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Peut-on tirer des inférences solides à partir des études de cas ?

Jean-Michel THURIN.

Dans un article de 1981 dont les principes sont repris dans ses récents articles et ouvrages, Kazdin aborde la question du statut des études de cas dans la constitution de la preuve. La preuve concerne ici les éléments qui objectivent l’effet thérapeutique, mais aussi et surtout ce qui l’a causé. Le problème majeur de l’étude de cas est l'ambiguïté qu’elle génère quant aux influences précises qui sont responsables du changement, lorsqu’il est constaté. Autrement dit, partant du fait qu’une corrélation n’est pas une causalité, l’étude de cas ne répondrait pas à la question de ce qui est l’origine du changement (l’intervention thérapeutique ou un autre facteur), ce que permet l’expérimentation dont le protocole est conçu pour répondre à cet objectif.

Depuis 1981, beaucoup d’eau a coulé et certaines faiblesses des études expérimentales à ce niveau sont apparues (confusion des variables impliquées dans le changement, puissance réduite des études du fait du petit nombre des inclusions), en plus des autres critiques désormais classiques adressées à ces protocoles concernant principalement leur valdité externe (par exemple, Hayes et al. 1996, Kazdin & Nock 2003, Thurin & Thurin 2007, De Maat et al. 2007, Mesibov & Shea 2011).

La question de ce qui fonde la preuve reste ainsi toujours posée. Elle l’est même de façon encore plus exigeante et plus sensible, avec le développement de la médecine et de la pratique fondées sur la preuve qui lui ont donné une dimension sociétale. Longtemps réservée au laboratoire, la construction de la preuve s’applique aussi à de nombreuses situations où il est quasiment impossible, pour des raisons pratiques et éthiques, de réaliser des expérimentations en conditions naturelles. C’est le cas pour les psychothérapies. Ça l’est aussi, de façon plus générale, pour la psychologie clinique et la psychiatrie, ainsi que pour de nombreuses spécialités médicales. Dans ces domaines, les études observationnelles sont une autre façon pour la recherche d’aborder les questions relatives à la causalité des changements. Plutôt que d’opérer une « intervention expérimentale » sur un cas ou un groupe de cas, le protocole de la recherche étudie les trajectoires d’évolution, en relation à différents facteurs externes « naturels », qu’il s’agisse de conditions ou d’événements. Les interventions thérapeutiques s’inscrivent dans cette perspective, avec une information qui peut renseigner les questions du choix et l’efficacité de certains traitements.

Cet objectif implique aussi la participation des acteurs du champ clinique à la recherche et l’introduction d’une méthodologie solide. Les études de cohortes, dont on suit l’évolution à partir de la situation de départ et d’un recensement précis des traitements mis en œuvre, sont une réponse quand le problème est focalisé et qu’un traitement focalisé sur des cibles définies est la réponse. Le champ de la santé mentale et de la psychothérapie est différent car il concerne des troubles complexes qui nécessitent des interventions complexes « en continu ». Pour définir les troubles complexes, nous pouvons partir du fait qu’une dépression « pure » est quasiment un modèle théorique. Elle est généralement la partie émergente d’un ensemble de dysfonctionnements et de troubles dont la prise en charge nécessite une intervention que l’on peut qualifier de « complexe » selon les critères du Medical Research Council (Craig et al 2008)(voir annexe). Dans ce contexte et dans ce cadre, la validité des inférences que l’on peut tirer des études de cas individuels est réactualisée et les réflexions et propositions de Kazdin sont particulièrement intéressantes.

Son point de départ est que les études de cas sont de nature très diverse. Il en existe plusieurs types dont les finalités sont spécifiques (explicitation d’un point théorique, classification diagnostique, variables impliquées dans un changement, efficacité d’un traitement, ...).

Pour qu’une conclusion puisse être donnée qu’un effet thérapeutique est le résultat d’une cause principale, différentes conditions méthodologiques doivent être réunies pour que cette affirmation soit plausible, voire pratiquement démontrée. Toutes les études de cas ne répondent pas de façon identique à ce critère. Leur distinction devrait permettre de passer d’une focalisation sur le type de démonstration (étude de cas versus expérimentation) à l’examen des menaces spécifiques à la validité interne qui interfèrent avec la validité des inférences que l’on peut tirer d’une étude.

Des procédures spécifiques pouvant être contrôlées par l’investigateur clinique peuvent influencer la force d’un rapport de cas à partir des critères qui définissent la validité interne de sa méthodologie. Premièrement, le recueil de données objectives plutôt qu’une information anecdotique. Deuxièmement, l’évaluation du fonctionnement du patient à plusieurs reprises, comme avant, pendant et après le traitement. Troisièmement, la réunion par l’investigateur clinique de plusieurs cas traités et leur évaluation suivant des modalités similaires. Des groupes étendus ne sont pas nécessairement nécessaires, mais seulement l’addition systématique d’un certain nombre de patients. Au fur et à mesure que le nombre et l'hétérogénéité des patients augmentent et qu'ils reçoivent un traitement à des temps différents, l'histoire et la maturation (deux menaces à la validité interne) deviennent des hypothèses alternatives moins plausibles. Si le traitement est administré à plusieurs patients à des occasions différentes, il faut proposer une explication intriquée montrant comment différents événements historiques ou processus de maturation sont intervenus pour modifier les performances. Dans de tels cas, comme dans une expérimentation ordinaire, les effets du traitement deviennent l’interprétation la plus probable.

Certains traits de l’étude de cas qui peuvent aider à éliminer des menaces à la validité interne se situent hors du contrôle de l’investigateur. Par exemple, la connaissance concernant la stabilité du problème sur le temps provient d’une information externe au patient individuel. Une connaissance à propos du cours du trouble est requise. C’est une information qui peut-être importante pour l’interprétation des résultats. De façon plus générale, pour distinguer si les changements sont le fait du traitement ou marginaux, les configurations de données qui produisent le résultat devraient être examinées à la lumière d’autres hypothèses alternatives qui pourraient l’expliquer Est-ce que des événements de l’histoire individuelle (p. e., des processus familiaux ou des problèmes de travail) ou des processus de maturation (p.e. le temps qui passe, au cours d’un deuil) pourraient expliquer la configuration des résultats ?

Pour conclure, les études de cas ont été longtemps considérées comme complètement inadéquates comme base permettant de tirer des inférences scientifiquement validées. La question, pour Kazdin, doit être considérée en partant des différents types de démonstration qui peuvent être réalisées à partir des études de cas. La classification des rapports sur la base de leur manque de conception expérimentale met de côté la question la plus pertinente. Tirer des conclusions, que ce soit dans les études de cas, les études quasi-expérimentales, ou les expérimentations est une façon d’éliminer les hypothèses alternatives qui pourraient intervenir dans les résultats. Dans les études de cas, par définition, le nombre des hypothèses alternatives et leur probabilité ont tendance à poser des problèmes plus importants qu’ils le feraient dans les études expérimentales. Cependant, il est possible d’inclure des caractéristiques dans l’étude de cas qui aident à réduire le caractère plausible d’hypothèses alternatives spécifiques.

L’étude de cas n’est pas un substitut de l’expérimentation, elle a contribué grandement à l’information dans le champ et continuera sans doute à le faire. À partir de là, il est important de considérer l’étude de cas comme une source potentielle d’information scientifique utile, et d’adopter des procédures pour accroître la force des démonstrations par le cas dans les situations cliniques où les expérimentations ne sont pas des options viables.

Annexe

Suivant les critères définis par le Medical Reserch Council (Craig et al 2008), la complexité d’une intervention se trouve définie par :

Son évaluation est caractérisée par :

Références bibliographiques

Kazdin, A. E. (1981). Drawing Valid Inferences From Case studies. Journal of Consulting and Clinical Psychology, 49(2), 183-192.

Hayes, A., Castonguay, L. G., & Goldfried, M. R. (1996). The Study of Change in Psychotherapy: A Reexamination of the Process-Outcome Correlation Paradigm. Comment on Stiles and Shapiro (1994). Journal of Consulting and Clinical Psychology, 64(5), 909-914.

Kazdin, A. E., & Nock, M. K. (2003). Delineating mechanisms of change in child and adolescent therapy: methodological issues and research recommendations. Journal of Child Psychology and Psychiatry, 44(8), 1116-1129.

Thurin, J. M., & Thurin, M. (Eds.). (2007). Évaluer les psychothérapies. Méthodes et pratiques. Paris: Dunod; 2007.

Maat, S. D., Dekker, J., Schoevers, R., & Jonghe, F. D. (2007). The effectiveness of long-term psychotherapy: Methodological research issues. Psychotherapy Research, 17(1), 59-65.

Mesibov, G. B., & Shea, V. (2011). Evidence-based practices and autism. Autism, 15(1), 114-133.

Craig, P., & al., e. (2008). Developing and evaluating complex interventions: new guidance (pp. 1-39): Medical Research Council. http://www.mrc.ac.uk/Utilities/Documentrecord/index.htm?d=MRC004871