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HELD René (1968). De la psychanalyse à la médecine psychosomatique. Paris, Payot.
Chapitre II - CRITÈRES DE LA FIN DU TRAITEMENT PSYCHANALYTIQUE (1)
Je crois que ce soir, et sans fausse humilité, nous pourrions tous,
ou presque, nous écrier avec l'Intimé : « Ce que je sais
le mieux, c'est mon commencement ».
En effet, même pour l'analyste le plus expérimenté, les
problèmes posés par la fin d'une cure s'avèrent infiniment
plus complexes, plus difficiles à résoudre que ceux qui se posent à tout
autre moment de la cure. La tenue du présent colloque par elle-même
en est déjà une preuve évidente.
En effet, un colloque sur les problèmes de début des analyses
aurait bien peu de chances d'être tenu. Tout de même, lorsque l'on
joue aux échecs et suivant la fameuse comparaison de Freud, c'est au
début que l'on sait le mieux ce que l'on doit faire. Ce sont les débuts
qui se trouvent le mieux codifiés. Mais plus on s'avance, plus le travail
progresse, plus les problèmes qui se posent à nous deviennent
complexes. On dirait d'une équation dont les termes se multiplieraient
tandis qu'on tâcherait à la résoudre et dont une des inconnues
en disparaissant, laisserait à sa place plusieurs autres, sans qu'on
puisse entrevoir avec certitude la solution définitive.
Au point où nous en sommes arrivés de la discussion, ne voulant
pas transformer ce « colloque presque terminé, en colloque
interminable », nous nous bornerons à souligner les quelques
points suivants :
Après avoir évoqué quelques difficultés en rapport
avec l'incidence des réactions de contre-transfert sur la terminaison
des analyses, après avoir également dit quelques mots au sujet
du critère de guérison que constitue la liquidation du transfert
et des modalités d'appréciation de cette liquidation, nous reviendrons
sur l'intuition, dont on a déjà parlé antérieurement,
et nous préciserons à ce propos notre façon de voir.
Non seulement les questions se rapportant au contre-transfert jouent un rôle
important et créent souvent de grandes difficultés au cours même
de la cure, mais en parler nous confronte avec les difficultés spécifiques.
En effet, on ne saurait parler des réactions de contre-transfert de
l'analyste de la même façon et aussi objectivement que nous pourrions
le faire pour tout autre point concernant la théorie ou la pratique
analytiques : qu'un analyste parle de réactions contre-transférentielles
teintées d'anxiété fera dire que l'auteur lui-même
est un anxieux. Faire une allusion, aussi discrète soit-elle, aux possibilités
de réactions agressives contre-transférentielles chez l'analyste,
portera immédiatement le lecteur ou l'auditeur à imaginer que
celui qui écrit ou qui parle, est lui-même souvent confronté avec
ses propres réactions indésirables d'agressivité.
En parler, comme le rappelle Michael BALINT dans un article consacré également
aux problèmes posés par la fin des analyses, en parler, c'est
révéler une grande part de sa propre personnalité, quoique
sous une forme hautement sublimée. On pourrait même
ajouter que le simple fait d'écrire un article, de participer à un
débat scientifique quel qu'il soit, pourrait déjà révéler
peu ou prou de la personnalité de celui qui écrit ou qui parle.
Et pas seulement dans le domaine qui nous intéresse. François
ROSTAND l'a montré, à propos de la grammaire et des mathématiques
et, pour cette dernière discipline, la chose était reconnue depuis
longtemps. Cependant, en effet, parler du contre-transfert directement, c'est
parler de soi et si l'on se veut parfaitement sincère, de la façon
la plus indiscrète. C'est même peut-être encourir le reproche
de satisfaire à certaines pulsions à se montrer et peut-être
avec complaisance. On objectera que ceux d'entre nous qui ont le privilège
d'effectuer des contrôles ne courent pas le même risque. Mais s'il
s'agit d'une expérience infiniment précieuse, il s'agit d'une
expérience au second degré, qui n'est pas à la portée
de tous, qui dans tous les cas n'interdit nullement de se pencher sur soi-même,
bien au contraire. Après tout, FREUD lui-même s'est ainsi analysé et
n'a pas hésité à nous raconter ses rêves. Et il
se trouve malheureusement, et FREUD l'a expressément mentionné,
que c'est là où il a rencontré
le maximum de difficultés, obligé qu'il était de censurer
une deuxième fois son propre matériel onirique avant de nous
le livrer à titre d'exemple. Rendant ainsi ce matériel moins
démonstratif parfois qu'il ne l'aurait souhaité.
Penchons-nous donc courageusement sur les réactions de contre-transfert
qui peuvent se manifester d'une façon privilégiée au cours
des terminaisons de nos travaux analytiques. Rappelons d'abord, avec Mélitta
SCHMIDEBERG, que l'on doit distinguer entre les réactions de contre-transfert
spécifiques en rapport avec l'image que présentera le patient
pour l'analyste, et les réactions de ce dernier devant la situation
analytique en général.
Par rapport à la situation
On peut considérer des difficultés en rapport avec le narcissism
de l'analyste : par exemple, l'analyste tâchera de forcer la réussite
ou au contraire de lâcher son « patient », avant
le terme, pour éviter la possibilité de recevoir une blessure
narcissique sous forme d'échec.
Des micro-résidus de castration en rapport avec le succès de
l'analyse en soi, pourront également motiver l'analyste parfois de façon
inadéquate. On peut poser les deux équations suivantes puissance
= succès ; échec = impuissance. Le mélange de narcissisme
et de craintes de castration peut se faire dans des proportions variables et
donner aux interprétations et à la conduite générale
de l'analyste, une tournure particulière que le patient sentira très
bien et qui pourra à son tour induire chez lui des réactions
fâcheuses.
La célébrité du patient peut également influer
sur la bonne marche de la cure. Savoir renoncer à la réussite
totale d'une cure, ne pas chercher au contraire, par crainte d'échec, à se
débarrasser d'un patient connu et dont les propos, tenus à notre
sujet, pourraient devenir par la suite fâcheux à notre égard,
sont également des possibilités contre-transférentielles à prendre
en considération. (Voir à ce sujet l'article de NACHT sur analyse
didactique et thérapeutique).
L'analyse d'un patient non célèbre mais pouvant faire intervenir
des tiers connus de nous dans l'analyse, malgré qu'on en ait, peut faire
jouer chez l'analyste des défenses l'induisant à provoquer la
fuite de son patient par son attitude involontaire.
La question des honoraires, de l'argent en général pose parfois
certains problèmes que nous devons envisager sans gêne. De même,
le nombre de patients que l'analyste a inscrit sur son carnet de rendez-vous.
Il est probable que le jeune analyste qui a des vides dans son emploi du temps,
et qui peut même parfois avoir un budget plus difficile à boucler
que le praticien déjà très expérimenté,
peut se trouver, malgré lui et malgré son honnêteté foncière,
motivé dans le sens d'une prolongation et avoir une certaine répugnance à se
séparer d'un patient, alors que plus tard, ayant sur sa liste d'attente
un certain nombre de noms, il jugera que l'analyse est arrivée à son
terme en sens contraire. Pour désagréable que puisse être
l'abord de telles questions, je crois tout de même que, sans surestimer
leur importance, il nous faut les prendre en considération, lorsqu'on
aborde un travail du genre de celui qui est discuté aujourd'hui.
Si l'on passe de la situation à la personnalité même du
patient, se pose alors le problème du contre-transfert en soi. Étant
bien entendu que les réactions de l'analyste par rapport au patient, à l'entourage, à la
situation, s'interpénètrent et qu'on ne peut pas
mettre des cloisons étanches entre ces différentes modalités
des
relations patients-analystes.
Nous avions déjà rédigé ces quelques notes quand
l'article d'Edith WEIGERT nous tomba sous les yeux. Cet auteur rappelle, avec
d'autres auteurs, FEDERN en particulier, l'importance qu'ont, dans les mécanismes
de transfert et de contre-transfert, les relations entre analystes et patients
sous forme de projections de la part du patient
et d'identifications par introjections partielles pour l'analyste.
L'analyste oscille sans arrêt entre la subjectivité et l'objectivité.
L'importance des sentiments anxieux perçus par l'analyste en lui-même
et qui l'avertissent de la nécessité d'auto-analyser son contre-transfert,
est très grande.
Une prise de conscience d'une réaction inconsciente de contre-transfert
permet toujours une meilleure compréhension du patient et favorise la
confiance dans l'analyste. Cette identification que nous faisons inconsciemment,
mais de façon partielle avec le patient, provoque une régression
d'accompagnement qui mène l'analyste du côté de son patient
dans le prégénital... Ceci joue de façon particulièrement
typique au cours des fins d'analyses : en effet, à ce moment, l'analyste
s'identifiant partiellement au patient, peut ressentir des affects plus qu'à tout
autre moment de la cure, d'une part par réactivation chez le patient
- donc, chez lui-même – de sentiment d'abandon et de frustration
en rapport avec la menace du sevrage, ceci étant valable pour les deux
personnages en situation, dans une proportion variant avec le degré de
régression atteint par le patient lui-même ; d'autre part qu'un
terme ait été fixé ou non, le sentiment qu'on va en finir
tôt ou tard, que nous devons manifester en tout cas notre présence,
suivant le conseil de NACHT, va agir sur l'analyste comme sur le patient. Les
contre-transferts de situation de présence vont agir et donner à ceux
d'abandon, une coloration particulière. Manifester sa présence à ce
moment-là, c'est cesser, comme le dit NACHT, d'interpréter encore
et toujours dans une objectivité de miroir affable, neutre et bienveillant.
C'est donc cesser d'accompagner encore et toujours, de par notre neutralité bienveillante,
le patient sur le chemin de la régression. C'est nous mettre en liaison
avec certaines caractéristiques propres à notre propre personnalité,
que nous ne pouvions d'ailleurs escamoter complètement, on le sait,
même dans nos conduites en miroir. Je ferai maintenant une remarque pour
tenter de mettre en valeur les difficultés que nous pouvons rencontrer
lorsque nous prenons ce virage en épingle à cheveux à cette époque
privilégiée du déroulement de la cure, et mime et surtout
quand nous en parlons.
La régression valable, la bonne régression si l'on ose dire, à laquelle
Edith WEIGERT fait allusion dans le travail précité, et qu'elle
fait rentrer dans le cadre des contre-transferts non seulement utiles mais
indispensables, est-elle en tout point comparable à la régression
du patient ? Nous ne le pensons pas. Il nous semble, et c'est là, comme
je l'ai indiqué précédemment, le côté si épineux
des travaux consacrés aux transferts, surtout aux contre-transferts,
que ce genre d'étude risque d'être pour l'auteur un véritable
test de projection public. Irons-nous jusqu'à dire que la perception
de ce « signal d'anxiété » qui doit amener l'analyste à se
remettre à son auto-analyse (ou l'auteur lui-même qui traite de
semblables sujets!), irons-nous jusqu'à dire que cela doit les ramener
vers une véritable et nouvelle analyse tout court ?... Je crois que
la vérité est plus nuancée.
Oui, l'analyste régresse par identification. Oui, un excellent analyste,
analysé plus qu'à fond, peut parfois éprouver un peu d'inquiétude
voire d'anxiété ; oui, il peut être excellent analyste
et n'en éprouver jamais aussi. Et sans doute la seconde éventualité paraît
- en principe - souhaitable. C'est affaire de personnalité et dans les
deux cas, ils peuvent être bons thérapeutes. J'ai connu un bon
analyste qui se vantait après de moi de n'avoir jamais éprouvé d'angoisse
dans sa vie. De pénibles expériences ultérieures arrivées à cet
excellent collègue me firent comprendre par la suite que cette affirmation
péremptoire n'était peut-être qu'une défense.
Rapportons donc cette question cruciale au problème de la ter- minaison
des analyses. Nous pensons qu'au moment où le terme est fixé,
ou bien sans qu'un terme ait été fixé, quand patient et
analyste se contentent de sentir intuitivement de concert que le voyage
analytique touche à sa fin, nous pensons que la perception par l'analyste
en lui-même de micro-manifestations anxieuses n'est pas absolument rédhibitoire.
A condition que la régression effectuée dans l'empathie soit
immédiatement réversible sitôt le signal, le déclic
avertisseur perçu. Il semble évident que si l'analyste, par trop
subjectiviste, laissait, pour reprendre l'expression de WEIGERT, les limites
de son « moi » s'accroître sans contrôle,
engluant patient et médecin dans un barbotage prégénital à deux,
on serait en face d'une situation typique d'analyse interminable. La comparaison
classique de l'amibe et de ses pseudopodes peut être rappelée
ici. Il faut distinguer l'amibe qui se déplace en totalité en
allongeant un pseudopode et en ramenant toute sa masse protoplasmique dans
ce pseudopode et qui a changé ainsi de place de façon définitive,
de l'amibe qui envoie un pseudopode qu'elle peut ensuite rappeler jusqu'à elle
sans avoir vraiment tout quitté. Le moment, dont parle NACHT, pourrait
donc être défini : l'instant où l'analyste estime qu'on
a assez régressé comme cela et qu'il faut revenir à la
réalité sans plus tarder. Les critères qu'il rappelle (2) nous
aident intuitivement à en fixer le terme. Mais si notre libido trop
visqueuse restait accrochée par identification au patient, comment pourrions-nous
apprécier sainement les critères en question ?
Nous ne saurions juger d'une évolution du patient vers une génitalité authentique,
si nous n'avions la capacité de manifester utilement notre présence
au moment décisif en sortant progressivement, accompagné du patient,
des profondeurs obscures du pré-génital pour aborder au rivage
de la réalité. C'est ici qu'interviennent les aspects de notre
propre personnalité : les dons, l'aptitude due au conditionnement, à l'habitude, à l'éducation
de nos réflexes supérieurs, à nos connaissances théoriques
et techniques, et aux bienfaits de l'analyse didactique, c'est tout cela qui
nous permet, quoique partiellement identifiés à un patient ayant
régressé à un certain stade, d'apprécier les possibilités
qu'a ce même patient de devenir plus adulte. C'est ici qu'interviennent
les critères d'intuition. Etre intuitif, c'est si l'on veut, avoir un
pied dans la régression mais être en même temps objectif.
Avoir l'autre pied dans le réel c'est pouvoir laisser aller et venir
en nous-mêmes nos affects sans négliger pour autant nos jugements
rationnels... Ce va-et-vient, c'est le moteur même de notre travail nous
permettant d'arriver au
but.
B) DE L'INTUITION.
Il est hors de doute que de temps à autre, nous sentons en nous comme
une espèce de « déclic » qui nous avertit que le
moment est venu de prendre le virage dont NACHT nous a parlé dans l'article
auquel nous avons si souvent l'occasion de nous référer : « A
propos du transfert et du contre-transfert ». A ce moment-là nous
sentons que nous devons manifester notre présence. Et ne plus nous con
tenter d'interpréter « encore et toujours ». On a parlé ici
même de phénomènes touchant à la métapsychie
et non plus seulement à la métapsychologie. Par exemple on a
prononcé le mot de télépathie et on n'a pas écarté absolument
la possibilité d'une transmission de certaines pensées du patient à nous-même
et d'une manière qui ne peut pas être décelée par
les contrôles scientifiques habituels. Nous ne saurions partager cette
manière d'envisager l'intuition. Il y a une différence qui n'est
pas seulement quantitative entre ce qu'on a appelé les phénomènes
additifs et les phénomènes non additifs. Passés au crible
de l'expérience, les premiers laissent des résidus valables s'additionnant
de génération en génération ; les seconds restent
immuablement posés sur les mêmes bases hypothétiques et
ceux qui les ont étudiés ne laissent jamais rien d'authentique à leurs
successeurs.
La possibilité de croire plus ou moins sérieusement à l'existence
de phénomènes non additifs, et dans le cas qui, ici, nous intéresse
seul : à la télépathie, influe-t-elle sur le mode de relation
patient-analyste et singulièrement sur le mode d'appréhension « intuitif » des « bons » critères
de terminaison ? Si oui ce ne peut être que dans une bien faible mesure.
Assurément les « intuitifs-subjectivistes » (qui en
principe ne sauraient nier expressément l'existence de phénomènes
non additifs) n'entrent pas dans la situation analytique du même pas
que les « causalistes-objectivistes ». Mais si le subjectivisme
des premiers se maintient dans des limites normales et si leur possibilité de
contact, d'identification avec le patient n'est pas trop parfaite, ils seront
d'excellents thérapeutes et qu'importe si quelque bribe de croyance
en la toute-puissance de la pensée... des parents, croyance à légère
odeur magique, subsiste dans leur inconscient quelque part. On peut être
sûr en tout cas que si l'analyse didactique ne les a pas mis absolument à l'épreuve
du feu, je veux dire des projections du patient, la réversibilité de
la régression d'accompagnement reste toutefois entière. A l'opposé,
les objectivistes-causalistes se recruteront chez ceux-là mêmes
qui n'aiment pas, disons-le tout cru, les phénomènes non additifs.
Pour eux, comme il a été dit la dernière fois, sans doute
un cerveau peut moduler des ondes que les plumes de l'encéphalographe
vont maté-
rialiser devant nos yeux, mais les envoyer à distance, elles ou d'autres
ondes hypothétiques, c'est une autre affaire ! Qu'un autre cerveau puisse
les recevoir et transformer cette modulation en signaux perceptibles pour le
langage intérieur, voire seulement en émotions spécifiques,
la chose leur paraît impensable.
Nullement disciples de Mr. Homais, ils ne nient pas pour autant leur ignorance
et feraient volontiers leur la pensée de SHERINGTON, que rappelait BENASSY
l'autre soir: « Nous ne sommes pas plus avancés aujourd'hui
pour expliquer les processus mentaux en langage neurophysiologique, que ne
l'était Aristote, il y a 2000 ans (3) .
Cette espèce de psychanalyste, si la dichotomie que nous proposons n'était
pas trop théorique et ne correspondait nullement aux profils psycho-affectifs
réels des analystes, cette espèce-là se tiendrait volontiers
plus « à distance » du patient que les subjectivistes intuitifs.
On pourrait craindre davantage pour certains d'entre eux une identification
insuffisante avec le patient, une descente par trop prudente avec lui dans
les abysses prégénitaux...
La bonne attitude, c'est celle que nos collègues ont précisée
ici même et à laquelle je faisais allusion tout à l'heure:
suffisamment souple pour tantôt sentir les choses intuitivement, tantôt
les appréhender avec une sereine et objective neutralité.
Là où l'on a parlé de télépathie possible,
ou encore de subperception, nous pensons qu'il s'agit de perceptions parfaitement
conscientes, ou du moins très souvent conscientes, leur liaison se faisant
par contre à notre insu dans notre esprit. Tout semble se passe comme
si une sommation de perceptions se faisait petit à petit en
nous, jusqu'à atteindre un seuil au-dessus duquel nous prenons alors
conscience du fait qu'un tournant capital a été atteint dans
la progression du travail analytique. Ce travail se fait parallèlement
au travail quotidien de compréhension et d'interprétation. Si
l'on
veut, il est dans le domaine stratégique ce que nous appelons intuition,
empathie, tact, dans la tactique fragmentaire qui joue de séanc en séance.
Prenons comme exemple un des critères de terminaison par guérison
que nous avions proposé de retenir lors d'une précédente
séance consacrée à ce colloque : la concordance de phase
entre les différentes formes de comportement verbal et non verbal du
patient. Compte tenu de la résistance inversée que camoufle une
aisance inauthentique, il semble qu'un changement des attitudes et de la façon
de s'exprimer témoignant de plus de liberté, de plus de souplesse,
soit un bon signe de maturation.
Cette perception que nous avons eue au cours de longues semaines d'une modification
des conduites du patient dans le sens d'une disparition de la rigidité et
de la gêne, d'un retour du naturel dans le sens le plus général
du terme, cette perception est faite d'une multitude de perceptions élémentaires
qui sont venues petit à petit comme en surimpression sur toutes les
autres perceptions auditives et visuelles que le patient nous a permis d'enregistrer
aussi bien dans le transfert que par rapport à ce qui nous a été raconté sur
sa vie réelle et ce, depuis les toutes premières minutes de la
toute première entrevue.
Notons après des collègues qui nous ont précédé à cette
place et à propos de ce colloque, que la distinction entre ce qui se
passe dans le transfert et à l'extérieur du transfert n'est pas
absolue, puisque aussi bien tout ce que le patient fait loin de nous nous est
rapporté près de nous et que nous suivons le patient loin de
nous, dans son esprit. Tout ce matériel, nous le filtrons à travers
le crible de l'attention flottante et, de temps à autre, parmi bien
des alluvions inutiles, nous retenons quelques paillettes plus significatives.
Ce qui est dès lors acquis reste acquis, aussi bien pour l'analysé que
pour l'analyste. Des nouvelles perceptions que nous faisons consciemment viennent
s'agglomérer inconsciemment cette fois autour de ce noyau de connaissance
et un beau jour, quand nous avons eu l'illusion de je ne sais quelle révélation
intérieure, irrationnelle, métapsychique, pourquoi ne pas admettre
plus simplement qu'un seuil a été atteint ; que la somme de multiples
perceptions conscientes nous apparaît alors comme une Gestalt originale,
mais dont les éléments constituants nous étaient déjà connus
pour
la plus grande part.
C) DE LA LIQUIDATION DU TRANSFERT COMME CRITÈRE DE GUÉRISON.
Une difficulté se présente tout d'abord: pour connaître
de façon précise l'importance des résidus de transfert
non liquidés, il faut déjà avoir terminé la cure
et adjoindre aux renseignements cliniques de la période terminale ce
que le patient va nous montrer de lui-même une fois la cure interrompue.
Il s'agit donc là d'un critère de « solidité de
guérison », bien plus que d'un critère de terminaison.jiidt
son importance est telle qu'il nous paraît nécessaire de revenir
là-dessus quelques instants. Le comportement des patients après
l'analyse, nous renseignant sur le mode de liquidation du transfert, nous permet
par ailleurs de recouper ce que nous apporte cette expérience avec ce
que nous avions apprécié déjà pendant la période
de sevrage du degré de liquidation de ce même transfert. On comprend
aisément que de cette confrontation capitale puissent résulter
des modifications techniques au cours d'analyses ultérieures et que
ce qui était renseignements catamnestiques là puisse ici, j'entends
chez un autre patient, devenir critère de terminaison.
Vous vous rappelez la communication orale de NACHT à l'un des rapporteurs
sur le transfert (4) ,
lors de la réunion des Psychanalystes de Langue française de
novembre 1951 : «Lorsqu'on rencontre un ancien analysé dans le
monde, ou que, longtemps après l'analyse, il vient consulter son psychanalyste,
la rencontre se structure selon les modalités du transfert, typiquement
sur le type de relation d'enfant à parents. » Le rapporteur ajoute
: « Le fait que la rencontre se structure selon d'anciennes habitudes
n'entratne pas que la névrose de transfert n'ait pas été liquidée.
Il est impensable que l'analysé puisse traiter son analyste sans utiliser
ses habitudes ». Et le rapporteur conclut en rappelant les différences
entre le mode de liquidation des relations de transfert dans les analyses dites
thérapeutiques et les analyses didactiques.
Voyons ce que dit NACHT aujourd'hui dans son introduction « Il en va
du transfert comme des relations entre parents et enfants.Les parents garderont
toujours à leurs yeux leurs qualités de parents »... etc.
Je crois donc que c'est un peu jouer sur les mots que d'opposer de façon
trop absolue résidu transférentiel à habitude. Si l'analyste
reste, disons et pour simplifier, un père pour son patient, comme il
n'est pas véritablement son père, il s'agit de transfert et non
d'habitude purement et simplement. Nous pouvons donc postuler la règle
suivante. Quand les résidus de transfert non liquidés correspondent à l'introjection
d'imagos parentales idéales ni trop faibles ni névrotiquement
tolérantes, mais non plus trop sévères ni castratrices,
en un mot qui ne font pas peur, non seulement ces résidus non liquidés
ne sauraient être considérés comme nocifs, mais leur persistance
est parfaitement compatible avec, comme le dit NACHT, l'existence de « liens
nouvellement créés ailleurs ». On peut même soutenir
que ces résidus vivant à bas bruit dans l'appareil psychique
du patient le « sécurisent » de façon utile,
le vaccinant en quelque
sorte contre des situations traumatisantes futures.
En somme, une fois de plus nous venons de redécouvrir l'Amérique,
et nous revenons au remplacement d'un surmoi pathologique distordant le Moi
par une instance - disons normale.
Que si au contraire le transfert non liquidé suffisamment correspondait à la
persistance d'introjections pathologiques même « à minima »,
amenant le patient, une fois la séparation d'avec son analyste accomplie
virtuellement, à recommencer dans la vie extérieure son jeu de
projections anachroniques en utilisant à la place de son analyste ou
de la situation analytique les personnages ou les situations de la vie réelle
(et nous prenons là le cas le plus extrême), nous tomberions alors
dans le cas des analyses évidemment mal terminées, non terminées,
ou même interminables.
Qu'on me permette de reprendre la comparaison biologique à laquelle
je viens de faire allusion quelques lignes plus haut: Quelques bacilles de
Koch dans l'organisme vaccinent contre une poussée de tuberculose-maladie.
Tant que ces quelques bacilles restent vivants quelque part l'allergie pelsiste.
Le porteur est à l'abri d'une évolution brutale. Si par contre
il persiste une lésionvéritable même minime, mais contenant
des germes virulents endormis, le porteur reste un malade. Le moindre courant
d'air (5) le fera
rechuter. Il en va de même avec les porteurs de reliquats de transfert
utiles et « vaccinant s de façon efficace, et des porteurs
de reliquats transférentiels névrotiques non liquidés
- souvent « toxiques » et susceptibles d' « évoluer ».
Cliniquement.
- Il y a les patients qui sont « guéris s et ne reviennent jamais.
Et dont on n'entend plus jamais parler que par accident. Ils sont rares mais
j1sxistent. De temps à autre, parfois des années après
la fin de la cure, un patient vient consulter de leur part. Pour savoir ce
qu'il est advenu de la liquidation de leur transfert, il faudrait bien sûr
les revoir, ce qui n'est pas le cas. On peut supposer qu'une certaine dose
d'ambivalence subsiste et que le sevrage a été laborieux. Malgré tout
la cure a été très efficace.
- Il y a les patients qui ne reviennent jamais et qui ne sont pas guéris.
Leur fuite est avant tout une défense contre leur agressivité non
intégrée au cours de la cure et qu'ils ne pourraient supporter
dans la contrainte du tête-à-tête.
- Il y a les patients qui reviennent et ne sont pas guéris. Ici se pose
le problème des psychothérapies post-analytiques chez les préverbaux « indécrottables » (c'est
le cas de le dire car il s'agit ici de situations digestives totales et irréversibles,
de ces amateurs de « suppenlogik » et de « knödelargumente » qu'on
ne peut humainement laisser mourir de faim affective), mais c'est une tout
autre histoire et nous la laisserons résolument de côté pour
cette fois.
- Il y a enfin les patients qui reviennent et sont guéris. C'est là la
meilleure chose. Là aussi, suivant l'expression de SCHLUMBERGER, il
y aurait matière à toute une encyclopédie.
Disons simplement que ce sont les bonnes cures qui font les bonnes post-cures,
les bons contacts... de plus en plus espacés certes, mais parfois laissant
place à quelque véritable amitié... et pourquoi pas ?
dirons-nous en employant la formule permissive rituelle, mais en reconnaissant
qu'en dehors des analyses didactiques la chose doit être malgré tout
assez exceptionnelle...
A propos de ce que disait F. LECHAT dans sa pertinente intervention au cours
du même colloque, rappelons que très souvent ces « queues » de
bons transferts résiduels sont néanmoins très ambivalentes.
Suivant le caractère régressif de ces résidus, le degré de
maturité libidinale atteint, au cours de la cure, la persistance chez
le patient d'un certain mode d'habitude de pensée magique; le besoin
de revoir son analyste en chair ou en effigie, de le toucher ou de l'entendre,
se situera nettement ou de façon plus discrète sous le signe
de l'ambivalence. Ne plus revoir son analyste c'est en quelque sorte le supprimer
magiquement. Le revoir assure contre l'abandon et en même temps déculpabilise.
La normalité des « retrouvailles » éventuelles,
ici encore, est fonction du degré de peur qui peut « quelque
part » subsister chez le patient.
1. Communication
faite devant la Société Psychanalytique de Paris, en mai
1954.
2. (i) Voir
le mémoire introductif de S. NCHT lors de la première tenue
du col-
loque.
3. A la réflexion
cette pensée de SHERINGTON nous paraît être une simple
bou-
tade. Nous en savons diablement plus qu'Aristote sur les rapports entre
la pensée
et le fonctionnement du cerveau.
5. Réel ou… affectif !