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Espace Cliniciens

Entretien avec Pascal-Henri Keller

par Brigitte Lapeyronnie

BL : Pascal-Henri Keller, vous êtes psychologue clinicien, psychanalyste, enseignant chercheur à l’université Victor Segalen, Bordeaux II. Vous avez publié trois ouvrages : « La médecine psychosomatique en question : le savoir du malade » chez Odile Jacob en 1997, « Qu’est-ce que soigner ? Le soin du professionnel à la personne » chez Syros en 2000 et « Médecine et psychosomatique » chez Flammarion-Dominos en 2000.
Les conclusions d’une expertise collective de l’INSERM sur les psychothérapies ont été présentées fin février sous le titre : « psychothérapies : trois approches évaluées ». Comment avez-vous accueilli ce rapport qui met en avant l’approche cognitivo-comportementale ?

PHK : Tout d’abord, j’ai appris l’existence de ce rapport de l’INSERM par l’un des experts, l’un de ses promoteurs, qui a inondé de mails les universitaires concernés par la question, avec une espèce de cocorico proclamant : « ça y est ! on a la preuve que les thérapies cognitivo-comportementales sont efficaces, et la psychanalyse inefficace ». Quant à la conclusion de ce courrier au ton triomphal, c’était que la psychanalyse ne devait plus être enseignée à l’université, puisque inefficace : selon cet « expert », poursuivre son enseignement représentait un problème de santé publique. Alors, comment j’ai accueilli cela ? Mon premier réflexe a été de sourire, de m’amuser de la naïveté de ce propos, qui affirmait sans rire que les thérapies cognitivo-comportementales triomphaient enfin de la psychanalyse, qu’elles allaient pouvoir l’éradiquer. Cela m’a fait sourire, tellement ça me paraissait naïf et puéril : qui pouvait croire à cette fable ? Et puis, en y regardant de plus près et en écoutant les réactions autour de moi, ça m’a paru moins drôle dans le sens où l’enjeu, c’est une souffrance qui envahit non seulement le champ social et les entreprises, mais aussi les écoles, les familles, les couples, etc. Alors prétendre disposer de la solution miracle à toute cette souffrance et à certains troubles psychiques qui, en fait, correspondent dans la rencontre clinique avec des personnes à de véritables détresses, ça m’a paru à la limite de l’escroquerie. Et je continue de penser que c’est une démarche condamnable. Un collègue, professeur d’université, Roland Gori a répondu au journal Le Monde en disant que cette publication le dégoûtait, l’écœurait. Je comprends tout à fait cet écœurement. Je comprends que l’on soit écoeuré de voir qu’une institution aussi prestigieuse que l’INSERM, qui produit par ailleurs des recherches de très grande qualité, soit manipulée à ce point de l’intérieur par des gens qui ne cherchent qu’à vendre leur marchandise, en tout cas leur technique. Ils avaient une intention au départ qui était de faire valoir leur propre technique, puisque sur les huit experts de l’INSERM, quatre étaient des promoteurs de ces thérapies cognitivo-comportementales, un seul était psychanalyste. Tous leurs écrits, leurs travaux publiés présentent ces thérapies et en vantent les mérites. Donc, dans cette position de soit disant « experts en efficacité des psychothérapies », ils étaient à la fois juges et parties. D’ailleurs l’un d’entre eux, interviewé à la télévision, affirmait de façon candide : « Si les thérapies cognitivo-comportementales sont efficaces, ce n’est pas moi qui le dit… c’est le rapport de l’INSERM ». À la fois cela peut prêter à sourire : on est confondu de tant de naïveté feinte, mais on peut être aussi écœuré et en colère de voir détournée une institution comme l’INSERM à des fins strictement partisanes, commerciales, et, comme l’a dit le commanditaire de l’étude lui-même, le directeur général de la santé, William Dab, à des fins de « marketing ». Donc l’INSERM a été utilisée à des fins marketing par un groupe de chercheurs et de praticiens en thérapie cognitivo-comportementale, qui a pensé faire une campagne de promotion à bon compte, à propos de leurs méthodes. Voilà comment j’ai accueilli cette étude : finalement très sévèrement, comme vous pouvez le constater.

BL : Si nous regardons en arrière et nous nous penchons sur l’histoire de la psychologie, comment pouvons-nous comprendre l’engouement des psychologues et des psychiatres pour la thérapie cognitivo-comportementale au détriment d’autres approches notamment de la psychanalyse qui rayonnait dans les départements de psychologie ?

PHK : Ne vous inquiétez pas trop pour la psychanalyse car elle continue à rayonner, dans le sens où elle continue à être enseignée. Comment j’explique la situation actuelle ? Je pense qu’il faudrait une analyse beaucoup plus fouillée que ce que je vais vous dire là pour en rendre compte de manière vraiment complète. Mais je vois au moins deux raisons à cet engouement pour les TCC. La première raison tient à ce que l’histoire de la psychologie et de la médecine sont confondues. A leurs débuts et notamment en France, la plupart des psychologues étaient également des médecins, des médecins éclairés, des médecins philosophes, des médecins humanistes, mais leur formation initiale était médicale. Depuis, la psychologie n’en a jamais complètement fini avec ces attaches médicales qui fondent ses assises, sur le plan épistémologique comme sur le plan de la pratique. Le raisonnement médical a accompagné la psychologie jusqu’à ce jour. La psychologie est une discipline récente, qui ne peut guère compter plus de cent cinquante ans d’existence. Dans les faits -en France en tout cas- on sait que la toute première licence de psychologie, le futur diplôme pour former des psychologues, remonte aux années 40. La psychologie comme discipline scientifique est donc très jeune, en tous cas par rapport à la médecine qui a plus de mille ans d’existence. Il y a là un grand déséquilibre, et ce n’est pas très étonnant que le modèle médical continue à influencer des secteurs scientifiques qui ne sont pas médicaux. La psychologie, du fait de racines communes à celles de la médecine, est « naturellement » tentée par le raisonnement, par la démarche médicale, y compris pour aborder la souffrance psychique. C’est la première raison, qui est donc historique.
La deuxième raison est davantage conjoncturelle, et il s’agit plutôt d’une question d’actualité. On est dans une période où il faut que les choses aillent vite, que les résultats soient obtenus immédiatement, on ne supporte pas le délai. On est dans la civilisation du zapping. Si quelque chose ne marche pas comme on veut, eh bien on passe à autre chose. Et il me semble que, si les psychologues ont été séduits, enfin certains psychologues en tout cas, mais aussi certains psychiatres, et s’ils ont été tenté par les théories cognitivo-comportementales, c’est surtout par cette illusion : les techniques cognitivo-comportementales promettent tout et tout de suite : « vous avez une phobie, une obsession ? En quinze jours, un mois, six mois au plus, je vous en débarrasse ! ». On a un symptôme d’un côté, et un programme de disparition du symptôme de l’autre. Il y a une sorte de facilité, ou de tendance à aller dans le sens de la facilité : on veut nous faire croire que faire disparaître un symptôme, c’est facile ou en tous cas rapide. L’argument premier pour lancer l’étude INSERM et le débat autour des psychothérapies a été celui de « la dérive sectaire », or, si les psychothérapies font penser à l’influence des sectes, c’est précisément parce qu’elles promettent volontiers la disparition du symptôme -en général assez vite- avec des arguments très simples, voire simplistes. À ce titre, on ne voit pas très bien comment la psychanalyse, elle, pourrait succomber à une quelconque dérive sectaire, mais à l’opposé, on se dit que les thérapies cognitivo-comportementales qui promettent presque le miracle, pourraient facilement y tomber ! En effet, on s’en remet à qui quand on veut un miracle ? A un prêtre… ou à un gourou. Eh bien je répète qu’il me semble que les thérapies cognitivo-comportementales prêtent le flanc à ce qu’elles prétendent combattre, c’est-à-dire la fameuse dérive sectaire. Et je maintiens que proposer -ou plus exactement promettre « scientifiquement »- à quelqu’un de le débarrasser vite d’une souffrance qu’il traîne avec lui depuis des années, voire des dizaines d’années, c’est en fait lui promettre la lune, c’est lui promettre le miracle. Bien entendu, beaucoup de gens sont tentés de s’y diriger, et de faire l’essai, c’est quand même plus agréable de s’entendre dire : « je vais vous débarrasser en quelques séances de votre phobie » plutôt que : « si vous vous engagez dans une psychanalyse, vous allez y passer des mois voire des années, et encore vous n’en serez pas encore forcément débarrassé puisque l’ambition de la psychanalyse n’est pas symptomatique ». Que l’offensive des thérapies cognitivo-comportementale soit brutale et déloyale, on le constate, je le constate et je le déplore. Maintenant, que cela ait des retentissements sur la psychanalyse, comme un des experts l’aurait voulu, et que leur entreprise aboutisse à l’éradication de la psychanalyse, là, par contre, on peut dire qu’ils prennent leurs désirs pour des réalités. La psychanalyse continue à être enseignée, tranquillement. Sans faire nécessairement une autocritique, ce que l’on peut dire de la situation actuelle à l’université, c’est que la psychanalyse n’a pas été suffisamment offensive. Offensive, non pas au sens où les thérapies cognitivo-comportementales le sont (vouloir la disparition d’un courant de pensée différent), mais au sens où ceux qui enseignent la psychanalyse à l’université n’ont pas suffisamment mis en avant la nature de leur travail, la spécificité de leur démarche, les enjeux respectifs de la théorie et de la pratique psychanalytiques : car ces deux enjeux sont propres à la psychanalyse et ne peuvent pas être confondus, ou en tout cas, ils peuvent être disjoints. De ce point de vue, les psychanalystes qui enseignent à l’université ont peut être été un peu frileux. Du même coup, les autres théories et pratiques psychothérapiques ont eu le champ libre pour tenter de s’imposer.

BL : Les autres ? Une particulièrement.

PHK : Voilà ! Le courant cognitivo-comportemental tout particulièrement. Et puis j’ai répondu l’autre jour à FR3 qu’il y avait aussi un effet de mode, et que ce qui était bon aux Etats-Unis il y a vingt ans devenait bon aujourd’hui en France. Ça passera, comme les autres modes.

BL : Vous ne pensez pas que c’est aussi avec l’arrivée du D.S.M., le manuel diagnostic statistique avec des visées thérapeutiques spécifiques ? Il y a aussi des manuels de pratique qui sont en train d’arriver sur le marché : pour telle pathologie bien répertoriée, cela va être tel type de traitement et pas un autre ? Avec le système d’assurances aussi, comme aux Etats-Unis…

PHK : Vous avez raison, à Bordeaux d’ailleurs, à l’université où j’enseigne, c’est exactement comme cela que cela s’est produit. Il y a moins de 10 ans, nous avons eu des enseignants qui sont arrivés avec, en poche, le D.S.M. à enseigner. Avec, ils ont appris aux étudiants en psychologie à faire des diagnostics, et c’est ensuite que sont arrivées les TCC, et on entend dire maintenant : seules les TCC doivent être enseignées à l’université. Donc vous avez raison, le D.S.M. est un mode de classification de ce qu’on appelle aujourd’hui les troubles mentaux, correspondant à des souffrances psychiques qui étaient décrites autrement jusque-là, et que cet outil prétend étiqueter de manière soit-disant rigoureuse. En général, l’argument de ceux qui enseignent le D.S.M., c’est qu’aucune théorie du psychisme n’accompagne leur enseignement. Personnellement, je ne connais pas de scientifique qui songe à se revendiquer d’une telle démarche, autres que ceux qui enseignent le D.S.M.. Dans aucune discipline scientifique, je ne connais d’enseignants chercheurs qui pourraient dire : « j’enseigne une méthode, mais je n’ai pas de théorie pour expliquer ce qu’elle permet d’étudier ». Les physiciens les plus pointus se réfèrent bien sûr à une théorie scientifique de ce qu’ils étudient, et c’est ce qu’ils enseignent. On ne peut pas étudier quelque chose sans une théorie préalable ! Le DSM, lui, prétend à l’universalité par absence de théorie concernant l’objet qu’il observe. En fait, bien sûr qu’il y a une théorie implicite derrière cet outil, mais ce qu’il y a surtout, c’est la rhétorique d’une pratique avec, comme vous le dites, le fait d’identifier des troubles avec précision, ce qui permet de proposer le médicament, le traitement correspondant. On le voit aux Etats-Unis et on le voit arriver en France : diagnostiquer une dépression, un TOC, c’est désormais à la portée de n’importe qui ! Sur 9 items décrits dans le DSM, il suffit d’en présenter 5 pour être dépressif, quant au TOC, la secrétaire du psychiatre peut faire le diagnostic elle-même, et on peut se demander si on aura encore longtemps besoin du psychiatre pour ça. Si n’importe qui peut faire le diagnostic, la prescription du traitement et sa mise en œuvre nécessiteront encore l’intervention d’un médecin, mais de quelle formation ? Les généralistes prescrivent actuellement plus d’antidépresseurs que les psychiatres... A chaque souffrance psychique correspondra bientôt un diagnostic, et à chaque diagnostic correspondra un traitement médicamenteux. Les travaux de Philippe Pignarre sur l’industrie pharmaceutique en ce moment sont absolument spectaculaires. Dans un livre qui s’appelle Comment la dépression est devenue une épidémie, on voit très bien que c’est l’arrivée du DSM qui déclenche l’épidémie. Ce n’est pas un virus ou un autre agent pathogène comme dans les autres maladies, non, c’est l’outil qui permet de diagnostiquer la dépression qui a déclenché l’épidémie de dépression. On est bien dans le schéma que vous indiquiez : d’abord on enseigne le DSM, ensuite on fournit le traitement pour les troubles décrits.

BL : Il me semble qu’avant les tenants des TCC étaient assez modestes dans le sens où ils répertoriaient des symptômes. C’est vrai que l’on peut voir des personnes par exemple qui ont une phobie de prendre l’avion mais qui par ailleurs ne demandent rien d’autre que d’être débarrassées de leur phobie de l’avion. Je peux comprendre qu’une personne fasse à ce moment-là un déconditionnement pour pouvoir prendre l’avion. Par ailleurs sa vie va bien. Avant ces thérapies avaient des indications bien précises et maintenant il semble que cela s’applique à toute pathologie, les dépressions, la schizophrénie, il n’y a plus de caractéristiques d’application de cette thérapie.

PHK : La phobie de l’avion, cela me fait penser à une demande que j’ai reçue, il y a moins de six mois. C’était avant la publication de ce rapport (peut-être que je ne ferai pas la même réponse aujourd’hui). Une personne, une femme qui partait en mission à l’étranger, n’avait jamais pris l’avion et elle était terrorisée par cette perspective. Elle m’a dit : « voilà, je pars dans quelques semaines, et pour 6 mois, est-ce que vous pouvez m’aider pour ma phobie de l’avion ? » Et je lui ai dit : « non, il y a des thérapies cognitivo-comportementales qui existent et si vous souhaitez être débarrassée d’un symptôme très rapidement, ce n’est pas un psychanalyste qu’il faut venir voir ». Et c’est ce qu’elle a fait. Il y a eu une période pendant laquelle on a pu logiquement conseiller, en étant simplement empathique à l’égard de quelqu’un qui souffre et qui a besoin pour des raisons très précises d’être débarrassée d’un symptôme, je ne dis pas prescrire, je dis conseiller une démarche cognitivo-comportementale. Mais aujourd’hui, tout le champ de la psychopathologie et au-delà, toute souffrance psychique intense, voire tout comportement déviant sont présentés comme pouvant bénéficier d’un traitement comportemental. Cet hégémonisme laisse entrevoir un avenir assez redoutable, car tout écart à la norme pourrait ainsi faire l’objet d’un traitement comportemental visant à ramener le sujet dans la norme. Dieu merci, là encore, la psychanalyse ainsi que d’autres approches humanistes du fonctionnement mental conçoivent la vie psychique humaine dans ce qu’elle a de créatif, de productif et d’inédit, envisageant que tout ce qui sort de la norme n’est pas nécessairement pathologique et ne doit pas à tout prix être éradiqué. Il est évident que les TCC ont une tendance à l’hégémonisme, mais encore une fois, je soutiens qu’il y a un effet de mode : c’est la tendance actuelle et pour l’instant, ça marche, mais il y aura un retour de balancier, d’autant plus que de leur côté, les approches humanistes continuent aussi à faire leur travail.

BL : Justement est-ce que cela n’est pas une « flambée » en France alors qu’aux États-Unis le courant cognitiviste semble plus important que le courant comportementaliste. On va par exemple vers un inconscient cognitif ou des théories par comme celles des trajectoires de vie qui reviennent sur l’histoire du sujet et qui donc se rapprocheraient d’autres théories. En France, cela me semble plus être orienté comportementalisme.

PHK : Ma connaissance de ce courant théorico-pratique est insuffisante pour en proposer ici une analyse exhaustive. C’est vrai pourtant qu’on a l’impression que le courant cognitivo-comportemental n’aurait laissé filtré en France que l’aspect comportemental. Pourquoi ne pas se dire que si l’aspect cognitif a du mal à passer en France, c’est précisément parce que nous sommes dans une culture différente ? D’autre part, la psychanalyse a fait valoir que le fonctionnement psychique ne se laissait pas tout à fait découper comme le prétendent les théoriciens cognitivistes. Maintenant, que le sujet souffrant réussisse à se faire entendre, que ce soit d’une façon ou d’une autre, c’est tout ce que je souhaite. L’évolution dont vous me parlez aux Etats-Unis me fait penser à ce qu’on enseignait en France dans les années 70 concernant la notion de stress : d’un seul coup, on s’est aperçu que le stress en tant que responsable isolé d’un trouble, ça ne marchait pas. On a donc mis au point la notion de « stress perçu ». Même chose pour la notion de « soutien social » qui est devenue « soutien social perçu », parce qu’en écoutant les gens, on a bien été obligé d’admettre que la perception subjective qu’a une personne de ce qui lui arrive doit impérativement être prise en compte, d’une manière ou d’une autre.

BL : J’aimerais que vous me parliez maintenant de l’enseignement de la psychanalyse à l’université : y a t-il encore, selon vous une place pour cet enseignement de la théorie psychanalytique et concrètement y a-t-il un lien possible avec l’enseignement d’une pratique psychanalytique comme il y a un enseignement d’une pratique cognitivo-comportementale ?

PHK : Alors vous faites bien de disjoindre les deux, théorie d’un côté et pratique de l’autre : tout simplement parce que Freud qui est le fondateur de la psychanalyse, lui-même parlait de sa discipline à la fois comme d’une technique qui permettait d’explorer les souffrances d’un psychisme et en même temps d’un corps de savoir sur la manière dont se construit le psychisme humain. En ce qui me concerne, puisque c’est à moi que vous posez la question, vous tombez bien puisque mon cours en première année de psycho s’intitule « introduction freudienne à la psychologie », que je poursuis en deuxième année par un enseignement intitulé « introduction freudienne à la psychopathologie ». Je considère -et je ne suis pas le seul évidemment- que la psychanalyse a tout à fait sa place à l’université et que, en ce sens, on ne fait là que tenter de répondre à la question posée par Freud en 1919 : « doit-on enseigner la psychanalyse à l’université ? ». Que cette question mérite d’être posée et reposée régulièrement, et que la réponse ne soit pas acquise une fois pour toutes, je n’y vois aucun inconvénient. Au contraire, j’y verrai plutôt le signe de la vitalité de la psychanalyse. Maintenant, dans la période actuelle et malgré les attaques dont elle fait l’objet, sachez que la psychanalyse est enseignée dans la plupart des universités. A l’université de Bordeaux 2 par exemple, le président ne rate pas une occasion de dire publiquement qu’il souhaite voir la psychanalyse enseignée dans son université, dans le département de psychologie en particulier, quant aux professionnels qui encadrent les stagiaires en psychologie sur le terrain, ils souhaitent également la même chose. La poursuite de l’enseignement de la psychanalyse à l’université aujourd’hui, en 2004, ne pose donc aucun problème. À Aix-Marseille, à Toulouse, à Montpellier, à Lyon, à Paris, à Brest, etc. bref, dans toutes les grandes universités, c’est un enseignement psychanalytique de qualité qui est délivré. Maintenant, ce qui est enseigné à l’université, c’est la théorie, c’est l’hypothèse de l’Inconscient, c’est l’appareil psychique, ce sont les textes freudiens qui fondent sa théorie. Si les départements de psychologie accueillent volontiers cet enseignement, c’est parce que la psychanalyse propose et soutient une théorie du fonctionnement psychique humain et que cet enseignement théorique a toute sa légitimité. Maintenant, en ce qui concerne la pratique, c’est différent. Est-ce que l’on forme à l’université des praticiens de la psychanalyse ? bien sûr que non. L’université et l’institution universitaire ne peut pas garantir -ce serait de l’escroquerie- la formation de psychanalystes, puisque la démarche psychanalytique est d’abord et avant tout fondé sur une démarche singulière. Elle ne peut donc pas être cautionnée par une institution, même s’il s’agit de l’université. La formation du psychanalyste, c’est en dehors de l’université qu’elle doit se mener, qu’elle doit s’entreprendre. Rien n’empêche d’ailleurs un étudiant intéressé par la psychanalyse, dont il reçoit l’enseignement théorique à l’université, d’entreprendre pour son compte personnel une démarche psychanalytique en dehors, avec le contrôle d’institutions, d’écoles psychanalytiques. En conclusion, je crois très important de maintenir cette distinction entre, d’un côté la théorie psychanalytique, édifice théorique permettant d’explorer le psychisme humain et de l’autre, la pratique psychanalytique autorisant l’accès à la souffrance humaine et permettant surtout à celui qui éprouve cette souffrance de l’éclairer, de la comprendre et, le cas échéant, de l’atténuer ou de la faire disparaître.

BL : Les tenants de la thérapie cognitivo-comportementale ont énormément publié de résultats de recherche sur l’efficacité de cette méthode thérapeutique. À contrario, la publication de recherches sur l’efficacité de la méthode psychanalytique est beaucoup plus restreinte. Comment comprenez-vous cette frilosité en matière de recherche de la part des psychanalystes, comme des autres psychothérapeutes non cognitivo-comportementalistes ?

PHK : A ce sujet, je n’utiliserais pas comme vous le mot de frilosité. Je dirais plutôt que les psychanalystes qui enseignaient à l’université et qui étaient tous rattachés à des écoles ou des associations psychanalytiques, avaient tendance à publier leur travaux davantage dans les revues appartenant à ces institutions que dans celles du champ universitaire. Or, depuis 2000, c’est créé en France un groupe de chercheurs, d’enseignants chercheurs qui se réfèrent à la psychanalyse et qui s’appelle le SIUERPP, le séminaire interuniversitaire européen de recherche en psychopathologie et en psychanalyse. Ce groupe, fondé par Pierre Fédida et dirigé actuellement par Roland Gori, a comme ambition de promouvoir, non seulement les travaux de recherche -recherche qui existe depuis un moment- mais aussi et surtout la lisibilité de la recherche et des recherches universitaires référées à la psychanalyse. On ne peut donc pas parler de frilosité, mais plutôt d’un manque de prévoyance de la part des enseignants chercheurs universitaires dont le référentiel était la psychanalyse. Ils ont mis du temps à se dire que c’était aussi à l’intérieur de l’université qu’il fallait publier et pas seulement dans leurs revues d’école. Je vous assure qu’il y a des mémoires de maîtrise, des mémoires de D.E.S.S. (diplôme qui s’appelle aujourd’hui « Mastère pro »), mais également des DEA et des thèses (le doctorat) qui, par définition, sont soutenues publiquement et dont les paradigmes sont ceux de la psychanalyse. A Bordeaux et dans l’année qui vient, il y aura 4 thèses référées à la psychanalyse, et sur la France entière, il y a des dizaines et des dizaines de chercheurs de troisième cycle qui mènent des travaux explicitement référés à la théorie psychanalytique. Alors, vous voyez, on ne promet pas des lendemains qui chantent, on ne dit pas que demain on rasera gratis, on ne proclame pas que la psychanalyse guérit tout, mais on dit que la recherche psychanalytique existe, qu’elle est vivante, qu’elle avance et produit des résultats. Indiscutablement, la psychanalyse en tant que démarche personnelle d’investigation produit des effets pour celui qui s’y engage : qu’il soit beaucoup plus compliqué de rendre compte de ses effets que de noter simplement la disparition d’un symptôme, c’est l’évidence même. La recherche psychanalytique engage les chercheurs sur de longues périodes. On ne peut pas, par exemple, étudier la dynamique du transfert dans une relation à l’aide d’un simple questionnaire, mais avec cet outil, on peut aisément étudier l’apparition d’un comportement conditionné remplaçant le comportement jugé « pathologique ». J’ai malgré tout entendu dire que dans les années 90, certains travaux portant sur l’observation des pratiques des comportementalistes, comme ceux de Garfield, ont montré que les comportementalistes mobilisent malgré eux, à leur insu, certaines attitudes qu’ils ne mentionnent donc pas, mais qui jouent pourtant un rôle dans l’amélioration de leurs résultats... Quand on chasse l’inconscient par la porte, il rentre par la fenêtre. De leur côté, les recherches en psychanalyse et les recherches articulées à la psychanalyse sont menées en toute transparence à l’université et, encore une fois, leurs résultats sont plus longs, plus difficiles à obtenir, plus complexes à aborder, il est donc inutile de les comparer à des travaux dont le but est de faire simplement disparaître un symptôme. Un dernier mot pour boucler la boucle et revenir à la fameuse recherche INSERM dont nous parlions tout à l’heure. C’est en parlant du transfert que j’y pense : cette étude, curieusement, n’a été construite que sur de la littérature, au sens strict du terme. Elle prétend évaluer l’efficacité de ces approches, non pas à partir de rencontres réelles avec des patients -on aurait pu, après tout, interroger des patients sur le bienfait qu’ils avaient retiré de ces thérapies-, mais en s’appuyant sur des données chiffrées, elles-mêmes présentées en majorité dans des revues cognitivo-comportementales ! Le danger que je vois à multiplier ce genre d’études, c’est qu’on finisse par se passer de la rencontre avec la personne réelle pour évaluer, pour envisager l’impact sur elle de sa rencontre avec quelqu’un qui lui promet ou qui s’engage à la soulager de sa souffrance. Si on peut argumenter de l’efficacité d’une démarche psychothérapique sans rencontre de la personne qui en a bénéficié, alors, je ne sais pas où on va, ou plutôt si : on tourne un peu plus le dos au « principe d’humanité » dont parle Guillebaud.

BL : Merci Pascal-Henri Keller

 

~ Publications ~ de P-H. Keller

1/ Ouvrages
Keller P-H., 1997, La médecine psychosomatique en question, 282 pages, Odile Jacob
Keller P-H., 2000, Médecine et psychosomatique, 128 pages, Flammarion

2/ Direction d’ouvrage
Keller P-H. et Pierret J. (CNRS), 2000, Qu’est-ce que soigner ?, 239 pages, La Découverte

3/ Chapitres d’ouvrage
Keller P-H., 1999, Psychologie et médecine, d’illusion en incertitude, in : Mouchès A., De l’illusion psychique aux illusions sociales, pp. 23-35. L’Harmattan
Keller P-H., 2000, Soin physique, soin psychique : l’analogie dans le soin, in : Qu’est-ce-que soigner ?, pp. 172-190. La Découverte-Syros
Gori R. & Keller P-H., 2004, La passion au corps, in Michels A.& al., Le corps comme limite, Erès (sous presse)

4/ revues spécialisées à comité de lecture
Parus
Keller P-H., 1991, Cancer et demande de psychothérapie : le cas de Marine, Revue de Médecine Psychosomatique, N° 27, Sept 1991
Keller P-H.,1992, Le rat et la psychosomatique, L'information Psychiatrique, N° 7, sept. 1992, pp.725-730.
Keller P-H., & al.,1994, Maladie de Crohn : principes d'une approche singulière. Les instantanés de l'E.M.C.,février 1994, Vol. 65-1.
Keller P-H.,1994, Approche psychosomatique : la question du sujet en souffrance ? Psychologie Médicale, 1994, 26, 14 : 1439-1441.
Keller P-H., 1995, Les théories psychosomatiques : modèle médical ou modèle psychologique ? Une réflexion épistémologique, Revue Française de Psychosomatique, N° 8, 1995, pp.153-176, P.U.F.
Ducousso-Lacaze A. et Keller P-H.,1995, Maladie, métaphore et analogie : une approche clinique et théorique, Revue Internationale de Psychopathologie, n° 20/1995, p. 615-640, P.U.F.
Keller P-H.,1996, Approche psychosomatique en gastroentérologie, Bulletin de Psychologie, N° 426, Tome XLX, année 1996, pp. 602-615
Keller P-H., 1998, Psychisme, de quoi parle-t-on ?, Le Concours Médical, 24-01-98- 120-03, pp. 212-213
Keller P-H., 1998, Analogie et psychosomatique, Le Concours Médical, 21-02-98- 120-07, pp. 468-471
Keller P-H., 1998, Bioethics, Proof Against Pragmatism : What is at Stake in Research in Psychopharmacology, International Journal of Bioethics, vol. 9, n°4, 43-51, ESKA
Keller P-H., 1999, Le désir entre médecine et psychologie, Le Concours Médical, 08-05-99-121-18, pp.1403-1405
Ducousso Lacaze A. & Keller P-H., 1999, Le rôle du fonctionnement mental analogique en situation de recherche clinique, Psychologie Française, n°44-4, 1999, pp. 333-342
Keller P-H., 2000, Psychosomatique, un état en mal de mots, Cliniques Méditerranéennes, n°61, 2000, pp. 75-89
Saingaïny E. J-D., Keller P-H., Fleury B., 2000, Le temps vécu par le sujet alcoolique, Le courrier des addictions, (2), n° 3, sept. 2000, pp. 116-120
Keller P-H., Carette H., Berjot A., 2000, Approche psychologique et motivation des consultants en dermatologie, Encyclopédie médico-chirurgicale, (Editions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS, Paris), 50-265-B-10, 2000, 6 p.
Ducousso-Lacaze A. et Keller P-H., 2002, Récit de l'expérience de consommation de médicaments psychotropes et récit de soi, Cliniques Méditerranéennes, 65-2002, pp. 29- 306
Keller P-H., 2002, Propos sur les troubles dits « psychosomatiques », Revista latinoaméricana psicopatologia fundamental, Vol V, n° 4, décembre 2002-05-17
Ducousso Lacaze A., Grihom M.J., Keller P-H., 2002, Construction d’analogie en clinique psychanalytique, Psychologie de l’interaction, N° 15-16, pp. 223-245
Keller P-H., 2002, Traiter ou soigner la souffrance psychique: la faire taire ou la dire?, Revue de psychologie de la motivation, n° 34, pp. 85-93
Keller P-H., Psicossomatica e Analogia, Temas, 2002, 62-63 ; 145-152, Brasil
Frédéric Bouscau-Faure, Pascal-H.Kellerand René Dauman, 2003, Further validation of the Iowa Tinnitus Handicap Questionnaire, Acta Otolaryngol, 2003 ; 123
Keller P-H., 2003, A propos de quelques analogies du texte freudien, Revue Française de Psychanalyse, 1/2003, pp. 287-297
Keller P-H., 2003, Sauvagerie de l’interprétation en psychosomatique, Cliniques méditerranéennes, Psychanalyse et langage, n° 68, pp. 245-256
Keller P-H., 2003, Analogy and truth in psychosomatics, Revista latinoaméricana psicopatologia fundamental, Vol VI, n° 2, junho de 2003, 1415-4714
Keller P-H., 2003, Cohabitation entre médecine et psychologie: les exigences du soin et de la parole, Annales médico Psychologiques, 161 (2003) 152-158
Keller P-H., 2003, Le Clin d’œil de Flora, Cahiers de psychologie clinique, n° 20, 2003/1, Le visuel, pp. 191-202

A paraître
Keller P-H., 2004, Iatrogénie de la parole, Le Concours Médical, (sous presse)
Keller P-H.& Ducousso-Lacaze A., 2004, Clinique de l’inattendu : apport de l’analogie, Bulletin de psychologie, (N° spécial sur l’analogie, à paraître, mars 2004)
Simonnet-Toussaint C., Lecigne A., Keller P-H. Images et pratiques de consommation du vin chez de jeunes adultes : une relation paradoxale, Journal International des sciences de la vigne et du vin, (à paraître, mars 2004)
Keller P-H., 2004, Thérapies à « médiation corporelle » : de l’idée aux pratiques. Evolutions Psychomotrices et Recherche (à paraître, 1er semestre 2004)
Keller P-H., 2004, L’enfant au risque de l’animal, Les cahiers de l’infantile, (accepté)
Keller P-H., 2004, Has the Chicago school of psychosomatic medicine lost ist soul ?, Psychiatric Bulletin (soumis)
Keller P-H., 2005, Aporie de la normalisation en psychosomatique,Psychiatrie, Neurosciences et Sciences Humaines, (accepté)

5/ Notes de lecture
Keller P-H., 2000, note de lecture de l’ouvrage « La force de guérir », d’Edouard Zarifian (1999, Odile Jacob), Cliniques Méditerranéennes, n°62
Keller P-H., 2000, note de lecture de l’ouvrage « Pourquoi la psychanalyse ? », d’Elizabeth Roudinesco (2000, Fayard), Cliniques Méditerranéennes, n°63
Keller P-H., 2002, note de lecture de l’ouvrage « La logique des passions », de Roland Gori (2002, Erès), Annales Médico-psychologiques, volume 160, Issue 8, octobre 2002, page 603

6/ actes de colloque
Keller P-H., 2001, L’enfant hyperactif, un singulier mythe collectif ?, 4ème colloque de Pédiatrie et psychanalyse, sous la direction de Danièle Brun, Editions Etudes Freudiennes, hors série, pp. 300-306
Keller P-H., 2001, Cancer et parole : entre besoin de soins et désir de sens, Eurocancer XIVe congrès, sous la direction de Michel Boiron et Michel Marty, p. 303-305
Ducousso Lacaze A.& Keller P-H., 2001, Situation clinique d’interlocution psychothérapique et analogie in : Transhumance III. Du non encore advenu, Presse universitaires de Namur, 2001, pp 43-63
Keller P-H., 2001,Reflections on the medicalization of psychosomatic disorders, 16th Word Congress on psychosomatic medicine, in Göteborg, p.113
Keller P-H., 2001, Le médicament psychotrope au risque de l’addiction, Congrès international, Montpellier, Culture en risque : nouvelles cliniques psychologiques, (sous presse)
Keller P-H., 2002, Impasse de la guérison en psychosomatique, 5ème colloque de Pédiatrie et psychanalyse, sous la direction de Danièle Brun, Editions Etudes Freudiennes, hors série, pp. 177-186

7/ Publications dans des revues spécialisées
Keller P-H., 1991, Inquiétante étrangeté : Lecture du texte de Freud et psychosomatique, Les Nouvelles Etudes Psychologiques, Tome V, octobre 1991
Keller P-H., 1991, Comment définir une approche psychosomatique ?, Psychologues et Psychologies, Septembre 1991
Keller P-H., 2001, A propos de la recherche universitaire en psychologie clinique et psychanalyse : quelle place pour quel corps ?, Le journal des psychologues, février 2001
Keller P-H., 2001, L’IVG concerne-t-elle l’homme ? Le journal des psychologues, mai 2001
Keller P-H., 2002, Des médicaments en toc, Le journal des psychologues, novembre 2002

8/ Publications dans des revues non spécialisées et presse grand public
Keller P-H., Santé : raison ou passion ? Libération, 23 août 1993, rubrique Rebonds
Keller P-H., La psychologie, la maladie et la pensée, Libération, 20 juillet 1994, rubrique Rebonds
Keller P-H., Le malade, son corps et la raison, Libération, 12 février 1996, rubrique Rebonds
Keller P-H., Soigner ou compter, Libération, 21 mars 1997, rubrique Débats
Keller P-H., Le sexe et la mort, Le Monde, août 1997, rubrique Horizon-débats
Keller P-H., La Santé parlons-en, Sud-Ouest, Interview CSA/Sud – Ouest, 24 et 25 mai 2000


9/ Présence sur Site Web :
La Recherche, n° 314, novembre 1998, p.8, http//www.larecherche.fr Pascal-H. Keller, Gènes et comportements : le psychisme

 

 


Dernière mise à jour : 12/04/04
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