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Le site des recherches fondées sur les pratiques psychothérapiques

Éditorial

Compte rendu du congres de la SPR et quelques menues réflexions connexes

Diogo Alves de Oliveira, interne en psychiatrie, CHRU de Lille, membre d’un groupe de pairs du pôle borderline adulte.
25/08/11

Cette année le 42ème congrès annuel de la Society for Psychotherapy Research a eu lieu à Berne en Suisse (du 28 juin au 2 juillet 2011). De l’avis de plusieurs chercheurs (dont T. J. Strauman, PhD de la Duke University), le congrès annuel de la SPR émane de la société savante qui « va le plus loin dans la recherche sur les psychothérapies » notamment dans l’étude des processus et leur évaluation. Ce congrès semble en effet avoir été à la hauteur de cette espérance.

La SPR, une association dynamique et d’ampleur

La prétention apparente est de donner un panorama fidèle de l’étendue et de la variété des recherches menées dans ce domaine au niveau international. Plus de trente pays étaient représentés. Outre l’Europe et l’Amérique du Nord, il faut citer les suivants : Brésil, Mexique, Chili, Malaisie, Inde, Chine, Malaisie, Corée du Sud, Japon, Australie, Pays d’Afrique du Nord, Afrique du Sud … La SPR se veut une association scientifique multidisciplinaire ayant pour buts « d’encourager le développement de la recherche scientifique, de favoriser la communication et l’utilisation des résultats de ces recherches, d’augmenter la valeur scientifique et sociale de la recherche en psychothérapie et enfin d’améliorer l’efficacité des psychothérapies » (1). Vous noterez que le mot « scientifique » est répété à trois reprises : l’accent est mis sur la nature des méthodes qui se prétendent telles et qui font naturellement le lien entre les idées et les résultats. Et pour aller dans le sens de l’indépendance de la recherche que connote ce fameux mot, l’absence des laboratoires de l’industrie pharmaceutique est si remarquable qu’elle se doit d’être remarquée.

Des psychothérapeutes (avec un ratio psychologues / psychiatres plutôt en faveur des premiers) et des chercheurs de plusieurs écoles de pensée se réunissent donc au sein de cette association, avec une nette prédominance des psychothérapies individuelles (d’inspiration psychanalytique, cognitivo-comportementaliste, humaniste, gestaltiste, etc.).

Un Programme varié – Exemples de quelques études

Forte de ce rayonnement international, la SPR peut être l’instigatrice d’études de vaste échelle et de grands échantillons. Je citerai ainsi cette double étude sur la flexibilité versus rigidité du cadre thérapeutique sur plus de 8000 thérapeutes : avec des résultats montrant des divergences en fonction des écoles mais aussi en fonction des cultures (2).

Dans un souci de variété, l’ouverture gagnait aussi des champs en émergence dont les deux suivants : tout d’abord, « Informatique et psychothérapie » qui traitait d’études allant de l’utilisation de ces outils de communication (soutien par internet), des pathologies associées, des « jeux vidéos sérieux » (dans le concours de poster junior un prix a été décerné à un étudiant chilien qui a développé et évalué un jeu vidéo ayant pour but de dépister des troubles de l’humeur chez des enfants et des adolescents), de l’utilisation de la réalité virtuelle comme outil psychothérapeutique voire les prémisses du développement de modèles computationnels du fonctionnement intrapsychique (3) ! D’autre part, « Neurosciences et psychothérapies » où des équipes allemandes, autrichiennes et suisses semblent très actives. A cet égard, je citerai l’énergique Dr. Anna Buchheim (4), psychiatre et psychanalyste de l’université d’Innsbruck, qui a réussi à mettre en réseau plusieurs centres universitaires de la Hanse et d’Autriche (et leur puissants moyens d’imagerie cérébrale fonctionnelle) avec des associations de psychanalystes dans un esprit de collaboration qui ne devrait pas manquer de nous inspirer de ce côté-ci du Rhin. Sur un plan méthodologique, je citerai l’innovation des micro-interventions. Comme le commentait Y. Egenolf, l’état actuel des connaissances ne permet pas encore de donner une vue exhaustive et unifiée des effets neurobiologiques que génère une psychothérapie dans son ensemble : étant donné le très grand nombre de variables en jeu dans un processus psychothérapeutique, définir les effets propres d’une variable prise isolément ou bien les effets résultant de la combinaison de multiples variables relève encore aujourd’hui d’une gageure. C’est pourquoi « découper » en petites interventions une psychothérapie et choisir une technique particulière dont on va mesurer les corrélations avant - après traitement en neuro-imagerie est une démarche pionnière laissant entrevoir d’intéressantes perspectives (5).

En outre, les recherches qualitatives n’étaient pas non plus négligées comme en témoignent des interventions en linguistique ou des études culturelles.

Les Etudes d’évaluation en exergue – De l’outil mathématique et statistique

La réticence voire la méfiance initiales qui peuvent survenir lorsqu’un clinicien entend pour la première fois parler d’évaluation s’estompe souvent à mesure qu’il examine au juste ce dont il s’agit. Et dès lors que la focale se porte sur les processus la question de l’évaluation de l’efficacité passe au second plan : ce qui intéresse vraiment est la question du « comment » comme le rappelait le numéro de PLR de juin 2009 consacré au PQS d’Enrico Jones.

Force est de constater que ces études-là étaient à l’honneur dans ce congrès. Il serait bien trop long de les énumérer mais quantité d’entre elles se focalisaient sur un aspect particulier du processus : l’alliance, le style directif du thérapeute, la relation thérapeutique vue sous l’angle de l’attachement, la tolérance émotionnelle … Plusieurs exposés ou débats traitaient d’aspects méthodologiques plus généraux tels Daniel Fischman (paradigme des « méthodes mixant » groupes d’essais randomisés et d’études de cas associées) ou Tracy Eels (formulation de cas) discutant ensemble des études intensives de cas en tant que sources créatrices de multiples connaissances. J’ai pu constater à la lumière de ces exposés que le réseau animé par Jean-Michel et Monique Thurin s’intègre parfaitement à ce mouvement de recherche qui semble très vaste et en perpétuel progrès au niveau international (6).

Si l’on considère l’expérience des thérapeutes actifs dans ce mouvement, les résultats d’une étude qualitative anglaise (7) rejoignent sans doute le vécu de nombreux cliniciens participant aux groupes de pairs du réseau Thurin. Les réactions des psychothérapeutes y furent recueillies grâce à des entretiens avant et après avoir intégré une étude contrôlée de vaste échelle. Comme attendu, initialement, la réticence à participer à une recherche systématique était répandue pour diverses raisons (réduction de la singularité de la rencontre, faible validité écologique, etc). Mais après, la satisfaction des cliniciens était fréquemment retrouvée, cette expérience leur ayant permis non seulement d’éveiller leur intérêt à la recherche (réduisant un peu le fossé qui la sépare de la clinique) mais aussi de réinterroger leurs propres pratiques avec un regard neuf dans une perspective d’amélioration.

Un aparté : nombre d’études notamment anglo-saxonnes présentées suivaient des protocoles du type - essais contrôlés randomisés malgré leurs limites (9) : en ces temps de crise économique et réduction budgétaire, cela s’intègre souvent dans une stratégie de financement par les grands organismes publiques mais n’empêche pas les chercheurs de mener au sein de ces essais des études intensives de cas.

Un point frappant était le développement intensif de l’usage de l’outil mathématique dans la modélisation et le traitement des données de ces études. Une fois abordée la réflexion épistémologique qui statue préalablement sur la validité de cette démarche, l’outil mathématique ne cesse de stimuler la réflexion. Une attitude fructueuse à son endroit consisterait à examiner ses apports avec beaucoup de curiosité et d’esprit critique. A l’inverse, un des arguments avancés par ses opposants (10) est qu’il véhicule un certain réductionnisme scientifique qui voudrait raccourcir le fonctionnement psychique au détriment de la singularité de la rencontre patient - thérapeute. Mais peut-être que ce ne sont pas tant les théories en elles–mêmes que les hommes et l’usage qu’ils en font qui sont véritablement réductionnistes ou dogmatiques. Mon avis est qu’une posture interdisant a priori (au sens où on n’attendrait pas de considérer les résultats recueillis par cette entreprise pour en discuter l’utilité ou l’inutilité) d’employer ces outils dans le champ des psychothérapies me semble bien hasardeuse voire présomptueuse. Car on peut difficilement présager des nouvelles productions de savoirs qui peuvent en résulter. Il faut reconnaître qu’un esprit simplement humain atteint rapidement ses limites à vouloir analyser seul la quantité de données issues d’un outil comme le PQS et sa centaine d’items – variables. Tout cela étant dit, l’expérience et le raisonnement clinico - théorique des cliniciens demeurent des pièces maîtresses de cohérence en amont et en aval tant la manipulation (parfois vertigineuse) des données aboutit à des résultats qui peuvent parfois aller dans un sens comme vers son contraire.

En tous cas, c’était aussi le parti pris de chercheurs comme Wolfgang Lutz, PhD de l’Université de Trier dont l’équipe travailla notamment avec les Growth Mixture Models (11) : dans un essai contrôlé de traitement de la dépression, cet outil statistique permit d’identifier des sous-groupes de patients homogènes par leur évolution au cours d’un traitement afin de leur proposer dans un second temps une prise en charge la plus adaptée possible. Ou bien encore cette autre étude menée par Henriette Loeffler-Stastka qui chercha à identifier chez des patients borderline en psychothérapie psychodynamique des paramètres (l’outil principal est le PQS) pouvant prédire une évolution favorable ou défavorable et qui pourrait donc aider le thérapeute dans ses choix au cours de la thérapie (12). Cette évaluation était rendue possible par un nouveau modèle computationnel basé sur le modèle de Markov caché développé en collaboration avec des ingénieurs de l’Institut Technologique de Vienne.

Par ailleurs, une étude menée au Centre Anna Freud de Londres devrait particulièrement intéresser les membres du pôle borderline - adolescent du réseau : elle concerne le développement en cours d’une adaptation du PQS pour l’adolescent (8). Je remarquerai qu’il est prudent d’avoir toujours en tête les limites de l’outil mathématique. Nick Migley, PhD, qui avoue humblement n’être qu’un clinicien - chercheur, dit avoir présenté son instrument avec sa méthodologie Q-sort (inventée par W. Stephenson) pour en tester la validité ; aucun des cinq statisticiens consultés n’eut le même avis sur la question : entre acceptation, doute ou rejet de la valeur de la Q-sort méthodologie. Le débat est donc lancé.

Une Discrétion française

Un seul chiffre : sur 796 participants, 3 français. A un moment, j’eus le désagréable sentiment patriotique que mon pays était peut-être en retard de ce wagon-là … Est-ce vraiment le cas ? Et si oui, pourquoi ?

Je doute que la seule barrière de la langue soit à l’origine de tout cela. A l’heure des présentations et des discussions, le plus petit commun diviseur linguistique dans une assemblée internationale reste « l’anglais moyen de congrès ». La barrière n’est pas trop dure à franchir.

Sans vouloir chercher des torts ici où là, je me demande si une opposition à toute recherche évaluative sur les psychothérapies ainsi qu’une tendance passée au fonctionnement autarcique de certaines institutions psychanalytiques en France n’y sont pas pour quelque chose. Et de l’aveu d’un membre de la section anglaise, peut-être que la SPR elle-même n’a pas assez ouvert ses portes à ceux-là. Pourtant, aujourd’hui, dans les milieux universitaires, plusieurs équipes sont investies dans l’évaluation des psychothérapies y compris dans les TCC. Mais l’accent n’est peut-être pas suffisamment mis sur les processus ?

Au vu de la diffusion progressive et du dynamisme du réseau (dixit un psychothérapeute britannique), si retard dans la recherche il y eut, il semble en passe d’être bien rattrapé. D’autant plus, qu’en comparant sa qualité intrinsèque (rigueur méthodologique, compétence et expérience des thérapeutes) avec certaines présentations (je repense à une étude sur la psychothérapie narrative où le thérapeute pouvait garantir une formation d’un mois), ces travaux s’inscrivent sinon dans le haut du panier, du moins aisément dans la moyenne. A l’avenir, une plus grande publicité de ce congrès et de cette association dans notre pays (au sein du réseau et au-delà – les filières de psychologie clinique universitaires pouvant jouer un rôle bien plus prégnant qu’actuellement) aura sans doute un effet positif sur notre représentation en nombre de participants et de présentations publiées.

Vers une Théorie unifiée ?

Le congrès clôtura sur une longue présentation de Mary Target, PhD, (Centre Anna Freud et University College de Londres) au titre suivant (13) : la Mentalisation, un facteur commun à travers les psychothérapies ? L’argument de haute tenue se proposait de réaliser une synthèse empruntant aux théories développementales, psychanalytiques (notamment les travaux de Fonagy et Gergely), cognitivistes et de l’attachement qu’elle faisait dialoguer avec des études expérimentales et cliniques. Après une revue du développement du Self et des principaux mécanismes psychopathologiques, les apports et les processus de changements à l’œuvre dans les thérapies basées sur la (ré)appropriation de la mentalisation étaient discutés. Le tout agrémenté d’illustrations cliniques insistant par exemple sur la nécessité de respecter l’agenda du patient ou de prévenir les excès de mentalisation qui ne sont pas forcément synonymes de santé mentale.

Une Atmosphère générale propice et stimulante

Enfin, un élément appréciable entre tous était l’atmosphère qui règnait lors des discussions. Je n’ai assisté qu’à une seule scène déplaisante où une clinicienne – dont nous tairons l’âge, la nationalité et l’école car elle ne les représente aucunement – tenta de discréditer dans une servile pensée d’école les choix théoriques d’un ingénieur courageux (3) : immédiatement, l’assistance experte disqualifia la manœuvre et son auteure qui sortit petitement. Sinon, à voir l’honorable et perspicace Monsieur Høglend (14) discuter et encourager un jeune chercheur malheureux dont l’étude fut refusée à publication pour d’apparentes mauvaises raisons, on comprend qu’ici les valeurs promues étaient l’entraide, la collaboration, la réflexion, l’échange des idées et le débat au sens le plus noble du terme.

Indépendamment du domaine qui est passionnant, ce congrès est l’occasion de découvrir une communauté scientifique que l’on aimerait, à défaut d’en faire partie, pouvoir suivre encore longtemps. Alors notez bien le rendez-vous du prochain congrès annuel de la SPR (1) :

2012 - Virginia Beach, Etats-Unis.

NOTES
* auteurs présents et orateurs au congrès
(1) site de la SPR : http://www.psychotherapyresearch.org/

(2) Davis J., Schroder* T., Orlinsky D. (The therapeutic frame : consistency and diversity) conclut que les psychodynamiciens ont un cadre plus ferme que les autres (dont TCCistes), de sorte qu’il existe chez eux moins d’adaptation du cadre mais que cela permet de prévenir certains « abus » (moins de réception de cadeaux des patients ou cas de relations amoureuses patient-thérapeute, par exemple). Par ailleurs, Kumaria* S., Bhola P., Orlinsky D. (Are therapeutic frames impacted by culture ?) montre qu’en Inde et en Corée du Sud les thérapeutes reçoivent aisément des cadeaux de leur patients comme un trait culturel tandis que les touchers non sexuels des patients sont inexistants contrairement aux pratiques des thérapeutes occidentaux.

(3) Muchitsch C., Perner A., Bruckner* D., The top-down method : psychoanalytically-inspired décision unit for automation systems with operationalizable parameters. Il s’agit de construire un modèle décisionnel et évolutif en intelligence artificielle qui prend pour origines des théories neuro-psychanalytiques.

(4) Buchheim* A. Viviani R., Kessler H., Kächele H., Cierpka M., Roth G., Taubner S. Neural correlates of attachment in chronically depressed patients during psychodynamic psychotherapy

(5) Zaunmüller* L., Lutz W., Affective impact and electrocortical correlates of change in psychotherapy – Investigating a cognitive microintervention.

(6) La première fois que j’entendis parler du réseau Thurin fut lors d’une présentation par Bruno Falissard sur l’évaluation des psychothérapies au congrès de l’Encéphale de 2008 ; à l’époque, avec un autre collègue interne, cela nous avait enthousiasmé tant le message semblait important et neuf à nos oreilles. Mais ce n’est qu’en 2010 que je fis la formation aux EPP pour intégrer un groupe de pair début 2011 dans le pôle borderline.

(7) Henton* I. Child psychotherapists’ attitude to being involved with a large-scale clinical trial.

(8) Migley* N. Schneider C., Bychkova T., Hillman S., Calderon A., Target M. Initial stages in the development of the Adolescent Psychotherapy Q-Set (APQ)

(9) Westen D. Novotny C. M., Thomson-Brenner H. (2004). The Empirical status of empirically supported psychotherapies : assumptions, findings and reporting in controlled clinical trials. Psychological Bulletin, 130 (4), 631-663

(10) Laurent E., Impasses de l’évaluation, chapitre 16, in Fischman et al. (2009) L’évaluation des psychothérapies et de la psychanalyse, fondements et enjeux, éd. Masson, pp. 223-237.

(11) Stulz N., Lutz* W., Gallop R. Application of Growth Mixture Models to examine differential treatment effects in patients subgroups

(12) Deux études : Loeffler-Stastka H., Stigler K., Schleifer, The bottom-up method : dismantling the change processes within psychoanalytic treatments in patients with borderline personality disorder ainsi que Bruckner* D. Schwartz E., Stigler K., Loeffler-Stastka H., Vizualisation of bottom-up method : computational analysis of measures from operationalized courses of treatment. (Institut technologique de Vienne et Université médicale de Vienne).

(13) Fonagy P, Target* M. The mentalization-focused approach to self pathology. Journal of Personality Disorders. 2006 Dec; 20(6) : 544-76.

(14) M. Høglend* mène l’équipe norvégienne de l’Université d’Oslo qui a notamment construit l’échelle de fonctionnement psychodynamique (EFP) utilisée dans le réseau Thurin.

 


Dernière mise à jour : 19/09/11 info@techniques-psychotherapiques.org