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Le site des recherches fondées sur les pratiques psychothérapiques

Éditorial

Des études de résultats aux études processus-résultats

Jean-Michel Thurin et Monique Thurin

Pendant une trentaine d'années (1950-1980), le principal objectif du courant évaluatif lancé par Eysenck pour les thérapies comportementales, à été de démontrer l'efficacité de certaines interventions psychothérapiques sur certains comportements et symptomes définis. L'efficacité de ces interventions, aisément descriptibles et limitées, était testée en comparant leur l'effet dans un groupe de patients à l'absence d'intervention dans un groupe semblable. Le comportement pathologique disparaissait, se réduisait ou non. Il n'y avait donc pas d'autre processus que celui du déroulement "avant -> intervention -> après" assorti d'une éventuelle répétition de l'intervention pendant un temps limité qui permettait d'apprécier le rôle de la dose sur l'effet.

Cette méthodologie a fait la preuve qu'une intervention psychologique peut avoir des effets quantitativement mesurables.

Il s'est rapidement avéré que l'on ne souffre pas que de symptômes isolés et que ces symptômes s'inscrivent le plus souvent dans des configurations symptomatiques et fonctionnelles beaucoup plus larges. L'objectif est devenu "l'évaluation de troubles limités" (par exemple "la" dépression, le trouble panique) définis dans les classifications (DSM et CIM). Les "interventions" sont devenues des "approches identifiées", c'est à dire dont les modalités d'application sont décrites. Les psychothérapies restent des traitements récents et l'on a pu imaginer que l'application d'une méthode générale de traitement (psychanalyse, déconditionnement/reconditionnement, approche conversationnelle) pouvait être appliquée à des personnes différentes pour des pathologies différentes au prix de variations mineures. La causalité de base intiale inférée (refoulement traumatique et conflictuel, trouble de l'apprentissage) pouvait laisser penser qu'une approche globalement semblable serait efficace pour des problèmes différents. Les essais contrôlés (ECRs) ont continué à être considérés comme valides pour mesurer cette efficacité, dès lors que l'intervention devenue "thérapie" était précisément décrite et appliquée suivant les principes préalablement établis. Cette démarche a été appliquée à des patients qui présentaient un trouble isolé (dépression, par exemple).

Cependant, deux constations majeures ont émergé. La première a été que des thérapies très différentes obtenaient sensiblement les mêmes résultats. La seconde a été que les patients qui souffraient de pathologies "complexes", c'est-à-dire, durables et peu délimitées et dont les causes semblaient multiformes, risquaient de rester sans traitement. En effet, les médicaments sont peu efficaces pour ces pathologies et il est impossible de vouloir les améliorer durablement en 5, 12 ou même 40 séances de psychothérapie (durée recommandée pour les ECRs pour obtenir une bonne validité interne). Deux réponses simples pour ces deux constatations problématiques ont été appliquées. La première (identité des résultats) a quasiment conduit à supprimer le caractère spécifique de chaque approche psychothérapique, en le réduisant à un "habillage de produits" dont le principe efficace était à rechercher dans les "facteurs communs" (c'est-à-dire les qualités inhérentes à toute relation humaine positive qui affectent les attentes où la conduite d’une personne). La seconde a conduit à quasiment exclure dans certains pays (aux EU notamment) les troubles complexes (et souvent chroniques) du champ des psychothérapies en imposant le primat de la méthodologie sur la réalité clinique. Pour que ces troubles puissent être traités par la psychothérapie suivant les principes de l'Evidence based practice, il fallait que des études contrôlées aient démontré leur efficacité. Si elles n'existaient pas, il n'y avait pas de preuve d'efficacité et donc pas de raison de leur attribuer un remboursement. Une démarche adoptée par les thérapies cognitivo-comportementales a été d'éclater les troubles (par exemple, les conduites pédophiliques) et de construire des "packages" constitués d'interventions ciblées sur un trait particulier (par exemple, le fait de ne pas tenir compte de l'autre). Cette approche est évidemment à l'opposé de celle qui considère que les fonctionnements psychologiques et leurs manifestations sont largement interconnectés et qu'il existe un noyau principal que la psychothérapie aura particulièrement à prendre en compte (paradigme de l'approche psychodynamique et de la psychanalyse).

Aux deux problèmes majeurs précédents, il faut en ajouter un troisième : Comment prendre en compte les particularités individuelles à la fois évidentes et incontournables ? Les études contrôlées n'ont permis de démontrer que l'effet moyen d'une intervention ou d'une thérapie sur un trouble et ont laissé en suspens la question des "répondeurs" et des "non répondeurs". Cette question a introduit une tentative de réponse en testant, les uns après les autres, différents facteurs susceptibles d'expliquer ces différences. Mais c'est une tâche sans fin car, sauf exception, les facteurs sont trop nombreux et les études trop variées pour que des éléments significatifs apparaissent. Le principe de l'activité générale d'une psychothérapie déterminée, pour laquelle il suffit de défiler une liste de troubles auxquels on va appliquer le même traitement et en démontrer l'efficacité, a cessé de fonctionner. Il a laissé la place à celui de thérapies ajustées au patient, à ses troubles et à leur évolution. Mais fallait-il alors, comme cela a été proposé, tout miser sur l'aptitude du thérapeute à réaliser au mieux cet ajustement et renoncer à comprendre ce qui se déroule dans ces thérapies, comment se produisent les changements ? Ce n'était pas très satisfaisant.

Le principe du test de thérapies "clefs en main" qui seraient validées par leurs résultats dans deux essais contrôlés s'est trouvé de facto sérieusement remis en question par ces trois problèmes. Il fallait quasiment repartir à zéro puisqu'on ne savait plus vraiment ce qui agissait, ni pour qui. L'idée d'inverser la démarche, c'est à dire de s'appuyer sur les pratiques, leurs résultats, leurs identités et leurs différences pour étudier les psychothérapies s'est renforcée. L'attention est revenue sur le processus de la psychothérapie, terrain défriché par les psychanalystes, dont l'étude avait été quasiment abandonnée au profit des essais contrôlés qui étaient les seules études financées par les organismes de recherche. Mais il fallait trouver un moyen de saisir ce processus, à la fois complexe et évolutif, qui fait intervenir différentes variables, et tout d'abord le patient, le thérapeute et leur interaction …

Il n'est pas inutile ici de revenir sur la définition du processus en psychothérapie. Le processus associe 2 axes : celui du déroulement longitudinal des séances et des changements qui se produisent chez le patient au fur et à mesure de son progrès, et celui de l'activité psychothérapique qui est le moteur du changement, auquel participent à des degrés divers le patient et son travail, le thérapeute, son expérience et sa technique, et leur interaction. Deux perspectives principales ont été proposées pour décrire ce moteur du changement : celle d'un déroulement naturel qui, enclenché, possède en lui même ses propres capacités dynamiques s'il se déroule dans les bonnes conditions, et celle d'une succession d'actions ciblées qui "remaillent" progressivement les espaces altérés (par exemple, les distorsions cognitives, les déficits d'outils relationnels ou communicationnels, et autres). La première se retrouve dans la méthode psychanalytique développée par Freud pour les psychonévroses ; on la trouve aussi dans les thérapies conversationnelles (Rogers). La guérison dépend de la qualité du cadre thérapeutique et de la mise en oeuvre de la méthode. La seconde se retrouve globalement dans les TCC. Le processus concerne une série de séquences d'actions, dont l'ensemble constitue un "package", appliquées par un thérapeute à un patient avec lequel est réalisée un contrat thérapeutique.

Construire un instrument fiable, valide et pouvant répondre à des approches conceptuelles et opérationnelles très différentes du processus, décrire finement ce qui s'y passait, tant pour le patient que pour le thérapeute, tel était l'enjeu de la recherche en psychothérapie. C'est ici que commence l'histoire de la construction de l'instrument de processus de Jones et al., le Psychotherapy Process Q-set (PQS) dont nous présenterons dans les prochains éditoriaux les fondements, les études qu'il a permis de réaliser et leurs résultats.

JMT et MT


 

 


Dernière mise à jour : 7/09/09 info@techniques-psychotherapiques.org