..Janet
..Alexander..Bowlby..Cannon.......Kandel......Edelman..JamesA Freud.....Freud....Lacan...Lebovici....Klein
...Jung...Bion
           

Espace Cliniciens

Expertise collective Inserm. Psychothérapie Trois approches évaluées

5. Aspects méthodologiques de l'approche psychodynamique (psychanalytique)

L’évaluation des psychothérapies psychodynamiques, commencée à la fin des années 1910 (Coriat, 1917), s’est systématisée dès 1930 ; les 592 analyses menées de 1920 à 1930 à l’Institut psychanalytique (Fenichel, 1930) en sont l’illustration. Le travail des équipes américaines, puis européennes a conduit à la réalisation d’études empiriques scientifiques concernant l’approche psychanalytique.

L’analyse réalisée dans le cadre de cette expertise porte sur les données objectives recueillies en situation clinique. Cette recherche « empirique » ou « naturaliste » s’applique en tout premier lieu à la dimension du soin où elle concerne en particulier les critères d’indication, les effets thérapeutiques et les modes d’action. Elle peut inclure dans ses paramètres certaines variables individuelles, interindividuelles et techniques.

Il existe deux autres conceptions de la recherche en psychanalyse (Leuzinger-Bohleber, 2002 ; Widlöcher, 2003) complémentaires de la première. L’une d’elles concerne les processus mentaux, leurs enchaînements dans le processus de la cure ; tournée vers le progrès de cette dernière, elle s’adresse également à un tiers, réel ou symbolique, personne ou institution, à qui il est possible de rendre compte de cette expérience. L’autre porte sur les évolutions techniques et conceptuelles au sein de la psychanalyse (origines et effets des différences) ; il s’agit d’une recherche planifiée avec des objectifs limités, précis et bien définis à l’avance.

La réalité psychique et le transfert étant au premier plan pour le psychanalyste, il est difficile pour lui de se situer dans une position d’observateur externe ou d'admettre la présence d’un observateur (fut-ce un enregistrement). La pratique psychanalytique reposant sur un ensemble de modèles, de techniques et de grilles de lecture, le psychanalyste peut avoir le sentiment qu’il est impossible de mesurer les évolutions qu’elle vise. Cette pratique individuelle et adaptée à chaque patient, comment concevoir qu’elle puisse porter sur des groupes semblables ? De plus, la recherche « scientifique » implique de pouvoir réexaminer les conclusions d’une étude (par exemple, l’usage et l’effet de l’interprétation chez certaines catégories de patients) et donc de disposer d’instruments validés dans des dimensions très qualitatives. La présentation des résultats des psychothérapies psychanalytiques est donc particulièrement difficile surtout si l’on veut s’inscrire dans une démarche comparative avec d’autres approches psychothérapeutiques dont les objectifs ne sont pas identiques.

La psychanalyse vise des changements profonds de la personne qui s’expriment à différents niveaux. La guérison des symptômes n’en constitue qu’un des aspects. Sa finalité générale (Glover et coll., 1937) rejoint la définition de la santé mentale de l’OMS (OMS, 2001) : « La santé mentale ne consiste pas seulement en une absence de troubles mentaux. Il s'agit d'un état de bien-être dans lequel la personne peut se réaliser, surmonter les tensions normales de la vie, accomplir un travail productif et fructueux et contribuer à la vie de sa communauté. » Les critères de jugement sur lesquels porte l’évaluation de l’efficacité des psychothérapies psychodynamiques vont donc naturellement inclure d’autres dimensions que celles de l’existence ou de la disparition de traits pathologiques. Elles concernent le fonctionnement psychique de la personne et ses acquisitions (par exemple, l’identification, la capacité d’insight et de distanciation, l’organisation de sa personnalité, son autonomie psychique, l’utilisation de ses capacités, la qualité de ses relations interpersonnelles, la possibilité et la nature de ses investissements). Les classifications actuelles (CIM et DSM) se prêtent difficilement à la description des comorbidités qui caractérisent les patients en psychothérapie dynamique et encore moins bien à leur description développementale et fonctionnelle. Ces classifications privilégient une approche statique où les évolutions et les transformations des pathologies peuvent ne pas apparaître.

Trois types de difficultés à évaluer les résultats de psychothérapies psychodynamiques peuvent être soulignés : des difficultés liées aux modalités propres de la pratique qui privilégient la singularité, l’attention sur le monde interne du patient et ses expressions dans la cure ; des difficultés pour la mise en place d’une méthodologie qualitativement bonne qui permette d’appréhender des changements différenciés à plusieurs niveaux et les facteurs qui les influencent, notamment dans les psychothérapies longues ; des difficultés d’interface avec d’autres types de recherche dont les protocoles sont établis à partir de modèles différents (administration d’un traitement strictement déterminé sur un sujet globalement passif et évaluation du résultat sur un symptôme cible ou une pathologie bien délimitée) et valorisant les études de populations.

Ces difficultés pourraient conduire à se poser les questions suivantes : 1) l’évaluation des résultats de la psychanalyse et de ses variantes (les psychothérapies psychodynamiques) est-elle vraiment utile et nécessaire ? 2) Est-elle possible : c’est-à-dire, les principales difficultés méthodologiques évoquées ci-dessus peuvent-elles être résolues ? 3) Existe-t-il une possibilité de comparaison avec d’autres méthodes psychothérapiques ?

Utilité et nécessité de l’évaluation des psychothérapies psychodynamiques ?

Dès les années 1940, Knight (1941) précise que si la psychanalyse veut atteindre pleinement sa place de thérapie de valeur parmi les thérapeutiques médicales, ses chefs de file doivent reconnaître la nécessité d’expliciter la technique utilisée et les résultats obtenus. Dans les années 1990, plusieurs auteurs (Bachrach et coll., 1991 ; Barber et Lane, 1995) rappellent le développement de nombreux traitements psychothérapeutiques (basés sur des modèles comportementaux, biologiques, cognitifs, psychodynamiques, systémiques et sociaux) dans les dernières décades et donc la nécessité de positionner l’indication de la méthode psychanalytique dans un contexte où la psychothérapie est considérée comme un traitement médical. Cela implique que les symptômes soient le premier indicateur différentiel du traitement. Mais le débat subsiste et pour d’autres auteurs, la psychothérapie n’est pas une simple application de technique pratiquée de façon prescrite pour arriver à une fin particulière. En outre, les résultats se situent souvent ailleurs que là où ils sont attendus. Enfin, plus récemment, des auteurs (Fonagy, 1999 ; Sandell et coll., 2001 ; Leuzinger-Bohleber, 2002 ; Botella, 2003) ont souligné l’intérêt de la recherche empirique ou clinique de démonstration (différente de la recherche fondamentale d’investigation du psychisme par la psychanalyse), susceptible : d’étudier l’efficacité thérapeutique de la psychanalyse et de montrer sa pertinence scientifique ; de vérifier la validité d’une hypothèse, d’un concept ou d’une notion controversée parmi les analystes ; de construire des interfaces de dialogue avec des disciplines proches (psychiatrie, psychologie, sciences cognitives, linguistique, sociologie et neurosciences).

L’évaluation des psychothérapies psychodynamiques est-elle possible et sur quelles bases ?

La question de savoir si une évaluation des résultats des psychothérapies psychanalytiques est possible a été abordée depuis que ces psychothérapies existent (Freud, 1916 ; Knight, 1941 ; Edelson, 1984 ; Shulman, 1990 ; Bachrach et coll., 1991 ; Krawitz, 1997 ; Waldron, 1997 ; Vaughan et coll., 2000). La difficulté méthodologique de cette évaluation est évidente. Les principaux éléments de cette difficulté soulignés par les « pionniers » sont récapitulés dans le tableau 5.I.

Tableau 5.I : Réflexions méthodologiques des « pionniers » concernant l’évaluation des psychothérapies psychodynamiques

Freud, 1916 Difficulté de l’évaluation statistique à cause de la disparité des cas, de l’intervalle trop réduit entre l’évaluation et la fin de la thérapie pour affirmer qu’il s’agit de guérisons durables, de l’identification potentielle des cas publiés, de l’irrationalité qui accompagne ce qui concerne la thérapeutique.
Coriat, 1917 Il est essentiel de considérer le type de cas qui correspond le mieux à la psychanalyse, de définir des critères permettant de définir la « guérison » dans ces différents types de cas, la durée du traitement et comment les résultats sont analysés.
Jones, 1936 Sur quels critères mener l’évaluation ?
Alexander, 1937 Il existe de nombreuses difficultés pour l’évaluation :
- la durée longue des traitements psychanalytiques
- la difficulté d’enregistrer des centaines de données et des centaines d’heures passées avec des patients variés
- le caractère moins tangible des symptômes en psychopathologie, leur importance secondaire par rapport à des désordres encore moins tangibles de la personnalité
- la disparition de symptômes manifestes et bien définis ne peut être utilisée comme un signe de résultat que dans un nombre limité de cas
- les critères pour juger les résultats thérapeutiques sont nécessairement vagues et abstraits et requièrent un jugement subtil et expert
- les critères standard d’un tel jugement manquent
- les cas traités par la psychanalyse sont très complexes et diversifiés, et incluent souvent un grand nombre d’entités diagnostiques
- les cas dans une catégorie diagnostique peuvent présenter différents niveaux de sévérité
Knight, 1941 La psychanalyse peut-être (et est) utilisée par des analystes avec différents degrés d’expérience et de compétence. Elle reste une procédure thérapeutique relativement non standardisée.
Tout rapport des résultats thérapeutiques est ainsi issu de différents individus psychanalystes ayant des degrés d’expérience et d’habileté technique différents avec des cas de sévérité différente.
Concernant la nosologie, comment situer les cas « mixtes » ?

La qualité méthodologique des travaux réalisés, loin d’être homogène [Kachele, 2001], n’a cessé de s’améliorer, tout particulièrement depuis une vingtaine d’années. Barber et Lane (1995) distinguent quatre grandes étapes dans cette progression : des d’études peu élaborées issues de cas uniques ; des revues quantitatives générales à partir des résultats d’études de cas ; des études de recherche d’efficacité par rapport à l’absence de thérapie, dans un contexte de remise en question globale de l’efficacité de la psychanalyse ; des études de recherche sur l’efficacité beaucoup plus sophistiquées.

En résumé, les études réalisées ont apporté une réponse positive à la possibilité de mesurer les effets d’un traitement psychothérapique d’orientation psychanalytique, non seulement de façon générale, mais en précisant certains aspects spécifiques. Ce processus est cependant loin d’être achevé et quatre points méritent d’être particulièrement discutés : les dimensions évaluées et les relations entre classifications ; les variables impliquées dans les résultats (spécifiques et non spécifiques) ; la possibilité de réaliser des études d’efficacité dans le cadre des psychothérapies longues ; les critères actuels d’une recherche qualitativement bonne.

Dimensions évaluées et relations entre classifications

Pour le psychodynamicien, les troubles constituent le degré extrême de l’expression d’un dysfonctionnement global du psychisme. Ce dysfonctionnement relève de différentes causes qui interagissent. Schématiquement, elles sont de trois ordres : développemental, traumatique et conflictuel (intrapsychique). Ainsi, interviennent à des degrés divers dans le déclenchement d’un trouble, les événements psychologiques de la première enfance (et même quelquefois antérieurs) dans leur cadre d’interaction sociale, leur réactivation par une situation actuelle (perçue suivant une réalité psychique dont les traits dominants sont propres à chaque individu), et les conflits intrapsychiques issus de relations avec le monde externe et avec les pulsions internes (en particulier sexuelles). Cette perspective n’acquiert toute sa valeur que si l’on prend également en compte les conséquences en cascade liées à chacune des causes.

Ainsi, les conditions particulières qui perturbent et marquent le développement de la personne peuvent s’exprimer très précocement par une altération de la représentation et de la différenciation de soi, et de la possibilité d’établir des relations d’objet de qualité. Dans les cas les plus graves, ce défaut nuit à l’insertion sociale et produit de nouveaux désordres psychologiques, malgré la mise en place de mécanismes de défense et de tentatives d’adaptation plus ou moins pathologiques, comme le retrait et l’évitement des relations affectives chez les patients borderline (Paris et coll., 1987 ; Stone,1993).

Dans les cas habituels, la difficulté de la personne à résoudre les tâches présentées par le monde interne et par le monde externe peut s’exprimer dans une « névrose de caractère » qui peut se définir comme une constellation typique de traits qui caractérisent une personne particulière. Ces traits peuvent être exacerbés dans certaines situations difficiles jusqu’à constituer une organisation pathologique de l’ensemble de la personnalité. Quand ils ne permettent plus à la personne de prendre en main les exigences auxquelles elle est soumise, des symptômes peuvent apparaître (Wilczek, 1998). Dans la psychothérapie dynamique, on considère l’amélioration comme le résultat de la résolution d’un conflit psychique et/ou d’un déficit développemental. Dans ce cas, il s’agit d’un véritable changement de la structure psychique.

Place et limites de l’évaluation symptomatique dans les études d’efficacité

Les symptômes d’appel et le syndrome clinique qui les réunit ne constituent qu’un des aspects (« la partie visible de l’iceberg ») du « diagnostic » qu’établit le psychothérapeute psychodynamicien quand il rencontre un patient pour envisager avec lui une psychothérapie. Son évaluation concerne également la structuration du moi, les mécanismes de défense, la conscience de la réalité psychique, la relation à l’affect, l’estime de soi, la qualité des relations interpersonnelles…

Pour ces différentes raisons, il n’est pas évident que ce soit l’amélioration symptomatique qui soit la mesure la plus pertinente à prendre en compte lorsque l’on veut évaluer les résultats d’une psychothérapie psychodynamique.

C’est cependant un aspect qui ne peut être négligé : d’une part, la psychothérapie psychanalytique est incluse dans le champ des traitements médicaux (qui se réfèrent à la notion de symptômes et de maladie) ; d’autre part, l’attente des patients est aussi d’obtenir un soulagement de leur souffrance et de leurs symptômes, sans qu’ils ignorent pour autant que ces aspects ne constituent qu’une partie de leurs problèmes. Par ailleurs, il faut bien reconnaître que la mesure des symptômes est beaucoup plus simple que celle des fonctionnements mentaux humains et de leur organisation temporaire.

Ce caractère nécessaire des mesures symptomatiques et nosographiques ne doit pas faire méconnaître pour autant leurs limites. Elles ont souvent été critiquées comme étant trop globales, mais également trop centrées sur une symptomatologie particulière. Cette approche élimine de fait l’aspect constructif et maturatif de la psychothérapie (Goin et coll., 1995) et limite l’information sur la composition complexe des changements qui peuvent s’y produire (Hoglend et coll., 2000). Rappelons les cinq buts de la thérapie psychanalytique tels qu’ils ont été résumés par Knight (1941) à partir des conclusions du congrès international de Marienbad (1936) :

- guérison symptomatique, c’est-à-dire diminution significative des peurs, détresses, inhibitions et dysfonctionnements handicapants ou liberté relative par rapport à eux ;

- production accrue, avec une capacité améliorée d’utiliser ses énergies agressives dans le travail ;

- amélioration de l’entente et du plaisir dans sa vie sexuelle ;

- amélioration des relations interpersonnelles, moins ambivalentes, plus consistantes et loyales ;

- acquisition d’une conscience suffisante pour prendre en main les conflits psychologiques ordinaires et les stress raisonnables de la réalité.

Concordance entre les différentes approches diagnostiques

La concordance entre traits psychopathologiques, fonctionnement psychodynamique et symptômes psychiatriques est une question complexe. D’abord, elle est susceptible d’évoluer au cours d’une psychothérapie (Jones, in Knight, 1941). Ensuite, la normalité ne s’identifie pas à l’absence de symptômes : il est par exemple d’observation commune que certains patients obtiennent une réduction symptomatique en réduisant certaines activités essentielles de leur vie. Enfin, le degré de santé ou de maladie psychologique ne correspond pas étroitement aux catégories diagnostiques ; chacun des principaux diagnostics présente un large éventail de sévérité psychiatrique. Même un diagnostic de psychose recouvre des niveaux de santé-maladie psychologique très différents (Luborsky et coll., 1993).

Une autre difficulté se situe au niveau de la définition nosologique. Dans la pratique clinique, celle-ci se heurte constamment avec le problème de savoir où situer les cas « mixtes ». « Comment classer par exemple une personne présentant un caractère obsessionnel rigide avec de fortes tendances paranoïdes et un état d’anxiété pour lequel elle consulte, et aussi quelques symptômes psychogènes qu’elle attribue à une fièvre tropicale survenue quelques années plus tôt ? » (Knight, 1941).

Il existe également un problème de convergence entre les résultats issus de différents niveaux et modes d’évaluation diagnostique. Plusieurs études ont porté sur cette question.

Wilczek et coll. (1998) ont comparé le « diagnostic DSM » et le « diagnostic psychodynamique » dans une population de 55 patients ayant sollicité un traitement et pour lesquels une indication de psychothérapie avait été posée. Ces patients ont été évalués d’une part à l’aide du DSM-III-R (axes I : troubles nosologiques, II : troubles de la personnalité et V : fonctionnement global), et d’autre part à l’aide de deux échelles, l’une de caractère psychodynamique (Karolinska psychodynamic profile, KAPP) et l’autre de personnalité (Karolinska scales of personality, KSP), considérée plutôt sous une référence biologique. Les patients avec diagnostic DSM (n = 30) souffraient pour la plupart de dépression. Les traits psychologiques les plus évidents apparaissant avec la KAPP concernaient la relation avec les affects agressifs (inhibition), la dépendance et la séparation, la tolérance à la frustration et le contrôle de l’impulsivité. Un autre aspect concernait les troubles des relations interpersonnelles (difficulté des relations intimes et réciproques ; capacité de vivre le conflit et l’ambivalence), également corrélés aux troubles DSM et au fonctionnement général (global assessment of functioning scale, GAF). Un dernier aspect concernait les sous-échelles « Dépendance et séparation », « Conceptions de l’apparence corporelle », et leur signification pour l’estime de soi, qui était corrélée à des scores élevés au DSM et bas au GAF. Ce résultat peut être interprété comme une réaction dépressive et un fonctionnement global perturbé consécutifs à un deuil narcissique. Cette étude fait apparaître que des approches diagnostiques très différentes peuvent non seulement s’avérer complémentaires, mais introduire des données nouvelles par les corrélations qu’elles révèlent.

Certains auteurs (Goin et coll., 1995) indiquent que certains instruments peuvent être plus sensibles que d’autres : l’entretien semi-structuré de McGlashan (MSI) met en évidence des dimensions (évolution des capacités métalinguistiques et de distanciation par rapport à l’état affectif) qui ne sont pas détectables par la SCL-90 (détresse symptomatique) même si les changements révélés vont dans la même direction. D’autre part, si globalement l’ensemble des patients est amélioré dans cette étude, de fortes différences interindividuelles, apparaissent dans le déroulement de l’évolution. L’étude de Hoglend et coll. (2000) utilise un instrument regroupant cinq sous-échelles cotées de 1 à 100 et portant sur : (1) la qualité des relations amicales et familiales ; (2) les relations sentimentales et sexuelles ; (3) la tolérance affective ; (4) l’insight et (5) la résolution des problèmes et la capacité adaptative. Cette étude concerne 50 patients dont les diagnostics à l’axe I du DSM-IV étaient pour la plupart des troubles de l’adaptation, des troubles anxieux et dépressifs ; environ la moitié d’entre eux présentaient un ou plusieurs troubles de l’axe II. Leur fonctionnement global a été évalué à partir du GAF et ils ont également rempli la SCL-90 ainsi que de nombreux autres autoquestionnaires. Un an après le début de la psychothérapie, les changements observés chez la plupart des patients se sont situés dans les dimensions de l’insight et de la tolérance affective. Les échelles se sont révélées discriminatives par rapport aux mesures de changement issues de mesures générales de symptômes, et suffisamment fines pour mesurer des changements statistiquement significatifs au cours d’une psychothérapie brève.

À partir du concept de santé-maladie psychologique, Luborsky (1975) a mis au point l’échelle de santé-maladie (HSRS) et ses dérivés (GAS ou GAF). Établie à partir de 24 cas classés selon leur gravité avec un score de 1 à 100, cette échelle permet au clinicien de situer ses patients par rapport à ces cas types en cotant les capacités d’autonomie, la gravité des symptômes, le degré de détresse subjective, les conséquences de l’état du patient sur son entourage, l’utilisation de ses capacités personnelles, la qualité de ses relations personnelles, l’ampleur et la profondeur de ses intérêts. Une revue portant sur plus de 80 études (1993) fait apparaître que la santé-maladie psychologique n’est que modérément corrélée aux diagnostics psychiatriques et que le niveau initial de santé-maladie psychologique est un facteur prédictif du résultat obtenu avec des psychothérapies dynamiques et d’autres types de psychothérapie.

Autres instruments d’évaluation des changements psychodynamiques

Pour compléter les mesures symptomatiques et nosologiques, différents chercheurs (Kernberg, 1973 ; Malan, 1973 ; Luborsky, 1975 ; Horowitz et coll., 1986) ont conçu des mesures susceptibles d’appréhender les fonctionnements psychiques et leur évolution au cours d’un traitement psychothérapique. Les premiers projets reposaient sur des recueils de données et des instruments non standardisés ; des instruments mieux adaptés ont ensuite été élaborés. Ainsi, différentes études ont associé à des dimensions générales (variables démographiques et sanitaires) l’évaluation des symptômes (recherchés dans une pathologie spécifique ou systématiquement), l’évaluation du fonctionnement personnel (en particulier concernant les relations sociales et les passages à l’acte), et des mesures sur les dimensions d’acquisition telles que la construction du soi, la maturation, la conscience et la prise en compte des conflits de la réalité, la qualité des relations d’objet, les capacités affectives, la réalisation dans le travail, ou l’accès aux affects et leur intégration dans la personnalité (Monsen et coll., 1995). Des mécanismes de défense, situés à l’interface entre santé et maladie (selon qu'ils sont employés en association ou non avec d'autres), peuvent constituer un élément diagnostic important (Lingiardi et coll., 1999).

Des échelles, comme l’échelle des capacités psychologiques (DeWitt et coll., 1991 ; Sundin et coll., 1994), recherchent les capacités de vie et leurs qualités ainsi que des aspects de fonctionnement défensif (défenses étant comprises dans un sens large).

Concernant les problèmes interpersonnels qui constituent un des axes symptomatiques majeurs des patients qui commencent une psychothérapie, Horowitz et coll. ont développé un autoquestionnaire d’usage simple, l’Inventaire des problèmes interpersonnels (Inventory of interpersonal problems (IIP ; Horowitz et coll., 1988). Les auteurs démontrent la corrélation entre certains types de problèmes interpersonnels et certains styles d’attachement et sa valeur prédictive pour le résultat d’une psychothérapie brève (Horowitz et coll., 1993).

À partir d’un corpus de 150 rêves recueillis sur une période de 5 ans chez une patiente atteinte de troubles graves de la personnalité avec par moments des idées de persécution et des réveils paniques, Thurin et coll. (1996) ont examiné les fonctions potentielles des rêves, leurs relations au conflit central du patient et leur évolution. L'objectivation fine et polyaxiale du rêve permet une évaluation des changements du rêveur par rapport à ses problématiques centrales et de sa capacité de les élaborer au niveau cognitif.

En résumé, des critères d’évaluation autres que symptomatiques ou nosologiques peuvent être pris en compte dans l’évaluation des résultats des thérapies psychodynamique et des instruments d’évaluation des changements psychodynamiques ont été développés. Ces instruments présentent une plus grande sensibilité pour évaluer les changements de la santé psychologique que ceux mesurant l’évolution des symptômes. De nombreux auteurs soulignent la nécessité d’associer mesures de résultats et de processus dans l’évaluation du traitement. Cependant, des mesures répétées afin de détecter des effets spécifiques du traitement ont été peu utilisées jusqu’à présent. Une étude (Jones et coll., 1993) illustre à propos d’un cas de dépression comment le déroulement du processus psychothérapique évolue en fonction des interactions et des états du thérapeute et du patient.

Les principaux instruments d’évaluation spécifique à l’approche psychodynamique sont récapitulés dans le tableau 5.II. Leurs caractéristiques essentielles sont décrites dans le tableau 5.III.

Il est intéressant de signaler le travail d’un groupe de psychiatres français (Gauthier, Odier et Souffir, à paraître 2004) de l’Association de santé mentale dans le XIIIe arrondissement (ASM 13, Paris) qui a mis au point une échelle d’évaluation des états psychotiques chroniques, basée sur une compréhension psychanalytique de la pathologie mentale. Cette échelle repose sur une étude de l’ensemble de la situation du patient : état clinique détaillé, situation sociale, impact des troubles sur la famille, rapport au système de soins, état physique. Elle s’appuie sur des regroupements sémiologiques de conduites, sur le repérage du fonctionnement mental, ainsi que sur le relevé des impressions des équipes de soins dans leur observation du patient lui-même et de ses interactions avec son milieu familial et social. À partir de la cotation de 85 patients par quatre juges en moyenne, la validité interjuges a été évaluée et estimée satisfaisante pour cette échelle. L’objectif est de décrire les évolutions favorisées par les différents traitements mis en œuvre, à moyen et à long terme


Tableau 5.II : Instruments d’évaluation de l’approche psychodynamique

Instruments d’évaluation des changements psychodynamiques

Dimensions et aires psychologiques multiples
- McGlashan semistructured interview (MSI ; Goin et coll., 1995)
Échelles de changement dans les psychothérapies dynamiques (Hoglend et coll., 2000)
- Karolinska psychodynamic profile (KAPP ; Weinryb et Rössel, 1991)
- Minnesota multiphasic personality inventory (MMPI)

Relations interpersonnelles
- Inventory of interpersonal problems – circumflex version (IIP) (Horowitz et coll., 1988 et 1993)
- Core conflictual relationship theme (CCRT ; Luborsky, 1977)
- Adult attachment interview (AAI ; Main et coll., 1985)

Tolérance affective (Monsen et coll., 1995)

Mécanismes de défense et capacités psychologiques
- Defense mechanism rating scale (DMRS ; Perry, 1991)
- Scales of psychological capacities (SPC ; DeWitt et coll., 1991)

Instruments d’évaluation d’utilisation des techniques et d’adhésion à la méthode thérapeutique

Penn adherence-competence scale for supportive-expressive therapy (PACS-SE)
Interpretive and supportive technique scale (ISTS) utilisable pour l’ensemble des psychothérapies psychodynamiques (Ogrodniczuk et Piper, 1999)
Specific therapeutic technique (STT) (Bogwald et coll., 1999)
Mesure des interprétations de transfert (Bogwald et coll., 1999)


Tableau 5.III : Caractéristiques des instruments d’évaluation

Instruments d'évaluation du fonctionnement global et de la détresse symptomatique

HSRS

Échelle santé-maladie (Health-sickness rating scales [HSRS]) (Luborsky, 1962 ; Luborsky et Bachrach, 1974). Aprės avoir déterminé le niveau général de la santé de l'individu (à partir de notes¸), un manuel contenant 24 illustrations de cas graduées sur une échelle à 100 points est consulté, et la cotation est réalisée en décidant si la personne en question est plus ou moins en bonne santé qu'un cas donné en illustration.

GAS ou GAF

üchelle d'évaluation globale ou de fonctionnement global (Global assessment scale [GAS], Endicott et coll., 1976, et Global assessment of functioning scale [GAF]). Adaptation allégée de l'HSRS. Incorporée à l'axe V du DSM‑III‑R. Comprend dix niveaux descriptifs et des poins d'échelle allant de 1 à 100.

SAS

L'üchelle d'ajustement social (Social adjustment scale [SAS]) (Weissman, 1975) permet d'évaluer le fonctionnement social et l'activité dans un large éventail de domaines incluant le travail à l'extérieur et à la maison, les relations avec les partenaires, la famille et les amis. Cette échelle a une consistance particuliėre pour mesurer le rapport coÖt-efficacité d'une psychothérapie (Krupnick et Pincus, 1992).

SCL‑90‑R

La SCL‑90‑R (Symptom check list-90-revised, Derogatis, 1983) est un questionnaire à 90 items de type Likert auto-administré. Derogatis a rapporté une consistance interne allant de 0,77 à 0,90 et une fidélité test-retest entre 0,80 et 0,90 sur un intervalle d'une semaine. La SCL‑90 est con¨ue pour mesurer 9 aires majeures de détresse symptomatique : somatisation, sensibilité interpersonnelle, anxiété, anxiété phobique, trouble obsessionnel compulsif, dépression, hostilité-colėre, idéation parano‚de, et psychoticisme. L'Index de sévérité globale de la SCL‑90‑R (GSI) peut tre utilisé comme une mesure générale de l'adaptation du patient.


Instruments d'évaluation des changements psychodynamiques

MSI

McGlashan semistructured interview (Goin et coll.,1995). Le MSI identifie 32 aires psychologiques regroupées en huit dimensions dont l'amélioration peut être considérée comme un but approprié de la psychothérapie psychodynamique. Ces aires incluent des catégories telles que la sécurité de base, la capacité de séparation/individuation et la cohérence du sens de soi.

ECPD

üchelles de changement dans les psychothérapies dynamiques (Hoglend et coll., 2000). Entretien semi-structuré explorant cinq dimensions : relations interpersonnelles amicales et familiales, relations sentimentales et sexuelles, tolérance aux affects, insight, capacités d'adaptation et de résolution de problėmes. Cotation de 1 à 100.

KAPP

Karolinska Psychodynamic Profile (Weinryb et RĻssel, 1991 ; in Wilczek, 1998). Le KAPP est un instrument d'évaluation basé sur la théorie psychanalytique qui évalue les modes relativement stables de fonctionnement mental et les traits de caractėre, tels qu'ils apparaissent dans la perception de soi et les relations interpersonnelles. Il est constitué de 18 sous-échelles s'inscrivant dans sept dimensions. Dix-sept des sous-échelles sont à un bas niveau d'abstraction et pourraient être considérées comme représentant les traits de caractėre ; la derniėre sous-échelle se réfėre au caractėre comme organisation. Chaque sous-échelle est fournie avec une définition et trois niveaux définis. Deux niveaux additionnels intermédiaires peuvent être utilisés, aboutissant à une échelle en 5 points (1, 1,5, 2, 2,5 et 3). Sur toutes les sous-échelles, le niveau 1 représente le niveau le plus normal et le niveau 3 le moins normal. Le KAPP s'est avéré discriminer les patients avec ou sans diagnostic DSM. Il a un pouvoir prédictif par rapport à la fa¨on de réagir à un événement (opération chirurgicale).

CCRT

Core conflictual relationship theme (Luborsky, 1976). Le CCRT tente de mesurer les conflits relationnels et les patterns sur la base de trois composants : les souhaits envers les autres, les réponses des autres et les réponses du moi.

Instruments d'évaluation d'utilisation des techniques et d'adhésion à la méthode thérapeutique

PACS-SE

Penn adherence-competence scale for supportive-expressive therapy

ISTS

Interpretive and supportive technique scale utilisable pour l'ensemble des psychothérapies psychodynamiques (Ogrodniczuk et Piper, 1999).

TIRS

Therapist intervention rating system (Piper et coll., 1987). Chaque formulation de chaque thérapeute au cours de chaque séance est associée à l'une des neuf catégories qui vont du simple (ū mm-hmm š) à des interprétations complexes. Les cinq catégories les plus basses incluent de brėves expressions, réflexions, clarifications, questions et directives qui ne font pas référence aux composantes dynamiques du patient telles que des souhaits, de l'anxiété ou des défenses. Ainsi, elles sont définies comme des interventions, mais pas comme des interprétations. Les quatre catégories supérieures font référence aux composantes dynamiques du patient et sont définies comme des interprétations. Cette méthode nécessite 5 à 6 heures pour une séance de 50 min.

PTS

Perception of technique scale (Ogrodniczuk et Piper, 1999). Cette échelle est basée sur la structure de l'ISTS ; ses 8 items reflėtent les traits principaux des formes interprétatives et de soutien de la psychothérapie. Deux sous-échelles, représentant chaque forme de traitement, et une échelle complėte inscrite dans la direction interprétative sont dérivées de la PTS. Aprės chaque séance, le thérapeute et le patient cotent indépendamment chacun des huit items suivant le degré avec lequel le thérapeute est parvenu à produire ces traits clés. Les évaluations sont faites sur une échelle de type Likert à 5 points allant de 0 à 4 .

GIS

General interpersonnal skill (8 items). Outil d'évaluation de la compétence qui mesure l'habileté générale du thérapeute dans une séance donnée sur une échelle allant de 0 (ū pas du tout š) à 4 (ū trės importante š). Les items tentent de mesurer les facteurs de qualité que les adhérents à la majeure partie des modalités de psychothérapie agréeraient, telles que ū le thérapeute répond au patient d'une fa¨on acceptable et compréhensible š et ū les interventions du thérapeute paraissent significatives et bien situées dans le temps š.

STT

Specific therapeutic technique (Bogwald et coll., 1999). La STT est con¨ue pour mesurer l'usage spécifique de la focalisation sur le transfert et son interprétation. Elle présente une bonne fidélité interjuges, même au niveau de chaque item. Elle permet de distinguer deux groupes de traitement et possėde donc une validité discriminative. Son utilisation ne concerne pas la mesure d'autres interventions (par exemple de soutien ou d'exploration).

Instrument d'évaluation de l'alliance thérapeutique

CALPAS

La CALPAS est un autoquestionnaire à 24 items qui mesure la force de l'alliance thérapeutique patient-thérapeute. Suivant Gaston (1990), l'alliance est une construction multidimensionnelle de quatre éléments saisis par quatre sous-échelles de la CALPAS : la capacité du patient de travailler délibérément dans la thérapie ; le lien affectif du patient avec le thérapeute ; la compréhension et l'implication empathique du thérapeute ; l'accord que partagent le patient et le thérapeute concernant les buts du traitement. Chaque item est coté sur une échelle Likert à 6 points.

Implication des variables spécifiques et non spécifiques dans les résultats

La contribution relative de variables spécifiques (les outils techniques du psychothérapeute) et de variables non spécifiques (les qualités inhérentes à toute bonne relation humaine) dans le résultat d’une psychothérapie brève peut être évoquée à travers l’étude contrôlée de Strupp et Hadley (1979). Une population relativement homogène de 49 étudiants de 17 à 24 ans déprimés ou psychasthéniques au MMPI, recrutée par affiche et parmi les consultants du service de soin est confiée d’une part à des psychothérapeutes professionnels d’orientation psychanalytique et, d’autre part, à des enseignants sélectionnés sur la base de leur réputation pour leur empathie et la confiance qu’ils inspirent chez les étudiants. Le groupe « contrôle » est constitué d’étudiants sur liste d’attente. La thérapie est limitée à 25 heures sur une période de 3 à 4 mois, à un rythme de 2 séances par semaine. Les résultats montrent que les patients ayant une psychothérapie avec les professeurs présentent, en moyenne, une amélioration significativement aussi importante que les patients traités par des thérapeutes professionnels expérimentés.

Cette amélioration s’est produite durant la période de traitement et se maintient au moment de l'évaluation de suivi réalisée environ une année après l'inclusion. Le groupe contrôle manifeste également une amélioration, mais elle tend à être moins importante que celle constatée dans les groupes traités.

Les auteurs attirent d’abord l'attention sur le caractère relativement léger des troubles des patients, leur âge (favorable à des évolutions maturatives naturelles) et le fait que les psychothérapeutes professionnels n’avaient pas de compétence particulière dans les psychothérapies brèves. Par ailleurs, ils ont constaté une variabilité très importante suivant les couples thérapeutiques : certains patients ont fait l'expérience de bénéfices thérapeutiques considérables, d'autres sont restés virtuellement inchangés, certains montrant même une détérioration. Un examen plus précis fait apparaître qu’il existe toutes sortes de combinaisons entre les variables du patient et celles du thérapeute, que celles-ci donnent naissance à une relation particulière et à un résultat thérapeutique particulier. A un degré supplémentaire, il s’avère que les psychothérapeutes les plus professionnels ont eu une attitude finalement très proche de celle des professeurs : ils ont eu moins tendance à maintenir une distance interpersonnelle notable, à écouter respectueusement et à interpréter que leurs collègues plus jeunes. L’implication des patients était également importante et c’était avec eux que les psychothérapeutes professionnels avaient les meilleurs résultats. A ces éléments, il faut ajouter que les professeurs ont effectué leur travail thérapeutique sous la supervision d’un staff de professionnels qui étaient disponibles pour consultation et conseil en cas d’urgence. Waldron (1997) confirme les limites de cette étude : pas de répartition au hasard des étudiants (les thérapeutes ont traité les étudiants cherchant de l'aide ; les professeurs ont traité les étudiants ayant répondu par annonce) ; faible nombre par groupe réduisant la valeur statistique des résultats ; sélection sur des scores élevés aux échelles MMPI de dépression, de psychasthénie, et d’introversion sociale ; choix de professeurs bien perçus sur le campus ; durée réduite du traitement qui ne permettait pas d'appliquer l'ensemble d'une technique.

Cette étude fait bien apparaître les biais d’interprétation que peuvent suggérer les résultats d’une recherche quand de nombreuses variables sont ignorées ou méconnues.

Études concernant le rôle des facteurs spécifiques et non spécifiques dans le résultat des psychothérapies psychodynamiques

Les études sur le rôle de facteurs spécifiques et non spécifiques mettent en lumière la complexité des interactions entre différents éléments : variables liées aux patients (notamment à leurs représentations et à leur pathologie), aux thérapeutes (notamment à leur formation et à leur expérience), à l’interaction patient-thérapeute, aux modalités des psychothérapies utilisées. Nous en donnons quelques exemples.

Savoir si les hommes et les femmes répondent de façon similaire à des formes différentes de psychothérapie est une question relativement absente de la littérature. Ogrodniczuk et coll. (2001) ont étudié l’effet de deux formes de psychothérapie individuelle brève (interprétative et de soutien), dans une population de patients dont 67 % avaient reçu un diagnostic de l’axe I (dépression majeure 64 %, troubles de l’adaptation 8%, dysthymie 7 % et trouble panique 7 %) et 60 % un diagnostic de l’axe II (trouble de la personnalité évitante 18 %, obsessionnel-compulsif 16 %, paranoïde 14 %, dépendant 11 % et borderline 10 %). Durant la période de traitement, les patients, qu’ils soient de sexe masculin ou féminin, se sont améliorés. Cependant, les patients hommes se sont améliorés davantage avec la thérapie interprétative qu’avec la thérapie de soutien, alors que la situation inverse a été observée avec les patientes femmes. Au suivi, celles qui avaient suivi une psychothérapie interprétative n’avaient pas le même résultat qu’avec la psychothérapie de soutien, même après 12 mois. Les auteurs suggèrent que les patientes sont plus sensibles à l'aspect collaboratif et personnel de leur relation avec le thérapeute, qu’il est important pour elles de pouvoir exposer leurs problèmes et de recueillir des réponses qui soulignent l’influence des circonstances extérieures sur leurs difficultés actuelles (critères de la psychothérapie de soutien). À l'opposé, les patients de sexe masculin préfèrent une relation plus neutre avec le thérapeute et bénéficient davantage d’interventions qui encouragent l’introspection et l’examen d’émotions inconfortables (critères de la psychothérapie interprétative).

Dans l’étude de Piper et coll. (1990), la qualité des relations d’objet (QRO), définie comme une tendance de la personne à établir, sa vie durant, certaines sortes de relation avec les autres, a été explorée en référence à des critères caractérisant cinq niveaux de relation : génitale, œdipienne, obsessionnelle, dépressive et narcissique/borderline. Ces critères se référaient aux manifestations comportementales, à la régulation de l’affect, à la régulation de l’estime de soi et aux antécédents. Les objectifs de l’étude étaient de rechercher le rôle que pouvait avoir la qualité des relations d’objet, comme variable primaire indépendante, sur le résultat d’une psychothérapie brève (20 séances de 50 min, à raison d’une par semaine) portant sur les conflits internes liés aux personnes importantes de la vie du patient. Les patients (144) ont fait l’objet de deux évaluations initiales indépendantes : l’une concernait leur diagnostic nosologique, l’autre la QRO (haute ou basse). Concernant le diagnostic, ils souffraient essentiellement de troubles dépressifs, de l’adaptation, et anxieux auxquels étaient associés chez 35 % d’entre eux des troubles de la personnalité. Les patients ont été ensuite répartis entre un groupe « psychothérapie » et une liste d’attente. L’existence d’un effet indépendant lié à la qualité des relations d'objet sur le résultat de la psychothérapie n’a fait qu’approcher la signification statistique. Quand les deux facteurs (psychothérapie dynamique brève et haute qualité des relations d’objet) étaient combinés, environ trois quarts des patients se déplaçaient du niveau pathologique au niveau normal pour les trois mesures normatives (symptômes, dépression, anxiété). L’absence de l’un des facteurs était associée avec des pourcentages plus faibles, et l’absence des deux facteurs était associée aux résultats les plus faibles. Les auteurs ont d’emblée envisagé que cette variable (la qualité des relations d’objet) puisse être impliquée dans l’alliance thérapeutique, la capacité du psychothérapeute de maintenir un objectif et la capacité du patient de travailler avec les interprétations.

Concernant les attentes du patient, la qualité des relations d’objet et l’alliance thérapeutique, les objectifs de Joyce et Piper (1998) étaient d’évaluer : (1) les relations simples entre les représentations du patient et du thérapeute à propos de la « séance typique » et l’alliance thérapeutique ; (2) les relations entre ces représentations et le résultat du traitement ; (3) l’évolution des représentations au cours du traitement et sa valeur prédictive ; (4) les relations simples entre la représentation et l’alliance ou le résultat, face à la prédiction produite par deux autres variables (le niveau de développement des relations interpersonnelles et le niveau initial des symptômes dépressifs du patient). Cette étude a porté sur 105 patients souffrant de troubles de l’axe I pour 72 % (affectifs 27 %, anxieux 6,3 %, impulsivité 7,8 %) et de l’axe II pour 27% pour lesquels une indication de psychothérapie avait été posée par un service psychiatrique ambulatoire d’un hôpital universitaire. Les résultats ont montré que les représentations du patient concernant l’expérience de la thérapie étaient fortement et directement reliées à la qualité de l’alliance thérapeutique, et que les relations entre les représentations et le résultat étaient moins fortes mais restaient substantielles. Quant à la qualité des relations d’objet et à la détresse liée à la dépression, elles n’intervenaient respectivement que peu ou pas du tout dans le résultat. Ainsi, soutenue et encouragée par le thérapeute, une alliance forte peut être le fondement d’un traitement réussi quant à ses résultats.

Concernant, les problèmes interpersonnels et leur relation avec les styles d’attachement, Horowitz et coll. (1993) ont étudiés 36 patients traités dans une unité de soins ambulatoires par psychothérapie dynamique brève (20 séances). Les patients et les thérapeutes ont été invités après la dixième et la vingtième séance à considérer de façon indépendante quels problèmes avaient été abordés et lesquels s’étaient le plus améliorés, en utilisant l’Inventaire des problèmes interpersonnels (Horowitz, 1988). Cette étude montre que le type de problèmes interpersonnels ou personnels constitue une variable prédictive du résultat. Ainsi, les problèmes de soumission amicale (« il est difficile pour moi de dire “non” à une autre personne ») semblent plus faciles à traiter avec la psychothérapie dynamique brève que les problèmes de dominance hostile (« il est difficile pour moi de m’engager à long terme avec quelqu’un » ou « il m’est difficile de faire confiance à quelqu’un »). De même, la prédominance de problèmes personnels (par rapport aux problèmes interpersonnels) est un indice de difficulté, et sans doute également un indice diagnostique dans la dépression (anaclitique ou introjective). Les résultats suggèrent également des relations entre le type de problèmes interpersonnels d’une personne et son style d’attachement principal (sécure, préoccupé, craintif, abandonnant). La difficulté de certains patients à décrire clairement leur entourage serait également un indice prédictif du résultat de la psychothérapie.

De nombreux travaux ont suggéré que les facteurs « thérapeutes » pourraient jouer un rôle important par rapport à l’issue de la thérapie, mais les études apportent des résultats qui sont loin d’être homogènes. L’étude de Strupp et Hadley (1979), précédemment évoquée, faisait apparaître que des pédagogues chaleureux pouvaient avoir des résultats comparables à ceux de psychanalystes chevronnés, du moins dans une population qui ne leur était pas étrangère et dont la gravité de la pathologie était modérée.

Bien qu’une riche littérature avance le rôle de l’empathie dans le résultat de la psychothérapie, ce rôle a été peu testé objectivement. Définie pour la première fois par Freud en 1905, l’empathie d’après Shafer (1959) est « l’expérience intérieure de partage et de compréhension de l’état psychologique momentané d’une autre personne ». Dans l’étude de Free et coll. (1985), 59 sujets venus pour un traitement dans le centre ambulatoire du département de psychiatrie de Cincinnati ont été adressés de façon randomisée à l’un des treize thérapeutes résidents (suivis par des superviseurs) pour une psychothérapie dynamique brève focale de 12 séances hebdomadaires. Une évaluation de l’empathie du thérapeute (dans le sens de la qualité de son attention, de sa compréhension et de ses interventions) a été effectuée par les patients, les thérapeutes et les superviseurs (sans accord de cotation). La seule mesure d’empathie corrélée significativement avec les mesures de résultats (SCL-90-R, symptômes cibles et Échelle santé-maladie) était celle des patients, et seulement pour deux de ses variables (hostilité et qualité des relations interpersonnelles). Les auteurs considèrent que les superviseurs étaient plus sensibles à l’approche générale des thérapeutes qu’aux processus intellectuels qui guidaient leurs interventions, alors que les patients y étaient sans doute beaucoup plus sensibles. Ils recommandent l’usage d’enregistrements audio ou vidéo en plus des présentations traditionnelles basées sur des notes prises durant les séances.

Différentes études ont montré un taux plus réduit de sorties prématurées de la psychothérapie avec des thérapeutes mieux formés. L’étude de Lastrico et coll. (1995) a comparé un groupe de 59 psychothérapies analytiques menées par des psychothérapeutes en formation à un groupe de 19 psychothérapies menées par des psychothérapeutes formés. Ces psychothérapies étaient destinées à des patients présentant pour 68,7 % d’entre eux des troubles de l’axe I (dépression majeure, troubles anxieux) et pour 30 % de l’axe II (borderline). Un an après l’entrée dans l’étude, le taux d’interruption précoce de la psychothérapie par les patients était de 40,1 % dans le groupe suivi par des psychothérapeutes en formation et de 16,7 % dans le groupe suivi par des psychothérapeutes formés. Les traitements ont majoritairement eu une évolution favorable ; cependant, le nombre de succès thérapeutiques a été nettement supérieur dans le groupe de patients confiés à des psychothérapeutes formés. Cette discrimination s’établit nettement après la sixième séance ; un des facteurs y contribuant pourrait être la relative sévérité clinique des patients traités.

L'étude d'Aapro et coll. (1994) menée à partir du même centre et portant sur 291 sujets présentant des troubles semblables à ceux précédemment décrits montrait également que les psychothérapies interrompues avaient été effectuées par des thérapeutes ayant moins d’expérience (2,7 ans versus 6,7 ans de formation), alors que la gravité de l’anxiété et de la dépression n’entrait pas en compte dans le résultat. Les conduites addictives, antisociales ou alcooliques, les attitudes manipulatrices, l’impulsivité constituaient des facteurs prédictifs d’abandon prématuré, alors qu’en revanche l’autodépréciation, la motivation pour la psychothérapie et les capacités d’introspection constituaient des facteurs favorables. L’alliance aidante de type II (AA2 « nous travaillons ensemble, mon thérapeute et moi ») était clairement corrélée à l’évolution favorable, ainsi que l’authenticité du thérapeute (au sens rogérien du terme).

Concernant les variables techniques, Barber et coll. (1996) ont voulu tester si l’adhésion et la compétence pour une technique spécifique de psychothérapie brève – la psychothérapie de soutien-expression (et interprétation) – étaient associées à des changements au-delà des variables du patient. L’étude a porté sur 29 patients ayant reçu un diagnostic de dépression (Research diagnostic criteria) à deux reprises dans un intervalle d’une semaine. Les enregistrements de la troisième séance ont été évalués à partir de la Penn adherence-competence scale for supportive-expressive therapy (PACS-SE). Il s’agit d’une échelle à 45 items qui mesure jusqu’à quel point les recommandations pour les interventions thérapeutiques ont été suivies durant une séance. Trois autres instruments ont été utilisés : l’autoquestionnaire de l’alliance aidante, le Beck depression inventory (BDI) et l‘Échelle santé-maladie (HSRS). L’application simple (quantitative) des techniques de soutien et d’expression n’a eu aucun effet. En revanche, l’application relativement compétente des techniques d’expression-interprétation prédisait une réduction conséquente de la dépression, ce qui n’était pas le cas pour les techniques de soutien. Le rôle de l’alliance s’est révélé faible (différence avec l'adhésion). Dans l’étude de Ogrodniczuk et Piper (1999), utilisant un instrument (Interpretive and supportive technique scale – ISTS –) destiné à être bref, fiable et aisément applicable aux différentes formes de psychothérapie, les associations ont été recherchées entre l’adhésion (et son niveau) à un protocole thérapeutique, le développement de l’alliance thérapeutique et les résultats de deux formes de psychothérapie psychodynamique brève (soutenante et interprétative, 20 séances de 50 min). Elle a porté sur 144 patients ayant reçu un diagnostic DSM-III-R de l’axe I pour 63 % (61 % avaient des troubles de l’humeur, dont 80 % une dépression majeure, 7 % un trouble de l’adaptation) et/ou de l’axe II pour 60 % (29 % de personnalité évitante, 24 % de trouble obsessionnel-compulsif, 22 %de borderline et 22 % de paranoïde). L’adhésion à la technique thérapeutique (interprétative ou de soutien) apparaît significativement associée avec l’alliance thérapeutique dans la psychothérapie dynamique brève mais n’a, en revanche qu’une relation minimale avec le résultat de la thérapie. Les auteurs envisagent plusieurs explications pour ce résultat : l’importance des facteurs non spécifiques (relation d’aide, explication convaincante et feed-back) ; l’adhésion trop rigide à la technique, qui peut être contre-productive ; la possibilité que seules certaines interventions techniques comme l’interprétation ou la résolution de problèmes aient un effet favorable, interventions noyées ici parmi d’autres beaucoup plus accessoires ; enfin, les limites du manuel.

L'étude de Crits-Christoph et coll. (1988) porte sur un aspect encore plus précis de la compétence technique, à savoir la pertinence des interprétations dans le cadre de la psychothérapie dynamique de 43 patients ayant pour la plupart reçu un diagnostic de trouble dysthymique, anxiété généralisée ou de troubles de la personnalité. La notion de pertinence recouvrait ici le degré de congruence entre le contenu des thèmes conflictuels centraux du patient (établis à partir de la méthode du Core conflictual relationship theme – CCRT –) (Luborsky, 1977 et 1986) et les interventions du thérapeute, transcrites et cotées par deux juges. Une relation statistiquement significative et modérément forte a été trouvée entre l’interprétation pertinente (formulation du souhait inconscient du patient, du conflit dans les relations interpersonnelles « types » et de son effet rapporté à des expériences de vie similaires) et le résultat du traitement. Il n’a pas été mis en évidence de relation entre la pertinence des interprétations et la qualité de l’alliance thérapeutique, résultat surprenant étant donné qu’une alliance solide est souvent nécessaire pour que les patients tolèrent et utilisent les interprétations.

L’étude de McCullough et coll. (1991) a pris en compte l’effet que l’interprétation du psychothérapeute produisait chez le patient. Ce qui était prédictif du résultat était bien davantage la fréquence et le type des réponses affectives qu’apportait le patient dans les trois minutes qui suivaient l'intervention du psychothérapeute que la nature de l’interprétation. Si cette réponse était une réaction essentiellement défensive, le résultat serait négatif, s’il s’agissait d’un mouvement affectif positif, il serait positif. Cet effet de l’interprétation, à partir du mouvement affectif qu’elle produit, suggère qu’un thérapeute devrait modifier son approche quand un patient montre une trop grande tendance à des réponses défensives à ses interventions. Inversement, quand les interprétations patient-thérapeute sont suivies d’un affect positif, le thérapeute devrait logiquement considérer qu’il est sur la bonne voie.

Concernant l’alliance thérapeutique et l’amélioration précoce, Alexander et French (1946) ont suggéré que l’expérience émotionnelle corrective produite par un thérapeute chaleureux, attentif, compréhensif et dévoué était favorable à la cure thérapeutique. Luborsky (1984) a également proposé que l’alliance thérapeutique soit un des trois facteurs curatifs de la psychothérapie. Mais comment se construit cette alliance thérapeutique ? Nous avons vu qu’elle pouvait dépendre des représentations du patient et de facteurs liés au thérapeute. En revanche, l’action de facteurs plus techniques n’a pas reçu de véritable confirmation. Barber et coll. (2000) ont voulu examiner le rôle de l’amélioration symptomatique précoce dans la mise en place de l’alliance thérapeutique, et secondairement le résultat. Leur étude a porté sur le traitement par psychothérapie dynamique de soutien-expression d’un groupe de 86 patients présentant des troubles anxieux généralisés, une dépression chronique ou un trouble de la personnalité évitant ou obsessionnel-compulsif. Les résultats suggèrent que bien que l’alliance précoce puisse être influencée par une amélioration symptomatique antérieure, elle reste d’abord un élément prédictif significatif d’une amélioration ultérieure, même quand le changement antérieur dans la dépression est partiellement absent. Du fait de la nature complexe des relations entre amélioration symptomatique et alliance dans le processus psychothérapique, il est probable que ces deux facteurs peuvent se renforcer mutuellement très rapidement.

En résumé, différentes études font apparaître l’interaction de différentes variables dans les résultats, plutôt que leur action spécifique. Il existe cependant des variables qui ont une valeur pronostique sur les résultats du traitement dans la mesure où elles conditionnent sa mise en œuvre et conduisent fréquemment à son interruption si elles ne sont pas prises en compte. Il s’agit de la préparation au traitement, de la qualité initiale des relations d’objet et de la formation des psychothérapeutes. L’adaptation qualitative des interventions techniques est importante et le patient en est, consciemment et inconsciemment un bon témoin (par ses réactions affectives).

Possibilité de réaliser des études d’évaluation de l’efficacité des psychothérapies longues

Bien qu’ayant fait l’objet d’un investissement considérable en recherche, les traitements psychodynamiques longs n’ont donné lieu que très récemment à des études de population méthodologiquement rigoureuses (Vaughan et coll., 2000 ; Blomberg et coll., 2001 ; Leuzinger-Bohleber, 2002).

Les évaluations réalisées (revues dans Knight, 1941 ; Bachrach et coll., 1991 ; Barber et Lane, 1995) ont porté tout d’abord sur des études de cas, puis progressivement des études plus systématiques ont été réalisées sur des populations.
Menée de 1954 à 1972, l’étude Menninger était une tentative ambitieuse (et la première prospective) pour évaluer l’efficacité de la psychothérapie psychodynamique et de la psychanalyse. Elle a évalué les effets à long terme de la psychothérapie chez 42 patients borderline, présentant des psychoses latentes ou des troubles graves du caractère (Wallerstein, 1986). Quatre domaines principaux ont été examinés : les caractéristiques des patients, les thérapeutes, les modalités du traitement et les facteurs d’environnement. L’évaluation initiale consistait en 10 entretiens psychiatriques, des entretiens avec les membres de la famille, une batterie complète de tests psychologiques ancrés sur la théorie psychanalytique de la psychologie du moi, et était suivie d’enregistrements réguliers concernant le traitement en cours (impressions cliniques, rapports des superviseurs). Une nouvelle évaluation était conduite à la fin du traitement par des cliniciens seniors, puis de nouveau en période de suivi 2 ou 3 ans après, jusqu’à des périodes de temps approchant 30 ans. Parmi l’ensemble des cas, 22 analyses et 22 psychothérapies furent sélectionnées de façon aléatoire. Ces patients étaient très gravement atteints, puisque près de la moitié d’entre eux avaient un score inférieur ou égal à 40 (80 % ≤ 60) à l’HSRS (échelle santé-maladie de Luborsky).

L’information issue des enregistrements des thérapeutes était résumée dans un format standard s’accordant avec les principes psychodynamiques et les résultats ont porté sur trois mesures : amélioration globale, résolution du transfert et changement dans la constitution du moi. Plusieurs conclusions émergent de l‘ensemble des résultats (présentés dans 60 publications et 5 ouvrages) :

Les faiblesses de cette étude peuvent être résumées ainsi : les indications habituelles de la psychanalyse stricto sensu ont été largement dépassées, les niveaux de formation et d’expérience des analystes étaient très hétérogènes, l’échantillon était de taille relativement faible. De plus, le mode de recueil des données a varié à différentes périodes, les chercheurs connaissaient les diagnostics et les impressions des cliniciens concernant les patients sur lesquels ils faisaient leurs mesures. Par ailleurs, les évaluateurs étaient familiers avec la thérapie et prenaient en compte les variations de l’approche thérapeutique quand ils évaluaient les résultats. Enfin, l’absence de groupes de comparaison a rendu les résultats d’autant plus difficiles à interpréter que ces psychothérapies étaient longues et que de nombreux facteurs pouvaient les avoir influencés.

De nombreuses universités américaines et instituts psychanalytiques ont participé à la recherche sur l’efficacité de psychanalyses et psychothérapies longues en se centrant sur un aspect particulier. Ces travaux sont résumés dans le tableau 5.IV.

Tableau 5.IV : Recherches spécifiques menées par les universités et instituts de psychanalyse américains

Influence de la durée du traitement sur le bénéfice

Université de Columbia, Institut psychanalytique de New York

Développement des capacités d'auto-analyse

Institut psychanalytique de Boston

Caractéristiques du patient et variables du traitement

Université d'Alberta

Méthodologie, définition de concepts et développement de mesures opérationnelles

Université de Pennsylvanie

Facteurs spécifiques et non spécifiques

Universités de Vanderbildt, de Michigan et de Pennsylvanie

Études de processus, interactions patient-thérapeute

Université de Chicago

Facteurs de santé

Université John Hopkins

Comparaison entre psychothérapies

Université de Temple

En résumé, beaucoup d’obstacles méthodologiques, liés à la complexité des éléments impliqués et à l’absence de définitions opérationnelles de concepts usuels, ont ponctué la recherche sur l’efficacité des psychothérapies psychanalytiques longues. Il en résulte en première approche « beaucoup de travail pour peu de résultats », du moins en termes de preuve de l’efficacité des traitements menés. L'incertitude ne porte pas sur la valeur des données, mais pour une bonne part sur le fait que les évaluateurs utilisaient souvent des échelles d'évaluation « faites maison », de validité et fiabilité inconnues. Fisher et Greenberg (1996) ont résumé en six points les réserves méthodologiques grevant les différentes études qui viennent d’être brièvement présentées : confiance totale sur des cas traités par un seul praticien ; manque de démonstration qu'un traitement standard fiable (psychanalyse) a été réellement mis en place ; absence d'un groupe contrôle sans traitement ou traité autrement ; participation à l'étude de psychothérapeutes sans expérience ; pas de randomisation ; efficacité du traitement déduite d’un taux de réussite attribué par les thérapeutes ou issu de leurs notes.

Le développement de psychothérapies brèves, focalisées sur des problèmes et des populations très spécifiques, a indiscutablement aidé l’évolution des modèles d’évaluation des psychothérapies longues sans que pour autant leurs conclusions dans ce cadre précis puissent leur être généralisées. La conjonction de l’analyse seconde des études menées sur les psychothérapies à long terme et des méthodes développées pour les psychothérapies brèves (qui se sont progressivement affinées) permet d’envisager comme possible (et nécessaire) l’évaluation des psychanalyses et des psychothérapies psychanalytiques longues. Nous en donnons trois exemples.

Leuzinger-Bohleber (2002) a coordonné en 1997 une recherche naturaliste menée à l’initiative de l’Association psychanalytique allemande (DPV). Son objectif principal était d’étudier les appréciations rétrospectives des patients sur leur psychanalyse ou leur thérapie psychanalytique et leurs effets, 4 ans au moins après la terminaison (ces psychothérapies devaient s’être produites durant une période de 4 à 7 ans avant le début de l’étude). Deux sortes de données ont été recherchées : (1) « extra-analytiques » portant sur les symptômes, les changements dans la capacité de se confronter aux événements de vie, l’estime de soi, l’humeur, la satisfaction vis-à-vis de la vie, ainsi que sur l’évaluation globale de leur thérapie, les évolutions concernant leur travail et l’utilisation des services de santé ; (2) « analytiques » évaluant en particulier les réactions de transfert et de contre-transfert, les associations libres, et procédant à des analyses de contenu orientées vers la théorie. Compte tenu du nombre important de patients concernés, deux méthodes de recueil des données ont été utilisées : l’entretien enregistré (129) et le questionnaire détaillé (159) ou semi-détaillé (401). Les entretiens (deux pour chaque ancien patient auxquels s’ajoutait un troisième avec l’ancien analyste) étaient enregistrés et discutés par un groupe de recherche. Sur la base des informations disponibles, deux évaluateurs estimaient le niveau de trouble au début du traitement et au moment où l’étude de suivi s’était mise en place à partir de divers instruments. Un diagnostic était établi à partir de la CIM-10 et confronté à celui posé par l’ancien analyste. Plus de 50 % des patients présentaient des troubles névrotiques, 6 % des troubles psychotiques. Les diagnostics multiples étaient fréquents, mettant en évidence des troubles psychosomatiques et psychopathologiques multiples. L’évolution la plus remarquable est que 84,3 % des anciens patients étaient en ascension sociale. Par ailleurs, ils avaient internalisé leur attitude analytique, se rendant par là capables de poursuivre le processus analytique après la fin de leur cure. D’un point de vue qualitatif, il est apparu que les analystes avaient appliqué leur concepts théoriques au matériel clinique de manière prudente, souple et adaptée. Les psychanalyses qui ont bien fonctionné sont celles où les analystes ont réussi à montrer de l’empathie et à s’adapter de façon flexible, ouverte et professionnelle aux besoins de leurs patients, plutôt que d’utiliser une technique orientée vers leurs propres convictions ou croyances. De nombreux analystes ont souligné qu’ils considéraient le diagnostic et le degré de perturbation comme moins déterminants que l’observation des potentiels du patient, par exemple de bonnes relations d’objet malgré d’importants traumatismes, des capacités de réflexion sur soi partielles ou des signes de réaction positive aux interprétations. Les états limites, dont la mise en acte était très destructive, ont été traités avec un assez bon résultat lorsque l’analyste lui-même avait eu suffisamment de soutien personnel (sous la forme, par exemple, d’une supervision). Dans le traitement des psychotiques, les analystes ont coopéré avec une institution psychiatrique et ont utilisé une technique modifiée (face-à-face, basse fréquence). Cette recherche a d’abord impliqué d’obtenir l’accord des psychanalystes, qui se sont prononcés à 89 % en faveur de cette étude. La seconde étape a été de déterminer un échantillon représentatif de tous les patients en traitement psychanalytique de longue durée durant cette période et n’a pas posé non plus de problème de recrutement (n = 401).

Blomberg et coll. (2001) rapportent les résultats d’une étude menée en Suède de 1990 à 1998 sur l’efficacité de la psychanalyse et de la psychothérapie analytique portant sur 418 patients (74 en psychanalyse, 331 en psychothérapie analytique d’une durée de deux années ou plus, et 13 en psychothérapies variées à faible dose) et comporte deux groupes contrôles, « en bonne santé » et « normal » (650 personnes). Les modalités du traitement, psychanalyse ou psychothérapie de longue durée, ont été choisies librement par les patients eux-mêmes. Les mesures portaient sur trois types de variables : dépendance économique (utilisation des services de santé, travail…) ; santé (symptômes, relations sociales, vision générale de la vie) à partir de la SCL-90, de la SAS et de l’Échelle du sens de cohérence (Sence of coherence scale, SOCS) ; changements structurels internes et prise de conscience. Ces mesures étaient complétées par un autoquestionnaire concernant l’identité thérapeutique des praticiens (cursus, expérience et orientation thérapeutique, représentations des facteurs de changement, style thérapeutique).

Les résultats font apparaître une réduction importante des symptômes à la SCL-90. Cependant, alors que le groupe de psychothérapie n'a atteint qu'un niveau légèrement inférieur à la ligne de signification clinique, le groupe d'analyse a approché de près la valeur moyenne du groupe normal. Concernant la SAS, le développement de l'ajustement social (relativement faible) était pratiquement le même qu'un patient fut en psychothérapie ou en psychanalyse. Il n’était pas homogène, l'échelle concernant le travail s'améliorant beaucoup, alors que les échelles portant sur les relations avec les proches (parents, proches parents, famille étendue) n’évoluaient pratiquement pas. Concernant le facteur « thérapeute », il est apparu que les thérapeutes plus âgés obtenaient de meilleurs résultats avec leurs patients, indépendamment du sexe du thérapeute ou du patient, et indépendamment du fait qu'il s'agisse d'une psychanalyse ou d'une psychothérapie. À propos de leur style, l'attitude classique psychanalytique (importance majeure accordée à la neutralité technique et à l'insight) n'est pas optimale, au moins du point de vue des résultats sur les symptômes, pour les patients en psychothérapie.

Vaughan et coll. (2000) ont réalisé une étude de faisabilité destinée : à rechercher si les patients en traitement psychodynamique, incluant la psychanalyse, pouvaient être recrutés et retenus comme sujets pour des études ; à déterminer la compliance du patient et du thérapeute à participer aux mesures d’évaluation, à partir de questionnaires, d’entretiens structurés et de séances enregistrées ; à obtenir des données pilotes sur les changements dans ces mesures après un an de traitement.

Cette étude a enrôlé 9 patients dans une psychanalyse et 15 patients dans une psychothérapie psychodynamique à 2 séances par semaine. Les mesures ont associé les instruments classiques de diagnostic et d’évaluation de la dépression, de l’anxiété, de l’adaptation sociale, des troubles de la personnalité, et des instruments permettant d’évaluer des domaines considérés comme relevant particulièrement de la psychanalyse et de la psychothérapie psychodynamique : la mentalisation psychologique, le contrôle du comportement, le comportement social, les problèmes interpersonnels et l’alliance thérapeutique (tableau 5.V).

Les mesures de diagnostic ont objectivé des troubles de l'axe I (essentiellement des troubles de l’humeur et anxieux) chez plus de 60 % des patients ; les troubles de l'axe II, présents chez 57 % des patients, étaient rares en l'absence de troubles de l'axe I. Tous les patients qui sont restés (15) en traitement se sont améliorés. Les résultats ont montré une réduction des symptômes, un meilleur fonctionnement mental, une amélioration significative des problèmes interpersonnels après un an de traitement, pas de modification significative des mesures de personnalité, une amélioration significative de la capacité de réflexion, mais pas de véritable évolution du contrôle du comportement. Les mesures de l’alliance thérapeutique n’ont pas révélé de modification de la cotation des patients ; en revanche, il existait une amélioration de celle des thérapeutes.

Concernant la faisabilité d’une étude d’efficacité chez des patients en psychothérapie longue ou en psychanalyse, on peut constater que tous les patients ayant maintenu leur traitement sont restés dans le protocole de l'étude. La difficulté du recrutement des patients appartenant au groupe « psychanalyse » (27 %) par rapport au groupe « psychothérapie » (83 %) semble relever essentiellement des cliniciens. Il existerait encore une forte résistance à ce type d'étude parmi les psychanalystes cliniciens, résistance qu’ils communiquent à leurs patients. La situation pourrait changer si la recherche sur l'évaluation devenait une mission centrale des instituts psychanalytiques.

Tableau 5.V. Instruments utilisés dans l’étude de Vaughan et coll. (2000)

A. Autoquestionnaires

1. Variables démographiques
2. Liste de contrôle 90 (SCL-90) de symptômes
3. Inventaire de dépression (BDI)
4. Inventaire de traits d'état d'anxiété de Spielberger (STAI)
5. Inventaire de satisfaction sexuelle de Golombok (GRISS)
6. Neuroticisme, extraversion, franchise. Modèle de personnalité à cinq facteurs (NEO)
7. Réflexion psychologique (PM)
8. Contrôle du comportement (LCB)
9. Évaluation structurée du comportement social (SASB)
10. Inventaire des problèmes interpersonnels (IIP)

B. Mesures évaluées par des cotateurs

1. Entretien clinique structuré pour le DSM-III-R Axe I (SCID-I)
2. Entretien clinique structuré pour le DSM-III-R Axe II (SCID-II)
3. Échelle d'adaptation sociale

C. Enregistrement audio des cinq premières séances de traitement pour les mesures de cotation

1. Patterns relatifs au Thème conflictuel relationnel central (CCRT)
2. Échelle d'évaluation des mécanismes de défense (DMRS)
3. Échelle d'alliance psychothérapique de Californie - version évaluateur (CALPAS-R)

D. À partir de l’enregistrement de la 5e séance : mesures par le patient

1. Échelle d'alliance psychothérapique de Californie – version autoquestionnaire (CALPAS-P)
2. Évaluation par l’échelle d'impact de la recherche – version patient (AIRS-P)

E . À partir de l’enregistrement de la 5e séance : mesures par le thérapeute

1. Échelle d'alliance psychothérapique de Californie – version thérapeute (CALPAS-T)
2. Évaluation par l’échelle d'impact de la recherche – version thérapeute (AIRS-T)
À 6 mois : répétition de C à E ; à 1 an : répétition de A à E

 

Critères pour une « bonne recherche » évaluative des effets d’une psychothérapie psychodynamique

Bachrach et coll. (1991) ont procédé à une analyse systématique des études d’efficacité de la psychanalyse (incluant les psychothérapies psychanalytiques) depuis ses débuts (Coriat, 1917) jusqu’aux années 1990. Ils remarquent que dès l’origine, les psychanalystes investigateurs ont été conscients de l’importance de l’objectivité, de la fiabilité et de l’indépendance de l’observation. Cependant, à l’exception de l’étude Menninger (Kernberg, 1973) et de toutes les études basées sur la méthodologie de Pfeffer (Pfeffer, 1959), la plupart des études n’ont pas réalisé une exploration soigneuse de la nature individuelle du changement. C’est ainsi que de nombreuses études ont été construites sur des modèles statistiques multivariés plus adaptés à la détermination de tendances générales. La plupart des études ne fournissent aucune indication sur la nature de la contribution de l’analyste au processus du traitement dans des cas individuels, facteur qui concerne beaucoup plus directement les analystes. Alors que les études révèlent une relation substantielle entre le développement d’un processus analytique et le bénéfice thérapeutique, les caractéristiques initiales du patient ne permettent pas vraiment, sauf dans des cas extrêmes, de prédire la nature du résultat.

Bachrach et coll. (1991) proposent cinq critères pour une recherche évaluative : il faut montrer que le traitement évalué a réellement été mis en place ; le traitement doit être conduit par des praticiens suffisamment formés et expérimentés suivant des principes de pratique classiquement acceptés ; il doit être évalué en relation avec les conditions cliniques dans lesquelles il est applicable ; les patients doivent correspondre aux pré-requis du traitement ; les variables pertinentes doivent être spécifiées, opérationnalisées et étudiées systématiquement. Si les caractéristiques des patients ont été plutôt bien spécifiées et étudiées, celles du processus (à l’exception peut-être des conditions de sa mise en place et de l’interaction analyste-analysant) l’ont été beaucoup moins. Quant à celles concernant l’analyste, elles n’ont été étudiées que de façon rudimentaire. Il reste à obtenir des définitions opérationnelles claires et consensuelles de termes tels que l’amélioration, le bénéfice thérapeutique, le processus analytique et même les conditions de terminaison.

Poursuivant le travail engagé par Bachrach, Waldron (1997) a réalisé une revue synthétique de différents moyens permettant d’étudier les résultats de la psychanalyse. Il en tire un certain nombre d’enseignements et de recommandations. Deux niveaux doivent être pris en compte pour accomplir des études évaluatives :

La psychanalyse est fondamentalement un processus complexe. Les variables observées doivent être multiples. Une intervention technique (comme l’interprétation) ne doit pas être appréhendée seulement en termes quantitatifs, mais également qualitatifs. Cette complexité du problème devrait conduire à une collaboration entre différents chercheurs et cliniciens. Waldron insiste sur la complémentarité entre études portant sur un cas unique et études de population. Les méthodes statistiques portant sur un échantillon de population permettent de dégager des tendances générales. Elles sont inapplicables lorsque l’objet de l’étude est un événement unique ou rare – une occurrence historique majeure, par exemple. Elles sont également inapplicables quand les nécessités techniques pour obtenir l’échantillon à étudier excèdent de loin les capacités de l’investigateur : la taille de l’échantillon nécessaire pour démontrer la signification de la contribution des variables s’accroît avec le nombre de variables et ces variables peuvent être nombreuses dans les populations étudiées en thérapie psychodynamique.

Les études de cas nécessitent de définir les buts et la méthodologie, la situation qui va être étudiée, la logique qui lie les observations avec les conclusions, et les critères permettant de déterminer jusqu’à quel point ce lien est satisfaisant. Elles permettent d’étudier les séquences d’interaction entre le psychothérapeute et le patient, la relation entre interprétation et prise de conscience (Gedo et Schaffer, 1989 ; Waldron, 1997), l’évolution du récit et du processus narratif (Nye, 1991 ; Thurin, 1997). Des outils spéciaux destinés à l’analyse de séries temporelles ont été développés : la segmentation par séances ou unités plus courtes d’interaction sélectionnées au hasard ou à partir d’occurrences particulières (comme les pronoms et les unités thématiques) ; la méthode statistique spécifique à cette approche.

D’après Waldron, l’étude de cas est surtout utile pour savoir comment et pourquoi un phénomène se produit, alors que les méthodes concernant des échantillons de population sont plus adaptées à des questions telles que : qui, quoi, où, comment, combien et à quel point ? L’auteur insiste sur trois points :

Interface entre recherche évaluative en psychanalyse et d’autres méthodes psychothérapiques

La comparaison des résultats obtenus avec des techniques psychothérapiques se référant à des modèles différents et dont les objectifs ne sont pas les mêmes est complexe. Le problème se pose à trois niveaux : celui des catégories diagnostiques, celui des dimensions évaluées et celui des protocoles de recherche. Nous avons vu précédemment que les deux premiers niveaux peuvent avoir des espaces communs (par exemple les symptômes) mais qu’il peut exister des divergences concernant le découpage des troubles et les critères d’évaluation des résultats. Le troisième niveau implique la nature même du traitement et la façon dont il est prescrit ou « engagé ». Pour une psychothérapie psychodynamique, le patient est amené à choisir un psychothérapeute en lequel il peut placer toute sa confiance. L’activité du psychothérapeute doit par ailleurs, pour une grande part, s’adapter au fonctionnement du patient qui ne vient pas seulement pour se débarrasser d’un symptôme gênant, mais pour exprimer sa souffrance et en appréhender les causes internes. Les études montrent qu’il est possible de réaliser une formalisation générale du protocole de la psychothérapie psychodynamique mise en oeuvre pour évaluer ses résultats (Freud l’a fait dès le départ pour les cas qu’il suivait) et qu’il est également possible de concevoir des groupes contrôles qui ne contredisent pas l’éthique la plus élémentaire. Cependant, deux critères « d’excellence » paraissent actuellement inapplicables aux recherches concernant les psychothérapies psychodynamiques : l’application directe de manuels de traitement (différente d’une référence à un manuel précisant ses points essentiels accompagnée d’une supervision) et la randomisation autoritaire des patients dans différents groupes de traitement (Waldron, 1997 ; Bateman et Fonagy, 2000 ; Blomberg et coll., 2001). Au delà des solutions particulières qui doivent être recherchées pour résoudre les problèmes précédents, une démarche sensiblement nouvelle s’exprime dans les travaux récents : plutôt que de vouloir comparer des populations définies très globalement et en fait très hétérogènes, la recherche devrait s’efforcer de mieux préciser les caractéristiques des patients qui peuvent leur permettre, à un moment donné de bénéficier dans les meilleures conditions d’une approche thérapeutique spécifique.

En conclusion, la possibilité existe d’associer à des approches symptomatiques et nosologiques des approches dimensionnelles portant sur le fonctionnement psychodynamique et la santé mentale. Des instruments d’évaluation des changements psychodynamiques ont été développés. Ils ont montré une plus grande sensibilité dans l’appréciation des changements que les mesures quantitatives de symptômes. Concernant les variables impliquées dans les effets des psychothérapies psychodynamiques, les études existantes font surtout apparaître leur interaction, plutôt que leur action isolée. Il apparaît aujourd’hui possible d’identifier les critères d’une recherche qualitativement bonne applicable aux psychothérapies psychodynamiques et ainsi de réaliser des études méthodologiquement rigoureuses pour évaluer l’efficacité des psychothérapies longues.

En plus de la nécessité pragmatique de démontrer l’efficacité dans un cadre de soins, il y a également un besoin de valider les constructions théoriques et les techniques utilisées. Tout en respectant une rigueur scientifique, un des enjeux pour les chercheurs est de produire une recherche qui soit pertinente et compatible avec la pratique clinique quotidienne. Cette recherche devra aborder conjointement l’évaluation des résultats et l’évaluation des processus. En effet, si une certaine technique thérapeutique montre qu’elle est efficiente, il est nécessaire que les mécanismes de changement soient pris en considération et analysés par rapport à l’approche théorique pour comprendre ce qui se passe dans cette thérapie. Il est indispensable de considérer également les interactions qui se produisent entre certaines caractéristiques des patients et des aspects particuliers du traitement.

BIBLIOGRAPHIE

AAPRO N, DAZORD A, GERIN P, DE COULON N, SCARIATI G et coll. Psychothérapies dans un centre universitaire de formation : étude des facteurs de changement. Psychotherapies 1994, 4 : 183-188

ALEXANDER F. Five-year report of the Chicago Institute for psychoanalysis, 1932-1937 and supplement to the five-year report. Critical evaluation of therapeutic results. 1937 : 30-43

ALEXANDER FG, FRENCH TM. Psychoanalytic therapy : principles and applications. Ronald Press, New York 1946

BACHRACH H, GALATZER-LEVY R, SKOLNIKOFF A, WALDRON S Jr. On the efficacy of psychoanalysis. J Am Psychoanal Assoc 1991, 39 : 871-916

BARBER S, LANE RC. Efficacy research in psychodynamic therapy : a critical review of the literature. Psychotherapy in Private Practice 1995, 14 : 43-69

BARBER JP, CRITS-CHRISTOPH P, LUBORSKY L. Effects of therapist adherence and competence on patient outcome in brief dynamic therapy. J Consult Clin Psychol 1996, 64 : 619-622

BARBER JP, CONNOLLY MB, CRITS-CHRISTOPH P, GLADIS L, SIQUELAND L. Alliance predicts patients' outcome beyond in-treatment change in symptoms. J Consult Clin Psychol 2000, 68 : 1027-1032

BATEMAN AW, FONAGY P. Effectiveness of psychotherapeutic treatment of personality disorder. Br J Psychiatry 2000, 177 : 138-143

BLOMBERG J, LAZAR A, SANDELL R. Long-term outcome of long-term psychoanalytically oriented therapies : first findings of the Stockholm outcome of psychotherapy and psychoanalysis study. Psychother Res 2001, 11 : 361-382

BOGWALD KP, HOGLEND P, SORBYE O. Measurement of transference interpretations. J Psychother Pract Res 1999, 8 : 264-273

BOTELLA C. Propositions pour une recherche clinique fondamentale. In : Le travail psychananalytique GREEN A ed, PUF, Paris 2003 : 27-41

CORIAT IH. Some statistical results of the psychoanalytic treatment of the psychoneuroses. Psychoanal Rev 1917, 4 : 209-216

CRITS-CHRISTOPH P, COOPER A, LUBORSKY L. The accuracy of therapists' interpretations and the outcome of dynamic psychotherapy. J Consult Clin Psychol 1988, 56 : 490-495

DEROGATIS LR. SCL-90-R. Administration, scoring and procedures. Manual-II, Clinical Psychometric Research, Towson MD 1983

DEWITT KN, HARTLEY DE, ROSENBERG SE, ZILBERG NJ, WALLERSTEIN RS. Scales of psychological capacities : Development of an assessment approach. Psychoanal Contemp Thought 1991, 14 : 343-361

EDELSON M. Is testing psychoanalytic hypotheses in the psychoanalytic situation really impossible ? In : Hypothesis and evidence in psychoanalysis. EDELSON M ed, University of Chicago Press, Chicago 1984 : 61-109

ENDICOTT J, SPITZER RL, FLEISS JL, COHEN J. The global assessment scale. A procedure for measuring overall severity of psychiatric disturbance. Arch Gen Psychiatry 1976, 33 : 766-771

FENICHEL O. Ten years of the Berlin Psychoanalytic Institute, 1920-30. Report of therapeutic results. 1930 : 28-40

FISHER S, GREENBERG RP. Freud scientifically reappraised : testing the theories and therapy. Wiley, New York 1996

FONAGY P. An open door review of outcome studies in psychoanalysis. International Psychoanalytical Association, Research Comitee, London 1999. Version traduite (THURIN JM, VILLAMAUX M) sur Psydoc-France : www.psydoc-france.org

FREE NK, GREEN BL, GRACE MC, CHERNUS LA, WHITMAN RM. Empathy and outcome in brief focal dynamic therapy. Am J Psychiatry 1985, 142 : 917-921

FREUD S. Introduction à la psychanalyse. Petite Bibliothèque Payot, Paris (1916) 1971 : 443 p

GASTON L. The concept of the alliance and its role in psychotherapy : Theoretical and empirical considerations. Psychotherapy 1990, 27 : 143-153

GAUTHIER S, ODIER B, SOUFFIR V. Une méthode d’inspiration psychopathologique de description des changements au cours des états psychotiques chroniques. À paraître 2004

GEDO PM, SCHAFFER N. An empirical approach to studying psychoanalytic process. Psychoanal Psychol 1989, 6 : 277-291

GLOVER E, FENICHEL O, STRACHEY J, BERGLER E, NUMBERG H, BIBRING E. Symposium on the theory of the therapeutic results of psychoanalysis. Int J Psychoanal 1937, 18 : 125-189

GOIN M, STRAUSS G, MARTIN R. A change measure for psychodynamic psychotherapy outcome research. J Psychother Pract Res, 1995, 4 : 319-328

HOGLEND P, BOGWALD KP, AMLO S, HEYERDAHL O, SORBYE O et coll. Assessment of change in dynamic psychotherapy. J Psychother Pract Res 2000, 9 : 190-199

HOROWITZ MJ, MARMAR CR, WEISS DS, KALTREIDER NB, WILNER NR. Comprehensive analysis of change after brief dynamic psychotherapy. Am J Psychiatry 1986, 143 : 582-589

HOROWITZ LM, ROSENBERG SE, BAER SA, URENO G, VILLASENOR VS. Inventory of interpersonal problems : psychometric properties and clinical applications. J Consult Clin Psychol 1988, 56 : 885-892

HOROWITZ LM, ROSENBERG SE, BARTHOLOMEW K. Interpersonal problems, attachment styles, and outcome in brief dynamic psychotherapy. J Consult Clin Psychol 1993, 61 : 549-560

JONES E. Decennial report of the London Clinic of Psychoanalysis, 1926-1936. Results of treatment. 1936, 12-14

JONES EE, GHANNAM J, NIGG JT, DYER JF. A paradigm for single-case research : the time series study of a long-term psychotherapy for depression. J Consult Clin Psychol 1993, 61 : 381-394

JOYCE AS, PIPER WE. Expectancy, the therapeutic alliance, and treatment outcome in short-term individual psychotherapy. J Psychother Pract Res 1998, 7 : 236-248

KERNBERG OF. Summary and conclusions of “Psychotherapy and Psychoanalysis, final report of the Menninger Foundation’s psychotherapy research project”. Int J Psychiatry 1973, 11 : 62-77

KNIGHT R. Evaluation of the results of psychoanalytic therapy. Am J Psychiatry 1941, 98 : 434-446

KRAWITZ R. A prospective psychotherapy outcome study. Aust N Z J Psychiatry 1997, 3 : 465-473

KRUPNICK JL, PINCUS HA. The cost-effectiveness of psychotherapy : a plan for research. Am J Psychiatry 1992, 149 : 1295-1305

LASTRICO A, ANDREOLI A, GUEDDARI NS, AAPRO N, DAZORD A. Levels of the training of psychotherapists and results of analytic psychotherapy. Ann Med Psychol 1995, 153 : 676-686

LEUZINGER-BOHLEBER M. Comment évaluer la qualité des traitements psychanalytiques ? Une association de méthodes de recherche psychanalytique et non psychanalytique dans une étude de suivi représentative et multi-perspectiviste de psychanalyses et thérapies psychanalytiques de longue durée. In : Conférence annuelle de la FEP, Bruxelles, Wolff, 2002 : 172-197

LINGIARDI V, LONATI C, DELUCCHI F, FOSSATI A, VANZULLI L, MAFFEI C. Defense mechanisms and personality disorders. J Nerv Ment Dis 1999, 187 : 224-228

LUBORSKY L. Clinician's judgments of mental health. Arch Gen Psychiatry 1962, 7 : 407-17

LUBORSKY L. Clinicians’ judgements of mental health : specimen case descriptions and forms for the Health-Sickness Rating Scale. Bull Menninger Clin 1975, 35 : 448-480

LUBORSKY L. Helping alliances in psychotherapy : The groundwork for a study of their relationship to its outcome. In : Successful psychotherapy. CLAGHORN JL ed, Brunner/Mazel, New York 1976 : 92-116

LUBORSKY L. Measuring a pervasive psychic structure in psychotherapy : the core conflictual relationship theme. In : Communicative structures and psychic structures. FREEDMAN N, GRAND S eds, Plenum Press, New York 1977 : 367-395

LUBORSKY L. Principles of psychodynamic psychotherapy : a manual for supportive-expressive treatment. Basic Books, New York 1984

LUBORSKY L. The core conflictual relationship theme method : guide to scoring and rationale. Unpublished manuscript, 1986

LUBORSKY L, BACHRACH H. Factors influencing clinician's judgments of mental health. Eighteen experiences with the Health-Sickness Rating Scale. Arch Gen Psychiatry 1974, 31 : 292-299

LUBORSKY L, CRITS-CHRISTOPH P, MINTZ J, AUERBACH A. Who will benefit from psychotherapy ? Predicting therapeutic outcomes. Basic Books, New York 1988

LUBORSKY L, DIGUER L, LUBORSKY E, MCLELLAN AT, WOODY G, ALEXANDER L. Psychological health-sickness (PHS) as a predictor of outcomes in dynamic and other psychotherapies. J Consult Clin Psychol 1993, 61 : 542-548

MAIN M, KAPLAN N, CASSIDY J. Security in infancy, childhood and adulthood : a move to the level of representation. In : Growing points in attachment theory and research. BRETHERTON I, WATERS E eds, Monogr Soc Res Child Dev 1985, 50 : 66-106

MALAN D. The outcome problem in psychotherapy research : a historical view. Arch Gen Psychiatry 1973, 29 : 151-158

MCCULLOUGH L, WINSTON A, FARBER BA, PORTER F, POLLACK J et coll. The relationship of patient therapist interaction to outcome in brief psychotherapy. Psychotherapy 1991, 28 : 525-533

MONSEN J, ODLAND T, FAUGLI A, EILERTSEN DE. Personality disorders : changes and stability after intensive psychotherapy focusing on affect consciousness. Psychother Res 1995, 5 : 33-48

NYE C. Discourse analysis of narrative process in a psychoanalytic case. Presented to the meeting of the Society for Psychotherapy Research, June 1991

OGRODNICZUK JS, PIPER WE. Measuring therapist technique in psychodynamic psychotherapies. Development and use of a new scale. J Psychother Pract Res 1999, 8 : 142-154

OGRODNICZUK JS, PIPER WE, JOYCE AS, MCCALLUM M. Effect of patient gender on outcome in two forms of short-term individual psychotherapy. J Psychother Pract Res 2001, 10 : 69-78

OMS. Renforcement de la promotion de la santé mentale. Aide mémoire n° 220, révisé 2001. http://www.who.int/inf-fs/fr/am220.html

PARIS J, BROWN R, NOWLIS D. Long-term follow-up of borderline patients in general hospital. Comprehensive Psychiatry 1987, 28:530-535

PERRY JC. Defense Mechanisms Rating Scale. Cambridge Hospital-Harvard Medical School, Boston 1991

PFEFFER AZ. A procedure for evaluating the results of psychoanalysis : a preliminary report. J Am Psychoanal Assoc 1959, 7 : 418-444

PIPER WE, DEBBANE EG, DE CARUFEL FL, BIENVENU JP. A system for differentiating therapist interpretations and other interventions. Bull Menninger Clin 1987, 51 : 532-550

PIPER WE, AZIM HF, MCCALLUM M, JOYCE AS. Patient suitability and outcome in short-term individual psychotherapy. J Consult Clin Psychol 1990, 58 : 475-481

SANDELL R, BLOMBERG A, LAZAR A, SCHUBERT J., CARLSSON J., BROBERG J. Traduction de l’exposé « Problèmes méthodologiques posés par l’évaluation des psychothérapies psychanalytiques et de la psychanalyse » APEP, 2001

SHAFER R. Generative empathy in the treatment situation. Psychoanal Q 1959, 28 : 347-373

SHULMAN DG. Psychoanalysis and the quantitative research tradition. Psychoanal Rev 1990, 77 : 245-261

STONE MH. Long-term outcome in personality disorders. British J of Psychiatry 1987, 162 : 299-313

STRUPP HH, HADLEY SW. Specific vs nonspecific factors in psychotherapy. Arch Gen Psychiatry 1979, 36 : 1125-1136

SUNDIN E, ARMELIUS B, NILSSON T. Reliabliy studies of scales of psychological capacities : a new method to assess psychological change. Psychoanal Contemp Thought 1994, 17 : 591-615

THURIN JM, THURIN M, WIDÖCHER D, TIEDER-KAMINSKY S, KAMINSKY P, GRUMBACH A. Analyse descriptive et comparative des rêves au cours d’une psychothérapie. Fonctions du rêve, relations au conflit central du patient, évolution. Étude de faisabilité d’une méthodologie clinique en sciences cognitives appliquée au domaine de la psychopathologie. Rapport du CNEP 94 CN 40 – Inserm, 1996 : 333 p

THURIN M. Le discours, émergences du sens, niveaux d’analyse, perspectives cliniques. Nodules PUF 1997, 126p

VAUGHAN SC, MARSHALL RD, MACKINNON RA, VAUGHAN R, MELLMAN L, ROOSE SP. Can we do psychoanalytic outcome research ? A feasibility study. Int J Psychoanal 2000, 81 : 513-527

WALDRON S. How can we study the efficacy of psychoanalysis ? Psychoanal Q 1997, 66 : 283-322

WALLERSTEIN RS. Forty-two lives in treatment. A study of psychoanalysis and psychotherapy. Guilford, New York 1986

WEINRYB RM, ROSSEL RJ. Karolinska Psychodynamic Profile. KAPP. Acta Psychiatr Scand Suppl. 1991, 363 : 1-23

WEISSMAN MM. The assessment of social adjustment. A review of techniques. Arch Gen Psychiatry 1975, 32 : 357-365

WIDLÖCHER D. L’esprit de recherche en psychanalyse. In : Le travail psychanalytique. GREEN A ed, PUF, Paris 2003 : 17-25

WILCZEK A, WEINRYB RM, GUSTAVSSON PJ, BARBER JP, SCHUBERT J, ASBERG M. Symptoms and character traits in patients selected for long-term psychodynamic psychotherapy. J Psychother Pract Res 1998, 7 : 23-34

 


Dernière mise à jour : 3/01/06
info@techniques-psychotherapiques.org