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Espace Cliniciens |
par Jean-Michel Thurin
Cette année, le terme "Vacances" aura surtout signifié pour moi travail et réflexion.
L'écriture d'une partie d'un livre*, dans lequel j'ai à présenter les différents modèles psychanalytiques, les processus thérapeutiques qui sont en jeu dans la cure des principaux troubles psychiatriques, et les résultats obtenus (quand ils ont été publiés) m'a placé devant deux constats.
- le premier est que si la psychanalyse dispose d'un corpus de publications
extrêmement développé, celles qui concernent l'approche
qu'il m'était demandé de traiter sont en nombre très réduit.
Constituer la base documentaire concernant les modèles associés
aux troubles fut déjà un exercice relativement compliqué
; réunir des textes pouvant servir de support à la présentation
de lignes directrices de pratique psychothérapique psychanalytique concernant
ces mêmes troubles a représenté une épreuve proche
de l'exploit.
Cette situation a éclairé pour moi le bilan de l'expertise collective
et a renforcé ma conviction qu'il y a vraiment du travail à faire
du côté des psychanalystes. D'un côté, la richesse
de la réflexion psychanalytique est évidente, comme sa proximité
avec la clinique. Relire Freud, Abraham, Mélanie Klein, Spitz …
est indiscutablement un plaisir et une mine pour penser la clinique (la vraie
clinique, pas celle des symptômes anecdotiques dissociés d'une
problématique globale). On ne peut être que désespéré
de constater que des approches ultra-réductionnistes puissent prétendre
faire jeu égal, voire remplacer ce qui constitue une "humanité".
D'un autre côté, il faut bien constater que la question de l'application
(et de l'évaluation de la portée pratique de la théorie)
n'a pas été explorée ou mise en valeur de façon
systématique !
Sans doute, cela n'a pas posé problème pendant toute une époque
durant laquelle la psychanalyse constituait LA référence ; mais
cela devient un défaut majeur aujourd'hui dans un contexte de pensée
qui s'est aussi considérablement modifié de façon générale.
La connaissance précise de l'objet, la preuve de son efficacité
à défaut de sa compréhension complète constituent
aujourd'hui une demande sociale permanente ; peut-être d'ailleurs plus
formelle que de fond. Je veux dire par là que la qualité de la
réponse, sa pertinence, sa cohérence est peut-être moins
importante que le fait qu'il y ait une réponse.
Au delà de cet aiguillon, ne sommes nous pas aujourd'hui à un moment où il devient indispensable - et possible - de réduire l'intervalle - pour ne pas dire le décalage - entre la théorie, la pratique et ses effets ? Et cela, en l'abordant précisément de façon pragmatique, en décrivant non pas une théorie générale, mais ce qui détermine notre action quotidiennement ? "La" théorie psychanalytique est en elle même multiple : théorie de la psyché, théorie du fonctionnement, théorie de l'étiologie, théorie du changement, théorie des interactions … ; théories aussi de X, Y, Z et tellement d'autres. Comment s'y retrouver ? Comment présenter cet ensemble immense ? Ne sommes-nous pas dans cette situation bien connue des informaticiens où un programme a accumulé tellement de strates qu'il devient absolument indescriptible pur quelqu'un d'extérieur? Et pourant, nous faisons avec. Cette complexité intégrée constitue un défi pour l'intelligence. Dans ce contexte, la généralisation a souvent été trop rapide. L'invocation d'une modalité thérapeutique isolée (par exemple, l'Insight ou l'interprétation) aurait une dimension explicative suffisante. N'est-il pas temps de lui substituer une autre attitude, plus interrogative, sur ce qui conditionne l'action thérapeutique ? Un retour sur les hypothèses implicites - concernant l'approche et les facteurs de changement (par exemple, parler permet de prendre conscience de ce qui est inconscient et donc de guérir (tout) puisque le symptôme est le produit actif de l'inconscient) - est nécessaire pour compléter la perspective qualitative inductive. Cette perspective n'est pas vraiment nouvelle, mais il est temps de la relancer en bénéficiant tout à la fois du développement actuel de la pratique psychanalytique dans le champ sanitaire, des avancées dans l'abord de la complexité**, et de l'importance actuelle accordée aux sciences de l'esprit et du cerveau.
Ne perdons pas de temps. Alors que nous entendons répéter que la psychanalyse est sur son déclin, une tendance se dessine dans certains articles actuels : celle d'une demi démission. Il s'agirait de dissocier la compréhension de l'action (la psychanalyse aide à comprendre la psychopathologie … que l'on traitera par d'autres moyens). Sans méconnaître, l'écart qu'il y a en psychiatrie entre la cause et l'expression d'un trouble, processus qui peut avoir abouti à toutes sortes de remaniements, les psychothérapies psychanalytiques n'ont-elles plus rien à apporter dans la pratique même du soin et le processus de guérison ? Ce n'est pas mon expérience clinique ni celle, il me semble, de beaucoup d'autres. L'expertise collective (c'est quand même son mérite) a permis de démontrer qu'il y a des approches et des stratégies individualisées qui permettent d'obtenir des résultats dans de très nombreux troubles à partir des psychothérapies psychanalytiques ! D'ailleurs, dans le travail que j'avais à faire, je n'ai finalement pas eu à déclarer "forfait" pour un ou plusieurs des principaux troubles. Mais cela n'a pas toujours été facile, et pour l'essentiel la théorie des processus de changement rapportés à des troubles particuliers reste à faire … reconnaissons-le.
- le second constat, part du fait que malgré la bibliothèque
assez considérable dont je dispose, je ne serais pas venu à bout
de ce défi sans la présence d'Internet.
Quelques réflexions à ce sujet. Il y a aujourd'hui sur Internet
du bon, du moins bon et aussi de l'excellent, qui peut d'ailleurs provenir de
sites individuels. Dès à présent, on peut affirmer que
le net est devenu l'outil de travail indispensable et qu'il ne peut que s'imposer
encore davantage dans l'avenir de façon cruciale. Pour celui qui se trouve
dans la situation où j'étais, l'objectif est évidemment
de trouver l'article qui correspond à une attente précise. Les
documents "généraux" sont de peu d'intérêt.
Une fois la perle repérée, il faut l'acquérir. Cela n'est
pas toujours simple. C'est même quelquefois impossible, malgré
toutes les ruses et les détours employés. J'ai été
ainsi amené à constater à quel point les politiques de
mise à disposition d'articles peuvent être différentes.
Cela ne sera pas sans effet sur le rayonnement d'un courant ou d'un autre. Leurs
représentants en ont-ils conscience ? Ainsi, par exemple, j'ai été
stupéfait (et déçu) de constater que la revue internationale
de psychanalyse est inaccessible librement (heureusement, certains auteurs mettent
directement en ligne une version pré-print de leurs articles !) ; j'ai
en revanche été vraiment heureux de découvrir et de pouvoir
télécharger les articles courts et pragmatiques du British J of
Psychiatry (exceptés ceux de l'année en cours) ou du BMJ, mais
aussi du JAPA (journal de l'association américaine de psychanalyse) et
quelques perles comme les articles de Em Farell .( http://human-nature.com/farrell/contents.html
) sur l'anorexie et la boulimie. Merci aux courageux qui ont scanné des
textes de référence de Freud, d'Abraham ou de Lacan (en regrettant
quand même qu'ils aient souvent oublié d'y joindre leur origine
précise). La bibliothèque d'Elsevier reste évidemment une
possibilité, mais il faut un code, comme pour les journaux de l'association
américaine de psychiatrie. L'accès public devient donc non seulement
une exigence sur le fond (car c'est vraiment de l'accès à la culture
dont il s'agit, dans un monde où les déplacements en bibliothèque
ne sont plus d'actualité), mais une véritable option stratégique.
Publier ne sert qu'à peu de choses si les articles sont inaccessibles.
Le message aujourd'hui serait : publiez d'abord dans les revues publiées
in extenso sur le Web ou à défaut pensez à publier sur
le Web le dernier draft, qui ne diffère que de 2 virgules, mais qui joue
un peu avec le copyright ! C'est comme cela que votre élaboration
a le plus de chance de servir à quelque chose. C'est là que vous
trouverez des interlocuteurs.
En terminant mon travail - bien incomplet dans sa version actuelle - j'ai eu
le sentiment d'avoir au moins réuni les prémisses d'un possible
ajustement entre la théorie et la pratique, pour chacun des troubles
que j'avais à traiter. A la limite, un tableau récapitulatif bien
fait pourrait constituer un appui non négligeable pour rendre opératoire
ce rapport.
Prémisses car, bien tentendu, le recensement réalisé n'est
sans doute pas exhaustif ! Et surtout, bien que toute cette écriture
se soit appuyée en permanence sur mon expérience clinique, il
reste à en vérifier maintenant à un niveau plus large qu'il
existe bien des typologies de situations cliniques qui appellent chez le clinicien
un modèle et une approche spécifiques qui peuvent être décrits.
L'étendue et l'intérêt de la démarche devraient inciter
d'autres cliniciens et théoriciens à s'y associer … C'est
ce que j'espère.
Cela sera une des orientations du site pour la nouvelle année de travail
qui s'ouvre.
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* Elkaïm M (sous la direction de). Comprendre et traiter la souffrance psychique à paraître aux Editions du Seuil. L'objet de cet ouvrage est de comparer les différentes approches psychiatriques et psychothérapeutiques. Il comprendra sept rubriques : 1) Troubles de l'enfance et de l'adolescence 2) troubles liés à une substance : alcool, drogues 3) Schizophrénie et autres troubles psychotiques 4) Troubles de l'humeur : dépression, maniaco dépression 5) troubles anxieux : panique, phobie, trouble obsessionnel compulsif, angoisse généralisée 6) dysfonctions sexuelles 7) troubles alimentaires : anorexie mentale et boulimie
** Cf. H Atlan, L van Bertalanffy, E. Morin, R Thom …
Remerciements à X. Briffault et aux autres membres du comité de rédaction pour leurs précieux commentaires.
Dernière mise à jour : 5/09/04
Dr Jean-Michel Thurin