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Le site des recherches fondées sur les pratiques psychothérapiques

Editorial

Recherche clinique, Évaluation des Pratiques Professionnelles, Pratiques basées sur des faits prouvés … Quels rapports ?

Jean-Michel Thurin et Monique Thurin

Définir les rapports qu'entretiennent la Recherche clinique, l'Évaluation des Pratiques Professionnelles (EPP) et les Pratiques basées sur des faits prouvés (EBP) devient un exercice de plus en plus complexe car le champ est dans son ensemble en mutation. Peut-on néanmoins en saisir les principaux axes et les tendances ?

- La "recherche clinique" pose déjà un problème de définition : que recouvre au juste ce terme ? Définie de façon générale comme la recherche au lit du malade, on constate vite qu'il y a une grande différence entre "l'étude d'un groupe de patients réunis par un symptôme ou un trouble auxquels on applique de façon aléatoire un traitement bref standardisé pour tester son efficacité par rapporrt à l'absence de traitement ou à un traitement comparable" (recherche clinique expérimentale) et la recherche clinique "liée à la pratique quotidienne du clinicien et de son équipe et qui suppose qu’un temps soit dédié à cette pratique assise sur une solide connaissance méthodologique" (Plan Santé Mentale 2001, chap. 8) qui étudie les résultats ou un aspect particulier d'une approche thérapeutique telle qu'elle est pratiquée dans des conditions naturelles.

Dans le champ plus spécifique de la recherche de la preuve, l'Association Américaine de Psychologie a récemment distingué (APA, 2005), neuf types de recherche différents allant de l'étude simple de cas à la méta-analyse en spécifiant ce que l'on pouvait attendre de chacune d'elles. Ainsi, il n'y a pas de bonne et de mauvaise méthode, du moins si l'on respecte la méthodologie qui lui est associée, mais aussi son champ d'application. Par exemple, la méta-analyse qui est un moyen systématique pour synthétiser les résultats issus de nombreuses études, est dépendante pour une large part des études qu'elle intègre. Elle s'est constamment améliorée en définissant des critères d'inclusion des études plus précis. Mais on ne peut pas dire pour autant que les méta-analyses soient "par nature" de bonnes méthodes, ni qu'elles répondent à toutes les questions de recherche. Elles testent des hypothèses et mesurent quantitativement des tailles d'effet. Elles apportent donc des réponses moyennes (pouvant se réduire à "les psychothérapies sont efficaces" à partir de 3800 études (Matt et Navarro, 1997, présentation dans Thurin 2004 ). Il en est de même pour les essais contrôlés randomisés, longtemps considérés comme le "gold standard" de la recherche, mais dont on s'est aperçu que, dans le champ des psychothérapies, les variables étudiées n'étaient finalement pas assez précises pour déterminer ce qui était à l'origine du changement constaté (Elkins et al., 1996 ; Blatt et Zuroff, 2005).

Ces précisions sont importantes pour la démarche d'évaluation des pratiques professionnelles. En effet, celle-ci inclut nécessairement - mais pas seulement - de prendre en compte les recherches qui ont étudié les questions que l'on se pose. Outre le fait qu'il faut réserver à la recherche la place qui est la sienne, c'est-à-dire sans omettre les données de l'expertise clinique et le contexte du patient (Sackett et al., 2000), il faudra veiller à l'adéquation de la méthodologie à la question posée. Réserver la référence de "scientifique" à la seule méthode des essais contrôlés randomisés peut faire méconnaître de vraies questions et conduire à de réelles impasses. Comme le soulignent Edwards et al. (2004) et bien d'autres "L'essai contrôlé qui montre qu’un traitement aide 40% des patients ne me dit pas si celui qui entre dans mon cabinet est l’un d’entre eux". Ainsi, c’est une erreur fréquente que de considérer que les seules études empiriques sont celles qui utilisent une méthode de groupe de comparaison impliquant des corrélations statistiques. Les méthodes basées sur le cas sont également empiriques, avec l'avantage de préserver habituellement la complexité de la situation de la vie réelle beaucoup mieux que les études multivariables dans lesquelles le contexte et les détails de phénomènes cliniques quotidiens sont facilement masqués ou perdus. Quand elles sont appliquées de façon appropriée, les méthodes basées sur le cas abordent les faits empiriques d’une façon qui est souvent plus directe que l'application de méthodes quantitatives portant sur des variables multiples, où l’expérience individuelle est simplifiée et filtrée à travers des échelles et des définitions opérationnelles, et faussée par la manipulation expérimentale.

- L'Évaluation des pratiques professionnelles «consiste en l’analyse de la pratique professionnelle en référence à des recommandations selon une méthode élaborée ou validée par la Haute Autorité de santé et inclut la mise en œuvre et le suivi d’actions d’amélioration des pratiques» (Légifrance, 2005). Suivant les méthodes actuelles qui sont proposées (Has, 2006), il ne s'agit pas d'une démarche de "contrôle externe ", comme on le pense souvent, mais d'une réflexion sur la pratique en référence à des recommandations qui doit permettre d'améliorer la qualité et l'efficience des soins. C'est le praticien qui établit son propre différentiel et décide des modifications qu'il va donner - ou non - à sa pratique. La perspective est donc sur le principe assez proche de celle de la Pratique fondée sur des faits prouvés (EBP) qui se définie comme "l'intégration de la meilleure preuve issue de la recherche avec l'expertise clinique et les valeurs du patient" (Sackett et al., 2000), si l'on considère que les "recommandations" dans l'EPP font largement référence aux données issues de la recherche (mais on est passé là d'une démarche individuelle à une démarche assistée).

Le problème est qu'en psychiatrie et en psychologie, outre-atlantique, on a pu constater la catastrophe qu'a pu entraîner la réduction de l'approche clinique à une incitation (par des formations) et à une obligation (par le financement) d'utiliser des méthodes labélisées comme efficaces, les "faits prouvés" se résumant aux études menées en laboratoire. En espérant que cette situation ne se produira pas en France, la question de l'implication de la recherche dans les recommandations ne peut être écartée. La question qui se pose alors en psychiatrie - et dans le champ des psychothérapies - est la suivante : quelle alternative peut-on proposer aux études expérimentales qui réponde aux critères du vrai monde clinique (c'est-à-dire, avec de vrais patients, de vrais cliniciens dans de véritables situations de soin) ? Cette question est devenue suffisamment cruciale pour que, récemment, une redistribution conceptuelle et pratique de l'élaboration de la preuve soit envisagée. On peut la résumer de la façon suivante : plutôt que d'essayer de forcer les praticiens à utiliser une méthode particulière qui a démontré dans les conditions particulières du laboratoire qu'elle était efficace, essayons plutôt d'identifier les stratégies d'intervention liées à des résultats positifs, initialement et au suivi de plusieurs années, dans le monde réel. On pourra en tirer des référentiels qui serviront à d'autres, plus jeunes ou peu habitués à ce genre de cas.

Ce premier niveau de recherche pourra être prolongé par un second niveau sur des secteurs bien déterminés. En effet, si l'on retrouve des configurations d'activité communes dans les pratiques de praticiens différents qui semblent aboutir à de bons résultats, alors il sera intéressant d'établir une démarche plus focalisée sur les éléments qui participent à ce résultat pour essayer de déterminer précisément les facteurs qui interviennent dans le changement. Dit autrement, partant de la pratique comme d'un laboratoire naturel (Westen, 2004), on pourra dans un deuxième temps tester suivant une méthode contrôlée les variables qui, en relation à un modèle psychopathologique, semblent intervenir dans les résultats (Kazdin et Kendall, 1998). On trouve un exemple du premier niveau de cette démarche dans une étude qu'avaient faite Gerin et al. (1986) qui avait montré l'effet favorable des approches "informelles" chez les patients psychotiques, alors que c'étaient des approches plus structurées qui étaient efficaces chez les déprimés non psychotiques. Il y a eu depuis d'autres études, notamment chez les patients borderline particulièrement compliqués (Monsen et al. 1995 ) ou présentant des troubles des conduites alimentaires et impliquant un réseau de centres de traitement (Kächele et al., 2001) qui sont parties des pratiques, avec un effet de précision et d'ajustement progressif de la définition des prises en charge et de l'implication de variables modératrices.

 

Cette mise en relation de la pratique et de la recherche, selon des méthodologies pertinentes avec le cadre de l'approche clinique se retrouve dans le programme EPP "Initier une psychothérapie, en suivre l'évolution, en évaluer les résultats" que nous proposons. Nous insistons sur la valeur de l'étude systématique de cas dans la recherche empirique et sur la position privilégiée (indispensable) du clinicien pour recueillir et restituer les éléments qui permettent de poser les bases d'un diagnostic psychopathologique dans son contexte (formulation de cas) et de suivre l'évolution d'un cas. Issue des premiers entretiens cliniques, la formulation de cas est complétée par des outils complémentaires simples qui permettent d'appréhender de façon un peu systématique et quantifiable, à différents temps la fonctionnalité du patient dans différents registres, ce qui caractérise la psychothérapie et ce qui s'observe dans les interactions aux trois niveaux : patient-thérapeute, patient-patient, patient-cadre de la thérapie. A partir de là, il devient possible de concevoir une évaluation des progrès accomplis assez fine et inscrite dans le temps pour qu'elle ait un sens et une utilité clinique. Mais à partir des données cliniques introduites par le suivi du programme, il est aussi possible de se focaliser sur un objet de recherche à partir du moment où plusieurs autres cas sont réunis.

C'est l'objet complémentaire de cet EPP d'ouvrir la possibilité de réunir ces cas suivis de façon systématique dans des conditions ordinaires pour éclairer les questions qui se posent en clinique (recherches de second niveau). Prenons un exemple simple : on pourrait poser l'hypothèse que la psychothérapie avance chez certains patients quand le thérapeute est "actif" (ou au contraire, quand il est passif). Le matériel clinique de base est réuni pour étudier cette hypothèse à partir de cas analogues qui ont pu être traités de façon semblable ou différente, du point de vue de ce paramètre. Si la démarche était effectuée dans l'autre sens, il ne serait pas très sérieux de travailler cette hypothèse à partir de cas dont on devrait construire l'analogie non seulement au niveau des patients, mais aussi des styles des cliniciens impliqués. On ne fait pas "semblant" d'être "actif" pour les besoins d'une recherche ! La démarche EPP permet d'attribuer une grande place au qualitatif et aux informations contextuelles que nous apporte le patient, ce qui ouvre la voie à la compréhension et au sens (Darcourt, 2006), quelquefois de façon déterminante (Falissard, 2006). C'est à partir de tout un ensemble d'éléments qui ne se limitent pas à la sémiologie immédiate qu'émerge le patient, sa compréhension et finalement la représentation qu'on a de lui, qui va bien au delà de la classification catégorielle. Un patient ne sera jamais identique à un autre, mais il a un "air de famille" avec d'autres patients, et cela participe à l'expérience clinique de chaque praticien. Cette proximité et cette différence dans l'analogue peut permettre de véritable études comparatives sur des points particuliers (par exemple, existe-t-il une sorte de processus type du travail d'élaboration traumatique et dans quels cas ne retrouve-t-on pas ce processus (Stiles, in Lambropoulos et al. 2002), dans quel contexte se déclenche une conduite d'auto-agression ?) et au test d'hypothèses sur les facteurs de changement.

L'EPP, dans sa triple dimension de regard porté sur les pratiques, de leur formalisation et de mise en relation des questions qui se posent avec la littérature est de façon naturelle un point de départ potentiel de tout un ensemble de recherches structurées et de constitution de preuves fondées sur les pratiques (Barkham et Mellor-Clarck, 2003). Les méthodologies portant sur des cas isolés sont tout à fait pertinentes et nécessaires pour atteindre un niveau de définition et permettre un suivi longitudinal adaptés à la résolution de questions cliniques . Elles sont complémentaires avec d'autres méthodes d'avantage centrées sur les inférences causales, l'expérience subjective vécue, la validation et l'utilisation des services de santé. On ne peut pas concevoir une profession qui serait passive et devrait appliquer des recettes venues d'ailleurs. L'EPP doit pouvoir être aussi une façon pour les cliniciens d'établir des référentiels qui reposent sur la pratique qu'ils exercent et ainsi de confirmer leur existence, dont on a parfois l'impression qu'elle pourrait être oubliée.

Références bibliographiques

APA. 2005 Presidential Task Force on Evidence-Based Practice. American Psychological Association. July 1, 2005 - http://www.apa.org/practice/ebpreport.pdf - traduction

Barkham M et Mellor-Clark J. Bridging Evidence-Based Practice and Practice-Based Evidence: Developing a Rigor Rigorous and Relevant Knowledge for the Psychological Therapies. Clin. Psychol. Psychother. 10, 319–327 (2003)

Blatt SJ, Zuroff DC. Empirical evaluation of the assumptions in identifying evidence based treatments in mental health. Clinical Psychology Review 2005 ; 25:459-486.

Darcourt G. La psychanalyse peut-elle être encore utile à la psychiatrie ? Odile Jacob 2006.

Elkin (Irene), Gibbons (Robert D), Shea (M Tracie), Shaw (Brian F) . - Science is not a trial (but it can sometimes be a tribulation). Journal of consulting and Clinical Psychology, 1996, 64(1), p. 92-103.

Edwards D.J, Dattilio F M, Bromley D B. Evidence-Based Practice: The Role of Case-Based Research Professional Psychology: Research and Practice 2004, Vol. 35, No. 6, 589 –597.

Falissard B. Bonnes pratiques médicales : quelle place pour la recherche scientifique ? PSN, numéro spécial, juin 2006, pp. 2-5.

Gerin P, Dazord A et Sali A. Psychothérapies et changements. Méthodologie de leur évaluation. Nodules PUF 1991, pp 91-94.

Kächele H, Kordy H, Richard M, et al.. Therapy amount and outcome of inpatient psychodynamic treatment of eating disorders
in Germany : data from a multicenter study. Psychother Res 2001, 11 : 239-257

Kazdin AE et Kendall PC. Current progress and future plans for developing effective treatments : Comments and perspectives. Journal of clinical child psychology 1998; 27(2):217-226.

Lampropoulos GK, Goldfried MR, Castonguay LG, Lambert MJ, Stiles WB, Nestoros JN. What kind of research can we realistically expect from the practitioner? J Clin Psychol 2002 ; 58 : 1241-64.

Legifrance. Décret n° 2005-346 du 14 avril 2005 relatif à l’évaluation des pratiques professionnelles.

Matt GE, Navarro AM. What meta-analyses have and have not taught us about psychotherapy effects: a review and future directions. Clin. Psychol. Rev.,1997 Vol 17, p : 1-32.

Monsen JT, Odland T, Faugli A, Daae E, Eiltersen DE. Personality disorders : changes and stability after intensive psychotherapy focusing on affect consciousness. Psychother Res 1995a, 5 : 33-48

Sackett, D. L., Straus, S. E., Richardson, W. S., Rosenberg, W., & Haynes, R. B. (2000). Evidence based medicine: How to practice and teach EBM (2nd ed.). London: Churchill Livingstone.

Thurin JM. EBM et psychothérapie. Pour la recherche 2004, 41. http://193.49.126.9/Recherche/PLR/PLR41/PLR41.html#8

Westen D, Novotny CM, Thompson-Brenner H. The empirical status of empirically supported psychotherapies: assumptions, findings, and reporting in controlled clinical trials. Psychol Bull. 2004 Jul;130(4):631-63.

 

 


Dernière mise à jour : 27/02/07 info@techniques-psychotherapiques.org