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Espace Cliniciens

A propos de la psychothérapie interpersonnelle (1)

Dr Jean-Michel Thurin. Psychiatre -psychanalyste
Expert chargé des psychothérapies psychodynamiques pour le rapport
Tel : 01 48 04 77 70 – mail : jmthurin@techniques-psychotherapiques.org

 

La psychothérapie interpersonnelle a beaucoup occupé les dernières réunions de l'expertise (octobre-décembre 2003). Sans doute beaucoup de ceux qui liront ce texte ignorent-ils qu'il existe une catégorie spécifique de psychothérapies rangées sous le titre de "psychothérapies interpersonnelles". A priori, comment une psychothérapie ne serait-elle pas interpersonnelle ? Il a été pour moi encore plus étonnant d'apprendre qu'il s'agissait de psychothérapies qu'il convenait de distinguer des psychothérapies psychanalytiques et que différentes méta-analyses, conduisant à des résultats favorables aux psychothérapies psychanalytiques devaient finalement être rejetées "en raison de leur incapacité à examiner les effets de la psychothérapie psychodynamique indépendamment de ceux de la psychothérapie interpersonnelle non psychochodynamique (IPT)"1 !

Passé le moment de stupéfaction, j'ai voulu creuser un peu la question et me suis référé à deux articles2,3 et un ouvrage4.

Le problème n'est pas simple ! Barkham et Hardy2 précisent en effet qu'il existe trois formes principales de psychothérapies structurées utilisées dans les recherches qui sont issue de théories interpersonnelles. Elles incluent la psychothérapie interpersonnelle (de Klerman) (IPT) et deux psychothérapies interpersonnelles psychodynamiques : la psychothérapie interpersonnelle psychodynamique (PDIPT, Hobson, Shapiro) et la psychothérapie psychodynamique brève (Malan, Luborsky, Strupp et Binder).

Ces trois psychothérapies se distinguent entre elles, et se distinguent chacune par rapport aux TCC . "L'IPT se distingue des deux autres formes de psychothérapie dans la mesure où elle se centre sur les relations actuelles plutôt que passées et sur le contexte social du patient plutôt que sur ses traits de personnalité qui ont leur origine dans des expériences précoces. Le trait distinctif des PDIPT est que les patients sont encouragés à se centrer sur les expériences dans l'ici et maintenant, particulièrement celles qui ont une implication émotionnelle et concernent des expériences relationnelles. Les PDIPT et les STPDT ont en commun d'intégrer des compréhensions psychodynamiques sur les origines précoces des expériences dépressives".
Cette distinction semble assez précise : les trois psychothérapies donnent une place importante aux relations actuelles, mais les psychothérapies psychodynamiques y associent une référence aux expériences précoces. Malheureusement la phrase suivante relance la perplexité : "In this chapter when refferring generally to these therapies we have used the term interpersonal therapy (IPT)". De trois, nous sommes revenus à une thérapie, celle de Klerman …

Notre perplexité ne peut que se renforcer au paragraphe suivant quand les auteurs entreprennent de comparer les psychothérapies interpersonnelles (PDIP) … avec les TCC. Et là, il s'agit d'une comparaison entre psychothérapie interpersonnelle psychodynamique et TCC. Nous reviendrons sur ce type de comparaison dans la suite. Notons simplement que dans les PDIP les thérapeutes sont plus attentifs à la façon dont les patients peuvent s'engager dans une voie susceptible d'interférer avec le processus de la psychothérapie. Qu'il existe une plus grande attention portée à la relation avec le thérapeute, aux patients et à la vie passée du patient, incluant l'enfance, et à la liaison des différents aspects de sa vie. Qu'ils sont moins portés sur les situations externes et le futur que le thérapeutes cognitivo-comportementalistes. Que les séances psychodynamiques sont caractérisées par une plus grande attention portée sur l'émotion que les séances cognitivo-comportementalistes.
D'autres différences sont signalées : moins d'intention de renforcer et d'encourager le changement et d'informer et plus d'intention concernant la prise de conscience des sentiments, l'insight et les problèmes concernant la relation thérapeute-patient dans la PDIP que dans la TCC.

Ces différences influent-elles sur les résultats ? Pas vraiment. Les études comparatives ont montré une efficacité des psychothérapies interpersonnelles apparemment équivalente quelque soit leur forme. Mais nous sommes ici dans des comparaisons indirectes. Ainsi, le deuxième projet de Sheffield de psychothérapie5 a comparé la thérapie psychodynamique-interpersonnelle (PDIPT) avec une TCC. Les réductions des symptômes dépressifs et les améliorations de l'estime de soi et du bien être général ont été substantiels et largement similaires qu'il s'agisse de PDIPT ou de TCC. Au suivi à 12 mois, l'amélioration était supérieure avec la TCC (2.06 vs 1.46) si la thérapie avait été limitée à 8 séances. En revanche, elle était bien supérieure avec la psychothérapie psychodynamique interpersonnelle - et supérieure à la précédente - si le nombre des séances avait été de 16 (2.53 vs 2.12).

Essayons d'aller plus loin. La psychothérapie interpersonnelle IPT (de Klerman) est décrite dans sa pratique par Markowitz comme un "coaching" pour la vie réelle (p 43). "L'IPT prend en considération ce qui se passe en dehors du cabinet dans l'ici et maintenant. Elle ne prend pas en compte les rêves, le transfert, le passé, même s'il a conduit à des changements dysfonctionnels dans les relations. Le thérapeute IPT est l'allié, le soutien (supporter) et l'entraîneur (coach), il fait preuve d'un optimisme et d'un réalisme qui contraste avec la vision dépressive du patient qui tend à lui faire mal tenir son rôle social et à interagir efficacement".
Cet ouvrage indique également que le patient est placé dans un rôle de malade "de façon à réduire sur lui la pression sociale". La situation de départ de la dépression (par exemple un conflit de couple qui menace le mariage) est formulée et introduit les objectifs "J'ai le sentiment que si vous pouvez comprendre et faire quelque chose pour résoudre votre rôle de conflit avec votre mari, vous n'aiderez pas seulement votre mariage mais soulagerez également votre dépression".

Je commence à comprendre. Cette thérapie s'adresse à une catégorie très particulière de patients et la dysthymie dont il est ici question n'a rien à voir avec celle que je rencontre dans les troubles graves de la personnalité, les addictions ou les pathologies psychosomatiques.

Nous retrouvons ici l'importance de la remarque de Matt6 : les regroupements entre études portent le risque d'une réduction conceptuelle qui conduit à placer sous un même terme des contenus psychopathologiques extrêmement différents. Au fond, la psychothérapie interpersonnelle de Klerman réactualise la notion de dépression réactionnelle dans sa forme la plus élémentaire (identification de l'élément déclenchant, cure de celui-ci qui produit en retour une amélioration de la pathologie dépendante). Elle s'adresse à des patients qui ont déjà identifié leurs problèmes. Elle fait intervenir fortement la suggestion et la direction du thérapeute. En revanche, comme le signalent Barkham et Hardy, la thérapie psychodynamique-interpersonnelle brève correspond mieux à des patients qui n'ont qu'une représentation imprécise de leurs problèmes, ce que va contribuer à permettre précisément cette psychothérapie à partir de la formulation du problème et l'insight. Elle va impliquer de leur part un engagement plus fort que pour la TCC.

Déclarer à partir de là que l'IPT traite "la" dépression conduit à se poser la question de la nature même de la dépression et celle de son éventuelle non-relation avec tout l'ensemble psychopathologique complexe au sein de laquelle je la rencontre. Mais alors, les cas que je suis ne correspondraient pas à véritable population clinique de psychiatrie. Avons-nous des éléments à ce niveau là ?

Soulignons les conclusions de Barkham et Hardy : nous avons maintenant besoin d'étude d'efficacité réelle (effectiveness studies) menées dans des conditions ordinaires de soin. Il est important également de ne pas se contenter d'une mesure unique comme la BDI (dont on sait qu'elle est taillée sur mesure pour les TCC), mais de mesures adaptées aux différentes théories. Un axe central pour la recherche future sera le processus de changement entre séances (en opposition à la focalisation sur la séance elle-même) et l'extension de la preuve à des configurations qui ne sont pas de recherche.

L'article de Blagys et Hilsenroth3 permet d'aller plus loin dans les définitions et les perspectives et sera présenté dans le prochain "arrêt sur image"

 

RÉFÉRENCES

1. Expertise collective Inserm Psychothérapie, p 381

2. BARKHAM M, HARDY G E. Counselling and interpersonal therapies for depression : towards securing an evidence-base. British Medical Bulletin 2001 ; 57:115-132

3. BLAGYS M D, HILSENROTH M J. Distinctive features of short-term psychodynamic-interpersonal psychotherapy : a review of tne comparative psychotherapy process literature. Clinical Psychology : science and practice, 7(2) 2000: 167-188.

4. MARKOWITZ J C. Interpersonal psychotherapy for dysthymic disorder. American Psychiatric Press, 1998, 184p

5. SHAPIRO D.A., BARKHAM M., REES A., HARDY G.E., REYNOLDS S. STARTUP M. Effects of treatment duration and severity of depression on the effectiveness of cognitive-behavioral and psychodynamic-interpersonal psychotherapy. J. Consult. Clin. Psychol. 1994 Vol 62, p : 522-534

6. MATT G E, NAVARRO A M. What meta-analyses have and have not taught us about psychotherapy effects: a review and future directions. Clin. Psychol. Rev., Vol 17, n°1, 1997: pp 1-32


Dernière mise à jour : 17/11/04
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