Caractériser et Comprendre le Processus de Changement d’une Psychothérapie Complexe *

Modélisation des processus, mécanismes et conditions des changements associés à la psychothérapie de 66 enfants et adolescents présentant des troubles du spectre autistique

Jean-Michel Thurin ©

Présentation générale de la thèse

Avant de commencer, je souhaite d’abord remercier les membres du jury d’avoir accepté de participer à cette soutenance, ainsi que mon directeur de thèse Bruno Falissard et David Cohen pour leur accompagnement et leur soutien tout au long de ce doctorat.

Je remercie également les personnes présentes pour l’intérêt qu’elles portent à mon travail.

Cette soutenance est l’aboutissement d’une recherche menée sur l’évaluation des psychothérapies depuis les années 90. Elle a pris un tournant opérationnel majeur à la suite de l’expertise collective Inserm de 2004 à laquelle j’ai participé avec B Falissard. La critique méthodologique qu’elle a introduit a conduit au développement d’un réseau de recherches cliniques dont sont issues les études intensives de cas auxquelles cette thèse fait référence.

La thèse que je soutiens devant vous porte sur l’introduction de la recherche processus-résultats en psychothérapie, ce qui l’a imposée - le caractère restreint des connaissance sur la causalité des changements en psychothérapie - , ce qu’elle a impliqué - l’évolution du paradigme de la recherche et le renouvellement des méthodes d’analyse à partir d’études de cas à fort niveau de preuve-, et ce qu’elle a questionné - la possibilité d’en appliquer concrètement les principes aux processus de changement d’une population clinique -.

Cette possibilité a été mise à l’épreuve à partir de l’analyse de 66 psychothérapies conduites avec des enfants et adolescents souffrant de troubles autistiques, dont le processus de changement a été suivi et analysé sur une période d’un an. Ces psychothérapies ont été menées en conditions naturelles par des praticiens expérimentés de différentes orientations, la plus représentée dans ce travail étant psychanalytique.

L’objectif de cette thèse est d’élargir la base des connaissances, et de faciliter le développement d’études de ce type - encore rarement réalisées -, de montrer la possibilité, l’importance et le caractère indispensable de la collaboration cliniciens - chercheurs, et d’encourager les cliniciens à s’engager pour aller plus loin dans la recherche clinique qui s’est révélée être aussi un formidable appui dans le champ complexe de l’autisme.

La thèse comprend quatre parties, auxquelles est associée une discussion.

La première partie présente, à partir d’une revue de la littérature centrée sur l’introduction et le développement de la recherche sur le processus associée aux résultats, comment le paradigme interactionnel multifactoriel de la psychothérapie s’est imposé dans le contexte de l’EBM et a stimulé le développement de méthodes centrées sur la causalité des changements adaptées à la complexité de l’action thérapeutique en psychothérapie, telle qu’elle est réalisée en conditions naturelles.

La seconde partie précise les aspects méthodologiques généraux et spécifiques de cette nouvelle orientation, à partir de deux axes principaux :

  1. 1. le premier axe est épistémologique : le processus interne de la psychothérapie est constitué d’interactions et de transactions entre le patient et le thérapeute. Par transaction, je fais référence à la nature dialogique des échanges verbaux et préverbaux entre le patient et le thérapeute. Le paradigme de l’action thérapeutique se distingue ainsi nettement de celui du modèle médical classique (un agent prescrit, un effet produit). Et, par extension, celui de l’efficacité, en y intégrant les chaines causales les plus caractéristiques qui la sous-tendent ;
  2. 2. le second axe est méthodologique, avec 4 caractéristiques :

La troisième partie expose en détail la méthodologie développée dans le réseau de recherches fondées sur les pratiques psychothérapiques et les résultats de son application concrète. Les résultats se situent à deux niveaux : 1) celui des effets symptomatiques, fonctionnels et développementaux constatés dans la population observée et 2) celui du test de la méthodologie multi axiale mise en oeuvre pour appréhender les processus de changement et leurs mécanismes. Cette méthodologie conduit, par différentes voies, à une modélisation de l’action thérapeutique dans différentes configurations, de sa conception à son déroulement. Sur cette base, les premiers résultats décrivant les effets proprement dits sur les comportements, le développement et fonctionnement de l’enfant à partir des psychothérapies réalisées deviennent plus compréhensibles.

La quatrième partie présente une revue historique détaillée de la littérature.

Je précise maintenant les principaux points soulevés

 

Sur ces bases, nous pouvons aborder en détail la troisème partie, à savoir la présentation et l'application des méthodes alternatives aux essais cliniques randomisés et considérer les résultats des psychothérapies qu'elles permettent d'évaluer.

Ces méthodes permettent d'aller au delà d'une simple comparaison avant-après. Elles sont mises en oeuvre pour cerner aussi « Pourquoi, comment et dans quelles conditions » la psychothérapie d’un trouble complexe peut être efficace. Il ne s’agit plus ici d’opérer de façon globale en testant sur un groupe une approche par rapport à une absence de traitement ou à une autre approche.

Six méthodes issues de la littérature sont proposées dans la thèse. Elles sont à prendre comme des moyens simples, très proches de l’exercice clinique, de formaliser les opérations mentales et les interventions qui conduisent à un changement significatif.

L’instrument de processus permet d’établir le lien entre ce qui est conçu à partir de la formulation de cas et actualisé dans l’action thérapeutique. Si l’action, dans ses différentes composantes objectivées par les instruments a été adaptée, l’effet doit se retrouver dans le résultat.

Le principe général qui sous tend ces méthodes est le suivant. Il s’agit :

Dans chacune de ces approches, des cas similaires sont recherchés, les résultats et les hypothèses sur lesquels ils sont fondés examinés.

Concernant les résultats des psychothérapies

Les résultats généraux ont été présentés et discutés en détail dans l’article de 2014 dans Neuropsychiatrie de l’Enfance et de l’Adolescence. Les courbes d’évolution moyenne des 66 enfants montrent une évolution favorable similaire à celles se rapportant aux 50 premières psychothérapies évaluées. Il apparaît que ces résultats quantitatifs peuvent être considérablement enrichis par une description qualitative des items issus des différents instruments concernés par le changement et de leurs configurations initiales et ultérieures.

Tout ce qui précède conduit à une conclusion simple : nous avons besoin d’avoir des résultats précis pour pouvoir prétendre à dire quelque chose sur les processus de changement et leurs mécanismes. Ces résultats précis peuvent être obtenus à partir des études de cas, en allant au delà des résultats purement quantitatifs et en utilisant les possibilités d’une approche mixte issue de la formulation de cas et des énoncés d’instruments à forte dimension clinique.

Le résultat n’est pas une fin, mais un indicateur qu’une activité spécifiée a produit un effet en relation à la causalité qui sous tend ses expressions pathologiques, sur un cas ou un profil de cas. Si elle ne produit pas ou peu d’effet au regard de cas similaires ou dans un domaine spécifique, il faut essayer de comprendre pourquoi. Kazdin fait largement référence aux travaux de Patterson sur les troubles des conduites montrant le cercle vicieux qui peut s’établir entre le comportement de l’enfant et les réponses inadaptées que lui donne l’entourage. Dans le même ordre d’idée, les observations détaillées des 66 enfants nous confrontent, chez certains d’entre-eux, à un décrochage de leur trajectoire d’évolution par rapport à celle d’enfants du même âge et à l’influence que peut avoir l’insécurité associée à une situation contextuelle particulièrement difficile ou, comme cela a été avancé, à des difficultés pré ou périnatales particulières_ (modérateur).

Mais l’analyse des cas nous conduit surtout à constater la réduction importante de comportements pathologiques et le développement relativement rapide d’aptitudes relationnelles s’exprimant dans l’interaction sociale, l’expression et le partage émotionnel, la communication, la relation aux objets, la réduction de l’intolérance au changement, et le regard. La compréhension de ces évolutions et la modélisation des facteurs qui peuvent les expliquer devient alors, comme nous l’avons déjà souligné plus haut, non seulement un objectif mais un apport important pour la pratique et la théorie.

Pour conclure

Comme le soulignent Mesibov et Shea (2011), à partir d’une critique solide des principaux éléments qui caractérisent la pratique fondée sur la preuve classique, il n’y a pas une « vérité » qui déterminerait facilement ce qui est efficace pour les troubles autistiques. Ce qui leur apparaît essentiel, c’est que tous les principes et les techniques d'intervention, doivent être individualisés avec chaque patient et ensuite évalués pour leur efficacité dans cette situation unique qui est celle du soin et de l’éducation. Beaucoup d’études restent à faire pour comprendre par quels chemin et à quel niveau se produisent les changements au cours de la psychothérapie d’un enfant autiste.

Un point me paraît essentiel à souligner, c’est l’apport que représente la participation directe des cliniciens à une recherche qui aborde les questions centrales qui se posent quotidiennement dans le champ de l’autisme « Qu'est-ce qui fonctionne ? Pourquoi ? Comment ? Pour qui ? Qu'est que l’on pourrait faire pour que cela fonctionne encore mieux ?

L’introduction d’une méthodologie qui permet de constituer des bases observationnelles solides, de formaliser les hypothèses et de réaliser une première analyse fondée des paramètres qui ont conduit au résultat, qu’il soit bon ou moins bon, est une première étape pour y répondre. La seconde étape, qui est rendue possible par la réplication des cas et l’existence d’une base de données, permet des comparaisons cas-à-cas et inter-cas centrées sur des questions particulières. Les réponses peuvent venir de différents protocoles, en tenant compte du nombre de cas et de la réduction qui s’opère du fait de l’hétérogénéité des cas, comme présenté dans cette thèse.

Dans cette perspective, l’évaluation - dont la conception initiale avait produit beaucoup de défiance et une rupture entre clinique et recherche - devient une expérience de recherche qui pourra être prise en compte au début d’une autre psychothérapie réalisée par un autre thérapeute, et plus largement.

La mutualisation des expériences et des connaissances issue de la recherche clinique réalisée en groupes de pairs, puis discutée en groupe élargi, est un point fort de ce qu’a produit le réseau. Cet abord nous semble être une façon d’apporter encore plus de sens à la pratique, laquelle en donne déjà énormément par la relation qui s’établit avec un patient souffrant d’autisme.

Je remercie à nouveau mon jury de m’avoir écouté, ainsi que les personnes présentes et tout particulièrement les cliniciens, français ou italiens, dont certains sont ici présents.


Dernière mise à jour : 25 aout 2018


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