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Le site des recherches sur les psychothérapies psychodynamiques

HELD René (1968). De la psychanalyse à la médecine psychosomatique. Paris, Payot.

Chapitre II - CRITÈRES DE LA FIN DU TRAITEMENT PSYCHANALYTIQUE (1)

Je crois que ce soir, et sans fausse humilité, nous pourrions tous, ou presque, nous écrier avec l'Intimé : « Ce que je sais le mieux, c'est mon commencement ».
En effet, même pour l'analyste le plus expérimenté, les problèmes posés par la fin d'une cure s'avèrent infiniment plus complexes, plus difficiles à résoudre que ceux qui se posent à tout autre moment de la cure. La tenue du présent colloque par elle-même en est déjà une preuve évidente.
En effet, un colloque sur les problèmes de début des analyses aurait bien peu de chances d'être tenu. Tout de même, lorsque l'on joue aux échecs et suivant la fameuse comparaison de Freud, c'est au début que l'on sait le mieux ce que l'on doit faire. Ce sont les débuts qui se trouvent le mieux codifiés. Mais plus on s'avance, plus le travail progresse, plus les problèmes qui se posent à nous deviennent complexes. On dirait d'une équation dont les termes se multiplieraient tandis qu'on tâcherait à la résoudre et dont une des inconnues en disparaissant, laisserait à sa place plusieurs autres, sans qu'on puisse entrevoir avec certitude la solution définitive.
Au point où nous en sommes arrivés de la discussion, ne voulant pas transformer ce « colloque presque terminé, en colloque interminable », nous nous bornerons à souligner les quelques points suivants :
Après avoir évoqué quelques difficultés en rapport avec l'incidence des réactions de contre-transfert sur la terminaison des analyses, après avoir également dit quelques mots au sujet du critère de guérison que constitue la liquidation du transfert et des modalités d'appréciation de cette liquidation, nous reviendrons sur l'intuition, dont on a déjà parlé antérieurement, et nous préciserons à ce propos notre façon de voir.

 

  1. CONTRE-TRANSFERT.

Non seulement les questions se rapportant au contre-transfert jouent un rôle important et créent souvent de grandes difficultés au cours même de la cure, mais en parler nous confronte avec les difficultés spécifiques. En effet, on ne saurait parler des réactions de contre-transfert de l'analyste de la même façon et aussi objectivement que nous pourrions le faire pour tout autre point concernant la théorie ou la pratique analytiques : qu'un analyste parle de réactions contre-transférentielles teintées d'anxiété fera dire que l'auteur lui-même est un anxieux. Faire une allusion, aussi discrète soit-elle, aux possibilités de réactions agressives contre-transférentielles chez l'analyste, portera immédiatement le lecteur ou l'auditeur à imaginer que celui qui écrit ou qui parle, est lui-même souvent confronté avec ses propres réactions indésirables d'agressivité.
En parler, comme le rappelle Michael BALINT dans un article consacré également aux problèmes posés par la fin des analyses, en parler, c'est révéler une grande part de sa propre personnalité, quoique sous une forme hautement sublimée. On pourrait même
ajouter que le simple fait d'écrire un article, de participer à un débat scientifique quel qu'il soit, pourrait déjà révéler peu ou prou de la personnalité de celui qui écrit ou qui parle. Et pas seulement dans le domaine qui nous intéresse. François ROSTAND l'a montré, à propos de la grammaire et des mathématiques et, pour cette dernière discipline, la chose était reconnue depuis longtemps. Cependant, en effet, parler du contre-transfert directement, c'est parler de soi et si l'on se veut parfaitement sincère, de la façon la plus indiscrète. C'est même peut-être encourir le reproche de satisfaire à certaines pulsions à se montrer et peut-être avec complaisance. On objectera que ceux d'entre nous qui ont le privilège d'effectuer des contrôles ne courent pas le même risque. Mais s'il s'agit d'une expérience infiniment précieuse, il s'agit d'une expérience au second degré, qui n'est pas à la portée de tous, qui dans tous les cas n'interdit nullement de se pencher sur soi-même, bien au contraire. Après tout, FREUD lui-même s'est ainsi analysé et n'a pas hésité à nous raconter ses rêves. Et il se trouve malheureusement, et FREUD l'a expressément mentionné, que c'est là où il a rencontré
le maximum de difficultés, obligé qu'il était de censurer une deuxième fois son propre matériel onirique avant de nous le livrer à titre d'exemple. Rendant ainsi ce matériel moins démonstratif parfois qu'il ne l'aurait souhaité.
Penchons-nous donc courageusement sur les réactions de contre-transfert qui peuvent se manifester d'une façon privilégiée au cours des terminaisons de nos travaux analytiques. Rappelons d'abord, avec Mélitta SCHMIDEBERG, que l'on doit distinguer entre les réactions de contre-transfert spécifiques en rapport avec l'image que présentera le patient pour l'analyste, et les réactions de ce dernier devant la situation analytique en général.


Par rapport à la situation


On peut considérer des difficultés en rapport avec le narcissism de l'analyste : par exemple, l'analyste tâchera de forcer la réussite ou au contraire de lâcher son « patient », avant le terme, pour éviter la possibilité de recevoir une blessure narcissique sous forme d'échec.
Des micro-résidus de castration en rapport avec le succès de l'analyse en soi, pourront également motiver l'analyste parfois de façon inadéquate. On peut poser les deux équations suivantes puissance = succès ; échec = impuissance. Le mélange de narcissisme et de craintes de castration peut se faire dans des proportions variables et donner aux interprétations et à la conduite générale de l'analyste, une tournure particulière que le patient sentira très bien et qui pourra à son tour induire chez lui des réactions fâcheuses.
La célébrité du patient peut également influer sur la bonne marche de la cure. Savoir renoncer à la réussite totale d'une cure, ne pas chercher au contraire, par crainte d'échec, à se débarrasser d'un patient connu et dont les propos, tenus à notre sujet, pourraient devenir par la suite fâcheux à notre égard, sont également des possibilités contre-transférentielles à prendre en considération. (Voir à ce sujet l'article de NACHT sur analyse didactique et thérapeutique).
L'analyse d'un patient non célèbre mais pouvant faire intervenir des tiers connus de nous dans l'analyse, malgré qu'on en ait, peut faire jouer chez l'analyste des défenses l'induisant à provoquer la fuite de son patient par son attitude involontaire.
La question des honoraires, de l'argent en général pose parfois certains problèmes que nous devons envisager sans gêne. De même, le nombre de patients que l'analyste a inscrit sur son carnet de rendez-vous. Il est probable que le jeune analyste qui a des vides dans son emploi du temps, et qui peut même parfois avoir un budget plus difficile à boucler que le praticien déjà très expérimenté, peut se trouver, malgré lui et malgré son honnêteté foncière, motivé dans le sens d'une prolongation et avoir une certaine répugnance à se séparer d'un patient, alors que plus tard, ayant sur sa liste d'attente un certain nombre de noms, il jugera que l'analyse est arrivée à son terme en sens contraire. Pour désagréable que puisse être l'abord de telles questions, je crois tout de même que, sans surestimer leur importance, il nous faut les prendre en considération, lorsqu'on aborde un travail du genre de celui qui est discuté aujourd'hui.
Si l'on passe de la situation à la personnalité même du patient, se pose alors le problème du contre-transfert en soi. Étant bien entendu que les réactions de l'analyste par rapport au patient, à l'entourage, à la situation, s'interpénètrent et qu'on ne peut pas
mettre des cloisons étanches entre ces différentes modalités des
relations patients-analystes.
Nous avions déjà rédigé ces quelques notes quand l'article d'Edith WEIGERT nous tomba sous les yeux. Cet auteur rappelle, avec d'autres auteurs, FEDERN en particulier, l'importance qu'ont, dans les mécanismes de transfert et de contre-transfert, les relations entre analystes et patients sous forme de projections de la part du patient
et d'identifications par introjections partielles pour l'analyste.
L'analyste oscille sans arrêt entre la subjectivité et l'objectivité. L'importance des sentiments anxieux perçus par l'analyste en lui-même et qui l'avertissent de la nécessité d'auto-analyser son contre-transfert, est très grande.
Une prise de conscience d'une réaction inconsciente de contre-transfert permet toujours une meilleure compréhension du patient et favorise la confiance dans l'analyste. Cette identification que nous faisons inconsciemment, mais de façon partielle avec le patient, provoque une régression d'accompagnement qui mène l'analyste du côté de son patient dans le prégénital... Ceci joue de façon particulièrement typique au cours des fins d'analyses : en effet, à ce moment, l'analyste s'identifiant partiellement au patient, peut ressentir des affects plus qu'à tout autre moment de la cure, d'une part par réactivation chez le patient - donc, chez lui-même – de sentiment d'abandon et de frustration en rapport avec la menace du sevrage, ceci étant valable pour les deux personnages en situation, dans une proportion variant avec le degré de régression atteint par le patient lui-même ; d'autre part qu'un terme ait été fixé ou non, le sentiment qu'on va en finir tôt ou tard, que nous devons manifester en tout cas notre présence, suivant le conseil de NACHT, va agir sur l'analyste comme sur le patient. Les contre-transferts de situation de présence vont agir et donner à ceux d'abandon, une coloration particulière. Manifester sa présence à ce moment-là, c'est cesser, comme le dit NACHT, d'interpréter encore et toujours dans une objectivité de miroir affable, neutre et bienveillant. C'est donc cesser d'accompagner encore et toujours, de par notre neutralité bienveillante, le patient sur le chemin de la régression. C'est nous mettre en liaison avec certaines caractéristiques propres à notre propre personnalité, que nous ne pouvions d'ailleurs escamoter complètement, on le sait, même dans nos conduites en miroir. Je ferai maintenant une remarque pour tenter de mettre en valeur les difficultés que nous pouvons rencontrer lorsque nous prenons ce virage en épingle à cheveux à cette époque privilégiée du déroulement de la cure, et mime et surtout quand nous en parlons.
La régression valable, la bonne régression si l'on ose dire, à laquelle Edith WEIGERT fait allusion dans le travail précité, et qu'elle fait rentrer dans le cadre des contre-transferts non seulement utiles mais indispensables, est-elle en tout point comparable à la régression du patient ? Nous ne le pensons pas. Il nous semble, et c'est là, comme je l'ai indiqué précédemment, le côté si épineux des travaux consacrés aux transferts, surtout aux contre-transferts, que ce genre d'étude risque d'être pour l'auteur un véritable test de projection public. Irons-nous jusqu'à dire que la perception de ce « signal d'anxiété » qui doit amener l'analyste à se remettre à son auto-analyse (ou l'auteur lui-même qui traite de semblables sujets!), irons-nous jusqu'à dire que cela doit les ramener vers une véritable et nouvelle analyse tout court ?... Je crois que la vérité est plus nuancée.
Oui, l'analyste régresse par identification. Oui, un excellent analyste, analysé plus qu'à fond, peut parfois éprouver un peu d'inquiétude voire d'anxiété ; oui, il peut être excellent analyste et n'en éprouver jamais aussi. Et sans doute la seconde éventualité paraît - en principe - souhaitable. C'est affaire de personnalité et dans les deux cas, ils peuvent être bons thérapeutes. J'ai connu un bon analyste qui se vantait après de moi de n'avoir jamais éprouvé d'angoisse dans sa vie. De pénibles expériences ultérieures arrivées à cet excellent collègue me firent comprendre par la suite que cette affirmation péremptoire n'était peut-être qu'une défense.
Rapportons donc cette question cruciale au problème de la ter- minaison des analyses. Nous pensons qu'au moment où le terme est fixé, ou bien sans qu'un terme ait été fixé, quand patient et analyste se contentent de sentir intuitivement de concert que le voyage
analytique touche à sa fin, nous pensons que la perception par l'analyste en lui-même de micro-manifestations anxieuses n'est pas absolument rédhibitoire. A condition que la régression effectuée dans l'empathie soit immédiatement réversible sitôt le signal, le déclic avertisseur perçu. Il semble évident que si l'analyste, par trop subjectiviste, laissait, pour reprendre l'expression de WEIGERT, les limites de son « moi » s'accroître sans contrôle, engluant patient et médecin dans un barbotage prégénital à deux, on serait en face d'une situation typique d'analyse interminable. La comparaison classique de l'amibe et de ses pseudopodes peut être rappelée ici. Il faut distinguer l'amibe qui se déplace en totalité en allongeant un pseudopode et en ramenant toute sa masse protoplasmique dans ce pseudopode et qui a changé ainsi de place de façon définitive, de l'amibe qui envoie un pseudopode qu'elle peut ensuite rappeler jusqu'à elle sans avoir vraiment tout quitté. Le moment, dont parle NACHT, pourrait donc être défini : l'instant où l'analyste estime qu'on a assez régressé comme cela et qu'il faut revenir à la réalité sans plus tarder. Les critères qu'il rappelle (2) nous aident intuitivement à en fixer le terme. Mais si notre libido trop visqueuse restait accrochée par identification au patient, comment pourrions-nous apprécier sainement les critères en question ?
Nous ne saurions juger d'une évolution du patient vers une génitalité authentique, si nous n'avions la capacité de manifester utilement notre présence au moment décisif en sortant progressivement, accompagné du patient, des profondeurs obscures du pré-génital pour aborder au rivage de la réalité. C'est ici qu'interviennent les aspects de notre propre personnalité : les dons, l'aptitude due au conditionnement, à l'habitude, à l'éducation de nos réflexes supérieurs, à nos connaissances théoriques et techniques, et aux bienfaits de l'analyse didactique, c'est tout cela qui nous permet, quoique partiellement identifiés à un patient ayant régressé à un certain stade, d'apprécier les possibilités qu'a ce même patient de devenir plus adulte. C'est ici qu'interviennent les critères d'intuition. Etre intuitif, c'est si l'on veut, avoir un pied dans la régression mais être en même temps objectif. Avoir l'autre pied dans le réel c'est pouvoir laisser aller et venir en nous-mêmes nos affects sans négliger pour autant nos jugements rationnels... Ce va-et-vient, c'est le moteur même de notre travail nous permettant d'arriver au
but.

B) DE L'INTUITION.

Il est hors de doute que de temps à autre, nous sentons en nous comme une espèce de « déclic » qui nous avertit que le moment est venu de prendre le virage dont NACHT nous a parlé dans l'article auquel nous avons si souvent l'occasion de nous référer : « A propos du transfert et du contre-transfert ». A ce moment-là nous sentons que nous devons manifester notre présence. Et ne plus nous con tenter d'interpréter « encore et toujours ». On a parlé ici même de phénomènes touchant à la métapsychie et non plus seulement à la métapsychologie. Par exemple on a prononcé le mot de télépathie et on n'a pas écarté absolument la possibilité d'une transmission de certaines pensées du patient à nous-même et d'une manière qui ne peut pas être décelée par les contrôles scientifiques habituels. Nous ne saurions partager cette manière d'envisager l'intuition. Il y a une différence qui n'est pas seulement quantitative entre ce qu'on a appelé les phénomènes additifs et les phénomènes non additifs. Passés au crible de l'expérience, les premiers laissent des résidus valables s'additionnant de génération en génération ; les seconds restent immuablement posés sur les mêmes bases hypothétiques et ceux qui les ont étudiés ne laissent jamais rien d'authentique à leurs successeurs.
La possibilité de croire plus ou moins sérieusement à l'existence de phénomènes non additifs, et dans le cas qui, ici, nous intéresse seul : à la télépathie, influe-t-elle sur le mode de relation patient-analyste et singulièrement sur le mode d'appréhension « intuitif » des « bons » critères de terminaison ? Si oui ce ne peut être que dans une bien faible mesure. Assurément les « intuitifs-subjectivistes » (qui en principe ne sauraient nier expressément l'existence de phénomènes non additifs) n'entrent pas dans la situation analytique du même pas que les « causalistes-objectivistes ». Mais si le subjectivisme des premiers se maintient dans des limites normales et si leur possibilité de contact, d'identification avec le patient n'est pas trop parfaite, ils seront d'excellents thérapeutes et qu'importe si quelque bribe de croyance en la toute-puissance de la pensée... des parents, croyance à légère odeur magique, subsiste dans leur inconscient quelque part. On peut être sûr en tout cas que si l'analyse didactique ne les a pas mis absolument à l'épreuve du feu, je veux dire des projections du patient, la réversibilité de la régression d'accompagnement reste toutefois entière. A l'opposé, les objectivistes-causalistes se recruteront chez ceux-là mêmes qui n'aiment pas, disons-le tout cru, les phénomènes non additifs. Pour eux, comme il a été dit la dernière fois, sans doute un cerveau peut moduler des ondes que les plumes de l'encéphalographe vont maté-
rialiser devant nos yeux, mais les envoyer à distance, elles ou d'autres ondes hypothétiques, c'est une autre affaire ! Qu'un autre cerveau puisse les recevoir et transformer cette modulation en signaux perceptibles pour le langage intérieur, voire seulement en émotions spécifiques, la chose leur paraît impensable.
Nullement disciples de Mr. Homais, ils ne nient pas pour autant leur ignorance et feraient volontiers leur la pensée de SHERINGTON, que rappelait BENASSY l'autre soir: « Nous ne sommes pas plus avancés aujourd'hui pour expliquer les processus mentaux en langage neurophysiologique, que ne l'était Aristote, il y a 2000 ans (3) .
Cette espèce de psychanalyste, si la dichotomie que nous proposons n'était pas trop théorique et ne correspondait nullement aux profils psycho-affectifs réels des analystes, cette espèce-là se tiendrait volontiers plus « à distance » du patient que les subjectivistes intuitifs. On pourrait craindre davantage pour certains d'entre eux une identification insuffisante avec le patient, une descente par trop prudente avec lui dans les abysses prégénitaux...
La bonne attitude, c'est celle que nos collègues ont précisée ici même et à laquelle je faisais allusion tout à l'heure: suffisamment souple pour tantôt sentir les choses intuitivement, tantôt les appréhender avec une sereine et objective neutralité.
Là où l'on a parlé de télépathie possible, ou encore de subperception, nous pensons qu'il s'agit de perceptions parfaitement conscientes, ou du moins très souvent conscientes, leur liaison se faisant par contre à notre insu dans notre esprit. Tout semble se passe comme si une sommation de perceptions se faisait petit à petit en
nous, jusqu'à atteindre un seuil au-dessus duquel nous prenons alors conscience du fait qu'un tournant capital a été atteint dans la progression du travail analytique. Ce travail se fait parallèlement au travail quotidien de compréhension et d'interprétation. Si l'on
veut, il est dans le domaine stratégique ce que nous appelons intuition, empathie, tact, dans la tactique fragmentaire qui joue de séanc en séance. Prenons comme exemple un des critères de terminaison par guérison que nous avions proposé de retenir lors d'une précédente séance consacrée à ce colloque : la concordance de phase entre les différentes formes de comportement verbal et non verbal du patient. Compte tenu de la résistance inversée que camoufle une aisance inauthentique, il semble qu'un changement des attitudes et de la façon de s'exprimer témoignant de plus de liberté, de plus de souplesse, soit un bon signe de maturation.
Cette perception que nous avons eue au cours de longues semaines d'une modification des conduites du patient dans le sens d'une disparition de la rigidité et de la gêne, d'un retour du naturel dans le sens le plus général du terme, cette perception est faite d'une multitude de perceptions élémentaires qui sont venues petit à petit comme en surimpression sur toutes les autres perceptions auditives et visuelles que le patient nous a permis d'enregistrer aussi bien dans le transfert que par rapport à ce qui nous a été raconté sur sa vie réelle et ce, depuis les toutes premières minutes de la toute première entrevue.

 

Notons après des collègues qui nous ont précédé à cette place et à propos de ce colloque, que la distinction entre ce qui se passe dans le transfert et à l'extérieur du transfert n'est pas absolue, puisque aussi bien tout ce que le patient fait loin de nous nous est rapporté près de nous et que nous suivons le patient loin de nous, dans son esprit. Tout ce matériel, nous le filtrons à travers le crible de l'attention flottante et, de temps à autre, parmi bien des alluvions inutiles, nous retenons quelques paillettes plus significatives.
Ce qui est dès lors acquis reste acquis, aussi bien pour l'analysé que pour l'analyste. Des nouvelles perceptions que nous faisons consciemment viennent s'agglomérer inconsciemment cette fois autour de ce noyau de connaissance et un beau jour, quand nous avons eu l'illusion de je ne sais quelle révélation intérieure, irrationnelle, métapsychique, pourquoi ne pas admettre plus simplement qu'un seuil a été atteint ; que la somme de multiples perceptions conscientes nous apparaît alors comme une Gestalt originale, mais dont les éléments constituants nous étaient déjà connus pour
la plus grande part.

C) DE LA LIQUIDATION DU TRANSFERT COMME CRITÈRE DE GUÉRISON.

Une difficulté se présente tout d'abord: pour connaître de façon précise l'importance des résidus de transfert non liquidés, il faut déjà avoir terminé la cure et adjoindre aux renseignements cliniques de la période terminale ce que le patient va nous montrer de lui-même une fois la cure interrompue. Il s'agit donc là d'un critère de « solidité de guérison », bien plus que d'un critère de terminaison.jiidt son importance est telle qu'il nous paraît nécessaire de revenir là-dessus quelques instants. Le comportement des patients après l'analyse, nous renseignant sur le mode de liquidation du transfert, nous permet par ailleurs de recouper ce que nous apporte cette expérience avec ce que nous avions apprécié déjà pendant la période de sevrage du degré de liquidation de ce même transfert. On comprend aisément que de cette confrontation capitale puissent résulter des modifications techniques au cours d'analyses ultérieures et que ce qui était renseignements catamnestiques là puisse ici, j'entends chez un autre patient, devenir critère de terminaison.
Vous vous rappelez la communication orale de NACHT à l'un des rapporteurs sur le transfert (4) , lors de la réunion des Psychanalystes de Langue française de novembre 1951 : «Lorsqu'on rencontre un ancien analysé dans le monde, ou que, longtemps après l'analyse, il vient consulter son psychanalyste, la rencontre se structure selon les modalités du transfert, typiquement sur le type de relation d'enfant à parents. » Le rapporteur ajoute : « Le fait que la rencontre se structure selon d'anciennes habitudes n'entratne pas que la névrose de transfert n'ait pas été liquidée. Il est impensable que l'analysé puisse traiter son analyste sans utiliser ses habitudes ». Et le rapporteur conclut en rappelant les différences entre le mode de liquidation des relations de transfert dans les analyses dites thérapeutiques et les analyses didactiques.
Voyons ce que dit NACHT aujourd'hui dans son introduction « Il en va du transfert comme des relations entre parents et enfants.Les parents garderont toujours à leurs yeux leurs qualités de parents »... etc.
Je crois donc que c'est un peu jouer sur les mots que d'opposer de façon trop absolue résidu transférentiel à habitude. Si l'analyste reste, disons et pour simplifier, un père pour son patient, comme il n'est pas véritablement son père, il s'agit de transfert et non d'habitude purement et simplement. Nous pouvons donc postuler la règle suivante. Quand les résidus de transfert non liquidés correspondent à l'introjection d'imagos parentales idéales ni trop faibles ni névrotiquement tolérantes, mais non plus trop sévères ni castratrices, en un mot qui ne font pas peur, non seulement ces résidus non liquidés ne sauraient être considérés comme nocifs, mais leur persistance est parfaitement compatible avec, comme le dit NACHT, l'existence de « liens nouvellement créés ailleurs ». On peut même soutenir que ces résidus vivant à bas bruit dans l'appareil psychique du patient le « sécurisent » de façon utile, le vaccinant en quelque
sorte contre des situations traumatisantes futures.
En somme, une fois de plus nous venons de redécouvrir l'Amérique, et nous revenons au remplacement d'un surmoi pathologique distordant le Moi par une instance - disons normale.
Que si au contraire le transfert non liquidé suffisamment correspondait à la persistance d'introjections pathologiques même « à minima », amenant le patient, une fois la séparation d'avec son analyste accomplie virtuellement, à recommencer dans la vie extérieure son jeu de projections anachroniques en utilisant à la place de son analyste ou de la situation analytique les personnages ou les situations de la vie réelle (et nous prenons là le cas le plus extrême), nous tomberions alors dans le cas des analyses évidemment mal terminées, non terminées, ou même interminables.
Qu'on me permette de reprendre la comparaison biologique à laquelle je viens de faire allusion quelques lignes plus haut: Quelques bacilles de Koch dans l'organisme vaccinent contre une poussée de tuberculose-maladie. Tant que ces quelques bacilles restent vivants quelque part l'allergie pelsiste. Le porteur est à l'abri d'une évolution brutale. Si par contre il persiste une lésionvéritable même minime, mais contenant des germes virulents endormis, le porteur reste un malade. Le moindre courant d'air (5) le fera rechuter. Il en va de même avec les porteurs de reliquats de transfert utiles et « vaccinant s de façon efficace, et des porteurs de reliquats transférentiels névrotiques non liquidés - souvent « toxiques » et susceptibles d' « évoluer ».

Cliniquement.

- Il y a les patients qui sont « guéris s et ne reviennent jamais. Et dont on n'entend plus jamais parler que par accident. Ils sont rares mais j1sxistent. De temps à autre, parfois des années après la fin de la cure, un patient vient consulter de leur part. Pour savoir ce qu'il est advenu de la liquidation de leur transfert, il faudrait bien sûr les revoir, ce qui n'est pas le cas. On peut supposer qu'une certaine dose d'ambivalence subsiste et que le sevrage a été laborieux. Malgré tout la cure a été très efficace.
- Il y a les patients qui ne reviennent jamais et qui ne sont pas guéris. Leur fuite est avant tout une défense contre leur agressivité non intégrée au cours de la cure et qu'ils ne pourraient supporter dans la contrainte du tête-à-tête.
- Il y a les patients qui reviennent et ne sont pas guéris. Ici se pose le problème des psychothérapies post-analytiques chez les préverbaux « indécrottables » (c'est le cas de le dire car il s'agit ici de situations digestives totales et irréversibles, de ces amateurs de « suppenlogik » et de « knödelargumente » qu'on ne peut humainement laisser mourir de faim affective), mais c'est une tout autre histoire et nous la laisserons résolument de côté pour cette fois.
- Il y a enfin les patients qui reviennent et sont guéris. C'est là la meilleure chose. Là aussi, suivant l'expression de SCHLUMBERGER, il y aurait matière à toute une encyclopédie.
Disons simplement que ce sont les bonnes cures qui font les bonnes post-cures, les bons contacts... de plus en plus espacés certes, mais parfois laissant place à quelque véritable amitié... et pourquoi pas ? dirons-nous en employant la formule permissive rituelle, mais en reconnaissant qu'en dehors des analyses didactiques la chose doit être malgré tout assez exceptionnelle...
A propos de ce que disait F. LECHAT dans sa pertinente intervention au cours du même colloque, rappelons que très souvent ces « queues » de bons transferts résiduels sont néanmoins très ambivalentes. Suivant le caractère régressif de ces résidus, le degré de maturité libidinale atteint, au cours de la cure, la persistance chez le patient d'un certain mode d'habitude de pensée magique; le besoin de revoir son analyste en chair ou en effigie, de le toucher ou de l'entendre, se situera nettement ou de façon plus discrète sous le signe de l'ambivalence. Ne plus revoir son analyste c'est en quelque sorte le supprimer magiquement. Le revoir assure contre l'abandon et en même temps déculpabilise. La normalité des « retrouvailles » éventuelles, ici encore, est fonction du degré de peur qui peut « quelque part » subsister chez le patient.

 

1. Communication faite devant la Société Psychanalytique de Paris, en mai
1954.

2.   (i) Voir le mémoire introductif de S. NCHT lors de la première tenue du col-
loque.

3. A la réflexion cette pensée de SHERINGTON nous paraît être une simple bou-
tade. Nous en savons diablement plus qu'Aristote sur les rapports entre la pensée
et le fonctionnement du cerveau.

4. (i) D. LAGACHE : Rapport sur le Transfert, 1951.

5. Réel ou… affectif !