Traiter la psychose

Dr Jean-Michel THURIN
jmthurin@techniques-psychotherapiques.org

Article paru dans Psychiatries 1990, 1:4-12

Présentation du choix d'exercice. Institutions, idéologie et inconscient.

Cette intervention a pour but de dire ce que m'a appris une dizaine d'années de travail avec des psychotiques dans un cabinet de psychiatre avec pour référence exclusive la psychanalyse, et après dix ans de pratique institutionnelle.

Mon propos sera centré par deux questions : Pourquoi le dialogue analytique, (lorsqu'il s'établit), transforme-t-il les manifestations de la psychose ? Comment celle-ci peut-elle évoluer, voire guérir, dans cette structure ?

Cette interrogation nous conduira, après que j'aurai situé ma pratique, à réexaminer le diagnostic même de psychose et la façon dont l'imaginaire peut faire obstacle ou être associé à la relation thérapeutique. Nous nous apercevrons que l'écoute «à la lettre » et la situation intersubjective qui lui est associée transforment fondamentalement la séméiologie classique en restaurant ses dimensions structurale et dynamique ; cette nouvelle perspective fait apparaître de façon radicale les relations entre psychose, statut subjectif et langage. Je serai ainsi amené à proposer une sémiologie qui prenne en compte la situation, c'est-à-dire en particulier qui considère la structure de la relation et de son contenu, (en particulier le dialogue), comme une actualisation transférentielle. Pour ce faire, nous partirons de la situation de la cure et examinerons les spécificités de la langue et de la communication qui s'y manifestent, en les rapportant à ce que le patient nous livre de son histoire. Ceci devrait nous permettre de mieux appréhender la signification et la fonction de certains symptômes. Ainsi, nous dégagerons quelques perspectives dynamiques sur le processus qui conduit à la psychose et sur ce qui inversement peut l'orienter vers la guérison.

Choix de la pratique de la psychanalyse et de la psychothérapie analytique en cabinet.

La pratique de la psychanalyse (et de la psychothérapie analytique) en cabinet correspond pour moi à un choix. Celui-ci s'est effectué après avoir fait l'expérience des différents types d'institutions et des techniques qui leur sont associées (asilaire, institutionnelle, de secteur et familiale). Je n'ai pas le sentiment d'avoir fait un simple stage dans chacune d'elles ; au contraire, j'y ai pris une part active à tout ce qui pouvait être tenté pour faire évoluer la chronicité et je n'ai jamais renoncé à l'idée de guérison, même pour des personnes considérées comme incurables. L'amitié durable que m'ont témoignée plusieurs d'entre elles laisse penser que cette tentative a peut-être été perçue ; quoi qu'il en soit, c'est à partir de ces relations privilégiées qu'une certaine marginalité par rapport à la pratique «classique)) s'est imposée de fait pour moi, l'écart entre ma réalité quotidienne et celle du discours dominant sur la folie tel qu'il se manifeste en particulier dans certaines réponses «thérapeutiques)) ou certains propos sur la prétendue ((non-demande des psychotiques)) se creusant chaque jour d'avantage.

Dans une intervention précédente (1). j'ai décrit comment nous avons fait le choix, avec mon épouse et un autre couple, de mener une expérience de thérapie communautaire, à notre domicile et durant deux ans, avec des psychotiques. Cette période, très difficile, n'a pas été sans surprises : d'abord, elle a révélé chez chacun d'entre nous des contenus inconscients que plusieurs années d'analyse n'avaient pas dévoilés : « l'autre fou », hors la protection de l'institution, a fait surgir tout un imaginaire que nous considérions jusque-là réservé à la folie, un univers de peur où nous ne savions plus ce qui était de l'ordre du fantasme et de la réalité. Par ailleurs, ce parcours nous a permis de saisir, après-coup, comment le « savoir» sur la folie et les rituels qui l'accompagnent, qu'ils soient d'ordre culturel, psychiatrique ou même, dans certains de ses aspects, psychanalytique peuvent faire obstacle au processus thérapeutique parce que leur première fonction est de structurer les défenses dans un discours extériorisant, de suturer la communication avec une partie de nous-même. Je soutiendrai donc que les institutions, qu'elles soient dans les murs ou éclatées, n'ont pas seulement une fonction de soin, voire de défense sociale contre la dangerosité réelle de l'aliéné, mais qu'elles participent aussi à une mise à l'écart du non symbolisé ; je veux dire que les symptômes que l'on observe ont une fonction de leurre par rapport à la vérité qu'ils véhiculent et qui porte notamment sur le rapport au temps, à la mort, sur la nature réelle des relations humaines et plus généralement sur le sens des actes et de la vie. C'est dire qu'elles ne sont pas près de disparaître : elles sont les lieux d'enfermement, d'isolement et d'exposition de nos propres forclusions,..

Actuellement, la pratique psychanalytique me paraît être le seul processus qui offre aux patients psychotiques de véritables possibilités thérapeutiques. Elle est également, c'est ma conviction, le seul espace où le psychiatre puisse prétendre aujourd'hui avoir une action réelle sur la folie.

Mais il faut que je précise quelle expérience m'a amené à ces assertions et les éléments sur lesquels elles se fondent.

Constatations cliniques et interrogations sur le diagnostic de psychose.

. Constatations cliniques

Quelques mois après que se fut terminée notre expérience de vie communautaire avec des psychotiques, c'est-à-dire à un moment où j'éprouvais un sentiment de souffrance, de lucidité et de fracture et que celui-ci me faisait porter sur les choses un regard de dérision et d'impuissance, plusieurs patients délirants sont venus me consulter. J'ai alors été placé devant la constatation suivante. En l'absence d'une activité thérapeutique spécifique (et même d'une disponibilité particulière autre que celle que produirait cet état), du simple fait qu'une communication semblait pouvoir s'engager entre le patient et moi-même, les symptômes majeurs délire et troubles du comportement . qui avaient fait considérer et traiter ces personnes jusque là comme psychotiques, disparaissaient rapidement ou devenaient tellement instables que leur statut général en était modifié. Ces manifestations «psychiatriques» étaient remplacées par le témoignage dans la cure d'une souffrance générale et d'une difficulté particulière à vivre.

J'ai été ainsi placé devant l'alternative suivante ou le diagnostic initialement posé était erroné, ceci rejoignant un courant général qui considère que les schizophrènes qui «guérissent» sont des hystériques délirants (2), ou cette transformation ne signifiait pas qu'il y ait une quelconque guérison mais était liée aux conditions et à la structure de la relation instituée par la parole. Autrement dit, les manifestations psychotiques participaient essentiellement d'un processus qui pouvait s'investir ou se rétablir dans la parole lorsque cette possibilité était offerte.

Recherche de critères classiques de psychose

L'examen de la première hypothèse m'a ainsi conduit à vouloir rechercher plus précisement chez ces patients l'existence de critères classiques de psychose : perte du contact et de la communication, ambivalence, discordance, maniérisme, propos incohérents, délire et hallucinations...

En fait, cette attitude m'a apporté plus de doutes que de certitudes : certains des signes précédents pouvaient apparaître ou disparaître, presqu'à mon gré, suivant que je me plaçais en position d'observateur ou que je m'efforçais de suivre à la lettre ce que me confiait mon interlocuteur (je dirais presque suivant ma fatigue ou ma capacité d'écoute). Je me suis ainsi aperçu à quel point les signes que ma formation me faisait jusque-là considérer comme des symptômes pathognomoniques de psychose étaient en fait liés, dans leur interprétation, à tout un contexte historico-social : en m'y référant, je reprenais à mon insu les oripeaux du psychiatre gardien de l'ordre, réductionniste et observateur. Je négligeais ainsi leur dimension intersubjective, le contexte où ils se produisaient et par là même leur fonction de travail d'une vérité avec un autre ou de défense.

Je prends un exemple : celui de l'ambivalence. Celle-ci apparaît, resituée dans la dynamique d'une famille psychotique, comme un compromis que l'on pourrait presque qualifier de "normal" : lepsychotique oscille entre son besoin de l'autre d'une part et ce qu'il perçoit de son rejet et de son aliénation par ce même autre d'autre part ; il ressent à la fois de la rage devant les exigences et les verdicts de celui qui est son maître et une passion fascinatoire produite par cette position. Il s'agit d'un sentiment que chacun a pu éprouver ou observer, à un moment donné, en dehors de la psychose, mais dans une situation qui lui est structurellement identique. L'idée d'une psychose «réactionnelle » ou «fonctionnelle » se trouve ainsi introduite et, à travers elle, la question de ce qu'engendre ou réactualise, comme effet propre, la situation d'examen psychiatrique : n'est-elle pas, structuralement, une situation de transfert ? N'y retrouve-t-on pas tous les éléments de la situation que je viens de décrire ?

II ne s'agit pas là d'une vague référence à l'antipsychiatrie. Je veux au contraire insister sur ce qu'à introduit pour moi de radicalement nouveau dans la clinique psychiatrique la pratique psychanalytique en cabinet ; c'est-à-dire la relativité du symptôme et sa relation à un transfert que nous orientons inconsciemment en fonction de notre idéologie et de l'attitude qui lui est associée, transfert qui va bien au-delà de la problématique oedipienne classique à laquelle nous sommes, en principe, formés. J'ai été confronté il y a quelques mois à la demande d'un collègue analyste qui souhaitait faire hospitaliser un de ses patients ; il lui fallait un psychiatre et avec beaucoup d'amitié ( !), il me l'a adressé pour que je rédige le certificat. Je me suis ainsi retrouvé dans la position de l'interne qui doit apprécier, selon des critères établis à l'avance et donc mettant entre parenthèses l'action propre de l'entretien, la réalité et la dangerosité d'une pathologie ; j'ai reproduit instantanément avec ce consultant cette situation particulière de dialogue où chaque question renforce l'incommunicabilité et où tout véritable échange est impossible parce que l'enjeu de l'entretien est de découvrir ce que le patient nous cache et non ce qu'il voudrait nous livrer ! C'est quand cet acte a été effectué et que nous étions sans doute l'un et l'autre plus détendus, qu'il m'a expliqué le. comportement de négativisme dans lequel il s'était enfermé depuis plusieurs semaines, y compris dans son analyse : il était séro-positif, ce qui le mettait en position de mettre en acte, à tout moment, son fantasme meurtrier.

Cette histoire illustre une situation très courante chez les psychotiques : le comportement et le délire s'appuient sur du réel.

D'autres critères classiques de psychose pourraient sembler plus solides que les précédents parce que réputés durables, extra institutionnels et souvent impénétrables : c'est le cas du délire. Là encore, je m'appuierai sur une anecdote pour remettre en question la valeur intrinsèque de ce symptôme comme élément de diagnostic et faire apparaître son caractère situationnel : voici une jeune fille que je reçois pour la troisième fois. Ce qu'elle me dit de ses difficultés scolaires et de leur origine me paraît traduire une crise assez grave ; dois-je considérer à partir de son comportement un peu maniéré et d'une communication plutôt difficile qu'elle est psychotique ? Un coup de téléphone à sa mère, en larmes, semble m'apporter la réponse : sa fille a été ramenée du lycée par Police-Secours parce qu'elle y annonçait, à qui voulait l'entendre, la présence du Comte de Paris. Le rendez-vous est avancé et, à l'heure dite.., cette jeune fille me demande si elle peut s'allonger et engage ainsi une séance d'une heure où elle me parle d'elle et de sa famille «normalement».

Ce cas est caricatural et je reviendrai à des considérations plus quotidiennes. II s'agit de ces moments où un patient en cure semble très près de délirer ; parfois même le délire se réinstalle pour quelques heures ou quelques jours. J'ai pu observer, après F. Perrier (3), que cette manifestation se produit dans un contexte relationnel très particulier, qu'il soit réel ou rappelé par le discours de la cure : ce sont des situations qui menacent la personne au plus radical de son statut subjectif. Il y a là sans doute pour elle une fragilité particulière

je tenterai d'en montrer le mécanisme ultérieurement mais remarquons dès à présent d'une part que ce caractère à la fois dynamique et contextuel du délire implique qu'il n'est pas un critère qui puisse permettre de dire de quelqu'un «Il est psychotique », au sens où ce terme refléterait un état, et d'autre part que l'hospitalisation ou même un certain type de consultation psychiatrique peuvent constituer pour l'identité subjective la confirmation d'un naufrage. Autrement dit, le sujet trouve dans la réalité qui est censée l'aider, une répétition de ce qui semble être la cause même de sa bascule dans le délire : son anéantissement subjectif et son marquage par le signifiant de l'Autre.

Une sémiologie qui ignore le contexte et la relation intersubjective : faut-il abandonner le diagnostic de psychose ?

Devons-nous pour les différentes raisons que je viens d'exposer abandonner l'idée même de porter le diagnostic de psychose ? Il s'agit là d'une question difficile...

D'un côté, il s'avère que le diagnostic classique nous renseigne d'avantage sur la perspective et l'inconscient de l'observateur que sur la structure permanente ou accidentelle qui sous-tend les manifestations psychotiques ; par ailleurs, cette position référentielle, par son contenu implicite, risque de renforcer les difficulté de communication vraie en aliénant en quelque sorte par avance les propos de notre interlocuteur, voire en les considérant comme insignifiants ; elle aura pour effet de figer, c'est mon hypothèse fondamentale, une structure potentiellement dynamique.

D'un autre côté nous savons bien quel piège représenterait cette sorte de fermeture d'un couple analyste-analysant sur lui-même ; d'autre part, cette décision suspendrait toute référence scientifique au sens où par exemple, je devrais renoncer à répondre à ma question de départ : Les patients dont je parle sont ou étaient-ils «psychotiques» ? Ce que je veux transmettre perdrait toute valeur puisque privé de référence commune.

Face à cette contradiction, je vous propose de renverser la perspective. Tout en nous remettant provisoirement aux diagnostics antérieurs portés par des collègues (et souvent par une partie de nous-même), partons à la recherche d'autres éléments qui puissent éclairer notre question et qui s'insèrent dans une perspective dynamique où la dimension intersubjective de la symptômatologie serait reconnue et analysée. Pour cela, considérons les spécificités du langage et les modalités de la communication dans la cure comme des éléments positifs : les manifestations d'un transfert dans lequel nous serions impliqués. Dans cette recherche, nous nous référerons à ce que les patients nous décrivent de leur vécu, de leurs difficultés et de la place qu'a occupé le langage dans l'histoire de leur relation aux autres. Ainsi pourrons-nous peut-être introduire quelques éléments d'une sémiologie dynamique et relationnelle qui ne serait pas un obstacle au traitement, mais qui offrirait au contraire de précieuses indications pour la conduite de la cure.

Vers une sémiologie dynamique et relationnelle : la structure du dialogue analytique et son contenu comme actualisation transférentielle.

Le premier entretien.

Nous partirons du premier entretien ; celui-ci, c'est une contastation triviale, est le produit d'une rencontre entre deux personnes, l'une d'entre elles pouvant être une famille. Il marque l'aboutissement d'une trajectoire : à un moment donné, ce qui fonctionnait depuis toujours s'est désorganisé. L'introduction d'un tiers est devenue nécessaire.

L'appel à autrui prend naturellement une importance considérable dans de telles circonstances et c'est sans doute la première raison pour laquelle cet entretien est si riche de savoir et de promesses. On y trouve un instantané des éléments essentiels qui ont produit l'état actuel et l'aveu d'une souffrance qui ne peut plus se soutenir de ses compromis. Il s'agit donc d'un moment de vérité où les défenses sont en quelque sorte dépassées. Mais les données qui y sont introduites ne prendront leur véritable valeur que du message de retour qui sera adressé par le praticien. Ou la folie actuelle est confirmée comme une maladie, le point final d'une fatalité, ou elle est considérée comme une crise et comme une manifestation porteuse de sens. Alors, l'issue n'est pas fixée et l'engagement de chacun nécessaire ; ce que dit l'analyste est, à ce moment, déterminant et il peut, me semble-t-il, se permettre plusieurs interventions :

- d'abord, traduire le délire ; je veux dire en repérer la structure et l'aborder comme la transposition d'une vérité familiale ou sociale (presque comme son mythe), interroger le patient, éventuellement en présence de sa famille, sur son histoire et les questions qu'elle contient et faire le lien, parfois en s'insérant dans un dialogue hallucinatoire (4) ;

- faire apparaître la relativité du système des valeurs familiales, celle du discours dominant et y ouvrir ainsi une brèche. L'analyste signifie par là-même sa propre liberté par rapport à l'aliénation qu'elle représente;

- enfin, interroger le patient sur son quotidien, ses relations avec les autres et y repérer le point où le
fantasme se superpose avec la réalité.

A l'issue de cet entretien, se pose la question de ce qui va suivre... On ne mesure sans doute pas assez la portée de tout ce que contient implicitement l'annonce d'un prochain rendez-vous, le refus du principe de la chimiothérapie et de l'hospitalisation et encore davantage la présentation de la cure. Celle-ci marque le pacte des deux personnes au sein d'un processus où celui qui parie est pris au sérieux à travers ce qu'il dit et où les symptômes participent au traitement. Cet acte de reconnaissance réciproque et ce projet d'utilisation de la parole et des signes est sans doute si essentiel et peut-être si nouveau pour le «psychotique» - l'est-il encore dès ce moment? - qu'un mouvement de bascule se produit, perceptible dans le regard, l'intonation de la voix, le sourire; le comportement, voire le délire, rétablis dans leur contexte de relations et d'événements actuels et passés, perdent leur statut de réponse et de leurre; ils laissent la place à des questions.

Parfois ce renversement s'est produit lentement, à partir de lectures ou de conversations avec un ami qui a décrit son propre parcours. Dans chacun de ces cas, et plus ou moins rapidement, une demande se manifeste.

Celle-ci s'exprime le plus souvent comme le besoin de parler à quelqu'un - tout simplement -. parfois comme le désir de «faire un travail sur soi-même », ou encore par la prise d'un second rendez-vous ; mais fondamentalement, elle part du sentiment que «parler» peut permettre que « cela aille mieux » et que cela évolue. C'est sur ce projet « fou », quand on mesure ce qui précède de ratage et de souffrance, que se construit le cadre thérapeutique.

Parfois la demande évolue en deux temps séparés par une rupture. Initialement, ce sont les circonstances, la sollicitation d'autrui qui ont été les agents essentiels de l'entrée dans la cure. Celte-ci porte alors, pour le patient, la trace symbolique de la « maladie » et d'une suspicion par rapport à soi-même. Un temps d'autonomie et de guérison « sans autre » est alors la marque de la transformation de cette position initiale et le garant de l'engagement dans autre chose. C'est souvent à cette occasion et sur la demande du patient qu'est introduite la modulation d'honoraires; elle prend une véritable valeur symbolique alors qu'elle n'avait, au départ, que peu d'importance et était basée essentiellement sur des critères de solvabilité et de valeur courante.

La demande et le contrat de la cure ayant créé le cadre de référence d'un processus de langage, nous allons y retrouver certaines manifestations linguistiques de la psychose ; mais peut-être pourrons-nous leur donner une portée différente de celle de simples éléments diagnostics.

Le langage dans la cure

Tout d'abord, le psychotique parie-t-il quand il se tait, ou parle-t-il pour ne rien dire quand il s'exprime? Quelle fonction peut avoir une parole qui semble initialement ne s'adresser à personne ou être un simple témoignage? Je me suis posé à maintes reprises ces questions ainsi que ce que pouvait représenter mon acte dans de telles conditions.

F. Perrier (5), y répond en considérant que « le psychotique utilise le signifiant pour couper le pont de la communication » «la parole pour faire obstacle à la relation intersubjective », « que tout semble prouver qu'il ne peut nous élire comme interlocuteur ».

Je ne le suivrai pas dans ses conclusions.

Plusieurs cas cliniques m'autorisent à me référer en premier lieu, à propos du « parler pour ne rien dire », à la fonction phatique du langage qui est de maintenir la communication. Il n'est qu'à se référer aux effets catastrophiques que peut avoir une rupture du cadre des séances, même pour des personnes qui se taisent, pour se convaincre de l'importance de cette fonction.

Mais cette explication n'est sans doute pas la seule. On ne peut méconnaître en particulier le fait que notre patient s'entend parler et que cette parole qui le concerne et qui est à la fois pensée, écoutée et entendue affirme son existence. Ainsi le patient parle-t-il aussi pour se faire reconnaître par l'intermédiaire des oreilles d'un autre et des siennes propres. Ceci peut sans doute expliquer pourquoi en début de cure, certaines personnes crient littéralement, parfois en s'accompagnant de gestes, comme si c'était leur consistance même que leur parole devait exprimer.,.

Ne peut-on considérer aussi que cette introduction d'un autre, réel, offre la possibilité, (comme ce fut le cas pour un de mes patients), d'une sorte de déplacement et de déploiement dans le cadre de la cure, de la structure émetteur-auditeur jusque-là fusionnée ? Ainsi les pensées-voix qui commentent et nomment la personne dans son délire réaliseraient-elles la permanence du rapport à l'autre, à travers ce qui l'a primairement signifié. Car entendre parler de soi par la voix d'autrui, n'est-ce pas déjà éprouver la satisfaction que l'on existe pour quelqu'un et retrouver, quand tout vacille, un repère ? Et les hallucinations des psychotiques ne sont-elles pas fondamentalement un prolongement du discours qui a formalisé et structuré leur rapport à l'autre?

On saisit mieux dès lors, ce qu'introduit l'analyste un espace de répit et d'existence. Celui-ci se manifeste dans une parole dont la fonction n'est pas réduite à structurer la réalité et les rapports par un discours sans faille, sans négation ni création possibles. Il est un autre qui ne fait pas que juger et imposer ses propres règles à travers son discours; il est un témoin. A qui ce patient s'adresse- t-il à ce moment? A son chat ou à Dieu ; plus exactement à celui que Lacan appelle le « grand Autre » - celui qui est garant de la vérité, qui reconnaît et qui reste stable. J'ai pu d'ailleurs constater à plusieurs reprises comment durant les vacances, ces patients qui semblaient ne s'adresser à « personne » et pour lesquels toute intervention de ma part entraînait comme une sidération, pouvaient se précipiter dans la prière ou regagner un discours structuré auquel ils s'identifiaient « en bloc».

Aussi, me dira-t-on: la belle affaire ! Vos patients ne s'entendent plus penser leurs rapports d'assujettissement à l'autre à travers leurs hallucinations ou leurs interprétations; ils s'entendent les dire.
Qu'est-ce que cela change?

A ceci je répondrai d'abord que cette situation est plus confortable pour tout le monde mais surtout que ce dialogue particulier introduit quelque chose de très nouveau : non seulement celui qui parle est engagé par ce qu'il dit, mais aussi celui qui écoute. En effet, ce dernier peut-il faire comme s'il n'entendait pas, comme s'il n'était pas aussi impliqué dans sa réalité par ce dire? Autrement dit, sommes-nous seulement concerné comme auditeur «neutre» par ce que dit le psychotique quand il parle du monde et décrit sans écran la nature profonde des relations humaines, ou le sommes-nous aussi comme acteur? Cette description est-elle un simple témoignage, la recherche d'un apaisement de la souffrance, un message à transmettre ou une parole-question qui dévoile la façon dont le dont le psychotisant appréhende et interroge la nature réelle de la relation analysant-analyste, celle qui subsiste quand on a épuisé tous les artifices du leurre ou qui n'est pas encore habillée de la réalité névrotique? Autrement dit n'existe-t-il pas un en deçà de la réalité oedipienne, une structure existentielle primaire à laquelle le psychotique serait ouvert et qu'il nous transmettrait, d'abord dans son délire et ses comportements, puis dans ses paroles, lorsque nous lui en laissons la possibilité? Mais dans ce dernier cas, que faire de cette parole qui renverse les positions respectives de la réalité et de l'imaginaire, cette parole insupportable qui crie et s'enfonce dans nos forclusions? Si l'on se préoccupe de ces questions plutôt que de se réfugier dans l'identification au bon objet maternant, il se produit bien des décapages et des vestiges devant la vérité. Mais cette attitude sans concession est pour moi une des conditions nécessaires de toute tentative thérapeutique.

Abordons en quelques mots la question du silence : quel est son statut? Comment le silence obstiné est-il perçu dans l'analyse? Comment l'interpréter? Pour en parler, je m'appuirai sur ce que m'a appris, après plusieurs années de refus de communiquer (autrement que par ce refus), de «négativisme », un analysant dont les analystes
précédents avaient interprété le silence successivement comme paresse, satisfaction (le fameux «çà vous fait jouir quelque part »). agressivité, etc. Ce faisant, ils étaient passés, me semble-t-il à côté de l'essentiel, à savoir la façon dont la règle analytique: «dites tout ce qui vous passe par la tête », était devenue, dans le transfert, l'enjeu même de la relation intersubjective. D'invitation elle avait pris valeur pour lui d'injonction et la séance reproduisait la situation suivante : «Si je parle, non seulement je m'incline mais encore je m'inscris dans un discours dominant, celui de la psychanalyse, auquel je vais apporter le tribut de ma parole. Je ne puis donc qu'être dépossédé de moi-même puisque tout ce que je pourrais dire rentrera dans un discours préétabli de signification ; j'y aurai perdu ma pensée, volée par ceux-là même à qui je m'adresse pour m'entendre exister dans ma différence ; et ceci répétera une fois de plus toute mon histoire ». Le silence peut être ainsi une démarche active de résistance à l'aliénation de soi par l'autre, celle que produit un discours dont chaque négation renforce la cohérence et la rigidité. Il est sans doute aussi, avec la prise à la lettre de l'injonction signifiante («Tu n'es rien »), la seule forme globale par laquelle le psychotique puisse dire «Non» et dès lors cesser de l'être parce que ce « non » le fait exister.

D'autres facteurs, qui sont liés à ce qui précède entrent en jeu dans le silence : d'une part, le psychotisant vit avec le fantasme que le premier mot qu'il prononcera ouvrira le flot d'une violence meurtrière ; d'autre part, il craint que ce qu'il dit ne lui fasse perdre le peu de défenses et d'espace personnel qu'il a réussi à se ménager. Enfin, et ceci est sans cesse répété, il a du mal à parler de choses banales.

Qu'il y ait flot de paroles ou silence, je dirai donc que le langage et la communication est une façon, pour le psychotique, de reposer la question de son existence face à l'autre : il ne peut en parler autrement, initialement, que dans le rapport de communication lui-même.

Le désir d'affirmation se retrouve dans l'utilisation d'une syntaxe affirmative et de formules apparemment définitives comme «un trou est un trou » pour décrire chez l'un la femme, chez l'autre le rapport sexuel. Exister, c'est avoir le dernier mot.

Inversement toute négation, qu'elle soit le fait d'une phrase qui contredit ou d'un simple bruit qui interrompt, semble porter le risque de remettre en cause l'existence même de la personne. Mais, à un certain moment de la cure, on peut voir apparaître des phrases étranges où une affirmation de départ est suivie d'un contenu totalement contradictoire avec l'énoncé initial ; ici se manifeste la fonction narcissique et de défense de l'affirmation. La personne s'identifie au verbe « positivé » par lequel elle s'exprime ou qui la concerne ; cela lui permet de laisser émerger la vérité de sa souffrance et d'utiliser la dénégation comme ressource psycho-linguistique. (ex. : « Maintenant, je me sens très bien. J'ai une telle confiance en moi, une telle force... dans mon milieu professionnel, je suis tellement l'objet de persécution, mais cela m'indiffère, je n'ai pas l'impression d'être seule. »).

Cette position de départ permet de saisir que, par son silence, l'analyste agit dans plusieurs registres. D'une part, il s'efface devant l'autre qui parle ; la situation est inversée. Peut-être est-il même symboliquement mort puisque ses tentatives pour prononcer une parole sont immédiatement annéanties.

D'autre part, le silence et les «oui» qui le ponctuent fonctionnent comme un assentiment structurant et offrent la possibilité secondaire d'une dialectisation par le discours lui-même : une fois les choses passées de la pensée au dire, ce n'est plus tout à fait pareil du point de vue de la Vérité. Mais ici, l'analysant est l'artisan de sa propre dialectisation à travers sa parole ; elle n'est pas synonyme de néantification par l'autre. Ainsi, cette première affirmation, jusque-là suspendue, peut-elle se constituer dans l'ordre même de l'expérience analytique.

Nous avons commencé à découvrir comment ce processus, une fois enclenché, ne demande qu'à évoluer ; ce qui précède va se compléter de l'introduction progressive par l'analysant de fragments d'histoire personnelle ; il n'est donc pas exact de prétendre, comme le fait Perrier, qu'e il est habituellement impossible d'amener le schizophrène à parler de son histoire (6). Le psychotisé introduit son histoire par fragments, sans que cette association à son vécu actuel ait forcément un effet de signification ni même que les similitudes soient conscientes. C'est à l'analyste, et tardivement dans la cure, qu'il revient d'isoler les traits déterminants de chaque scène, d'en faire émerger la structure commune et de décrire ce qu'il distingue à l'analysant. C'est là que peut se constituer le lien, l'interprétation au sens d'une traduction.

Il existe également un moment où le patient se tourne vers l'analyste et lui demande de parler. Jusque-là, le contrat avait été pris à la lettre ; l'analysant entrait dans le cabinet sans un regard, parlait puis payait et repartait dès que le « bon » marquant la fin de la séance était prononcé. Le voici qui sourit, dit quelques mots sur le pas de la porte et me demande ce que je pense de ce qu'il vient de dire ou s'inquiète de ma fatigue.

Je ne puis à ce jour que décrire ce moment sans pouvoir analyser les conditions de cette bascule. Contentons-nous donc aujourd'hui de constater que l'existence et la reconnaissance de l'autre peuvent se manifester désormais dans le dialogue et que la parole a commencé à quitter son statut de terreur pour accéder à celui de champ relationnel.

Nouveaux éléments introduits par le contenu des cures : discours dominant, statut subjectif et psychose ; équivalence de la métaphore et de la lettre. Perspectives dynamiques.

J'ai essayé de montrer brièvement comment la langue et la communication intervenaient dans la situation analytique comme support et lieu de travail des rapports fondamentaux du psychotisé à l'Autre.

Une question se pose : cette situation est-elle comparable avec celle que l'on rencontre chez le névrosé ou bien existe-t-il pour le psychotique, dès l'origine de sa vie, un usage et une fonction particuliers du langage qui créent une surdétermination linguistique que l'on retrouve « naturellement » dans la cure ? Ce sera mon hypothèse et peut-être pourrons-nous la vérifier en introduisant l'histoire de ces sujets et en la rapportant, d'une part aux manifestations de transfert que je viens de décrire, d'autre part aux thèmes constants qui reviennent dans la cure.

Ces thèmes sont les suivants :

- la difficulté d'être et de fonctionner dans le monde, d'y avoir une place, d'utiliser ses codes et de jouer avec ses objets,

- la dissociation entre le projeté et l'agir et plus généralement entre compétence et performance,

- le sentiment de jugement et de mépris des autres,

- le refus de tout assujetissement.

Réalité de soi et parole.

Il est frappant de remarquer que l'histoire des psychotiques semble se réduire pour l'essentiel, en début d'analyse, à certains signifiants ou expressions qui les concernent. Par ailleurs, il semblerait que la langue ait perdu très tôt sa fonction d'échange et que sa fonction première ait été l'affirmation et la structuration des statuts subjectifs.

D'autre part, il apparaît qu'il y a eu impossibilité pour le futur psychotique, dès son enfance, à relativiser le discours familial et notamment celui qui concerne son être. Ce discours a été pris à la lettre, hors contexte, ou plutôt, le contexte confirmait sa relation au réel. Cette relation particulière à la parole de l'Autre a fait naître une première frontière entre son monde et celui des autres. Car s'il subsiste pour l'enfant un doute vis-à-vis de cette vérité dominante, son impuissance demeure à se faire reconnaître autrement. Ici le passé se superpose au présent et notre analysant répète aujourd'hui que le rapport de force est trop inégal et qu'il ne sait ni ne peut dire. Que peut exprimer un enfant à sa mère quand celle-ci lui répète chaque fois qu'elle le croise « Vivement q'tu meurres, vivement q'tu crèves » ou un fils à son père qui ne s'adresse à lui que pour lui dire « Tu n'est rien, tu n'es qu'une merde » littéralement ou en le lui signifiant en ne lui laissant aucun espace dans sa parole où il pourrait affirmer sa position ? C'est là souvent que se constitue ce monde intérieur, espace de refuge souvent associé à la jouissance du corps ou à l'échange avec un animal, et la haine qui lie la rage à l'impuissance. (Je ne peux pas hair. Heureusement, car sinon je serais capable de produire chez les autres des blessures insupportables. »)

Réalité du monde et discours familial.

La relation à la réalité «extérieure » est conçue par l'enfant (puis le psychotique) sur le modèle des relations familiales : on y est nié ou volé de sa subjectivité, car son produit devient le représentant de la réussite d'un parent ou du groupe. On y est surveillé : lorsque l'enfant sort, tout le monde et même les voitures le regardent. On y est commenté : les parents ne respectent aucun des secrets de l'enfant et s'insèrent dans ses relations personnelles ;

D'autre part, le monde « des autres» est présenté par les parents suivant une description à la fois manichéenne et angoissante ; il est utilisé comme menace pour l'enfant qui s'écarterait des règles internes. Dans ces conditions, il devient impossible « d'affronter » ce monde : d'une part, il lui a toujours été signifié que lui-même n'était rien ou était mauvais en dehors du système de l'Autre, d'autre part, que ce monde « hors-famille» était étranger et menaçant. C'est ainsi que souvent « la réussite s'arrête à la réussite », qu'il y a dissociation entre compétence et performance. Le psychotique vit dans un univers fermé à la fois réellement car il s'agit de familles qui ont peu de relations avec les autres, symboliquement car la famille a son propre code de valeurs et même de langage (il peut s'agir de signes du corps) et imaginairement sur l'adhésion au fantasme narcissique d'un monde du bien et d'un monde du mal, de la réussite et de l'échec. Entrer dans le monde peut donc se révéler si difficile et représenter une telle perte que le psychotique « guéri », peut préférer en toute lucidité retrouver son ancien mode d'existence (ou son équivalent institutionnel) quelque douloureux qu'il puisse être.

Discours familial et identification.

Cette prise dans un discours dominant suscite une impasse identificatoire : ou l'enfant s'identifie au maître, à celui qui le néantise en le moulant dans son discours, en lui volant jusqu'à ses pensées, et dans ce cas, il s'annule lui-même dans sa capacité de sujet ; ou il s'identifie au « gogol », au « nul » et il devient ce qu'il a toujours été pour l'autre : non reconnu ou fou dès qu'il n'adhère pas mentalement et physiquement à son système et a son désir. Devant ce paradoxe, une solution peut être de prendre l'autre à la lettre : en se signifiant comme rien par le silence. S'affirme ainsi une résistance, voire une affirmation, et une bascule du rapport. Mais ce statut intersubjectif particulier, que l'on retrouve peut être dans le désir du psychanalyste de tenir cette place, atteint ses propres limites : qu'en est-il et qu'advient-il de quelqu'un qui ne parle pas ?

Ainsi, c'est dans ce rapport à la parole absolue, me semble-t-il, que s'est trouvé posée conjointement la question du narcissime et de l'être, de l'imaginaire et du symbolique. Cette fusion réapparaît dans la cure lorsqu'un terme métaphorique se met à exister dans son sens littéral (exemple : « 'j'étais heureuse. Je me suis sentie vraiment voler. J'avançais mais je me sentais voler. Les conducteurs de voitures me regardaient et me jetaient un regard d'admiration. Je volais »).

Dire que le schizophrène n'a pas de moi (7) n'est donc pas faux c'est d'ailleurs une grande partie de sa plainte mais l'essentiel me semble de repérer que cette formation de soi a pu être détruite ou rendue impossible par un ordre de langage qui confond l'imaginaire et le symbolique, l'attribut et le sujet et qui intervient dans un contexte de dépendance réelle : un enfant abandonné de l'amour de ses parents souffre.

Communiquer. Jouer avec le signifiant.

Quittons le champ de la description. Nous trouvons là les bases d'une action thérapeutique qui ne s'englue pas dans une approche mythique de la constitution ou de la réparation objectales. Cet ordre de langage qui véritablement sidère, au point que ces patients n'ont d'autre souvenir que ce qui a été dit sur eux, comme si l'effet propre de leur image rencontrée dans le miroir ou celui des sensations du corps qui confirment l'existence avaient été annulés, nous allons en quelque sorte en retrouver la structure expérimentale dans le dialogue analytique mais nous pourrons aider le langage à retrouver d'autres fonctions comme l'échange et l'élaboration symbolique. C'est sur le maniement de ce « transfert dialogique ». la restauration dusymbolique dans des situations qui semblent ne pouvoir s'extraire de l'intersubjectivité imaginaire et en fin de compte l'introduction par l'analyste de la relativité de ses propres croyances, voire de la théorie à partir de laquelle il travaille, que repose pour moi l'efficacité thérapeutique.

Pour conclure (provisoirement)

Il y aurait encore beaucoup de choses à dire, concernant notamment des points plus techniques, l'attitude à adopter vis-à-vis du délire, l'interprétation, le rêve, les relations avec la famille, le désir de suicide, etc. Mais l'essentiel était pour moi de montrer le bouleversement et les possibilités qu'introduit la cure analytique dans l'abord, la connaissance et le traitement de la psychose.

La psychanalyse permet de dépasser la phénoménologie de la psychose, de passer d'une attitude d'objectivation immobilisante à un travail de repérage de la fonction du symptôme dans le contexte situationnel et historique du patient. Ceci suppose que le psychiatre psychanalyste puisse non pas s'engager « corps et biens ». selon la formule généralement utilisée pour décrire ce type de thérapie, mais plus « simplement » qu'il accepte l'idée que dans le « délire », il y a une vérité qui le concerne et qui touche au réel.

J'ai voulu également faire apparaître que la structure de la cure analytique n'est pas si lontaine en fait de celle où se constitue la psychose. L'analyste se trouve ainsi placé dans une position spécifique, charnière, qui ouvre la possibilité pour l'analysant, à partir du langage même (le « transfert dialogique »), d'une négation, d'une division et d'une création. Une autre histoire s'engage où le psychotique cesse d'être l'objet-sujet d'un discours unique, sorte d'oracle-verdict qui a martelé et structuré son être et sa réalité. Le psychotique peut se tourner vers l'autre, affronter sa voix et son regard sans risquer d'y être anéanti. Le monde devient une comédie humaine.

Pourtant, peut-on vraiment guérir de la souffrance et de la lucidité ? Je n'en sais rien.., peut-être faut-il admettre dès lors ce que me confiait récemment un analysant « La psychanalyse, cela m'a permis de survivre, mais je ne sais pas si je peux aller au-delà ».

Notes

(1) THURIN JM. Histoires de délires. Psychiatries 1987. n° 80-81. p. 91-96.

(2) MALLEVAL J C. Folies hystériques et psychoses dissociatives. Payot 1981

(3) PERRIER. F. La psychanalyse entre le psychotique et son thérapeute. In La chaussé d'Antin, 10/18

(4) THURIN J.M., THURIN M., BRUILLON M. Journaux de bord...

(5) LACAN J. Le Séminaire. Livre III : Les psychoses, Le Seuil.

(6) PERRIER F. Fondement théoriques d'une psychothérapie de la schizophrénie. In La Chaussée d'Antin, 10/18.

(7) LECLAIRE S. A la recherche des principes d'une psychothérapie des psychoses. L'évolution psychiatrique.


* Intervention au séminaire franco-italien organisé par I'AFPEP à Bologne, mai 1988.

** Monique THURIN et Viviane BRUILLON ont beaucoup participé à la préparation de cette communication. Le «Je)) que j'utiliserai se réfère donc souvent à une pratique et une réflexion communes.

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Dernière mise &agrav8/09/04

Dr Jean-Michel Thurin