Sous l'égide de l'IPA (2000) : Une revue ouverte des études de résultat en psychanalyse

Rapport préparé par le comité recherche de l'IPA à la demande du Président

Translated from the original English language version with permission of the International Psychoanalytical Association. For details of how to purchase the printed, English language edition of An Open Door Review of Outcome Studies in Psychoanalysis please visit the IPA’s website http://www.ipa.org.uk or email: Publications@ipa.org.uk"

Traduit à partir de la version originale en langue anglaise avec l'autorisation de l'Association Internationale de Psychanalyse. Pour obtenir des détails sur les modalités d'achat de l'édition en langue anglaise de "An Open Door Review of Outcome Studies in Psychoanalysis" veuillez visiter le site Internet de l'API http://www.ipa.org.uk ou adresser un email à : Publications@ipa.org.uk

"

2ème partie : arrière plan épistémologique et méthodologique

Section B : Réflexions sur les problèmes de recherche psychanalytique - une perspective anglo-saxonne.

(P. Fonagy : traduction Jean-Michel Thurin, Monique Thurin, Michael Villamaux et Brigitte Lapeyronnie ©)

Avant-propos

Contrairement à la contribution francophone, cette perspective alternative, rédigée par Peter Fonagy, n’est pas présentée sur la base d’un échantillon significatif de points de vue de collègues psychanalystes dans les pays anglophones. Cela ne tient pas à un manque d’occasion et ne reflète certainement pas une absence d'intérêt. La raison pour laquelle les perspectives présentées ici sont seulement celles de l’auteur tient plutôt à ce qu’actuellement le message radical proposé à la psychanalyse n'est clairement tenu que par une petite minorité de psychanalystes, ou en tout cas c’est ce que croit l e présent auteur (Schachter & Luborsky, 1998). Il n’est pas impossible qu’il y ait du changement dans l’air. Les nouvelles générations de psychanalystes qui ont reçu leur formation professionnelle depuis la révolution des sciences biologiques et cognitives dans les années 1970 et 1980 sont probablement encore moins disposés à reléguer les principes généraux et les compréhensions spécifiques que ces disciplines aux avancées rapides leur ont apporté. Tristement, comme pour Freud, pour beaucoup des psychanalystes formés initialement dans les années 50 et 60, il n’y avait pas de véritable corpus de connaissance traitant réellement des problèmes de fonctionnement mental - autre que la psychanalyse.

La situation dans laquelle la psychanalyse a à exister aujourd’hui a radicalement changé par rapport aux conditions qui prévalaient il y a 30 ou 40 ans. Il y a deux aspects majeurs à ce changement : (a) il y a eu des avancées majeures dans les sciences fondamentales sous-tendant le travail clinique dans le champ de la santé mentale ; (b) il y a eu un rapide développement d’approches relativement « efficaces » dans le traitement de beaucoup des troubles mentaux qui auparavant étaient le domaine unique des psychanalystes cliniciens. Derrière la première catégorie, on pourrait discerner la révolution biologique, particulièrement notre compréhension accrue de la fonction cérébrale et derrière la seconde la révolution cognitive en psychologie.

Ce résumé est divisé en trois parties. La première examinera les problèmes épistémologiques actuels de la psychanalyse y compris quelques indices préoccupants d’une fragmentation dans notre discipline. La seconde considèrera une approche épistémologique alternative, qui, si elle est adoptée, pourrait finalement changer radicalement le statut de la psychanalyse comme discipline. La troisième partie considèrera quelques uns des problèmes philosophiques et des difficultés qui entravent les études d’efficacité de la psychanalyse. Nous conclurons que les études d’efficacité sont nécessaires - mais elles constituent la bonne réponse à une mauvaise question et de la sorte elles ne donneront pas entièrement des résultats satisfaisants.

Les problèmes épistémologiques actuels de la psychanalyse.
Crise ! Quelle crise ?

Nous nous sommes presque habitués à nous faire du souci sur le futur de la psychanalyse. La plupart du temps, quand nous nous interrogeons sur le futur de notre discipline, nous avons tendance à nous focaliser sur le manque de patients, le manque de candidats psychanalystes appropriés, les critiques persistantes et de mieux en mieux reçues concernant la théorie et la pratique psychanalytiques, et le renforcement d’approches thérapeutiques alternatives (particulièrement la psychiatrie biologique et la thérapie cognitivo-comportementale). Plus inquiétante encore est peut-être l’éclosion d’approches psychothérapiques d’orientation plus ou moins psychanalytique, qui envahissent insidieusement notre pratique. Ce sur quoi j’aimerais insister est bien pire que chacun de ces éléments, et peut même être responsable de quelques uns de nos autres problèmes - le corpus de connaissances sur lequel repose la psychanalyse.

La fragmentation de la base de connaissance psychanalytique

L’étude de l’Index de Citation

Mes collègues et moi avons examiné le Social Science Citation Index (Fonagy, 1996). Nous étions curieux d’explorer selon quelle fréquence l’article moyen de l’International Journal of Psychoanalysis et le Journal of the American Psychoanalytic Association étaient cités dans d’autres journaux majeurs (médicaux ou non-médicaux). D’un bout à l’autre, le nombre des citations est en déclin, même en tenant compte de la tendance qu'ont les articles les plus récents à être cités moins fréquemment dans l'ensemble de l’index de citation. Cela signifie que l’mipact scientifique de la psychanalyse sur les autres disciplines est peut être sur le déclin. Cette tendance est même plus claire quand nous regardons le nombre de citations attendu de tous les articles sélectionnés de la première partie de l’International Journal durant la dernière décennie. A quoi est dû ce manque apparent d’intérêt ? Est-ce que les non-analystes (ceux qui publient dans des journaux psychiatriques ou littéraires) sont moins intéressés par ce que nous écrivons ? Quand nous avons examiné ces journaux, la tendance indiquant un intérêt décroissant a disparu. Certes les taux de base ne sont pas très élevés mais ils ont pratiquement toujours été les mêmes. Des résultats surprenants ont surgi quand nous avons examiné le nombre de fois qu’un article paru dans l’International Journal pouvait être cité dans des journaux psychanalytiques. Il semble que c’est là que se situe le déclin d’intérêt pour la psychanalyse. Pour les autres psychanalystes !

Qu’est-ce que cela implique ? Si on en croit ces observations, cela implique clairement que nous ne faisons plus suffisamment attention aux publications des autres pour avoir envie de les citer dans nos publications. Nous ne sommes plus en train d’accumuler de la connaissance - mais plutôt (pour exagérer quelque peu ce point) nous sommes tous en train de développer la discipline dans nos propres directions, qui s’appuient sans aucun doute sur les classiques, en ignorant en général de plus en plus les contributions contemporaines.

Il y a des tendances statistiques et je suis sûr qu’elles pourraient être interprétées de différentes façons. Il est probable que la psychanalyse n'est pas la seule discipline manifestant cette tendance et que, au moment où nous avons précisé nos interprétations sur le fait que des articles récents semblaient être moins souvent cités, il est possible que différentes disciplines y compris la psychanalyse aient été caractérisées par la même tendance. Il est possible que le déclin soit spécifique à l’IJPA et au JAPA et qu’il soit en fait un artefact de l’émergence et de l’influence croissante de nouveaux journaux durant la période pendant laquelle l’étude a eu lieu. Dans ce cas, la tendance au déclin exprimerait essentiellement le déclin du marché des « journaux classiques ». Le Dr Stephan Ellman (communication personnelle) a mentionné une étude similaire entreprise par ses collègues et lui dans le champ des neurosciences où une tendance au déclin très semblable a été observée. Cependant, la réduction absolue en citations reste une observation importante, même si elle suggère qu’une cause de la fragmentation puisse être la grande multiplication de canaux de publication. Par contre, cela peut être que ce phénomène est spécifique des journaux de langue anglaise et qu’un effet similaire ne pourrait être démontré dans la littérature espagnole, française ou allemande. De façon plus contrariante, cela pourrait être que les articles plus récents sont véritablement de moins bonne qualité ; cela pourrait être que les gens, tout simplement ne lisent pas les journaux. Des études conduites par l’Association Américaine de psychologie ont montré que la plupart des psychologues en pratique clinique lisent moins d’un nouvel article par an. Je crains que l’explication la plus probable soit que ce phénomène signale le problème épistémologique majeur d’une fragmentation conceptuelle et de la perte d’un paradigme organisateur.

Implications et causes possibles

Il semble à peu près évident que de moins en moins de publications anglaises ont suffisamment de succès pour mériter d’être citées. Les conséquences sont claires. Nous avons jusqu’à présent rencontré des difficultés pour communiquer entre professionnels (e.g. Wallerstein, 1992), mais ces difficultés sont négligeables, comparées aux problèmes auxquels nous risquons de nous trouver confrontés dans les années à venir. On pourrait rétorquer que les écoles psychanalytiques les plus importantes apparues durant les 50 dernières années du 20ème siècle et qui ont organisé notre discipline, sont battues en brèche. Les psychologues du Moi ne sont plus des psychologues du Moi, les Winnicottiens ne sont plus uniquement des Winnicottiens, les psychologues du Soi sont dispersés, les Kleiniens-Bioniens ont de moins en moins en commun avec ces deux géants de notre discipline, les Anna Freudiens ne constituaient probablement qu'un improbable groupement même du temps d’Anna Freud, et les inter-personnels n’ont jamais eu un thème commun hormis les citations de Harry Stack-Sullivan. De ce point de vue, le livre de Victoria Hamilton The Analyst’s preconscious, qui explore en profondeur la structure conceptuelle des théories de plus de 80 éminents praticiens analystes, est d’une lecture qui donne à réfléchir (Hamilton, 1996).

Cette fragmentation et cette absence confuse d’hypothèses partagées est ce qui mène selon moi à une inévitable disparition de la psychanalyse, bien plus que n’importe quel autre défi externe auquel nous sommes confrontés. En l’absence d’un langage commun, nous sommes obligés d’occuper un espace intellectuel de plus en plus restreint. Cette fragmentation croissante de la base des connaissances psychanalytiques est après tout une caractéristique de la psychanalyse depuis ses débuts. Au final, nous devons protéger avec acharnement notre territoire psychanalytique. Ainsi, quelle est la cause de cette tendance à l’entropie théorique de la psychanalyse ? Roger Perron, dans son analyse incisive et érudite de l’épistémologie (dans cet ouvrage) attire l’attention sur ce point lors de la discussion sur les avantages et les inconvénients d’une approche clinique psychanalytique. Il identifie le manque de puissance du critère fonctionnaliste (si un modèle est suffisamment utile à un nombre significatif de cliniciens) comme un inconvénient significatif de l’approche de la recherche en clinique. Je suis d’accord avec l’analyse de Perron et je suggérerais qu’un examen plus minutieux de ce problème soit mis en oeuvre.

Le statut logique de la théorie dans la pratique

Arguments de l’induction versus la déduction dans la construction de la théorie clinique

Le problème de la théorie clinique, rapporté à la pratique clinique de la psychanalyse est principalement un problème philosophique, habituellement considéré en philosophie des sciences sous le terme de méthodologie. La sujet de la méthodologie est défini en opposition à celui de logique (Papineau, 1995). Alors que la logique est la description formelle d’un raisonnement déductif valide, la méthodologie couvre tout le raisonnement que nous entreprenons qui tend à conduire à un raisonnement déductif. En faisant des jugements cliniques et en prenant des décisions, nous utilisons des arguments qui peuvent nous donner de bonnes raisons de croire à certaines conclusions mais elles n’obligent pas à accepter la façon dont les arguments déductifs l’ont été.

Tous les cliniciens psychanalystes travaillent avec des inférences déductives et ainsi, par définition, font de la recherche clinique. Dans le travail psychanalytique, nous sommes confrontés à un lot fini d’observations, basé sur des évaluations formelles et informelles, ainsi que sur l’évolution du processus de traitement. A partir d’un tel exemple, le psychanalyste tire ensuite des conclusions sur la façon dont le patient se comporte etdes élaborations sur les raisons de son comportement. En pratique, l’induction n’est pas simplement constituée de l’accumulation d’observations anciennes à propos d’un individu particulier, mais de formulations de cas anétieurs réalisées par d’autres psychanalystes dans ce qu’il est convenu d’appeler des « théories cliniques » (Klein, 1976). Nous considérons que les théories se prêtent à soutenir des observations inductives parce que nous présumons que les théories impliquent que le nombre des observations sur lesquelles se fonde une inférence déductive est tout à fait considérable et cela donne du poids aux conclusions. En faisant ainsi, toutefois, nous générons simplement des arguments inductifs pour l’induction. Nous maintenons simplement que des arguments inductifs sont acceptables cliniquement parce qu’ils marchent. Même si nos prémices ne garantissent pas logiquement nos conclusions, ils s'avèrent normalement être vrais de toute façon. Soutenir que les inductions sont généralement acceptables parce que notre expérience a montré qu'elles marchaient est, évidemment, un argument inductif. Même si nos observations habituelles ont tenu bon jusque là, qu’est-ce qui garantit qu’elles continueront à le faire ? Comme Bertrand Russel (Russel, 1997) l’a soutenu, cela n'aide guère d'observer que les futurs passés se sont conformés aux passés passés. Ce que nous voulons savoir, c’est si les futurs futurs se conformeront aux futurs passés. Les arguments de co-occurrence passée ont peu de valeur prédictive (c’est simplement rhétorique, cela ne prouve rien).

Ainsi, implicitement, les psychanalystes ont donné aux "théories cliniques" un statut de loi et ont revendiqué l’explication du comportement des patients selon le Covering-Role Model de Carl Hempel (1965) : Etant donné que certaines conditions initiales sont satisfaites et couvertes par une loi spécifique qui spécifie également les événements qui en seront la conséquence, on vaz considérer qu'un événement précis apparaissant sous les conditions initiales est expliqué par la loi. Parce que la déduction est faite à partir d’une loi, ces explications sont appelées déductivo-nomologiques. Ce procédé a toutes les apparences d’un raisonnement déductif. Mais de telles explications ne nous sauvent pas du problème de l’induction, à partir du moment où "les lois" ont été, en réalité, induites par d’anciennes observations de résultats. Concrètement, de nombreuses lois cliniques sont, dans bien des cas, seulement probabilistes (Ruben, 1993), aussi ne permettent-elles que des explications sur la base de statistiques inductives plutôt que déductivo-nomologiques. Bien que nous sachions que les mauvais traitements sur des enfants peuvent provoquer des dysfonctionnements comportementaux, cela ne veut pas dire que cela sera inévitablement le cas (e.g. Anthony & Cohler, 1987). Le Covering-Role Model a, ainsi, des limites philosophiques cruciales et dont l’impact est bien illustré dans l’histoire des théories de la pratique clinique psychanalytique.

Le point central ici, c'est que la fonction clé de la théorie pour les praticiens est d’expliquer les phénomènes cliniques. En d’autres termes, c’est plus un système heuristique qu’un outil pour permettre une véritable déduction. Cette approche, par ailleurs très importante du point de vue de la pratique clinique quotidienne, est d’une valeur limitée pour la construction et l’élaboration d’une théorie. La valeur des théories basées sur la recherche clinique se situe dans son rapport au travail clinique. Si faiblesse il y a, il faut la rechercher, dans la confiance considérable qui est faite en l’induction et donc aussi dans l’échec dramatique de ces théories pour faciliter la construction d’une base de connaissance, cohérente, intégrée et solide, laquelle devrait systématiquement évoluer et définir l’approche psychanalytique. Trois conditions devraient être réunies afin que la recherche clinique soit un socle méthodologique adéquat pour construire la théorie psychanalytique. Il serait nécessaire (a) d’avoir un lien logique étroit entre la théorie et la pratique. (b) d'utiliser un raisonnement déductif approprié en relation au matériel clinique et (c) d’utiliser des termes non ambigus. La première de ces trois conditions est une pré-condition essentielle pour nous permettre d’accepter que la théorie n’est pas issue de la technique. Afin d’être assuré qu’il n’y a pas de confusion possible entre la technique et la théorie, nous devons être capable de montrer que la technique est une conséquence de la théorie. Ce qui signifie, que la technique a une relation spécifique et connue avec la théorie et aussi que la contamination des observations par la technique, même s’il n’est pas possible de la réduire, doit pouvoir au moins être spécifiée. La deuxième condition, qui concerne le raisonnement déductif, devrait être satisfaite si nous pouvons montrer que les observations peuvent nous permettre de confirmer ou d’infirmer les prémisses théoriques. La troisième condition est en rapport avec la possibilité de classer sérieusement les observations. Je vais essayer dans les chapitres suivant de démontrer qu’aucune des recherches menées actuellement n’utilise ces trois critères.

La pratique n’est pas entraînée par la théorie

Une des principales causes de l’insuccès de la recherche clinique est que, alors que nous pourrions espérer que cela soit autrement, en réalité la pratique psychanalytique n’est pas déductible logiquement de la théorie clinique psychanalytique. Alors qu'il s'agit de prémices radicales, et même de prémices que je crois partiellement vraies, elles ne sont n’est ni nouvelles (e.g. Berger, 1985 ; Fonagy, 1999), ni sans grande confirmation de la littérature psychanalytique. Il y a des arguments puissants qui soutiennent l’idée générale que la pratique psychanalytique n’a pas de relation logique à la théorie. Nous pouvons simplement en mentionner six :

a) La technique psychanalytique s’est constituée largement sur la base de l’essai - erreur, plutôt qu’elle a été conduite par une théorie. Freud (1912) le reconnut volontiers quand il écrivit : « Les règles techniques que je mets en avant sont issues de ma propre expérience qui s’est constituée au cours de nombreuses années, après que des résultats malheureux m’aient conduit à abandonner d’autres méthodes " (p 111)

b) Il est impossible de réaliser une quelconque relation réciproque entre la technique thérapeutique psychanalytique et quelque cadre théorique majeur que ce soit. Il est facile d’illustrer comment la même théorie peut générer différentes techniques, de la même façon que la même technique peut être justifiée par différentes théories. Par exemple, Gedo (1979) établit que : “les principes de la pratique psychanalytique ... [sont] basés sur des déductions rationnelles issues de notre conception la plus courante du fonctionnement psychique“ (p 16). Son livre prétend que les résultats défavorables des problèmes de développement peuvent être inversés “uniquement en faisant état avec ces résultats de toutes les vicissitudes antérieures du développement qui ont donné lieu ultérieurement à une désadaptation“ (p 21). Cependant, ce qui sonne comme une déduction, s’avère être une hypothèse après un examen plus précis. C’est une chose d’envisager et une autre très différente de démontrer qu’en thérapie les vicissitudes du développement demandent à être traitées de façon séquentielle. Beaucoup ont eu recours avec force à l'usage de la métaphore du développement (Mayes & Spence, 1994) et, sans aller jusqu’à l’orientation d'une psychologie du moi à laquelle Gedo appartient, le soutien de cette forte assertion est limité (Kohut, 1984, pp 42-46). Par contre, il est également frappant qu’en utilisant différentes approches théoriques on puisse arriver à des approches thérapeutiques tout à fait similaires (Wallerstein, 1989).

c) Le fait que nous ne sommes pas d’accord à propos de la façon dont le psychanalyste travaille suggère également que la pratique n’est pas logiquement occasionnée par la théorie. La nature de l’action thérapeutique de la psychanalyse est un thème invétéré pour les conférences de psychanalystes - qui a peut être commencé à la conférence IPA de Marienbad (Panel, 1937). Depuis cette période, à peu près tous les dix ans, il y a eu un congrès majeur sur ce thème soit à l’Association Américaine, soit à l’Association Psychanalytique Internationale et probablement une dans l’intervalle dans chacune des principales organisations. Si la pratique était logiquement contenue dans la théorie, nous aurions indubitablement une explication théorique claire de l’action thérapeutique.

d) La théorie et la pratique ont progressé à des niveaux différents, très modérés pour la pratique, comparativement aux grandes avancées de la théorie. Il est assez réaliste d’envisager le compte-rendu de l’ensemble des avancées techniques majeures en un seul volume (e.g. Clarkin, Kernberg, & Yeomans, 1999 ; Greenson, 1967 ; Kernberg, Selzer, Koenigsberg, Carr, & Appelbaum, 1989 ; Luborsky, 1984). Néanmoins, aucune personne ne peut espérer fournir, seule, un compte-rendu encyclopédique et intégré qui resterait fidèle aux énormes développements théoriques de ces 100 dernières années. La différence de niveau de progrès entre la théorie et la pratique est incroyable et sera difficile à comprendre si ce n’est en terme d’indépendance relative entre ces deux activités.

e) La théorie psychanalytique ne traite pas pour une large part de technique. A peine, un seul volume des 23 qu’écrivit Freud est consacré à la technique. Aussi, de quoi parle la théorie psychanalytique si elle ne parle pas de technique ? Elle était voulue comme et reste l’élaboration d’un modèle psychologique, lequel pourrait être appliqué à la compréhension des désordres mentaux et par extension, à d’autres aspects des comportements humains - la littérature, les arts, l’histoire, etc.

f) Le rôle de la théorie dans la pratique fait ressortir la nature inductive de la recherche clinique. La valeur de la théorie pour les psychanalystes est qu’elle permet l’élaboration de la signification des comportements en termes de stades mentaux. Aussi, il ne peut y avoir de questions sur la valeur de la théorie, cependant, elle est intrinsèquement contaminée par la pratique. Celle-ci est dirigée par ce qui est concrètement utile pour pratiquer, plutôt que par ce qui est vrai à propos du fonctionnement psychique. Aussi, le critère majeur pour mesurer la validité des découvertes en recherche clinique est-il contaminé par un ensemble de considérations sans soucis d’exactitude. Il est certain qu’en principe une théorie peut-être vraie mais avec peu de valeur pratique (e.g. les théorèmes mathématiques) ou fausse mais avec une grande pertinence pratique (e.g. la religion, la politique etc.). Le manque de lien entre la technique et la théorie pèse lourdement sur la recherche clinique. La théorie sert à justifier la pratique par l’utilisation d’analogies et de métaphores et nous devons en permanence garder à l’esprit que, ce que nous pratiquons est le produit d’une accumulation d’expérience clinique et ce que nous théorisons peut être un apport utile à notre pratique clinique - mais que cela ne peut être une justification épistémologique.

Les problèmes du raisonnement inductif expliquent la surabondance de théorisation

Le travail clinique et les observations cliniques constituent les principales sources de la construction de la théorie en psychanalyse. Il n’y a pas débat sur le fait que les traitements psychanalytiques produisent une perspective unique sur le comportement humain et qu’ainsi les théories psychanalytiques sont riches et imaginatives dans dans leur façon de rendre compte du développement, de la clinique et de leur application. La limitation qui s’impose est en partie logique et en partie psychologique. La stratégie épistémologique des cliniciens est, comme nous l’avons vu, nécessairement inductive. Ils sont prédisposés à trouver des configurations de l’interaction thérapeutique qu’ils peuvent expliquer en utilisant les constructions théoriques existantes. En observant le matériel clinique, les psychanalystes optent pour un raisonnement inductif en faveur d’un repérage d’exemples où ce qui précède n’est pas suivi par une conséquence. La stratégie épistémologique dominante, contenue dans le compte rendu de cas clinique, est devenue un inductivisme énumératif (quelquefois l’énumération exhaustive d’exemples correspondant aux prémisses).

D’un point de vue clinique, il s’agit d’une stratégie appropriée. Pour énumérer des exemples de l’influence d’une configuration inconsciente, ce n’est pas seulement un complément utile des interprétations (« chaque jour vous ressentez les choses ainsi, et vous faites de telle façon, et ainsi de suite »), mais aussi une aide pour le psychanalyste à se sentir sur un terrain plus ferme en travaillant de façon créative à élaborer une représentation du monde interne du patient.

Mais, en rappelant une fois de plus l’esprit de Bertrand Russel, cela ne suffit pas à montrer que des passés anciens se conforment à des futurs passés ; qu’une association qui a déjà été observée est un exemple de plus d’une famille connue d’associations. Ce que l’esprit du clinicien a le plus de mal à aborder, c’est l’identification d’exemples négatifs - quand A n’est pas suivi par B - qui peut le conduire à se questionner les prémices suivant lesquels A est toujours suivi par B.

Les psychanalystes ne sont pas seuls avec ce problème. Tout le raisonnement humain est imparfait dans cette optique (Johnson-Laird & Byrne, 1993 ; Watson & Johnson-Laird, 1972). Même quand on nous le demande spécifiquement, nous sommes peu enclins à reconnaître la pertinence de la non observation de B suivant A quand nous évaluons les prémices que A suit toujours B. Nous n’observons pas non plus, ni utilisons dans la construction de la théorie psychanalytique, les différents exemples où la réaction du patient n’est pas celle que nous pourrions attendre sur la base de prémices spécifiques.

Pour prendre un exemple délibérément simpliste, des signes de colère inconsciente avec un objet investi de façon ambivalente sont couramment identifiés dans des cas de dépression (Freud, 1915). Mais qu’en est-il des cas où la colère tournée vers l’intérieur n’apparaît pas conduire à la dépression ? Si de tels cas étaient traités avec autant d'attention que ceux où les prémices se retrouvent clairement, le développement de la théorie sur la dépression pourrait juste être plus rigoureux. Demander à des cliniciens d’être attentifs à de tels exemples négatifs me semble, cependant, leur demander quelque chose de profondément contre thérapeutique et être spécifique d’une situation clinique où les buts de la thérapeutique et de la recherche ne peuvent pas être plus longtemps poursuivis à égale mesure. La limitation du raisonnement humain identifiée par Wason, Johnson-Laird et leurs collègues peut être une limitation centrale à la méthodologie de la recherche clinique.

Le polymorphismes délibéré des concepts psychanalytiques

Comme le matériel clinique est utilisé de façon limitée par des théoriciens qui sont eux-mêmes cliniciens, de nouvelles théories tendent à se développer et à être facilement confirmées. Malheureusement, ce processus tend à se produire sans qu’il y ait une référence systématique aux élaborations précédentes, comme “supplément“ à la théorie initiale. Aussi, les nouvelles idées chevauchent-elles, plutôt qu'elles ne remplacent les formulations initiales (Sandler, 1983). Cela donne très rapidement lieu à des formulations partiellement incompatibles, lesquelles doivent, néanmoins, être confrontées. Un seul exemple, Freud, en passant d’une topographie à un modèle structural, a complètement reconfiguré la nature et le rôle de l’objet. Comme, les psychanalystes parlaient encore avec leur patient de questions en rapport avec le modèle topographique (e.g. les rêves, les fixations pulsionnelles) en voulant au même moment aborder des questions d’adaptation et de liens (utilisant les idées issues du modèle structural), ils ont été obligés d’élargir la définition de la notion d’objet.

Cette stratégie a été énormément utilisée pour traiter la plupart des cas où plusieurs champs de référence partiellement incompatibles ou partiellement applicables avaient besoin d’être utilisés point par point (Sandler, 1983). Je dois le répéter, cela n'est ni inhabituel, ni répréhensible. C’est le chemin trouvé, pour donner du sens, par le langage humain et en fait, par tous les systèmes conceptuels humains, qui ont à traiter la complexité des phénomènes pour lesquels nous recherchons une signification. Rosch (1978), sur la base du travail de Wittgenstein (1969), a appelé de tels concepts “vagues, mal affutés“ (fuzzy-edged), des concepts polymorphes. Ils ne peuvent être définis par des traits distincts (un ensemble de traits nécessaires et suffisants), mais plutôt par des exemplaires identifiés d’une catégorie en terme de niveaux requis de similarité avec un prototype. Ainsi, “Chaise“ représente telle catégorie hétérogène qui ne peut être définie par chacune des fonctions qui s’y rattachent : leur structure, leurs propriétés constitutives, leur forme etc. Par exemple, qu’est ce qu’ont en commun un strapontin et un siège d’avion, lesquels diffèrent du siège d’un arrêt de bus ? De nombreuses personnes identifieraient les deux premiers objets comme des chaises mais plus rarement le troisième. Le problème du langage psychanalytique n'est pas, par essence, plus difficile que les problèmes de langage rencontrés dans la vie quotidienne.

Ce qui est décevant, c’est que les psychanalystes tendent à accepter que l’argument, selon lequel la complexité rend impossible toute définition sans équivoque, soit une bonne raison pour tenter rarement d’opérationnaliser et pour fréquemment choisir l’ambiguïté. Ici, je voudrais dire mon désaccord avec Roger Perron, qui dénie la possibilité d’élaborer des définitions sans équivoque pour nos concepts. Il ne fait plus de doute que tant que le même terme peut être utilisé avec des sens scientifiques très différents, la tendance à la fragmentation sera renforcée, d’autant que l’utilisation d’un même terme dans des contextes vraiment différents rend impossible l’explication de différences importantes entre approches théoriques. Nous devons aller au-delà de la recherche clinique, si nous voulons dépasser le problème des sens multiples.

Un nouveau cadre épistémologique pour la psychanalyse
La perspective historique

La psychanalyse s’est développée de façon quelque peu différente dans la plupart des pays où elle a été pratiquée. Selon le contexte culturel particulier, elle s’est intégrée à un degré plus ou moins grand aux services institutionnels de santé mentale tels que la psychiatrie, la psychologie, le travail social, etc. Dans certains pays, comme l’Angleterre, l’intégration entre la psychanalyse et l’organisation de santé mentale a été minimale. Dans d’autres, tels que la Scandinavie, l’Allemagne ou le Canada, l’intégration à la psychiatrie a été large, avec des fonds d’état pour le traitement médical psychanalytique et même, dans quelques cas, un soutien financier pour la formation. Aux Etats Unis, les compagnies d’assurance se sont impliquées financièrement jusqu’il y a relativement peu de temps.

Une généralisation relativement honnête des tendances historiques internationales pourrait être que dans les pays où de hauts niveaux d’intégration entre les services de santé mentale ont été établis, la psychanalyse s'est développée plus vite, est restée sous domination médicale, a développé des corps professionnels politiquement puissants, mais s'est définie elle-même par rapport aux autres branches de la médecine. En revanche, dans les pays où la psychanalyse a été rejetée par les responsables des professions de santé mentale (en particulier la psychiatrie), la psychanalyse est restée une profession plus petite, plus tournée vers l’intérieur, probablement plus créative, avec une plus grande influence sur les non-professionnels de la santé mentale. Sur le fond, bien que l’identité et l’épistémologie psychanalytique existent dans les deux groupes, elle est plus puissamment établie comme indépendante et non reliée aux objectifs de la santé mentale dans le second groupe, tandis qu'elle est liée plus subtilement et de façon complexe à la philosophie environnant la santé mentale dans le premier.

Ces différences ont été presque imperceptibles jusqu'aux changements dans la santé mentale qui ont eu des effets très différents, et pourtant profonds, sur les deux types de groupes psychanalytiques. L’accent sera mis ici sur les sociétés qui sont très intégrées aux prestations des services de santé mentale, car ce sont les groupes les plus affectés par la pression sollicitant une information sur les résultats.

D’abord, nous reprendrons les développements majeurs qui ont été les enjeux de la psychanalyse dans le champ de la santé mentale au cours du dernier demi-siècle et ensuite nous proposerons de reprendre la relation entre la connaissance psychanalytique et une investigation des autres champs de la santé mentale.

L'isolationnisme de la psychanalyse

Les psychanalystes ont essayé, au cours de ces 50 dernières années, de définir leur champ indépendamment de deux branches majeures de l’activité scientifique qui appartiennent à leur domaine : (a) la neurobiologie et (b) la psychologie. Nous allons explorer ces deux domaines :

Psychanalyse et neurobiologie

Les premières objections

Sauf exceptions, les psychanalystes depuis Freud n’ont jamais reconnu la pertinence de la neurobiologie pour les idées psychanalytiques. L’obligation de soigner les patients, associée à l’inadéquation des neurosciences, ont conduit la science psychanalytique à être essentiellement une forme de psychologie finalement uniquement préoccupée à ce que les traitements psychologiques soient prescrits de la façon la plus systématique et organisée possible.
Le rejet de la biologie n’était pas arbitraire mais raisonné - pas politique mais conceptuel. Ce qui suit pourrait en être les raisons :

(a) Les psychanalystes ont été fortement influencés par l’échec de Freud à créer une neurobiologie psychanalytique (Freud, 1895) et ont opté pour un modèle purement mental, basé sur la verbalisation de l'expérience interne.

(b) Dans les année 40 et 50, la neurobiologie était dominée par la "mass action theory" (Lashley, 1923 ; 1929), laquelle soutenait, que le cortex était en grande partie indivisible d’un point de vue fonctionnel et qu'il n’était pas approprié d’étudier les comportements du point de vue du cerveau.

(c) Les "neuroscientistes" n’étaient pas concernés, pour une grande part d’entre eux, par les problèmes de santé mentale, ils concentraient leur centre d’intérêt sur le fonctionnement cognitif plutôt que sur la régulation des affects.

(d) La psychanalyse s'est développée en opposition radicale à l’opinion dominante selon laquelle les désordres mentaux seraient le résultat d’une vulnérabilité constitutionnelle de l’individu, à laquelle on ne pourrait pas remédier par la manipulation de l’environnement.

(e) Une distinction inutile, entre ce que l’on nomme les désordres fonctionnels et les désordres organiques a été acceptée à l’intérieur de la psychiatrie et dans d’autres professions en santé mentale, laquelle, bien que rarement examinée de ce point de vue, accepte finalement implicitement le dualisme corps-esprit.

Progrès en neurobiologie

Alors que de façon générale il aurait pu être utile pour la qualité du soin du patient et le développement de la psychanalyse comme discipline, d’isoler la psychanalyse des sciences du cerveau en mettant particulièrement un accent inconditionnel sur les déterminants de l’inconscient, un certain nombre d'effets latéraux de l’isolationnisme ont créé des problèmes au moment où les objections originelles vis à vis d'un lien plus étroit commençaient à s'estomper. Les 30 dernières années ont vu une avancée révolutionnaire qui a réduit à néant toutes les raisons historiques d’un développement isolé de la psychanalyse (Westen, sous presse). Si Freud était vivant aujourd’hui, il aurait un ensemble considérable de connaissances et de théories à mettre sur le devant en conceptualisant L’Esquisse et aurait beaucoup de mal à abandonner l’entreprise de développer un modèle neuronal du comportement. On connaît maintenant beaucoup de choses sur la façon dont le cerveau fonctionne, y compris le développement des réseaux neuronaux, la localisation de capacités spécifiques avec la tomographie fonctionnelle à émission de positrons et on peut difficilement soutenir que les neuroscientistes soient exclusivement concernés par les troubles cognitifs ou de soi disant troubles organiques (Kandel, 1998 ; LeDoux, 1995 ; LeDoux, 1997).

Si quelque chose a progressé, c’est bien la génétique, de façon encore plus rapide et en balayant les idées naïves à propos des troubles constitutionnels, à partir des mécanismes qui sous-tendent et soutiennent une interaction complexe gène-environnement (Plomin, DeFries, McLearn et Rutter, 1997). Pour donner juste un petit exemple des avancées que de tels progrès génèrent dans la délivrance du soin en santé mentale : l’efficacité des inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (SSRIs) à la fois dans la dépression et dans le trouble obsessionnel compulsif (Joffe, Sokolov et Streiner, 1996 ; Piccinelli, Pini, Bellatuno et Wilkinson, 1995), les bénéfices indubitables pour les enfants souffrant de troubles de l’attention avec hyperactivité d’être traités par le methylphenidate (Fonagy, 1997b), la relative efficacité des neuroleptiques dans la psychose (Barbui et Saraceno, 1996 ; Barbui, Saraceno, Liberati et Garattini,, 1996), la reconnaissance croissante concernant le manque d’efficacité de périodes prolongées d’hospitalisation et - en contrepartie - les bénéfices du traitement dans la communauté (Holloway, Oliver, Collins et Carson, 1995 ; Johnstone et Zolese, 1998), la potentialité d’un diagnostic précoce via l’imagerie cérébrale de lésions traitables au niveau neurochirurgical (Videbech, 1997) etc. En fait, au cours des 15-20 dernières années, le champ des neurosciences s’est largement ouvert pour une large participation de ceux qui ont une compréhension adéquate des déterminants environnementaux du développement et de l’adaptation.

Les obstacles d’une intégration

Paradoxalement, la réponse des psychanalystes, à cette remarquable avancée des connaissances, fut défensive plutôt qu’enthousiaste. Malgré l’engagement individuel de nombreux analystes pour appréhender toutes les connaissances, même si cela peut provoquer douleur et anxiété, pour une large part, la réponse de la communauté psychanalytique fut inutilement rejetante et critique. Comme en réaction à un empiètement, la réponse fut de se retirer de plus en plus loin dans des zones de plus en plus spécialisées, plutôt que de chercher à se rencontrer et à se développer ensemble, en fonction de l’évolution des connaissances acquises sur le cerveau. L’idée dominante, que je qualifierais d’irrationnelle, semble être que la finesse d’investigation psychanalytique, si durement gagnée, serait d’une façon ou d’une autre “détruite“ plutôt qu’améliorée et enrichie par les nouvelles méthodes de recherche.

Un autre obstacle, généré par la dichotomie posée entre la biologie et le soin aux patients, a été la tendance anti-intellectuelle de certains groupes psychanalytiques (Kandel, 1998). Il y a une incompatibilité supposée entre une attention astucieuse et une attention fine à l’état mental du patient. C’est comme si notre observation d’une intellectualisation chez notre patient pouvait être d’une façon ou d’une autre généralisée à notre propre pratique : parce que nous observons qu’un patient qui lit des documents scientifiques et qui parle de science plutôt que de ressentis ne fait pas d’analyse, nous pouvons supposer qu’un analyste qui lit des documents scientifiques, ne peut pas, de la même manière, ressentir et donc ne peut pas pratiquer l’analyse. Il y a un élément de vérité évident dans cette attitude dans la mesure où le fait de lire et de rester en contact avec la science prend du temps et peut éloigner d’un temps consacré à la clinique. Cependant, prétendre que les deux activités s’opposent entre elles, est clairement l’expression d’un parti pris, plutôt qu’un fait et est quelque-peu intéressé, de la part de ceux qui ne désirent pas s’engager dans de telles activités. Heureusement, la génération des cliniciens psychanalystes pour qui la formation professionnelle initiale englobait déjà une sensibilisation aux progrès scientifiques dont nous venons de discuter, ne peut ni comprendre, ni même avoir une certaine sympathie pour cette approche.

Aucune des principales avancées faites en psychiatrie ne le fut sans problème. Les IRS semblent avoir une composante placebo significative (Verkes et al., 1998) ; l’ADHD est sur-diagnostiqué, au moins au Etats-Unis (Goldman, Genel, Bezman, & Slanetz, 1998) ; il y a des problèmes de compliance avec les neuroleptiques (Kasper, 1998) ; il y a de très bonnes études de cas publiées qui montrent les loupés des soins communautaires ; l’imagerie cérébrale et la recherche en génétique sont actuellement d’une valeur pratique limitée. De tels arguments ne devraient pas être utilisés pour s’opposer au développement de la psychiatrie, mais devraient être des opportunités pour appliquer la finesse psychanalytique dans les domaines de la révolution biologique où il y a d’importantes imperfections. Cela demande d’adopter une attitude différente : la collaboration plutôt que la confrontation. Avant d’expliquer les spécificités de cette collaboration, nous allons examiner les développements parallèles observés en psychologie.

L’isolement de la psychologie

Les objections originelles

L’attitude psychanalytique envers la psychologie est en miroir avec l’attitude des psychiatres psychanalystes vis à vis de la médecine expérimentale et du reste de la biologie. Le progrès en psychologie a été largement ignoré des psychanalystes, en dépit du fait qu’un nombre croissant de praticiens psychanalystes aient reçu leur formation de base dans le cadre de la psychologie clinique. De nouveau, il existe historiquement un certain nombre de raisons à cela :

a) la psychologie, jusqu’aux années 60 s'est occupée presque exclusivement du comportement et ses modèles étaient largement basés sur l’apprentissage chez l’animal (Skinner, 1953).

b) La psychologie a traditionnellement eu une attitude antagoniste à la psychanalyse, la voyant comme une rivale majeure, dominée par la médecine dans son offre de soin psychologique dans les organisations de santé mentale (Eysenck, 1952)

c) La psychologie a conservé une influence du positivisme dans son épistémologie plus longtemps que la plupart des autres disciplines des sciences sociales. En fait, on doit créditer sa libération du positivisme au moins autant au progrès réalisé dans des disciplines telles que la linguistique et la sociologie, qu'au progrès qu’elle a fait dans ses propres domaines (Chomsky, 1968).

d) Principalement comme conséquence des facteurs précédents, la psychologie clinique était fréquemment intentionnellement naïve dans son évaluation et traitement des troubles mentaux (Ullmann et Krasner, 1969 ; Wolpe, 1969) - une naïveté qui faisait horreur aux psychanalystes qui avaient combattu durement pour acquérir une perspective sophistiquée de la nature des processus et des phénomènes mentaux.

Les progrès en psychologie

Dans la même période où la révolution commençait dans les sciences du cerveau, la psychologie a entrepris une transformation radicale, passant d’une position en marge de l’étude de l'esprit, à sa position actuelle, de leader reconnu dans l’étude scientifique des processus mentaux (Westen, 1999). La principale force motrice à l’origine de ce changement fut :

(a) L’élaboration d’une métaphore informatique pour formaliser les processus psychologiques et l’utilisation d’une modélisation informatique pour tester la pertinence des théories psychologiques (e.g. Schmajuk, Lamoureux, & Holland, 1998).

(b) L’exploitation de la technologie pour améliorer la qualité des observations, y compris l'existence d’enregistrements vidéo, de mesures physiologiques améliorées, d'analyses génétiques ou endocriniennes (e.g. Plomin et al., 1997).

(c) Des méthodes d’analyse des données toujours plus sophistiquées, dont des techniques d’analyse causale et des méthodes spéciales pour analyser un grand ensemble de données (McClelland, 1997).

(d) En reconnaissant les limites de leur premières tentatives d’interventions psychologiques, les psychologues cliniciens ont travaillé dur pour proposer des traitements psychologiques adéquats, ces derniers étant rarement en opposition aux autres traitements, mais plutôt situés comme des annexes comblant le vide que laissaient des traitements pharmacologiques moins coûteux, souvent oubliés (Salzman, 1998 ; Thase, 1997).

(e) A la différence de l’attitude des psychanalystes, les psychologues ont embrassé et développé des projets dans des domaines proches et ont entrepris des collaborations à grande échelle (e.g. Offord et al., 1992 ; Rutter, Tizard, & Whitmore, 1981).

Les obstacles à une intégration

Les problèmes créés par la combinaison des parti-pris psychanalytiques contre les disciplines non-médicales en général et la psychologie en particulier, ont augmenté au cours des années. L’un des aspects du problème est l’abandon volontaire par les psychanalystes des opportunités leur permettant une contribution majeure aux sciences du comportement. Un bon exemple de cela est la controverse concernant les études sur le développement à laquelle Roger Perron fait référence. La tentative deréduire la perspective développementale psychanalytique à une simple métaphore ne rend pas compte des intentions de Freud comme il a pu l’indiquer dans ces propres études (voir Freud, 1909a ; 1919 ; 1920), tout comme chez certains des plus brillants cliniciens psychanalystes, y compris Anna Freud, René Spitz, Margaret Mahler, Esther Bick, Donald Winnicott - lesquels ont tous attribué une valeur à l’observation des jeunes enfants, tout particulièrement lorsqu’ils étaient en interaction avec des soignants. Ces travaux furent des sources importantes d’inspiration pour construire la théorie et tracer une ligne nette entre les études d’observation et la théorie psychanalytique alors qu'une question de principe à ce moment particulier paraît arbitraire, non-scientifique et contre-productive. Il n’y a pas de raisonnement perceptible, hormis des incompatibilités entre la théorie psychanalytique surgissant loin des observations psychanalytiques et celles entretenues par certains théoriciens. Exclure soudainement les observations, parce qu’elles ne sont plus en accord avec l’idée préconçue, n’est certainement pas ce que Freud nous a appris de la science. Le modèle scientifiquedu développement n’a jamais été métaphorique - de même qu’il n’a jamais été fermé à la validation empirique (voir, par exemple, Westen, sous presse). Par exemple, alors que Anna Freud et Glover critiquaient Klein pour les affrimations extravagantes sur le développement insinuées par sa théorie, des observations plus récentes sont, pour une bonne part, compatibles avec les revendications Kleiniennes - certainement celles présentées en termes de capacités cognitives du nourrisson (Gergely, 1991).

Il existe un domaine encore plus problématique concernant les thérapies psychologiques où l’attitude isolationniste des psychanalystes a indubitablement créé un problème à long terme. La pression pour des thérapies meilleur-marché, de meilleur rapport qualité-prix ont incité quelques cliniciens psychanalystes à expérimenter des méthodes alternatives de traitement - des thérapies plus brèves, plus focalisées, des thérapies spéciales pour des groupes particuliers (par exemple Malan & Osimo, 1992 ; Sifneos, 1992). Ces expérimentations étaient, dans l’ensemble faiblement soutenues par l’establishment psychanalytique qui se sentait peut-être surtout préoccupé par l’apparente superficialité de la thérapie brève. L’espace fut rapidement occupé par les thérapies alternatives, avec souvent des bases d’observation et des fondements théoriques très limités, empruntant de plus en plus abondamment et relativement ouvertement aux découvertes psychanalytiques (par exemple, Ryle, 1994). Cela a atteint un point où certaines thérapies focales qui représentent une extension de la tradition cognitivo comportementale sont difficiles à différencier des thérapies psychanalytiques (Meichenbaum, 1997 ; Young, 1990). Nous avons essayé de montrer ci-dessus que la technique psychanalytique est seulement basée sur la théorie psychanalytique de façon illusoire. Les découvertes comme les effets des thérapies cognitivo comportementales et même de la thérapie comportementale sont faciles à expliquer aussi bien en termes d’de théories psychanalytiques qu’en termes de théories comportementales ( Fonagy, 1989 ; Watchel, 1977). Il semble, ainsi, regrettable que les psychanalystes n’aient pas été plus vigoureux durant les 25 dernières années en expérimentant et en évoluant avec les nouvelles techniques psychothérapiques, mais se soient plutôt tenus rigidement au principe « d’une taille unique pour tous ». Ils ont abandonné le champ de l’innovation technique aux psychologues qui, en partie à cause de l’opposition des psychanalystes, en sont venus à se définir eux-mêmes comme « neufs et innovants » en contraste avec les idées psychanalytiques.

Cette situation s’est modifiée quelque peu, mais seulement au cours des années très récentes. Beaucoup d’instituts américains de psychanalyse ont commencé à former les candidats à la psychothérapie, dont on attend seulement de certains qu’ils aillent au bout de la formation psychanalytique. D’autres ont accepté directement l’enjeu des psychothérapies alternatives et sont soit en train de travailler à en intégrer des éléments actifs dans des traitements d’orientation psychanalytique (Goldfried, 1995) soit sont en train de travailler à différencier les éléments actifs de chacun (par exemple, Jones, 1997). Il y a toujours un fossé important dans l’intégration de la psychanalyse et de la psychologie, particulièrement en prenant en compte les avancées majeures que les études expérimentales, contrôlées des processus mentaux humains ont apporté à la psychologie du langage, de la perception , de la mémoire, de la motivation, de l’émotion, du développement, des relations sociales, et ainsi de suite.

Le généticien Eric Kandel (1998), a soutenu de façon convaincante que « le futur de la psychanalyse, si elle doit avoir un futur, se situe dans le contexte d’une psychologie empirique, encouragée par les techniques d’imagerie, les méthodes neuro-anatomiques et la génétique humaine. Intégrées dans les sciences de la cognition humaine, les idées de la psychanalyse peuvent être testées, et c’est là que ces idées peuvent avoir le plus grand impact » (p 468)

Les obstacles supplémentaires

L’isolement que la psychanalyse s’impose des sciences médicales comme des sciences psychologiques forme au moins deux obstacles majeurs dans la façon d’établir une place pour la psychanalyse à la table de l’académie du 21éme siècle. Il y a plusieurs défis pratiques et épistémologiques qui ont besoin d’être dépassés si l’intégration suggérée de la psychanalyse à la science contemporaine doit devenir une réalité.

Le récit de cas

Le premier de ces défis est la focalisation singulière des auteurs psychanalytiques sur la méthodologie du cas unique qui, comme cela a été soutenu, partage le poids de la responsabilité de la fragmentation de la psychanalyse comme discipline. On ne remet pas en question que les études de cas sont grandement instructives et que l’on peut apprendre beaucoup et intensément de l’étude de cas unique. Notre approche de l’étude de cas unique peut être améliorée, comme cela peut sans aucun doute l’être si nous comparons la qualité du récit de cas des années 40-50 et celle d’aujourd’hui.

Cependant , l’étude de cas est insuffisante comme méthode d’investigation. Elle a besoin d’être complétée par d’autres procédures qui puissent la confirmer comme la reproduction, les études expérimentales détaillées, les investigations anatomiques, génétiques et neurophysiologiques. Roger Perron souligne avec à propos les bénéfices que la médecine a tiré des investigations intensives des cas uniques. On doit cependant se souvenir que l’utilité de certaines de ces investigations de cas uniques ne s’est pas résumée aux insights cliniques qu’elles ont générés mais s’est déployée dans le soutien qu’elles ont reçues des méthodes indépendantes et objectives. La neuropsychologie, qui fait une grande utilisation du cas unique (Shallice, 1979) renforce ses conclusions par le test neuropsychologique, l’imagerie cérébrale et la reproduction extensive.

Et la formation ?

En second lieu, beaucoup de psychanalystes, en particulier ceux qui ont été formés par des instituts où les psychanalystes ont limité leur engagement dans la délivrance de soin en santé mentale, peuvent paraître être désavantagés dans ce nouveau cadre de travail pour l’épistémologie psychanalytique. De façon importante, beaucoup de cliniciens extrêmement talentueux dans ces sociétés sont venus à la psychanalyse à partir de disciplines autres que la psychiatrie ou la psychologie - les arts, la philosophie ou l’éducation. Ils ont contribué énormément à la richesse de la discipline avec des géants tels que Erik Erikson, Anna Freud, Melanie Klein et des figures clés actuelles telles que Kit Bollas, Charles Hanly, et beaucoup d’autres. Ils ont rejoint une profession de santé mentale ouverte de façon appropriée par Freud à tous (Freud, 1926).

Le fait qu’aucune formation scientifique ne soit nécessaire pour pratiquer la psychanalyse dans les premières décades du siècle n’implique pas nécessairement que cela reste le cas. Les sociétés qui forment les individus sans formation en santé mentale s’assurent normalement que ces individus acquerront une expérience de la santé mentale. Un cas similaire pourrait être fait pour s’assurer que ceux qui pratiquent la psychanalyse et qui sont ainsi dans une position de développer le sujet ont une base adéquate dans les domaines des sciences biologiques et sociales correspondantes. C’est peut être moins important qu’une initiative concertée pour identifier et chérir un groupe spécial de psychanalystes praticiens susceptibles de poursuivre le développement de la science psychanalytique dans le cadre des nouvelles sciences (Kernberg, 1993).

La dialectique entre préserver la pureté et améliorer la qualité de l’observation

Roger Perron invoque implicitement l’importante dialectique entre l’impératif de faire des observations sérieuses et, en le faisant, d’opérer une distorsion des phénomènes à un tel point que la signification de ces phénomènes ne soit plus possible. Son commentaire est restreint avec soin à l’étude du processus psychanalytique - celui du patient en psychothérapie intensive. Dans l’ensemble, je suis d’accord avec le Dr Perron dans son analyse, même si je ne partage pas ses conclusions.

Les enregistrements audio instaurent le risque que ce qui est observé ne soit plus la psychanalyse, de la même façon que la psychologie comparative a trouvé des conditions de laboratoire pour contraindre la gamme des comportements animaux qui pourraient être sujets à un examen scientifique (Hinde & Stevenson-Hinde, 1973. Je ne suis pas d’accord, cependant, avec le ton dogmatique de l’analyse de Perron et la certitude que cela implique. Je ne crois pas que nous sachions jusqu’à quel point l’enregistrement sur bande peut ou ne peut pas interférer avec le processus psychanalytique. Nous nous attendons à ce qu’il le puisse, mais cela ne signifie pas qu’il le fait. Même s’il le fait, il n’est pas certain qu’il le fasse de telle façon que cela devrait contrecarrer l’étude de certains aspects clés du processus.

Ce sur quoi nous pouvons raisonnablement être catégorique, c’est que les récits de vie, quelque soit la qualité du recueil, sont nécessairement sélectifs, ce qui clairement mine leur utilité scientifique (Brown, Scheflin & Hammond, 1998). Un élément central de notre théorie concerne les aspects non-conscients des fonctions psychiques. Notre théorie nous raconte que nous ne pouvons et ne devrions pas attendre du compte rendu d’un participant à un échange interpersonnel qu'il soit non-biaisé, que les erreurs et oublis dans le compte-rendu des séances soit simplement aléatoires. Je ne peux pas penser qu’un psychanalyste pourrait sérieusement défendre que le simple fait d’avoir soi-même participé à un processus analytique, garantisse la diminution des biais dans l’observation. Cependant, bien plus important que les biais, est le degré avec lequel chacun de nous peut prétendre prendre conscience de la finesse de l’interaction patient-analyste, uniquement à partir de l’observation participative. Nous savons que le gros de telles interactions est gouverné par des mécanismes non-conscients, vraiment inaccessible à l’introspection. Il existe des illustrations vraiment fondamentales de ces phénomènes - dont les plus frappantes sont certainement, les études de Rainer Krause (1997) sur les expressions faciales d’affect dans la psychothérapie en face à face et les travaux sur les interactions mère-nourrisson de Beatrice Beebe (1997) et de Ed Tronik (1989).

Des études imaginatives utilisant les avancées de l’enregistrement et des techniques de codage, tout particulièrement, les analyses linguistiques et phonétiques du langage, devraient, sans aucun doute, faire progresser notre compréhension des processus psychanalytiques (Fonagy & Fonagy, 1995). Interdire de telles procédures complètement, serait l’équivalent d’attacher nos mains derrière notre dos pour affronter les autres pratiques thérapeutiques. Pour moi, le problème de l’enregistrement dépend fortement des questions qui ont été posées par la recherche. Aussi longtemps que l’on garde comme perspective qu’il s’agit d’une des fenêtres possibles pour l’étude des processus psychologiques et de leur changement dans le cadre du traitement psychanalytique, et étant donné la bonne volonté du patient et du thérapeute pour accepter l’enregistrement, c’est dur de voir en quoi cela peut être mal. Si cependant, nous finissons par confondre l’analyse enregistrée avec la psychanalyse elle même - i.e. amalgamer l’observation du phénomène avec le phénomène lui-même - nous sommes en difficulté à plus d’un titre et pas seulement par rapport à la validité de nos observations.

La psychanalyse est-elle une science ?

Il ne peut y avoir de question sur le fait qu’à ce jour la psychanalyse n’est pas une science. Tout simplement, elle ne réunit pas les principaux canons d’une telle activité. Beaucoup d’entre eux ont été listés par Roger Perron. La question est plus utilement posée en termes de notre vision de la psychanalyse. Est-ce que nous pourrions avoir pour objectif de la modifier de telle façon qu’elle puisse être plus acceptable pour la communauté des étudiants qui se considèrent eux-mêmes comme scientifiques ? Ou bien devrions-nous nous contenter d’occuper un juste milieu entre l’art et la science, comme nous en avons l’habitude ? Comme d’habitude, il y a beaucoup d’arguments forts des deux côtés du débat. La plupart d’entre eux, cependant, sont posés en terme du plus grand respect qui devrait être accordé à notre discipline si elle réunissait les canons de la science, versus les sacrifices que nous aurions à faire pour y parvenir. Il y a toujours eu ceux qui sont entrés dans les eaux troubles de la philosophie de la science afin de montrer que selon tel ou tel cadre de définition la psychanalyse serait susceptible ou non de se qualifier (Shevrin, 1995).

Aussi importants que ces débats puissent être, je pense qu’ils manquent l’essence de la question pour trois raisons. D’abord, même si nous réunissons ces critères de scientificité, il n’y a aucune garantie que nos théories soient prises au sérieux. Il existe plein d’exemples de théories scientifiques qui ne préoccupent pas grand monde. La question est peut-être plus celle de la pertinence perçue que celle de la possession du label de la science. Ensuite, comme l’étude de Roger Perron l’a démontré, il y a évidemment une limite jusqu'où peut aller la psychanalyse peut aller en tant que discipline en réunissant ces critères avant qu’elle cesse d’être la psychanalyse. Troisièmement, les critères sont établis à partir des propriétés de disciplines généralement considérées comme étant des sciences mais il existe tout un ensemble d’exceptions. Quels sont les critères que la psychanalyse peut tenir sérieusement ? Et quels sont ceux qu’elle peut négliger ? Et qui décide lequel est lequel ?

Changer d’attitude envers le scientifique

Plutôt que de parler de science, je pense qu’il serait plus utile de parler de l’attitude ou de la culture qui caractérise la science, sans que ces dernières soient l’exclusivité de celle-ci. Dans ce qui suit, nous allons lister quelques aspects des changements dans l’attitude qui seraient requis, si les psychanalystes décidaient d’adopter une attitude “plus scientifique“ dans l’espoir d'aborder certains de ses problèmes épistémologiques.

Consolider le fondement de preuves de la psychanalyse

Bon nombre des théories psychanalytiques ont été produites par des cliniciens qui n’ont pas testé empiriquement leurs hypothèses. Aussi, sans grande surprise, le fondement de ces théories est souvent peu clair. En questionnant l’évidence, je crois que nous ne retournons pas vers “l’opérationnalisme“, “le verificationisme“ ou tout autre résidu discrédité de la logique positiviste (voir, par exemple, Leahey, 1980 ; Meehl, 1986). En plaçant le foyer de l'explication sur un domaine incompatible avec des observations contrôlées et des hypothèses testables, la psychanalyse se prive de l'interaction entre les données et la théorie qui a tellement contribué au développement de la science au 20ème siècle. En l’absence de données, les psychanalystes sont souvent obligés d’avoir recours soit aux preuves indirectes fournies par l’observation clinique, soit à l’argument d’autorité.

La validation de variables impliquées par les théories psychodynamiques est un challenge formidable pour les chercheurs. De nombreuses variables appartiennent à la sphère privée, nombre d’entre elles sont complexes, abstraites et difficiles à opérationnaliser ou à tester avec précision. Les compte-rendus psychodynamiques se centrent sur des variables étiologiques très vagues qui ne peuvent probablement pas être facilement englobées dans le cadre d’un modèle psychologique empirique. Même lorsque les “constructs“ sont apparemment opérationnalisables, ils sont rarement formulés avec une finesse suffisante pour être analysés en profondeur. Par exemple, les concepts tels que le clivage du moi, le masochisme et la toute puissance, sont rarement définis avec une exactitude suffisante pour leur permettre d'être opératoires.

Il y a un autre problème logique lié à la position reocnstructionniste adoptée par la plupart des cliniciens (voir la présentation d’ensemble de Perron). Au niveau le plus simple, les théories cliniques du développement sont basées sur les compte rendus d’individus ayant une symptomatologie actuelle qui tentent de se souvenir des événements qui leur sont arrivés durant leur enfance précoce, dont la plus importante part recouvre les stades pré-verbaux du développement. La psychanalyse a contribué de façon significative à notre sophistication actuelle à propos des sources de biais qui peuvent transformer les souvenirs de nos expériences précoces (voir Brewin, Andrews, & Gotlib, 1993). Le danger évident est celui de l’erreur logique de soutenir que quelque chose s’est produit de travers durant l’enfance, sinon ces individus ne seraient pas dans de telles difficultés. Ainsi, la plupart des théories psychanalytiques du développement recourent à des erreurs variées d’omission ou de délégation sur la part de la mère qui serait difficile à vérifier. Le contraire est aussi vrai ; la présence d’aspects de « santé » chez un individu par ailleurs sérieusement perturbé peut conduire les cliniciens à postuler des facteurs protecteurs tels que la présence d’un « bon objet » dans un environnement interpersonnel par ailleurs dévasté. Comme nous l’avons vu, il y a un biais majeur inhérent à l’inductivisme énumératif, que les théories cliniques du développement ont du mal à circonvenir.

Les illustrations cliniques ont une valeur énorme en résumant les thèmes centraux et récurrents émergeant dans un groupe particulier de patients. Elles ont aussi été utiles en générant des hypothèses qui peuvent être examinées à travers des techniques d’investigation plus formelles. L’intuition clinique, cependant, n’est pas vraiment utile pour résoudre des théories différentes concernant les variables externes de développement qui sont considérées placer un individu à un état de risque de trouble. La raison en est, comme nous espérons que ce chapitre l’a montré, que les observation de cliniciens fins et expérimentés ne convergent pas toujours vers des interprétations communes.

Cependant, on ne devrait pas trop facilement considérer que les données empiriques qui sont le plus utiles dans le contexte de la justification, qui permettent un contrôle optimal des variables, minimisent les menaces concernant la validité interne et maximalisent les possibilités de l’inférence causale, sont aussi les plus favorables dans la construction d’une théorie psychologique. Westen (1991) insiste sur la relative pénurie de théories riches dans le cadre de la psychiatrie actuelle et de la psychologie qui sont basées sur des études contrôlées. Et donc, beaucoup de théories psychologiques de la psychopathologie admettent explicitement leur dette aux idées psychanalytiques, qui ont inspiré des voies spécifiques d’investigation empirique. Les données cliniques offrent clairement un support fertile à la construction théorique, mais pas pour distinguer les bonnes théories des mauvaises ou de meilleures. La prolifération des théories cliniques qui sont actuellement en usage est la meilleure preuve que les données cliniques sont davantage appropriées pour générer des théories et des hypothèses que pour les évaluer. La convergence depreuves émanant de différentes sources (clinique, expérimentale, comportementale, épidémiologique, biologique, etc.) produira le meilleur soutien pour les théories de l’esprit proposées par la psychanalyse (Fonagy, 1982)

Ainsi le futur travail psychanalytique devrait s'éloigner de l’inductivisme énumératif et développer des liens plus étroits avec les données alternatives réunissant des méthodes disponibles dans la science moderne sociale et biologique. Réunir ces données, sans faire disparaître les phénomènes que de telles investigations s'efforcent d’examiner attentivement, est un important enjeu pour la génération actuelle des analystes.

Passer d’une construction globale à des modèles spécifiques

En règle générale, les concepts théoriques de la psychanalyse manquent de spécificité. Par exemple, les modèles développementaux de la psychanalyse ont atteint un degré d’abstraction où il est possible d’identifier une relation stricte entre un pattern psychopathologique particulier et un niveau de développement particulier. Ainsi, à l’intérieur de chacune des principales orientations théoriques, il existe un modèle singulier pour les troubles de la personnalité limite, pour la pathologie narcissique, pour les troubles de la personnalité anti-sociale et ainsi de suite. Dans le cadre de la psychopathologie moderne et de la psychiatrie, la tendance s’oriente vers la différentiation et la spécialisation. Les preuves se fondent rarement sur le lien entre des classes entières de troubles avec des entités pathogènes particulières, mais plutôt entre des entités pathogènes spécifiques en relation avec des sous-classes spécifiques à l’intérieur de groupes diagnostiques. Dans ce contexte, l’utilisation de l’étude de cas pour la recherche clinique n’a pas rendu service à la psychanalyse. Il est difficile de créer une nosologie spécifique qui utilise de nombreuses études de cas, toutes observées à partir d’une perspective légèrement différente. De ce point de vue, les séries d’études de cas faites en référence à un schéma unique sont plus productives. Le travail de John Clarkin (1994) est un excellent exemple de la valeur de cette approche. Il a proposé une sous-classification des troubles la personnalité limite en combinant le DSM-IV et une théorie structuraliste de la relation d’objet.

Il existe une autre raison pour laquelle les concepts psychanalytiques sont souvent trop globaux. Par exemple, les relations d’objets sont souvent encore clairement considérées comme un phénomène singulier, de même qu’à un niveau descriptif, elles englobent de nombreuses fonctions subordonnées. Cela inclut, l’empathie, la qualité de la représentation du soi-objet, la tonalité affective de la relation, la capacité à la maintenir et à l’investir émotionnellement, la compréhension des relations interpersonnelles et ainsi de suite. C’est compréhensible d’un point de vue clinique, mais cela est probablement contre-productif du point de vue de la recherche, de concevoir les relations d’objets, tout comme d’autres concepts proches, dans un sens aussi global. La catégorisation intelligente des formes de pathologie sera compromise à moins que nous soyons capables d’être plus précis à propos des aspects particuliers de la pathologie des relations d’objet, que nous considérons communs à un trouble spécifique.

De nombreuses théories actuelles ne parviennent pas à distinguer les composantes d’un processus de l’évolution développementale, et créent ainsi potentiellement des ambiguïtés. C’est une caractéristique générale regrettable de nos théories de ne pouvoir expliquer les troubles spécifiques qu’un individu est susceptible de développer en fonction des caractéristiques générales de ses expériences primaires. Nos modèles ne peuvent pas, de façon régulière, identifier les variables internes ou externes qui jouent un rôle dans l’émergence de symptômes spécifiques ou dans la nature de l’interaction entre ces différentes variables prédisposantes et d’autres facteurs. Aussi, nous pouvons rarement donner un sens aux tendances démographiques, comme la récente augmentation de la prévalence des troubles du comportement alimentaire ou la variation de la prévalence des désordres psychiques tout au long de la vie - par exemple, l’augmentation spontanée des troubles limites en milieu de vie (Stone, 1993). Les concepts psychanalytiques, comme nous l’avons vu, ont souvent plusieurs références (e.g. le narcissisme). Certaines renvoient au développement du sujet (e.g. des expériences inadéquates de ‘miroir’ et d'"apaisement’), d’autres sous-tendent des états mentaux (e.g. la sensation d’un soi fragile) et d’autres, encore, sont la manifestation de représentations (e.g. la perception d’un soi magnifique). Formuler cela dans des termes plus généraux semble nécessaire pour réussir à se démarquer d’un intérêt pour les formulations générales et se soucier des processus mentaux individuels, leur évolution, leur vicissitudes, et leur rôle dans le fonctionnement pathologique. Il pourrait y avoir un compromis entre la force explicative d’une part et la différentiation et l’exactitude d’autre part. En d’autres termes, l’analyse à un niveau global offre apparemment une force explicative. Celle-ci sera perdue, si le niveau d’analyse devient l’étude d’un processus mental spécifique. Cependant, au final, l’inexactitude de l’analyse à un niveau global fragmente et empêche l’intégration des données provenant de différentes observations.

La prise en compte d’explications alternatives

En parlant de nouveau de façon générale, il existe dans la recherche clinique actuelle un manque notable d’hypothèses alternatives quand des relations sont proposées entre l’observation clinique et la théorie. Il est très rare que les auteurs considèrent véritablement comment les observations qu’ils rapportent peuvent être expliquées par d’autres cadres théoriques que ceux qu’ils épousent. Il n’y a pas de tradition "d’études psychanalytiques comparatives“, où les modèles alternatifs sont placés côte à côte dans un contexte spécifique. En fait, on tient généralement pour acquis, de façon informelle, que ceux qui n’ont pas été formés dans une tradition spécifique pourraient se trouver sur un terrain précaire quand ils utilisent des constructions enracinées dans cette tradition. Il est difficile d’imaginer comment cela pourrait conduire à autre chose qu’à une fragmentation. De la sorte, chaque cadre de travail, une fois établi, tend à se donner comme enjeu d’intégrer toutes les nouvelles données, les rendant progressivement peu maniables et accentuant le contraste entre des théories de faible intérêt pratique.

Il y a deux facettes à ce problème. La première est que le principe de parcimonie (le rasoir d'Occam) est difficile à appliquer quand les explications sont rarement placées les unes à côté des autres. Par exemple, le concept de clivage a été largement utilisé depuis l’introduction de la notion par Freud (Breuer & Freud, 1895 ; Freud, 1923) et la popularisation que Fairbairn fit de cette idée (1952). Comme phénomène comportemental, le clivage est observé dans la plupart des psychopathologies sévères, en particulier les troubles de personnalité limite (American Psychiatric association, 1994 ; Perry, 1992 ; Westen, 1997). La utilisation du concept varie cependant, les uns rapportant ses origines à des états mentaux infantiles et au besoin de protéger le bon objet de l’attaque interne, les autres plaçant sous ce chapitre la séparation de l’état mental de la conscience (Roussillon, 1998). Le cadre conceptuel dans lequel le clivage est considéré influence profondément le type de phénomènes qui est utilisé pour l’explication. Déjà depuis la description de Hartmann (1964) de la « l’erreur génétique » nous comprenons que l’origine d’une défense du moi n’a aucune implication dans sa fonction et son usage courants. La prise en compte la plus parcimonieuse du phénomène de clivage pourrait être qu’il s’agit d’une réponse cognitive normale et se produisant normalement au cours de niveaux extrêmes de conflit et de stress (Linehan & Heard, 1993). L’usage extensif du clivage comme défense peut avoir moins à faire avec une histoire passée d’ambivalence non résolue ou de traumatisme inaccessible qu’avec le stress courant de l’expérience d’individus limites.

Le second aspect est l’identification de l’explication la plus appropriée parmi les explications possibles en compétition. Par exemple, l’hostilité et la tendance destructrice des patients limites furent, selon le moment, attribuées à une agressivité constitutionnelle, à l’attitude non-empathique des soignants, à des stratégies défensives de protection de soi, etc. . On ne sait pas clairement si ces explications concurrentes devaient être appliquées à un même individu à différents moments, à des individus différents, ou si seule une de ces explications est correcte et doit être appliquée à tous les individus de la catégorie.

Le défi, dans le futur, sera d’être plus constant dans notre exploration d’explications alternatives, ainsi que dans l’identification des sous-populations appropriées pour lesquelles ces explications collent le mieux ou en abandonnant l’utilisation que l’on en faisait pour les remplacer par d’autres plus appropriées. Un tel effort demande un examen systématique minutieux.

Améliorer nos recherches concernant les influences sociales

Les théories psychanalytiques varient dans l’importance qu’elles accordent à l’impact de l’environnement. Cependant, on considère, traditionnellement, qu’elles souffrent d’un manque d’élaboration quant à l’étude des effets du monde extérieur. A certains égards, cela est compréhensible car la psychanalyse concentre son intérêt explicitement sur l’intrapsychique. C’est ce manque d’élaboration qui laisse la psychanalyse vulnérable face aux accusations de théorie culpabilisante pour les mères, et qui survalorise de façon irréaliste l’influence des facteurs externes pendant les premières années de la vie.

Il est maintenant généralement accepté que les influences entre l’enfant et l’environnement sont réciproques. Les facteurs de risque parentaux et constitutionnels interagissent dans l’apparition de risques (Rutter, 1993). De tels modèles interactionnistes suggèrent que les risques et les traumatismes sont des processus plutôt que des événements et que les problèmes surgissent quand une vulnérabilité constitutionnelle est combinée avec un environnement sous-optimal qui génère une réponse mal adaptée qui pour sa part sape, par la suite, l’adéquation aux ressources de l’environnement et ainsi de suite. Adopter une attitude scientifique dans le champ psychanalytique demanderait d’élaborer des modèles développementaux psychanalytiques actuels, c’est à dire plus spécifiques, qui concerneraient les aspects transactionnels dans la genèse du traumatisme.

Il existe un aspect supplémentaire où les perspectives des influences environnementales manquent de sophistication. Le contexte élargi social et culturel dans lequel les relations d’objet se développent est souvent ignoré par les théoriciens psychanalystes. Cette observation est seulement partiellement justifiée car beaucoup de théoriciens individuels ont porté une attention spécifique aux facteurs culturels (voir par exemple, Erikson, 1950 ; Lasch, 1978 ; Sullivan, 1953). Cependant, l’impact de la race et de la culture sur le développement et la pathologie est rarement un point de focalisation pour la théorie psychanalytique, peut-être comme un reste de l’origine biologique des idées psychanalytiques.

On peut trouver un exemple particulièrement impressionnant de l’influence des facteurs culturels dans les approches du développement du soi. Les psychanalystes ont traditionnellement insisté, dans leurs théories générales du développement, sur le self individualisé (voir, par exemple Kohut & Wolf, 1978 ; Mahler, Pine & Bergman, 1975). En généralisant ces modèles à d’autres cultures, nous pouvons ignorer jusqu'à quel point ces idées sont enracinées dans la pensée occidentale. Dans les cultures non-occidentales, le soi relationnel est bien plus représenté que le soi individuel (Sampson, 1988). Le soi relationnel est caractérisé par des limites soi - non soi plus perméables et plus fluides et par un accent mis sur le contrôle social où il s’inclut tout en allant au delà de la personne. L’unité de l’identité pour le soi relationnel n’est pas une représentation interne de l’autre ou de son interaction avec un moi idéal, mais plutôt la famille ou la communauté. Dans les théories psychanalytiques traditionnelles, une personnet trop dépendante et influençable qui changerait à tout moment dans son expérience interpersonnelle pourrait être considérée comme immature et même pathologique. Il n’y a rien d’universel à cette vision du soi. Ces idées n’ont émergé que progressivement dans le monde occidental au cours des 200-300 dernières années (Baumeister, 1987). La bien connue asymétrie suivant le sexe dans le monde occidental dans le diagnostic de trouble limite de la personnalité peut être interprétée comme une conséquence du plus grand enjeu expérimenté par les femmes que par les hommes quand ils sont confrontés avec l’idéal occidental d’un soi individuel (Gilligan, 1982). Placer le soi individualisé implicitement ou explicitement au sommet de la hiérarchie développementale peut porter le risque d’un ethnocentrisme tout autant que la possibilité de considérer pathologique un mode de fonctionnement qui peut être hautement adaptatif étant donné les contextes sociaux spécifiques.

Le manque d’explication de la psychanalyse concernant l’environnement social représente un défi majeur pour l’évolution de la psychanalyse au-delà de la question de son statut scientifique. Etant donné la nature intensive du traitement psychanalytique, son influence sera toujours limitée au relativement petit nombre d’individus qui ont le bénéfice de cette forme intensive de psychothérapie. Le déclin de l’influence sociale de la psychanalyse depuis la seconde guerre mondiale a peut-être plus à voir avec l’augmentation de l’intérêt pour la santé mentale d’une plus grande partie de la population. Etant donné le nombre des personnes maintenant concernées, la psychanalyse a tendance à être moins considérée comme une approche thérapeutique. Pour que la discipline survive et soit florissante, il est essentiel que notre théorie soit rendue pertinente pour l’ensemble de la communauté et que nous puissions offrir des clés pour les préoccupations de notre communauté locale. Il est probable qu’en l’état actuel de nos connaissances, de telles clés ne seront jamais didactiques, mais qu’elles permettront au moins l’apprentissage autant que l’enseignement. Il existe déjà dans cet esprit plusieurs projets dans d’importantes villes des Etats-Unis, dont Michigan, New Haven, Los Angeles et New Orleans. Traditionnellement notre discipline fut fortement ethnocentrique. Par exemple, les recherches psychanalytiques sur les traumas multi-générationnels se sont principalement concentrées sur les survivants de l’holocauste (Bergmann & Jucovy, 1982 ; Kogan, 1995). Cependant nous pouvons peut-être apprendre autant - voir plus - sur ce processus grâce à l’étude de la communauté Afro des Etats-Unis, dont beaucoup des problèmes actuels pourraient être vus, suite à nos échecs, au regard de leur histoire en Amérique du nord, comme un groupe asservi (e.g. Belsky, 1993).

En bref, en tenant compte des influences sociales, la psychanalyse devrait développer un système de catégorisation amélioré pour décrire l’influence de l’environnement. Les modèles transactionnels du développement tiennent plus compte des facteurs culturels, montrent une plus grande conscience de leur contexte culturel et vont au-delà de l’ethnocentrisme.

Collaboration avec d’autres disciplines Pour certains psychanalystes, la séparation de la discipline psychanalytique de celles dont la matière recouvre la nôtre a été une source de fierté jusqu’à ce que des analystes aient été critiqués d’avoir inclus trop de citations bibliographiques à un travail non psychanalytique parmi leurs références (Green & Stern, sous presse). La peur qui est apparue a été que les champs adjacents à la psychanalyse aient le potentiel de détruire les perspectives uniques offertes par la recherche clinique. Comme ce n’est pas une vision dominante en psychanalyse et que la plupart des psychanalystes accueillent avec satisfaction les perspectives de connaissance que les aires connexes peuvent apporter, les exemples d'organisations de collaboration active avec des disciplines voisines sont inégales, non systématiques et habituellement focalisées sur des résultats, des découvertes ou des idées qui sont presque convergentes avec une conception particulière de l’auteur (cf. Wolff, 1996).

A l’inverse de la conception selon laquelle une plus étroite proximité avec les sciences présentant des intérêts similaires aux nôtres peut détruire la psychanalyse, Kandel (1998) a beaucoup d'arguments pour soutenir que les riches découvertes issues de la psychanalyse seront très probablement le mieux préservées si elles sont intégrées à la psychiatrie biologique. Il a basé son argumentation sur trois principes généraux.

a) toutes les fonctions de l’esprit reflètent des fonctions du cerveau. Le principe peut être maintenu même si il est trouvé que, pour de nombreux aspects du comportement, une analyse biologique peut ne pas en apporter la démonstration. Les psychanalystes peuvent avoir une certaine difficulté avec deux aspects. D’abord, qu’une approche biologique est invariablement réductible à la génétique, et ensuite que la transmission génétique ne laisse aucune place à une intervention environnementale. Kandel, cependant, démontre de façon convaincante que la capacité d’un gène donné de contrôler la production de protéines spécifiques dans une cellule est sensible à des facteurs d’environnement et que le fait que seulement 10 à 20 % de gènes soient transcrits ou exprimés dans chaque cellule laisse une place considérable aux facteurs sociaux : « les influences sociales seront incorporées biologiquement dans les expressions modifiées de gènes spécifiques dans des cellules nerveuses spécifiques de régions spécifiques du cerveau » (p. 461).

b) Les gènes contribuent de façon très importante au fonctionnement mental et peuvent contribuer à l’apparition de la maladie mentale, mais les comportements eux-mêmes peuvent modifier l’expression des gènes. Les recherches sur les jumeaux, sur l’adoption et la généalogie ont fourni d’abondantes preuves que les gènes déterminent autour de 50% de ce que nous appelons traditionnellement la personnalité. Des variables telles que le goût, les préférences religieuses et même les troubles névrotiques clairement déterminé par l’environnement comme le syndrome post traumatique ont des composantes génétiques importantes. D’autre part, les recherches sur l’apprentissage chez l’animal ont démontré, il y a quelques années, des changements durables dans l’efficience des connections neuronales en modifiant l’expression des gènes. Ces interactions suggèrent que les distinctions traditionnelles entre les troubles organiques et fonctionnels sont insoutenables. Toutes les maladies mentales sont organiques depuis que les techniques d’imagerie fonctionnelle peuvent démontrer de façon fiable que la structure biologique du cerveau est modifiée (Jones, 1995). Cette observation est une conséquence triviale du principe précédent. La remarquable question en deux parties qui peut être posée c'est, comment les processus biologiques modulent-ils les événements mentaux et comment la structure biologique est-elle modulée par les facteurs sociaux ? C’est en répondant à la seconde question qu’une psychanalyse scientifique à un rôle clair à jouer.

c) Les altérations dans l’expression génétique en tant que conséquence de l'impact de l’apprentissage sur le cerveau causant des changements dans les patterns des connections neurales. De la même manière, les interventions psychologiques comme la psychanalyse doivent donc produire des changements dans l’expression des gènes qui modifient la force des connections synaptiques. Il est possible de soutenir que les deux interventions, pharmacologiques et psychothérapeutiques, produisent des changements fonctionnels et structurels dans les circuits neuronaux. Le premier est peut-être moins spécifique que le second et donc plus efficace pour certains troubles psychiques plutôt que d’autres. Les preuves tirées de l’association d’interventions pharmacologiques et psychothérapeutiques impliquent qu’il y a un bénéfice considérable à l’utilisation d’une approche intégrée des traitements (Roth & Fonagy, 1996).

Le même type d’arguments pourrait être utilisé pour une intégration plus profonde de la psychologie et de la psychanalyse. Dès 1982, j’ai proposé que ce qui a été appris en psychologie sur les processus mentaux était en majeure partie applicable à la psychanalyse et devrait lui être intégré (Fonagy, 1982). Depuis cette époque, avec un certain nombre de collègues j’ai travaillé à intégrer la fonction mentale, y compris la représentation et la compréhension d’états mentaux, aux idées psychanalytiques. Il s’agit juste là de l’un des processus mentaux ou modules au sein d’une large variété (Fodor, &983). Une étude systématique pourrait atteindre un haut niveau d’intégration et de sophistication dans la façon dont les psychanalystes parlent de se souvenir, d’imaginer, de parler, de penser, de rêver, et ainsi de suite.

Tout ce qui est requis pour ces deux initiatives intégratives, c’est une attitude plus scientifique, un panel plus large de méthodes une ouverture et une excitation intellectuelle pour les nouvelles idées.


Dernière mise à jour : 28/02/09
info@techniques-psychotherapiques.org