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Le site des recherches sur les psychothérapies psychodynamiques

La complexité soutenue empiriquement : repenser la pratique fondée sur les preuves en psychothérapie

Westen, D., & Bradley, R. (2005). Empirically supported complexity. Current Directions in Psychological Science, 14, 266-271.

http://www.psychsystems.net/lab/type4.cfm?id=400&section=4&source=200&source2=1#2005

Compte-rendu : Dr B Lapeyronnie

La pratique fondée sur les preuves n’est qu’un concept et elle doit donc être opérationnalisée, c’est-à-dire transformée en une forme concrète qui arrive à la définir. Et la façon dont elle est opérationnalisée n’est pas anodine quant aux résultats finaux et donc à ce que l’on va en faire.

Depuis une dizaine d’années (1995), l’opérationnalisation correspond essentiellement aux traitements soutenus empiriquement (ESTs), c’est-à-dire à la tentative d’élaboration d’une liste de thérapies soutenues empiriquement pour des troubles spécifiques.
On savait déjà depuis longtemps (1977 : Smith et Glass) par méta-analyse que la psychothérapie générique produit un effet important, ce qui a été corroboré par Wampold (2001) : la plupart des thérapies marchent pour la plupart des patients.
Qu’est-ce qui caractérise les EST par rapport aux études antérieures ?

Ce mouvement des EST a été associé à des avancées impressionnantes dans le traitement des plusieurs troubles comme le trouble panique, le trouble obsessionnel-compulsif, et le syndrome post-traumatique.

Mais un nouveau corps de preuves suggère que la dichotomie traitements soutenus empiriquement versus traitements non soutenus empiriquement peut donner une image inexacte de l’état de la science en psychothérapie.

Une vision restreinte des preuves

Westen rappelle que lui et ses collaborateurs ont déjà décrit dans d’autres articles un certain nombre de problèmes associés à ce type d’opérationnalisation et il ne va en souligner ici que trois :

Dans ce cas, la recherche part du laboratoire où les chercheurs testent des « composés » psychologiques, les comparent aux placebos et les introduisent ensuite en clinique. Mais personne ne sait si ces composés élaborés par les chercheurs sont meilleurs que ceux utilisés par les cliniciens, et particulièrement les cliniciens qui ont les meilleurs résultats. On sait pourtant bien que les interventions thérapeutiques puissantes émergent de la pratique et non du laboratoire. Et Westen insiste sur le fait qu’il faudrait prendre le temps d’identifier et d’étudier les pratiques des cliniciens expérimentés. Il cite Wampold qui dans une étude récente a montré que 60% des thérapeutes dans un échantillon HMO de patients non hospitalisés, obtenaient des résultats comparables à ceux obtenus dans des ECRs.

Des traitements brefs pour des troubles discrets

L’EST repose sur l’hypothèse que le patient traité n’a qu’un symptôme et peut être traité par un type de traitement global. Si cette hypothèse n’était pas prise, cela voudrait dire que les chercheurs devraient tester des douzaines de manuels pour aborder toutes les interactions possibles parmi les différents troubles.
Westen fait remarquer l’erreur sérieuse qui est commise, celle de vouloir créer une liste d’EST avant d’aborder empiriquement la question de savoir ce qui amène un patient en thérapie. En effet, on sait que de nombreux patients par exemple ne rencontrent pas les critères stricts du DSM-IV nécessaires pour rentrer dans la catégorie définie. Par exemple, si un patient présente des crises de boulimie, mais moins que deux fois par semaine pendant trois mois, on ne peut pas lui attribuer le diagnostic de boulimie et on lui attribue alors le diagnostic de trouble alimentaire non spécifié. De même, nous savons peu de choses sur la possibilité de généraliser la recherche faite sur le trouble dépressif majeur à des patients qui présentent une dépression ou encore sur le trouble anxieux généralisé à un patient qui présente des angoisses ou encore la recherche sur le syndrome post-traumatique à des patients qui ont une histoire de trauma infantiles.
De plus, les patients qui présentent un symptôme unique sont l’exception plutôt que la règle en pratique clinique. La comorbidité est la plus fréquente, avec association de plusieurs troubles ou/et d’une pathologie de la personnalité. Selon Westen, ceux qui soutiennent les EST, préconisent de traiter d’abord le trouble le plus affligeant pour le patient selon un manuel et ensuite, de changer en « frayant son chemin dans les manuels pour autres troubles » ! Mais que cela soit la meilleure façon de procéder, cela n’a pas encore été testé.
Cette hypothèse prise par les EST risque d’être problématique aussi lorsque des syndromes apparemment distincts se révèlent plus tard avoir un fondement identique ou si le fait d’avoir plusieurs symptômes en même temps ne crée pas une dynamique qui ne peut pas se décomposer par unité de symptôme et donc être traité symptôme après symptôme, le tout étant différent de la somme des parties.
Westen souligne le paradoxe selon lequel le moment où les EST sont apparus, où l’on essayait ainsi de codifier une liste de thérapies soutenues empiriquement, a été aussi le moment où la science a démontré que les vulnérabilités liées à des troubles de la personnalité ou du tempérament comptaient pour beaucoup dans l’entrée en thérapie de patients aux multiples troubles (Brown, Chorpita & Barlow, 1998 ; Krueger, 2002) .
Ainsi, il est désormais clair qu’une recherche sur un traitement doit tenir compte des symptômes mais aussi de la personnalité du patient.
Le fait que l’on reconnaisse désormais que la personnalité a un rôle important dans la psychopathologie suggère les limites des traitements brefs qui ont été pourtant le centre quasi-exclusif de la recherche des EST. Par exemple, le manuel de thérapie interpersonnelle pour la dépression se centre sur les configurations interpersonnelles actuelles plutôt que sur les configurations récurrentes ou encore le manuel de thérapie cognitivo-comportemental toujours pour la dépression se centre sur les 5 à 6 séances de psychoéducation et d’activation du comportement, « laissant peu de temps pour explorer autre chose que les pensées explicites ou automatiques facilement accessibles qui aident à maintenir l’épisode actuel. »

Des conclusions empiriquement sous-qualifiées

Westen a réalisé avec ses collègues une méta-analyse tout à fait originale afin de chercher jusqu’à quel point on peut dire qu’un traitement est soutenu empiriquement. Ils ont ainsi utilisé des critères multiples pour que leur recherche soit la plus précise, la plus nuancée possible, nommant ainsi leur méta-analyse  « à dimension multiple ». Ils ne voulaient pas se contenter d’un pouce levé pour les thérapies soutenues empiriquement et d’un pouce baissé pour les autres. Ils ont ainsi utilisé la taille d’effet (quel bénéfice ce patient peut attendre de ce traitement ?) ; celle-ci ne rend pas compte des traitements avec une petite taille d’effet, mais qui ont pourtant produit un grand effet pour quelques patients  ou encore d’une réduction modérée pour beaucoup de patients. Ils ont donc complété par les pourcentages de patients guéris et ceux de patients améliorés. À leur tour ces mesures ne disent pas le pourcentage de quel chiffre, c’est-à-dire du nombre de patients qui ont fini leur traitement ? Du nombre de patients qui l’ont commencé et ne l’ont pas fini ? Ils ont ainsi associé un autre index, celui de la symptomatologie résiduelle après traitement. Cette méta-analyse a été appliquée aux recherches concernant 6 troubles.
Si la taille d’effet seule prise en compte montre une efficacité potentielle incontestable des traitements étudiés, les autres critères tempèrent ces résultats : « Nous suspectons que la plupart des patients seraient chagrinés d’apprendre que ce qui est grandement décrit dans la littérature de la recherche comme traitement de choix pour leur trouble leur donne une chance sur trois de guérison et que dans les 20 dernières années de la recherche en psychothérapie personne a considéré qu’il fallait doubler voire tripler la « dose » de ces thérapies. De même personne a comparé les états d’amélioration et de guérison obtenus dans les ECRs des thérapies brèves aux résultats obtenus par des cliniciens expérimentés qui, par chance, par essai-erreur (comme dans le conditionnement opérant), par créativité, expérimentation et expérience en sont probablement arrivés à quelque chose de plus efficace."
Autre résultat intéressant, celui des données de l’efficacité durable au-delà des 6 à 9 mois. Par exemple, l’ECR publié récemment et de qualité sur le traitement de la dépression majeure a montré que seulement un patient sur quatre traité par TCC a guéri et est resté guéri deux ans après (Hollon, et coll. 2005).

Enfin, la possibilité de généralisation des recherches effectuées est vraiment problématique. Les critères d’exclusion sont drastiques, comme par exemple évidemment la présence d’idées suicidaires dans les études de la dépression majeure !

Conclusions :

Le mouvement des EST a voulu au départ contrecarrer les référentiels psychiatriques qui avaient tendance à sous-évaluer les effets des traitements psychologiques. Il a fourni une façon d’opérationnaliser la pratique fondée sur les preuves. Mais au cours du temps cette opérationnalisation s’est avérée limitée par les preuves qu’elle inclut ou exclut, par son hypothèse du symptôme singulier qui fait qu’elle n’étudie que les traitements brefs, par son hypothèse que les traitements peuvent être classés en traitements soutenus empiriquement et en traitements non soutenus empiriquement, ce qui semble intenable désormais à la lumière des données méta-analytiques issues des ECRs.
Westen fait ses recommandations aux futures recherches :

Westen conclut que l’utilité des ECRs est en train d’être compromise inutilement par les biais systématiques décrits ci-dessus.

 

 


Dernière mise à jour : 16/11/06 info@techniques-psychotherapiques.org