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Handicap invisible / La question de la norme

samedi 18 mai 2019, par Anne D.

L’une des difficultés dans le vécu d’une maladie ou un handicap ’invisible’ est de toujours devoir se justifier de ne pas pouvoir être comme les autres, ne pas pouvoir faire certaines choses. Non par manque de volonté ou d’envie, mais par incapacité réelle. L’incrédulité, voire le soupçon, oblige à expliquer longuement une situation pénible - et donc indirectement à la revivre sans cesse même quand on veut l’oublier - au risque de susciter de la pitié - insupportable - ou un semblant de compréhension dont on sait qu’elle n’est trop souvent que de façade. D’où la tentation de s’inventer une autre vie, beaucoup plus valorisante, tellement remplie que je ne sais plus où donner de la tête, et qui explique largement l’état d’épuisement dans lequel je me trouve. Je joue donc à la ‘parisienne overbookée’, même si le planning de la journée se réduit à des rendez-vous médicaux entrecoupés de siestes et de séances sur le canapé à regarder la télé ou bouquiner, faute de pouvoir faire une autre activité... Difficile à assumer de voir son existence réduite à celle d’une retraitée grabataire alors que je suis censée être dans ’la force de l’âge’ ! Réputée dynamique et hyper active, comment expliquer le fossé entre cette image et la réalité beaucoup moins reluisante de mon quotidien ? Comment faire comprendre que des activités banales représentent un effort considérable pour moi et que satisfaire mes besoins fondamentaux étant déjà un challenge de tous les jours, il ne me reste plus d’énergie ni de temps pour autre chose ? Vis-à-vis des proches, au courant de la réalité de la situation - puisque la subissant eux-aussi de fait - comment gérer le besoin immense d’exprimer ses souffrances et ses frustrations sans faire fuir celles et ceux qui me côtoient régulièrement ? Quand une personne en bonne santé va mal ponctuellement, il semble légitime de se plaindre, de parler de ses douleurs, d’avoir envie d’être soutenue et il ne vient à l’idée de personne de lui dire qu’elle ennuie tout le monde avec ses problèmes. Quand une personne va mal en permanence, elle n’a souvent plus qu’à se taire, au risque sinon de se voir reprocher ses plaintes constantes, qui indisposent les autres, alors même que cette permanence de la souffrance rend la situation encore plus insupportable ! C’est la ’double peine’ de celles et ceux qui ont des maladies chroniques ou des handicaps : souffrir intérieurement et devoir le masquer car cela gêne celles et ceux qui sont en bonne santé. Comme s’il fallait surtout ne pas gâcher leur bien-être par son malheur. « Souffre en silence », « arrête de te plaindre »... autant d’injonctions, formulées ou muettes, qui contribuent à accentuer encore la culpabilité ressentie quand on a déjà l’impression de ne pas pouvoir donner tout ce qu’on voudrait à l’autre, faute de moyens. Et quand on doit en plus accepter son aide, cela créé une dette supplémentaire qui pèse lourdement sur le moral. La relation ne peut être qu’inégale, et donc insatisfaisante, voire humiliante parfois. Comme le souligne Céline Lefève, maître de conférences en philosophie de la médecine à l’université Paris-Diderot, « ce qui dénote la spécificité de la chronicité, c’est que, du fait de la répétition des catastrophes et de l’usure produite, le statut d’épreuve peut être oubliée du malade lui-même et de son entourage : la maladie finit par être prise pour une habitude, une seconde nature, le cours devenu normal de la vie. L’anormalité, l’exception, le scandale de la maladie s’effacent. La plus haute souffrance conduit paradoxalement à l’hébétude, à une sorte d’anesthésie psychique du malade et à la lassitude, la résignation, voire l’abandon de l’entourage qui ne prend plus de nouvelles. » (https://www.lemonde.fr/series-d-ete-2018/article/2018/08/19/celine-lefeve-la-maladie-chronique-revele-les-liens-affectifs-qui-nous-tiennent-en-vie_5343999_5325920).
Alors même que le lien est tellement vital, encore plus que pour toute autre individu ! L’inaptitude, le manque d’autonomie et l’incertitude face à l’avenir, tel est le cocktail explosif dévastateur sur l’estime et la confiance en soi d’individus. Déjà fragilisée dans mon image corporelle, je vois mon narcissisme encore un peu plus atteint par le sentiment d’être diminuée, inutile, voire d’être un vrai ’boulet’...

A lire :
Une Approche éthique des maladies rares génétiques de Marie-Hélène Boucand (Eres) https://www.editions-eres.com/ouvrage/4218/une-approche-ethique-des-maladies-rares-genetiques
Hors de moi de Claire Marin (Allia) https://www.editions-allia.com/fr/livre/396/hors-de-moi

TAGS : maladie chronique, handicap invisible, souffrance, image corporelle, confiance en soi