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Le site des recherches fondées sur les pratiques psychothérapiques

Éditorial Octobre 2017

À la poursuite de la vérité, B. Wampold et 10 chercheurs réalisent un examen critique de méta-analyses de la thérapie cognitivo-comportementale

Jean-Michel THURIN.

Du 20 au 22 septembre, s'est tenue à Oxford la quatrième conférence des sections UK- européennes de la Society for Psychotherapy Research (SPR). Bruce Wampold en a fait la conférence d'ouverture et la conclusion.
La conférence d'ouverture a porté sur les facteurs qui interviennent dans les résultats de la psychothérapie, à partir des nombreuses études qui ont porté sur cette question autour des études de résultats. Les principaux éléments de cette conférence sont que c'est l'interaction sociale qui se produit dans la relation psychothérapique qui est le principal moteur et la cause de ses effets1. Dans sa conclusion, Wampold a insisté sur la dimension individuellement ajustée de chaque thérapie et la responsabilité qui revient au psychothérapeute quand un patient vient le consulter à la suite de la catastrophe individuelle qu'il a vécue. Le thérapeute prend en charge "un patient à la fois" et l'attention qu'il lui porte est l'aspect le plus essentiel.

La conférence d'Oxford s'est terminée sur le rappel de l'orientation majeure qui est - devrait être - celle de la recherche actuelle en psychothérapie : "Comprendre Pourquoi, Comment et dans quelles Conditions une psychothérapie produit des effets". Orientation qui est celle développée dans le Réseau de recherches fondées sur les pratiques psychothérapiques depuis 2008 et dont les base et l'application sont le sujet de la thèse que j'ai soutenue en mai.

Les interventions de B. Wampold que nous avions déjà pu apprécier au cours d'un congrès international précédent de la SPR dans le Wiscontin m'ont conduit à rechercher quels étaient ses publications et interventions les plus récentes. J'ai ainsi découvert l'article qu'il a publié avec 10 autres chercheurs sur la comparaison de différentes approches pour la dépression et les troubles anxieux. Je dois admettre que les approches comparatives issues de méta-analyses ne sont pas ma "tasse de thé", mais le titre "À la poursuite de la vérité. Un examen critique des méta-analyses de la thérapie cognitivo-comportementale"2 m'a incité à aller y voir de plus près et à le résumer dans cet éditorial. En voici donc les éléments principaux, avec le souhait que les lecteurs de cet éditorial lisent l'article dans son intégralité.

Cet article, publié en 2016, a été écrit à partir de 3 méta-analyses3, 4, 5 qui partageaient une communication déclarative univoque : "la TCC est supérieure aux autres traitements". Sur quelles bases ce jugement a-t-il été porté alors que parallèlement, au cours des années, les résultats de chaque méta-analyse ont conduit à la même conclusion : les psychothérapies en général et quelque soit le trouble sont efficaces de façon égale, toutes les différences retrouvées tendent à être très petites et d'importance clinique négligeable. En dépit de cette démonstration, la recherche pour identifier ce qui serait la "meilleure" approche se perpétue.

Les auteurs précisent que ce n'est pas la méta-analyse qui pose problème, mais la façon dont elle est utilisée ...

Effectivement, la lecture de l'article de Wampold et al. est impressionnante. On y découvre comment la méta-analyse et son interprétation peuvent être biaisés. Quatre questions principales se trouvent ainsi posées. Elles concernent :

1. La taille d'effet, la puissance et la signification statistique.

La taille d'effet peut être faible, la signification statistique peut ne concerner qu'une partice des études incluses. De façon général, la taille d'effet n'est que très peu, pour ne pas dire "pas du tout" expliquée par l'approche. Si elle est faible, alors il n'est pas légitime de l'expliquer par une différence inter-traitements, mais plutôt par des facteurs tels que l'alliance, l'empathie et les caractéristiques du thérapeute ou du patient.

2. Les erreurs de mesure.

Elles concernent généralement d'abord leur choix. Habituellement, les mesures portent sur la réduction des symptômes et ensuite sur d'autres mesures qui concernent d'autres symptômes que ceux initialement ciblés, le bien-être, la qualité de vie, la santé mentale et la détresse en général. Aucune des méta-analyses proclamant la supériorité des TCC ne considère d'autres résultats que les résultats primaires centrés sur les sympômes ciblés.

Ce point fait apparaître que le type d'étude utilisé ignore certains faits cruciaux à propos de la psychopathologie et du traitement. Par ailleurs, les comorbidités sont typiques chez les patients présentant les troubles mentaux les plus prévalents et handicapants : 84% à 97% des patients rapportant les symptômes d'un trouble font référence à la découverte d'un autre trouble. Une étude multidisciplinaire sur cette question a montré que l'importance du facteur psychopathologique était associée à une difficulté de vie plus importante, une extension plus grande à la famille, de plus mauvaises histoires développementales et une fonction cérébrale compromise au cours de la période précoce du développement. Le problème majeur soulevé ici est que la focalisation sur un effet est souvent un obstacle à l'attention portée à des causes majeures qui ne sont pas prises en compte

3. La classification des traitements.

La proclamation que la TCC est supérieure aux autres traitements requiert que les propriétés essentielles de l'approche soient connues. Une tâche qui s'est avérée difficile, sinon impossible, à atteindre.

Différents exemples montrent que les TCC peuvent n'avoir que peu de choses en commun. L'hétérogénéité dans la classe des traitements dénomés TCC pose la question de ce qui en est l'essence. La situation est ainsi très différente de celle de l'étude impliquant un psychotrope dont la formule chimique est déterminée. La psychothérapie n'est pas un objet physique, mais cela ne doit pas conduire à ce que les principes qui la caractérisent changent avec chaque étude, ce qui devient alors un facteur de confusion.

4. Les études incluses et exclues des méta-analyses

Les conclusions tirées de chaque méta-analyse dépendent de la qualité des études primaires et, ce qui est important, des critères pour leur inclusion et exclusion sur la base de ces qualités.

Les exemples précis donnés sont très inquiétants quant au respect de la rigueur (l'éthique ?) de la recherche.
Concernant les études incluses, les auteurs décrivent trois essais cliniques qui ont fait a preuve de la supériorité des TCC (en présentant une taille d'effet importante). Chacun de ces essais a impliqué un traitement de comparaison déficient. Dans le premier, 20h de TCC accompagnées de travail à domicile sont comparées avec 3h de soutien sans aucune structure. Dans le second, la TCC est comparée à un traitement dans lequel les patients sont exposés à des stimuli angoissants avant qu'ils n'aient acquis des outils leur permettant d'y faire face et qu'on leur ait dit comment les utiliser dans des situations provoquant l'angoisse. Dans le troisième essai, la TCC a été comparée à un traitement centré sur l'émotion qui était résolument différent des traitements psychodynamiques et n'était pas conçu pour traiter un trouble panique. Un quatrième essai n'avait pas été publié. Il produisait un effet considérable (d = 1,63). Malheureusement, l'auteur n'a pas fourni le rapport de l'essai aux auteurs de l'article.

Concernant les études exclues, l'une d'entre elles, publiée dans un des journaux de référence de la méta-analyse (thérapie centrée sur l'émotion) ne montrait aucune différence de résultat avec la TCC dans la dépression. Une autre étude a été oubliée alors que son auteur était l'un des rédacteurs de la méta-analyse. D'autres études pourraient être discutées de la même façon. À noter que les essais oubliés ne montraient pas de différence entre les TCC et les traitements de comparaison ...

Dans la discussion, Wampold et al., qui ont établi des recommandations pour les quatre problèmes développés, insistent sur le fait que l'hypothèse nulle ne devrait pas être rejetée à moins qu'il y ait une forte preuve en faveur de l'alternative. Ce n'est pas une formule de style. Le rejet de l'hypothèse nulle a des conséquences pour la science, la politique de santé et la pratique. En particulier, déclarer qu'un traitement est supérieur à un autre peut limiter l'accès des patients à d'autres traitements qui sont aussi efficaces et ont une probabilité de l'être. La prétendue supériorité de la TCC a conduit à des conclusions que la recherche sur d'autres traitements comme les traitements psychodynamiques devrait être abandonnée. Quand la TCC a déclaré qu'elle était supérieure aux autres traitements, sans spécifier précisément ce qu'est la TCC, l'opportunité de découvrir les facteurs qui sont à la source des bénéfices et la psychothérapie se trouve empêchée. Quand deux traitements TCC, qui n'ont aucun élément commun, produisent des bénéfices adéquats, on apprend peu sur ce qui rend un traitement TCC efficace. Enfin, déclarer qu'un traitement est supérieur conduit les responsables de la santé à croire qu'ils agissent dans l'intérêt supérieur des patients et de la santé mentale quand ils décident que ce sont les seuls traitements qui doivent être utilisés. De telles disséminations ont un coût et n'améliorent pas la qualité des services.

Qu'est-ce qui fait que la psychothérapie marche ? C'est la question la plus pressante" (Kazdin 2009). "La recherche nécessaire pour répondre à cette question est rarement faite, et de nouvelles approches sont nécessaires dans la conceptualisation et la conception de la recherche "(p 418)

Les proclamations de supériorité d'un type de traitement n'ont pas fourni la preuve qui est nécessaire et ont obscurci des questions importantes. Des changements d'orientation doivent se produire pour progresser

 

 

À l'issue de ce résumé, ce constat et l'appel qui l'accompagne, qui ont été rappelés solennellement à l'issue de Conférence européenne d'Oxford seront-ils entendus ?

Notes

1. La présentation d'Oxford est proche de celle de l' ISR 2017, Heidelberg qui peut être consultée sur youtube en cliquantici

2. Wampold, B. E. (2017). In pursuit of truth A critical examination of meta analyses of cognitive behavior therapy. Psychotherapy Research, 27(1), 14-32. résumé et références de l'article sur Pubmed et à partir de techniques-psychotherapiques

3. Mayo-Wilson, E., Dias, S., Mavranezouli, I., Kew, K., Clark, D. M., & Pilling, S. (2014). Psychological and pharmacological interventions for social anxiety disorder in adults: A systematic review and network meta-analysis. The Lancet Psychiatry, 1, 368–376.

4. Marcus, D. K., O’Connell, D., Norris, A. L., & Sawaqdeh, A. (2014). Is the dodo bird endangered in the 21st century? A meta-analysis of treatment comparison studies. Clinical Psychology Review, 34(7), 519–530.

5. Tolin, D. F. (2014). Beating a dead dodo bird: Looking at signal vs. noise in cognitive-behavioral therapy for anxiety disorders. Clinical Psychology: Science and Practice, 21(4), 351–362.


Dernière mise à jour : lundi 2 octobre 2017
Dr Jean-Michel Thurin