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Espace Cliniciens

Pour une recherche clinique sur la psychothérapie …



Document élaboré par le Dr Jean-Michel Thurin
Association Française des Psychiatres d'Exercice Privé
Janvier 1990


I. SITUATION GENERALE

Le soin et la demande en psychiatrie ont connu une véritable révolution depuis 20 ans.
Quatre éléments majeurs, au moins, y ont participé:

1 - La politique de secteur
2 - les découvertes pharmacologiques
3 - la psychanalyse
4 - Le passage d'une conception individuelle et constitutive du fonctionnement psychique humain à une conception systémique et évolutive.

A ces éléments, dont on peut appréhender globalement les résultats au delà de la diversité des pratiques, il faut ajouter les bouleversements culturels qui s'y sont associés:

- les techniques nouvelles de soin ont fait évoluer progressivement certains préjugés. De plus en plus de personnes viennent consulter le psychiatre suffisamment tôt pour que des troubles majeurs puissent être évités parce que leurs amis ont eu une expérience analogue qu'ils ont pu surmonter par ce moyen.

- plus généralement, certains modèles de causalité sont devenus peu à peu familiers (traumatisme psychologique, difficultés relationnelles et professionnelles, problèmes de la petite enfance et rôle structurant de la famille) par l'intermédiaire des grands moyens de communication (radio, télévison, cinéma, livres).
L'importance de la verbalisation des difficultés passées et actuelles est largement reconnue.

- les progrès scientifiques et l'évolution des savoirs ont fait apparaître les limites des hypothèses réductionnistes organicistes et ont fait évoluer les paradigmes déterministes : plus personne n'oserait sérieusement défendre aujourd'hui l'idée d'épuiser la causalité psychique dans la découverte d'une hormone ou même d'une anomalie génétique. La linéarité et l'organicisme se sont effacés devant l'analyse mutifactorielle pondérée d'un système complexe où l'humain est appréhendé dans sa dimension psycho-somato-sociale.

Dans le même temps, les progrès de la linguistique ont permis d'objectiver de façon nouvelle certains fonctionnements psychiques et en particulier de faire apparaître certains liens entre pensée, langage, intersubjectivité et pathologie.

Le soin a ainsi évolué

- de l'hopital vers la ville,

- de la consultation forcée - voire de l'internement -, au moment où une pathologie grave est déjà installée, à une demande de soin ou d'aide par le patient lui même ou ses parents (enfants), à un stade plus précoce. La part de "raison" et de coopération qui interviennent dans la relation soignant-soigné est ainsi de plus en plus importante, y compris dans le cas des troubles les plus graves de la personnalité (psychoses).

- de thérapeutiques normatives à une pratique de soins où la causalité psychique est directement prise en compte par le patient, aidé par le thérapeute. Le but n'est plus l'arrasement du symptôme mais la recherche de sa signification et de ses origines. Ce travail - la psychothérapie - rend possible une transformation plus ou moins importante de la personnalité, ce qui, à son tour, permet une meilleure relation à la réalité et restaure la possibilité de l'action.

Dans certains cas, les difficultés initiales ont été si importantes que c'est la structuration même du moi qui est en question. Différentes stratégies thérapeutiques (institutionnelles, familiales, duelles) permettent que les processus qui y participent soient remis en oeuvre.

A tout ceci, il faut ajouter que depuis plusieurs années, le lien fréquent entre la souffrance psychique et le déclenchement de troubles corporels (somatisations) a confronté le psychiatre à de nouvelles demandes de soin et de nouvelles questions théoriques. Ainsi, paradoxalement, celui-ci se trouve-t-il ramené, après qu'il s'en soit écarté, vers la biologie. Mais il s'agit cette fois de concevoir une science du vivant, une psychosomatique qui prenne en compte l'historicité du sujet et ses relations actuelles à la réalité sociale dans l'origine des bouleversements du corps.

Ainsi, actuellement, la psychothérapie est utilisée quotidiennement, isolément ou associée à d'autres techniques de soin, pour des pathologies extrêmement diverses. Cette situation se rencontre particulièrement chez les psychiatres "de ville" qui ne sont pas sollicités uniquement pour des troubles névrotiques, comme on le pense souvent, mais aussi et peut être surtout pour des souffrances très importantes appartenant à des dépressions, des troubles psychosomatiques, des psychoses.

II. LA SITUATION DU PSYCHIATRE

En une vingtaine d'années, beaucoup de choses ont changé pour le psychiatre.

. A. La pratique psychothérapique a dégagé une nouvelle clinique des affections classiques (psychoses, états dépressifs), tant au niveau de leur sémiologie que de leur évolution. Globalement, on peut considérer que le passage du praticien d'une démarche objectivante et symptomatique à une position intersubjective et interrogative est l'élément central de cette mutation.

Cependant, il ne faudrait pas réduire cette transformation à la révolution philosophique qui l'a accompagnée sur le plan théorique. Force est de constater que sa mise en oeuvre à une large échelle n'a été rendue possible que par l'existence d'un système conventionnel de soin qui permette son accès même dans les moments existentiels les plus critiques.

Par ailleurs, les psychothérapeutes s'accordent à constater la mutiplication de pathologies frontières qu'ils sont souvent amenés à traiter à l'occasion d'une décompensation.

Cette mutation du "paysage psychiatrique" implique une remise à jour et une conceptualisation du savoir et des techniques correspondantes.

. B. Beaucoup de praticiens se sont référés dans leur pratique à des cas exemplaires à partir desquels s'est généralisée la théorie d'une affection et son traitement . Il est possible aujourd'hui, de faire le point sur la validité de certaines hypothèses et les pratiques spécifiques qui leur correspondent.

. C. Engagés, souvent à leur insu, dans des pratiques extrêmement complexes et difficiles, techniquement mais aussi subjectivement, les psychiatres vivent quotidiennement leurs limites et leur solitude. Le praticien ne peut plus guère compter aujourd'hui sur les murs de l'asile ou l'organicisme primaire pour se garantir de l'angoisse, de la souffrance et de la vérité contenues dans la folie. Elaborer, échanger, approfondir les modalités techniques de son action, c'est rétablir une distance nécessaire à la pratique de son art.

. D. La réforme de l'accès à la profession de psychiatre (suppression du CES de psychiatrie, internat commun) porte en elle le risque d'une régression à la démarche organiciste primaire antérieure. Certes, on n'invoquera plus la paralysie générale pour expliquer la schizophrénie, mais les théoriciens du chromosome spécifique ou du déséquilibre enzymatique initial peuvent espérer trouver dans le discours scientiste, aujourd'hui encore dominant en médecine, un écho favorable à leurs thèses. Ceci risque d'entrainer pendant plusieurs années une régression des savoirs et des pratiques.

. E. Cette menace est aggravée par la volonté politique actuelle de "rationalisation du soin". Si les psychothérapeutes ne se donnent pas les moyens de présenter leur travail, c'est à dire de le rendre communicable à autrui (et transmissible à leurs pairs), il peuvent s'attendre à ce que des économistes non avertis trouvent dans le réductionnisme primaire la justification pseudo scientifique (en réalité a-scientifique) de contrôles et de limitations qui rendront leur exercice difficile voire impossible.

III. OUVRIR LA RECHERCHE A LA CLINIQUE PSYCHOTHERAPIQUE. TRANSFORMER UN ART EN SAVOIR.

Dans la situation actuelle dont nous venons de relever certains traits majeurs, la mise en chantier d'une recherche sur les psychothérapies pourrait contribuer à résoudre un double paradoxe et un risque majeur:

- Alors que la principale innovation dans le soin en psychiatrie est aujourd'hui la psychothérapie en pratique libérale, l'essentiel de la recherche psychiatrique en France se fait encore aujourd'hui dans les hopitaux et porte presque exclusivement sur les molécules pharmacologiques…

- Ceci est discutable sur le plan de la nécessaire articulation entre réalité pratique et conceptions avancées : qui peut aujourd'hui sérieusement attendre la guérison d'une pathologie installée à partir d'une molécule, alors que dans le même temps rien de ce qui constitue la vie de la personne - sa structuration, ses investissements, ses fantasmes, ses relations intersubjectives et sociales - n'aurait évolué?

- Ceci est discutable sur le plan de la méthode scientifique: Que peut-on attendre d'une recherche portant sur l'appréciation d'une évolution psychologique alors que ne sont pas pris en compte des facteurs tels que le cadre de l'expérience (le milieu protégé d'un hopital), les relations intersubjectives (personnalité du thérapeute, position respective des actants), la chronicisation?

- Ceci est discutable sur un plan éthique: que dire de ces patients régulièrement soumis à de nouvelles expérimentations dont les effets primaires et secondaires sur la relation à la réalité sont importants?

- L'expérience acquise en France dans le domaine de la psychothérapie, le savoir qui en est issu, les questions et les difficultés attenantes à cette pratique ne dépassent généralement pas le cercle de quelques collègues alors qu'ils devraient être reconnus comme un acquis social et constituer la matière d'une recherche clinique sur l'origine et le soin des affections psychiatriques. Il n'est pas possible de prendre comme unique référence les études de ce type qui ont été faites chez certains de nos voisins (en particulier en Amérique et en Grande Bretagne). Il existe une spécificité culturelle et sociale de la France qui lui a permis d'être à l'avant garde aussi bien dans le domaine de l'approche psycho-sociale que psychanalytique.

Paradoxalement, c'est là que la recherche scientifique a pris un grand retard.

- Les psychiatres psychothérapeutes exercent aujourd'hui leur art, pour une part non négligeable, sur la base d'une formation qu'ils ont acquise "sur le tas" au cours de leur internat et dans le cadre d'une formation personnelle extra-universitaire. Formés essentiellement sur les bases de la clinique psychiatrique hospitalière "objectivante" et de la neurologie, ils ont été conduits à renouveler leur savoir. En particulier, la formation à la dynamique de l'inconscient et du transfert s'est souvent faite au cours d'une psychanalyse personnelle et de la fréquentation d'Ecoles, de séminaires de conférences.

A terme, cette situation porte le risque d'une dévalorisation de la qualité des soins et d'une quasi disparition de la discipline psychiatrique.

En effet, on peut concevoir les effets pervers que peut avoir pour les praticiens la non-reconnaissance sociale de cette formation par ailleurs indispensable: la réduction de la formation psychiatrique au minimum. On peut imaginer qu'une partie de la population se tournerait alors vers la psychothérapie extra-médicale tandis que l'autre n'aurait plus accès qu'à des soins symptômatiques. Cette situation serait gravement préjudiciable non seulement pour les patients et les psychiatres mais également pour le corps social qui a pu mesurer le prix à court terme et à long terme de la chronicité en psychiatrie.Outre le caractère inacceptable du point de vue de l'éthique sociale du risque d'une telle dérive (soins à deux vitesses), il faut bien considérer aujourd'hui, avant qu'il ne soit trop tard, ce que le psychiatre apporte comme spécificité dans la pratique psychothérapique, spécificité qui risquerait d'être à jamais perdue:

- Le psychiatre connait la sémiologie. Il est capable de faire un diagnostic. Cette capacité lui a été transmise par les grands cliniciens de la psychiatrie. Certes il ne s'agit pas pour autant de considérer que cette compétence constitue un but. Il s'agit plutôt d'un point de départ à partir duquel il ajuste son intervention, tout spécialement dans le domaine de sa recherche de communication avec le patient. Ses interventions parlées, le rythme des entretiens ne seront pas, tout au moins initialement, identiques avec un "psychotique" ou un "névrosé", même si l'on sait aujourd'hui que les grands tableaux cliniques que le psychiatre a été formé à reconnaître appartiennent d'avantage aux modèles qu'au quotidien de sa pratique. En effet, cette sémiologie est indissociable d'une approche psychopathologique qui permet de rapporter la situation de crise et de consultation à l'histoire du patient .

- Le psychiatre sait reconnaître les limites d'un sujet quant à ce qu'il peut supporter, en particulier la gravité d'un désespoir qui porte le risque d'un suicide.
Mais il sait également faire face à l'angoisse de celui qui s'adresse à lui et la replacer dans un processus vital en boulevervement.

- Du fait de sa formation médicale initiale, le psychiatre sait distinguer ce qui est de sa compétence de ce qui relève de celle du somaticien. Surtout, il appréhende le sujet dans sa globalité biologique, c'est à dire psycho-somato-sociale. Il a été en contact direct avec le corps souffrant et la mort.

- Le psychiatre est habitué à la prise en charge de cas très lourds. Il a généralement rencontré ces patients dès le début de sa spécialisation.

- Le psychiatre a appris à utiliser des stratégies de soin très diverses: médicaments, thérapies institutionnelles, familiales, communautaires. Il dispose d'une culture importante. Son choix et son mode d'utilisation des techniques psychothérapiques est issu de sa pratique et de son expérience.

IV. LES BASES D'UNE RECHERCHE CLINIQUE SUR LES PSYCHOTHERAPIES.

. A. Des difficultés mais aussi des possibilités …

Disons le clairement d'emblée: la mise en oeuvre d'une recherche clinique sur les psychothérapies, même s'il apparaît bien qu'elle s'impose aujourd'hui, sera extrêmement difficile pour différentes raisons:

- Chaque praticien se trouve personnellement engagé par chacun de ses patients dans une expérience en partie singulière. L'efficacité même du traitement dépend de son engagement subjectif. Toute objectivation du processus thérapeutique risque de le perturber.

- Bien que cette situation tende à évoluer depuis quelques temps, les clivages entre Ecoles et Groupes sont encore très actifs. Il n'existe pas aujourd'hui d'Ecole de Psychiatrie ou même des représentants unaniment reconnus pour leur connaissance du traitement de telle ou telle affection. Souvent les concepts utilisés pour en rendre compte sont très différents, même si les pratiques sont très proches.

Dans cette période d'extraordinaire mutation et de progrès, les théories novatrices sur le psychisme, avancées par quelques pionniers, ont été accueillies avec enthousiasme. Ces avancées et l'engagement personnel important des soignants dans l'acte de soin ont permis que s'accomplissent en quelques années d'immenses progrès. Cependant, on constate également certaines difficultés. En particulier, on peut regretter que les polémiques entre Ecoles se soient parfois substituées aux nécessaires relations et confrontations entre pairs à partir de leurs travaux expérimentaux, ce qu'exige toute production scientifique. L'identification à un savoir sans faille a pu se substituer à son intégration à partir d'une démarche qui implique l'interrogation et le questionnement.

- Enfin, dans une discipline où le Savoir a tant d'importance dans l'efficacité du traitement et où l'acte est reconnu socialement, le praticien peut craindre qu'en faisant état ses difficultés, celles-ci apparaissent comme des erreurs et que sa compétence soit remise en question.

Il existe également des facteurs positifs:

- La plupart des praticiens est suffisamment avancée dans la pratique pour qu'il devienne possible d'élaborer et transmettre ce qui relève déjà du quotidien.
Certes, il persistera toujours un art dans la conduite d'une cure psychothérapique. Cependant, pour le psychiatre clinicien, dégager ses hypothèses de travail, ses questions et plus généralement un modèle général du déroulement de la cure participent à la fois d'un confort technique et d'une recherche continue traditionnelle en psychiatrie.

- Les difficultés que nous avons présentées devraient en outre être largement atténuées par l'existence de l'AFPEP-SNPP comme cadre et garant de ce travail.
En effet, une recherche clinique véritable implique une dialectique entre avancées individuelles et "vérification" par les pairs, dans un esprit à la fois de confrontation (et non pas de critique) et de reconnaissance réciproque. L'esprit général qui existe depuis de nombreuses années au sein de l'AFPEP-SNPP, son ouverture - sans exclusive et sans sectarisme - à la psychanalyse et le fait que de nombreux psychiatres-psychanalystes s'y soient regroupés, l'existence d'une "identité psychiatrique", qui s'est constituée dans la formation et la pratique de ses membres (qui apparaît en particulier dans le livre en élaboration sur la psychiatrie privée) ainsi que dans l'action syndicale, sont autant de facteurs positifs.
Il faut ajouter à cela une véritable nécessité pour le praticien de s'extraire de sa solitude face à des situations qui, répétons le, sont extrêmement difficiles à traiter et même à entendre.

D'autre part, cette recherche ne peut être menée qu'avec le plein accord des professionnels concernés. Ceci implique des garanties qu'un cadre associatif peut offrir, à la fois entre les participants, mais aussi vis à vis des institutions sociales.
En particulier, si le SNPP et son association scientifique l'AFPEP ont toujours oeuvré dans le sens d'une prise de responsabilité en considérant que l'amélioration de la qualité des soins et les recherches théoriques et cliniques étaient liés (en témoignent la qualité de sa revue "Psychiatries", de ses "Journées nationales", de ses Séminaires), il a aussi toujours veillé à la défendre contre diverses pressions conjoncturelles. Dans la situation actuelle de"rationalisation des soins", un risque majeur existe que les autorités de tutelle se saisissent de travaux parcellaires pour tenter d'intervenir sur les pratiques. Le SNPP sera particulièrement vigilant sur cette question.

. B. Premières bases de réalisation concrête…

Cette recherche clinique devrait:

1 . - s'enraciner dans les interrogations soulevées par une pratique en pleine mutation

2 . - mettre à l'épreuve un certain nombre d'hypothèses.

Il s'agit bien sür des hypothèses dégagées par les praticiens à partir des cas qu'ils suivent. Mais allons plus loin. Devons nous laisser de côté celles des grands cliniciens qui nous ont précédé ? La psychanalyse occupe une place particulière aujourd'hui vis à vis de la psychiatrie et des institutions sociales dans la mesure où les travaux de ses fondateurs (citons auprès de FREUD: BALINT, BETTELHEIM, FERENCZI, JUNG, M. KLEIN, LACAN, WINNICOTT…), n'ont jamais été évalués sur une large échelle clinique en dehors des Ecoles auxquelles ils avaient donné naissance. Cette situation paradoxale permet à certains de nier en bloc ses découvertes ou de limiter leur réalité à l'opérativité d'un paradigme alors que dans le même temps les praticiens retrouvent chez leurs patients la base clinique des concepts dont la psychanalyse est issue. Cependant, la psychanalyse a souvent souffert de la généralisation, ce qui peut faire apparaître certains aspects théoriques comme contradictoires alors qu'ils sont complémentaires. En effet, comme chaque clinicien, ces célèbres chercheurs ont été plus ouverts à une catégorie spécifique de patients en fonction de leur histoire propre. Ce serait faire faire un grand pas à la psychanalyse que de replacer ses acquis du stade d'énoncés catégoriques à celui d'hypothèses et de considérer leur pertinence en fonction du champ clinique qu'ils recouvrent.

3. - privilégier la qualité des observations, c'est à dire les facteurs pris en compte et analysés plutôt que le nombre élevé des cas. Autrement dit, vingt observations bien étudiées portant sur une affection déterminée, ou même un stade ou un aspect particulier de la cure peuvent donner lieu à beaucoup plus d'enseignements que cent cas pour lesquels une multitude de paramêtres auront étés négligés.

Chaque clinicien participant à la recherche pourrait présenter et mettre à la disposition de ses collègues une ou deux observations complètes. Par rapport à celles-ci, il serait invité à dégager ses hypothèses et ses questions mais aussi à les confronter à celles de ses collègues réunies par le groupe de coordination et de méthodologie.

4. - favoriser le travail en petit groupe…

Le travail d'un praticien, en solitaire, sur ses propres cas est très intéressant. Il rencontre cependant certaines limites.

- Celles de son référentiel théorique. Par là même, il garde en partie l'aspect d'une fiction théorique. Sa présentation à l'occasion d'une communication ou d'une publication ne permet que rarement l'instauration d'un véritable dialogue. A la difficulté du cas s'ajoutent les difficultés de langue.

A cet égard, l'expérience d'une lecture croisée de la clinique où se confrontent les interprétations et les langages est stimulante. En même temps qu'elle donne à la production un aspect plus ouvert, elle permet d'explorer systématiquement la concordance de certaines observations. Ce qui n'était qu'une hypothèse individuelle devient un jalon susceptible d'être exploré systématiquement par les autres participants.

- Le nombre de cas d'une affection donnée suivi par un praticien reste forcément limité, même si sa pratique est orientée dans un domaine particulier. A l'inverse, une association scientifique comme l'AFPEP dispose potentiellement d'un matériel clinique considérable.

- Les recherches sont souvent centrées par un auteur isolé sur une question spécifique, dont lui même appréhende l'importance et le contexte, mais qu'il est parfois difficile, pour ses pairs, de situer dans l'ensemble des interrogations posées par un domaine vaste comme peut l'être, par exemple, celui de la psychose. Ceci a au moins deux conséquences:

- d'une part, l'aspect de "patch-work" de nombreuses manifestations,
- d'autre part, le fait que des observations et des travaux intéressants restent ignorés de la majorité faute d'être référencés par thème.

Recenser les questions qui se posent, réunir les travaux correspondants déjà effectués et faire connaître les travaux en cours et leurs auteurs devraient permettre une meilleure efficience et valorisation de ceux-ci.

Il ne faut pas ignorer cependant que des programmes de recherches coopératives ont échoué ( dont l'un organisé par l'Association psychanalytique américaine) faute de pouvoir s'entendre sur les références initiales ou parce que la planification était d'origine externe.

5. - permettre d'aborder des questions à la fois très générales (comme les indications, la durée des traitements, les résultats obtenus, etc…) et des questions beaucoup plus spécifiques (comme le premier entretien, les indicateurs du déroulement de la cure, la fonction et l'évolution des rêves, l'intervention du psychiatre, les organisateurs du discours, la relation avec la famille, etc…)

6. - prendre en compte l'observateur, c'est à dire non seulement son identité sociale et quelques facteur généraux individuels comme l'ancienneté de la pratique et l'intérêt pris pour le travail mais aussi et peut être surtout ce qu'il a éprouvé pendant le déroulement de la cure, les détails qui l'ont frappé, etc…

7. - pouvoir s'inscrire dans le cadre des programmes de recherche soutenus par les organismes nationnaux, en particulier l'INSERM et la MIRE.

8. - Concevoir les journées de 90 sur les Psychothérapies comme une étape essentielle de cette recherche.

. C. Méthodes et orientations possibles de recherches …

1. Concernant la méthodologie, il est bien clair que la recherche sur les psychothérapies suppose des conditions spécifiques très complexes, dont certaines ne se dégageront qu'au für et à mesure de sa mise en oeuvre. Dans un premier temps, le groupe de coordination et de méthodologie veillera à mettre à la disposition des participants un certain nombre de travaux de référence sur cette question, à prendre contact avec les personnes y étant déjà engagées et à réaliser un référenciel d'analyse .

2. La recherche sur les psychothérapies peut recouvrir des contenus et des buts très divers parmi lesquels il conviendra d'exercer des choix.

Voici, succintement exposées, quelques directions de travail.

a) Recherches à visée évaluative et d'appréhension générale.

- Elles peuvent porter sur les caractéristiques de la population qui entreprend une psychothérapie, sa pathologie, la durée de la prise en charge, etc… Elles se font essentiellement sous forme de questionnaires.
Elles n'ont à priori qu'un intérêt limité pour le praticien qui est directement en relation avec la demande de ses patients. Elles présentent un intérêt certain pour les institutions sociales.

- Une recherche plus clinique de ce type peut porter sur les types de psychothérapies utilisées, leurs indications selon l'expérience des praticiens eux-mêmes…

b) Recherches sur les conditions (et la définition stricte) de l'acte et du processus psychothérapique.

c) Recherches à partir du contenu des cures psychothérapiques.

- Plusieurs approches peuvent être utilisées

- L'interview

Un petit groupe de praticiens se réunit et chaque participant, tour à tour, présente à ses collègues un ou deux cas autour d'une situation clinique déterminée. Il est ensuite interviewé par eux à ce sujet. (Par exemple, un groupe de l'AFPEP voulant travailler sur le premier entretien et en particulier sur le passage du médical au psychique s'est donné à une des ses séances pour règle que chacun des participants décrive les deux derniers "premiers entretiens" qu'il avait eu avec un patient.)

Cette technique peut permettre d'appréhender:
- Les différentes approches possibles d'un symptôme par différents praticiens, les réponses qui lui sont données et les choix thérapeutiques ainsi introduits.
- Un ensemble de perceptions, une sémiotique qui guident le praticien dans sa démarche. Partie très importante du savoir psychiatrique, elle est essentiellement méconnue dans les ouvrages cliniques et difficile à cerner autrement que dans un dialogue.
- Certaines modalités techniques des praticiens.
En outre, cette technique peut permettre que se dégagent progressivement des recherches sur des points plus spécifiques utilisant d'autres modes de recueil des données.

- L'enregistrement

L'enregistrement peut être utilisé pour apprécier comment se déroule le dialogue entre le psychothérapeute et le patient et exceptionnellement pour des analyses de contenu.
Depuis quelques années, une équipe de linguistes de Paris-V Sorbonne (Lab d'étude sur l'acquisition et la pathologie du langage - Dir. T. FRANÇOIS) travaille systématiquement avec des psychiatres sur le premier entretien de patients toxicomanes et psychotiques. Cette approche montre à quel point le discours du patient est lié aux dispositions de son interlocuteur, à ce qu'il cherche à apprendre etc… . Ceci se manifeste en particulier dans les ruptures de communication, les relances et les ouvertures. Ces enregistrements font également apparaître, même chez des sujets réputés "non demandeurs", une intention de communication sur des contenus existentiels profonds qui peuvent être négligés par le praticien. Il s'agit d'une méthode qui possède de réelles possibilités de formation sur l'art du dialogue et la fonction de la parole.
Pour ce qui concerne l'analyse de contenu, l'enregistrement me paraît - sauf exceptions comme encore une fois le premier entretien - une méthode très lourde et finalement artificielle.
En effet, les véritables contenus méconnus d'un discours se révèlent surtout à l'écrit. Il existe une appréhension synchronique et une lecture seconde et celle-ci prend sa valeur de la levée des artéfacts du contexte immédiat et de la mise en relation du contenu avec les séances précédentes et suivantes. Dans ces conditions, et aussi parce qu'il est plus "naturel" de prendre des notes pendant une séance que de brancher un appareil, il me semble préférable d'utiliser les notes du praticien.

- Les notes prises pendant les séances

Les plus intéressantes sont celles qui transcrivent le plus intégralement posible les propos du patient et les interventions du psychothérapeute. Ces dernières sont les plus difficiles à saisir.
L'ensemble de ces notes relatives à un ou plusieurs patients définit le corpus à partir duquel va pouvoir s'effectuer la recherche.

- Certaines conditions sont indispensables ou souhaitables

- indispensable, l'anonymat strict des documents. S'il y a publication, celle-ci devrait pouvoir revêtir la forme de la véritable clinique; c'est à dire celle qui rejoint la forme du modèle par lequel le caractère individuel et réel s'estompe dans le général et représenté. En ce sens, l'appui d'un travail sur un certain nombre de cas devient une garantie supplémentaire d'anonymat ;

- souhaitable, le travail sur des compte-rendus de psychothérapies déjà achevées. Ceci paraît être une exigence à la fois éthique, de confort professionnel et scientifique en évitant les contre-effets que peut induire une recherche déterminée sur l'évolution de la cure. Cependant, il faut bien reconnaître que ces effets sont généralement positifs et que la réserve porte surtout sur l'induction inconsciente possible du praticien de réponses confortant ses hypothèses.

Il ne parait pas nécessaire de disposer d'une transcription de toutes les séances. En effet, chacun peut remarquer que des périodes très fécondes sont souvent suivies de périodes de travail moindre voire absent. Par contre, les dates représentent en soi un élément d'information intéressant.

- On peut concevoir qu'ultérieurement, le regroupement de ces documents puisse aboutir à la création d'une Banque de données cliniques au sein de laquelle seraient insérées les observations princeps qui appartiennent aujourd'hui au domaine public.

L'intérêt de la Banque de données parait multiple.
- Souplesse d'utilisation par un particulier ou une équipe.
- Possibilité de reprendre des observations à un moment où de nouvelles hypothèses se sont dégagées.
- Lecture croisée permettant que la clinique ne soit pas reconstruite à partir des hypothèses privilégiées par un seul praticien. Inversement, les intersections théoriques deviennent un argument fort de leur validité. Dans cette perspective, certaines observations utilisées pour illustrer une construction théorique (par exemple les observations d'Alexander sur la psychosomatique) présentent un très grand intérêt dans la mesure où elle contiennnent, à leur insu, des éléments plus spécialement étudiés par les Ecoles actuelles.

- Que pouvons nous travailler à partir de ce matériel ?

- Les processus psychopathologiques

- en comparant l'histoire de patients atteints d'affections semblables. En particulier, on peut tenter de cerner l'origine de certaines structurations pathologiques en associant à la phénoménologie initiale des renseignements fins sur le fonctionnement familial, notamment ce qui concerne le langage et les manifestations affectives.

- en cernant les circonstances de décompensation. En particulier, un travail est sans doute réalisable aujourd'hui sur les effets de conjonction entre histoire familiale et histoire sociale à un moment donné pour un sujet. En effet, nous sommes bien loin de la situation antérieure où l'auteur d'un travail sur un cas clinique de psychose ou de psychosomatique ne disposait que de peu d'éléments sur le vécu, par le patient, de son histoire familiale et sur certains évènements réels qui s'y sont produits.

Ces recherches peuvent avoir des effets directs sur la conduite de la cure par une meilleure connaissance des mécanismes susceptibles de s'y produire. Pour être clair, nous avons une assez bonne connaissance des mécanismes de transfert névrotique mais nous avons encore beaucoup à apprendre sur les transferts psychotique et psychosomatique, cette distinction étant d'ailleurs à l'usage assez caricaturale si on ne la rapporte pas à une dynamique des structurations.

- Le processus dynamique de la cure et les mécanismes de guérison

Nous parvenons là à ce que pourraient être de véritables recherches "évaluatives" sur le processus psychothérapique.

Celles-ci peuvent porter sur des critères tels que la souffrance, la capacité de communication et d'expression affective, d'aimer et d'agir, la relation à la réalité, la fréquence et le type des somatisations… . L'évolution de ces éléments, qui décrivent beaucoup mieux la situation à laquelle est confronté le psychothérapeute qu'un diagnostic global, peuvent être suivis au cours de la cure.

Mais des travaux peuvent porter aussi sur des modifications de structure qui peuvent être suivis au moins de deux façons:

- d'une part, à partir d'une analyse psycholinguistique du discours ; en particulier, on peut rechercher certaines marques comme l'utilisation du Je et du On, la prise à la lettre des paroles de l'autre, l'incertitude masculin-féminin et inversement l'élaboration du Je, la distanciation et l'ouverture à la métaphore, les mots clés organisateurs et leur évolution (la cure est "envahie" à un certain moment par ce qui se rapporte par exemple au voir ou à l'agressivité) … etc

- d'autre part à partir de l'évolution des rêves et de leur mise en relation avec le contenu des séances et l'élaboration de situations traumatiques.

Etudier la dynamique de la cure, c'est ouvrir aussi tout un champ de recherche sur les étapes et les agents de la structuration du sujet. Champ spécifique du psychiatre auquel s'adressent des patients dont les troubles peuvent être rapportés à des défauts intiaux de la structuration qu'il ne peut s'agir seulement de constater mais qu'il faut bien, à un moment ou un autre, envisager de traiter.

. D. Structure et organisation. Moyens

1. La structure de recherche clinique sur les psychothérapies doit pouvoir fonctionner comme un outil et un cadre de travail. Il s'agit de rendre possible certains travaux et de leur permettre de déboucher sur des publications portant sur des questions qui nous sont sensibles.

Ceci implique que les regroupements soient favorisés et qu'il puisse y avoir une articulation à la fois souple et efficiente entre travail individuel et travail en commun.
Une information écrite régulière entre les participants et l'utilisation des journées nationales pour faire le point sur des questions précises à partir d'un travail déjà avancé devraient permettre des concrêtisations régulières.
Ceci ne doit pas faire perdre de vue que le transfert de travail implique nécessairement la satisfaction de ses participants.

Concernant l'organisation, il est prévu, parallèlement au statut de chercheur qu'entrainera pour les praticiens intéressés la participation aux programmes financés par les organismes officiels, la mise en place d'une organisation spécifique au sein du SNPP-AFPEP.
Celle-ci, essentielle initialement, devrait avoir une fonction d'impulsion, de communication et de coordination et s'appuyer sur les structures locales déjà en place quand elles existent.
Dans cette perspective, les responsables régionaux et le responsable national constitueraient un groupe de coordination et de méthodologie dont la fonction serait d'une part, de faciliter et de faire aboutir les recherches en cours, éventuellement de les recentrer sur une question spécifique, d'autre part, d'assurer les relations avec l'AFPEP, le SNPP et les organismes officiels.

La structure et l'organisation générales peuvent être schématisés comme suit:

 

2. Les moyens

Ils conditionnent la dynamique que suscitera, chez les participants, l'intérêt pour ce travail, à la fois individuel et collectif, de recherche et d'élaboration sur leur pratique psychothérapique.

D'abord, l'engagement et le temps que réclameront ce travail supposent que les fonctions de ses participants et la formation personnelle qui en résultera soient reconnus.

Ensuite, il faut prévoir des moyens matériels pour que ce projet puisse aboutir.
Il faut en particulier concevoir une période initiale de deux ans durant laquelle les groupes commenceront à fonctionner, la coordination à se réunir sans que les programmes de recherches spécifiques soient financés par les organismes dont c'est la mission.
Il est donc nécessaire de prévoir, dès à présent, des moyens financiers suceptibles de couvrir les frais de secrétariat, d'envoi, de communication ainsi que le temps investi par ceux qui s'engageront dans la mise en place de cette recherche.

Dr Jean-Michel THURIN 12/89

Remerciements: Ce texte a bénéficié de la lecture attentive et des observations des membres du Bureau et du CA de l'AFPEP - SNPP, et tout particulièrement des remarques écrites d'H. BOKOBZA et de JM. ANGLERAUD.

Bibliographie initiale.
AYME, J;, BESANÇON, G.,BLES,G., GALLOIS, P., LEGENDRE,P.,SOURNIA, JC., La psychiatrie et les contrôles, "Psychiatries", n° 49, 1982/1
BLAJAN-MARCUS, S., BLES, G., BOKOBZA, H., CYRULNIK, B., DELAHOUSSE, J. et coll, JACQUOT, JP., MAZERAN, V., MEYER, R., PALEM, R.M.,PELICIER, Y.,SAVY, A. et coll, STRELISKY, P. L'efficacité thérapeutique en psychiatrie, "Psychiatries, n°51, 1982/3
DELPIERRE, G. - Les psychothérapies. PRIVAT 1968
GERIN, P. - L'évaluation des psychothérapies. PUF, 1984 (avec importante bibliographie)
GERIN, P. , DAZORD, A. - L'évaluation des psychothérapies dans la pratique clinique.
LAGACHE, D. - La psychanalyse. PUF, 1969
LAVAL, M-F, REYRE, P., ROGE, E., TOURN, L. Autour des psychothérapies, "Psychiatries, n°83, 1988/2
PALMADE, G. - La psychotherapie. PUF, 1951
PALEM, R. - Le psychiatre et la psychanalyse. Problèmesd actuels de la psychothérapie. ESF, 1973 (avec importante bibliographie)
WIDLOCHER, D. Psychothérapie, Encyclopédie Universalis.

 


Dernière mise à jour : 15/05/05
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