temporelles [p.e, Jones, Ghannam, Nigg et Dyer (1993) ], la modélisation multi niveaux [p.e., Galop et Tasca (2009) ] et la modélisation par courbe de croissance (Tschacher & Ramseyer (2009) ) [qui demandent des nombres importants de séances et de cas] ;

  4. le protocole des événements importants de la psychothérapie. Cette approche a deux formes principales. La première identifie une tâche thérapeutique importante (p.ex., aider un patient à résoudre un conflit à propos de quelque chose qu'il a fait ou ressenti) [en étant confronté à une situation] ; elle examine ensuite les effets favorables ou absents pour le patient de façon à construire et à tester des modèles de la façon dont on peut aider ces patients à résoudre ces problèmes. La seconde, l'analyse globale de processus, part inversement de moments importants du changement thérapeutique afin d'expliquer et de modéliser leurs composants et leurs effets consécutifs, ainsi que le contexte dans lequel ils sont survenus. Ces études utilisent aussi les méthodes d'analyse séquentielle en suivant de multiples aspects qualitatifs, ce qui les différencie des études séquentielles traditionnelles centrées sur un ou deux paramètres quantitatifs. Elles se prêtent a la construction de la théorie à partir de l'étude de cas suivant des modes précisément décrits par Stiles (2007) . Elles empruntent également la stratégie processus-résultats en recherchant une connexion entre le processus dans la séance et le résultat. Elles s'adaptent bien à des études de cas issues de la pratique.

Dernière mise à jour : 21 septembre 2018


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