Caractériser et Comprendre le Processus de Changement d’une Psychothérapie Complexe *

Modélisation des processus, mécanismes et conditions des changements associés à la psychothérapie de 66 enfants et adolescents présentant des troubles du spectre autistique

Jean-Michel Thurin ©

Chapitre 1

1.3. Introduction de variables de processus et d’outils conceptuels

Deux "événements méthodologiques" vont bousculer les études de résultat, le "Dodo bird verdict » et le Treatment for Depression Collaborative Research Program. Un troisième événement va donner à la recherche sur le processus un outillage conceptuel simple et performant : la publication, par Baron et Kenny, de leur article de définition et d’usage des concepts de modération et de médiation du processus de changement.

Le "Dodo bird verdict “ est une expression introduite par Rosenzweig (1936, p. 412) Elle est reprise par Luborsky et al. (1975) pour souligner le constat, issu des premières méta-analyses, d'une équivalence des résultats des différentes approches psychothérapiques. Le verdict introduit un paradoxe qui appelle une réponse. Des propositions méthodologiques sont faites pour résoudre le paradoxe de l'équivalence, à partir de trois hypothèses principales (Stiles, Shapiro et Elliott 1986). La première hypothèse est l’existence d’erreurs de mesures. La seconde est que les caractéristiques communes des différentes psychothérapies sont responsables de l'équivalence générale de l'efficacité. Autrement dit, qu’il existe une équivalence des mécanismes en dépit de la non équivalence superficielle du contenu. En particulier il est concevable que, dans une psychothérapie efficace, les thérapeutes des différentes écoles partagent les qualités apparemment souhaitables que sont un abord chaleureux, la compréhension, et la capacité de guider les patients vers de nouvelles perspectives. La troisième hypothèse est que les causes des changements ne se situent pas au niveau des techniques du thérapeute, mais d’événements brefs qui se produisent au cours des séances. Après un examen détaillé de ces trois hypothèses, les auteurs considèrent que les tentatives les plus productives pour résoudre le paradoxe de l’équivalence se situent dans une plus grande spécificité, des unités plus petites et mieux spécifiées d’analyse, une plus grande précision de mesure, et de multiples niveaux d’analyse.

Jones, Cumming et Horowitz (1988) contestent l’explication incluse dans la seconde hypothèse. Ils montrent à partir d’un instrument de description du processus, le Psychotherapy Process Q-set (PQS) que, dans une population de patients souffrant de stress post-traumatique, les caractéristiques du processus qui prédisent des résultats satisfaisants avec des patients plus ou moins perturbés sont parallèles avec celles qui distinguent les approches expressives et de soutien (Wallerstein 1986) ou de provocation/réduction de l'anxiété dans les psychothérapies brèves (Sifneos 1972) . Ces données suggèrent que le changement du patient est beaucoup plus complexe que ce que suggère l'hypothèse de l'efficacité non spécifique. Les auteurs ajoutent que l'échec de l'identification de corrélations consistantes entre les aspects spécifiques du processus et les résultats du traitement est le produit de la tentative de trouver des explications simples, et de négliger la recherche de conceptualisations qui reflètent de façon adéquate l'interaction de multiples influences dans les traitements cliniques.

L'hétérogénéité, d'un centre à un autre, des résultats issus du Treatment for Depression Collaborative Research Program (TDCRP), programme de recherche "historique" du NIMH centré sur l'étude comparative des traitements de la dépression du NIMH (Elkin et al. 1989) constitue le second événement. Elle introduit sur un mode frontal la question des variables tierces qui participent au changement dans la psychothérapie et la possibilité de les contrôler en amont. Dans son article de synthèse, Elkin (1996) décrit l’enchaînement des questions engagées par la divergence inter-sites des résultats concernant l’efficacité des thérapies interpersonnelles et cognitivo-comportementales pour la dépression. Ont ainsi été examinées les influences : de la sévérité des troubles, des procédures statistiques et des tendances qu’une statistique bayésienne rendait possible pour chaque patient, du handicap fonctionnel, de la qualité d’implémentation du traitement, de la formation et de la compétence des thérapeutes, des résultats et rechutes au post-traitement. À l’issue de ces tentatives d’explication, à laquelle s’ajoute celle, révélée dans des études exploratoires, de l’influence potentielle des relations thérapeutes-patients, les auteurs appellent au développement de nouvelles études centrées sur ces questions et d’autres à partir de la base des données du TDCRP. Des études centrées sur l’effet de l’interaction des variables patient-thérapeute commencent à se développer. Elles se dérouleront pendant ces 20 dernières années sur ces bases. On peut citer ici celles menées par Ablon et Jones (2002), Barber et al. (2000), Blatt & Zuroff (2005), et Höglend (2008).

Dans ce contexte, plusieurs instruments sont construits pour décrire les interventions dans les séances et les interactions patient-thérapeute, la “Multitheoretical list of therapeutic interventions“ (MULTI) (McCarthy & Barber 2009) , le “Psychotherapy Process Q-set“ (PQS) (Jones 2000) , et la “ Comparative Psychotherapy Process Scale ’’ (Hilsenroth et al.).

Le troisième événement méthodologique peut être associé aux deux précédents, c'est la publication par Baron et Kenny (1986) de l'article où ils définissent et distinguent les modérateurs et les médiateurs dans le champ de la recherche en sciences sociales et psychologiques, en y associant des considérations conceptuelles et statistiques.

Le modérateur est ainsi défini comme « une variable qualitative (par exemple, le sexe, la classe sociale) ou quantitative . . . qui affecte la direction et / ou la force d'une relation entre une variable indépendante (ou prédicteur), et une variable dépendante (ou variable de critère). . . Un effet général du modérateur peut être représenté comme une interaction entre une variable indépendante focale et un facteur (le modérateur) qui spécifie les conditions appropriées pour son fonctionnement. . . Les variables modératrices sont généralement introduites quand il y a une relation inattendue faible ou irrégulière entre un prédicteur et une variable de critère » (Baron & Kenny, 1986, p. 1174, 1178).

Quant au médiateur, il est défini comme « le mécanisme générateur à travers lequel la variable indépendante focale est capable d'influencer la variable dépendante d'intérêt. . . (et) la médiation ... est la mieux réalisée dans le cas d'une relation forte entre le prédicteur et la variable critère ». (pp. 1173, 1178).


Dernière mise à jour : 14 septembre 2018


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