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Espace Cliniciens

Arrêt sur image 5. Découverte des références bibliographiques du chapitre 11.
Que nous ont vraiment appris les méta-analyses consacrées aux effets de la psychothérapie ?

Dr Jean-Michel Thurin. Psychiatre -psychanalyste
Expert chargé des psychothérapies psychodynamiques pour le rapport
Tel : 01 48 04 77 70 – mail : jmthurin@techniques-psychotherapiques.org


Parmi les 94 articles qui composent la bibliographie du chapitre 11 et qui m'ont été adressés le 20 mars 2004 par le service de l'expertise collective de l'Inserm, il y a quelques méta-analyses et une analyse des méta-analyse tout à fait intéressante …

Il s'agit de l'étude de Georg E. Matt et Ana M Navarro.

Ce que les méta-analyses nous ont et ne nous ont pas appris à propos des effets de la psychothérapie : revue et futures directions.
Matt G E, Navarro A M. What meta-analyses have and have not taught us about psychotherapy effects: a review and future directions. Clin. Psychol. Rev., Vol 17, n°1, 1997: pp 1-32

Durant les vingt dernières années, la méta-analyse est devenue une technique populaire et méthodologiquement sophistiquée pour réaliser une sommation quantitative des résultats issus d'un corpus étendu de recherche "empirique". La recherche de résultat sur la psychothérapie est des champs pour lesquels la méta-analyse a été particulièrement populaire - mais également où elle est apparue comme une méthode particulièrement controversée. Le présent article fait la revue de plus de 60 méta-analyses d'interventions psychothérapiques et examine leurs formes et leurs limitations méthodologiques sur la base des inférences causales généralisables qu'elles apportent à propos des effets des interventions psychothérapiques.
Les auteurs expliquent qu'en dépit du nombre important des méta-analyses démontrant les effets spécifiques et non spécifiques des interventions psychothérapiques, les limitations des études de résultats et des revues actuelles de méta-analyses doivent nous prévenir de tirer des conclusions généralisables sur l'ampleur des effets, les conditions qui les modèrent et les variables qui modalisent les effets de la thérapie.

Leurs démonstration s'appuie sur deux grandes catégories d'éléments : la nature et l'accumulation des biais méthodologiques dans les résultats ; la généralisation abusive de ces résultats.

1. L'idée générale sur laquelle s'appuie la force de la méta-analyse est que le nombre important d'études va annuler l'effet des biais présents dans les études primaires. Rien n'est moins sûr.
- Il y a notamment le problème des données manquantes (dans 18 des 63 méta-analyses) qui peut biaiser les estimations de tailles d'effet dans les méta-analyses. Une solution utilisée quelque fois dans ces cas (outre le fait d'essayer de les obtenir des auteurs) est d'associer à ces absences un effet 0. Dans ces cas, la taille d'effet globale peut être réduite pratiquement du quart (Shapiro et Shapiro, 1980).
- Le codage des informations concernant les patients, les interventions, le cadre, les résultats et la conception de la recherche n'était pas clair dans environ 1/3 des méta-analyses.
- La réduction des mesures à celles d'un comportement cible, plutôt que sur un ensemble de comportements, augmente la taille d'effet de l'intervention. De façon plus générale, l'absence de règle précise sur la sélection des mesures de résultats peut conduire à des biais d'extraction (on ne garde que les mesures qui donnent de bons résultats). Le mélange des tailles d'effet dans une valeur globale moyenne peut négliger l'effet de l'effet de certaines variables sur d'autres qui leur sont dépendantes.
- Le choix des groupes de contrôle est évidemment important. Ainsi, l'effet placebo d'une liste d'attente sera moins important que celui d'une intervention impliquant des composants non spécifiques. L'influence des facteurs spécifiques devrait mieux apparaître dans la comparaison de deux thérapies véritables. On arrive ainsi à des différences de taille d'effet de 0.87 en comparant des groupes de traitement à une liste d'attente et de 0.64 en comparant les groupes de traitement à des groupes d'attention placebo.
- Des effets de confusion peuvent provenir du fait que les différentes thérapies peuvent obtenir des effets différents suivant la sévérité des troubles. Par exemple Andrew et Harvey (1981) ont trouvé que les psychothérapies dynamiques et comportementales traitaient des troubles plus sévères, tandis que les approches de conseil traitaient des problèmes moins sévères.
- Une autre confusion provient de la relation de quasi exclusivité qui peut s'établir entre une approche psychothérapique et certains troubles. Ainsi, l'impulsivité, l'hyperactivité, les phobies et certains problèmes somatiques n'ont été étudiés pratiquement que par les thérapies comportementales ou la relaxation. Certaines techniques n'ont été étudiées que dans des cadres particuliers (par exemple, la méditation dans les prisons).
- L'allégeance des chercheurs à une intervention particulière a été identifiée comme variable de confusion dans les études sur l'efficacité de la thérapie cognitive et de la désensibilisation systématique (Berman et coll., 1985).

- Il y a également les effets pervers d'une généralisation accrue : "Là où des études de résultat individuelles nous informent à propos des effets d'interventions spécifiques, chez des échantillons de patients spécifiques, dans des cadres spécifiques, concernant des mesures spécifiques, la méta-analyse nous enseigne à propos d'effets généralisés de classes d'interventions, chez des classes de patients, des classes de cadre et des classes de mesures".
Autrement dit, on tire des conclusions générales - et souvent généralisées - à partir d'un ensemble d'études dont les caractéristiques élémentaires et les déséquilibres généraux (cf, par exemple la méta-analyse de Andrews et Harvey) se sont totalement masqués.
Les limites associées à chacune des études qui ont été pratiquées dans des conditions particulières ne permettent pas de répondre à une question globale telle que: "Quels thérapeutes, pour quels types de traitements psychothérapiques, pour quelle sorte de patient produisent quelles sortes d'effets perçus à la fois immédiatement et ultérieurement ?" (Fiske, 1977 ; Paul, 1969, …".
- D'autres limites générales devraient être prises en compte. Par exemple l'époque durant laquelle les études ont été menées, notammentsi elle conditionne le cadre thérapeutique. Les effets de la psychothérapie observés durant les années 70 et 80 sont-ils généralisables à des cadres de pratique clinique actuels pour lesquels peu de recherche de résultat a été publiée. Il faudrait alors pouvoir définir les variables intermédiaires qui interviennent sur l'effet et considérer si elles se retrouvent dans les différentes périodes considérées [un bon exemple est celui de la fameuse seule et unique étude sur la schizophrénie retenue par la Cochrane et qui date de 1976 : non seulement les conditions générales ont considérablement changé en près de 30 ans, mais cette étude ne renseigne en rien sur les modalités de l'approche et du cadre psychothérapique mis en oeuvre]. Le facteur langue et culture est également important. Dans quelle mesure les résultats des études anglo-saxones sont-ils généralisables à l'Europe du sud, au Japon ou à l'Amérique du sud. L'association des deux facteurs précédents est évidemment redoutable.

Il existe encore beaucoup d'autres raisons d'être circonspect sur la valeur des résultats et de leur généralisation.
Par exemple, Il existe un grand nombre d'études primaires comparant les effets de la psychothérapie à ceux d'une absence de traitement. La plupart de ces études - mais certainement pas toutes - impliquent de jeunes patients, étudiants de collège et examinent les effets d'une ou plusieurs interventions thérapeutiques spécifiques dans des cadres universitaires. Bien que ces études soient comparables à différents égards, il existe une variabilité considérable dans les conceptions de recherche, les mesures et la documentation.
Souvent également les estimations des effets des interventions psychothérapiques sont confondus avec d'autres caractéristiques de l'étude (par exemple la réactivité de la mesure), ce qui rend l'interprétation des effets du traitement ambigue.

Finalement, selon Matt et Navarro, la seule conclusion qui pourrait être véritablement tirée de ces 63 méta-analyses est l'affirmation que l'effet psychothérapique est différent de 0 et positif, mais qu'il est difficile d'aller plus loin sur l'amplitude des effets.

Quelles devraient être les directions futures de la recherche ?

Un des grands enjeux concerne l'efficacité réelle de la psychothérapie, telle qu'elle est prodiguée dans la pratique clinique quotidienne (c'est à dire les centres de soin communautaires, la pratique privée). Cela se situe en contraste avec l'efficacité de la psychothérapie étudiée dans des conditions scientifiques standards avec de populations ciblées.

Il est également nécessaire d'avoir des rapports plus détaillés des études primaires. Un pas essentiel serait l'établissement d'un registre de recherche des études de résultats de la psychothérapie. La sophistication de la qualité des méta-analyse par la participation de méthodologistes expérimentés dans ce domaine est nécessaire.

La conclusion de tout cela reste celle de la prudence. La méta-analyse n'est pas la panacée de la synthèse des résultats de recherche. La méta-analyse parfaite donnant des réponses sans équivoque à des questions de recherche est aussi improbable qu'une recherche primaire parfaite.

Qu'a retenu l'auteur du chapitre 11 de cet article article de Matt et Navarro dont j'ai essayé de présenter l'esprit d'analyse et la complexité ? Une phrase très simple que, je dois le reconnaître, je n'ai même pas remarquée malgré une lecture qui m'a parue attentive : "montrent typiquement la supériorité des approches cognitives et comportementales en comparaison avec les approches psychodynamique ou rogerienne".

Il fallait vraiment le trouver !

 

2. Expertise collective Inserm Psychothérapie, p 381-427


Dernière mise à jour : 22/11/04
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